LA RÉVOLUTION DE LA CROIX

ANNEXE I
Une visite à la Maison d'Or

Au XVIe siècle, des vignobles recouvrent le Palatin. Ce jour-là — pour chercher de l'eau ? — on creuse la terre : les pioches et les pelles, en s'enfonçant, révèlent une excavation. Torche en main, quelques curieux s'y laissent choir. Ils croient en premier lieu avoir trouvé une grotte mais des voûtes en brique leur montrent leur erreur. Il s'agit visiblement d'un ancien lacis de constructions encombré par la terre et des débris de toutes sortes.

La Renaissance se montre avide des souvenirs de l'Antiquité : on ne tarde pas à déblayer. A mesure que l'on avance, une certitude se confirme : on se trouve dans la Domus Aurea de Néron. Comment a-t-elle été sauvegardée ? Par les successeurs de Néron qui ont fait construire leurs propres résidences au-dessus de la Maison d'Or. Ayant servi de fondations, le chef-d'œuvre néronien est parvenu jusqu'à nous.

Dès que les vestiges ont été abordables, des artistes s'y sont glissés et, à mesure que l'on découvrait salles et appartements, y sont revenus en nombre. A la lumière des torches, ils ont découvert, ornant les murs et les plafonds, des peintures où abondaient des êtres fantastiques. En souvenir de la grotte que l'on avait cru reconnaître, ils vont décréter que ces œuvres étaient « grotesques ». Chargés de décorer la chapelle Sixtine, les artistes toscans et ombriens Ghirlandaio, Pinturicchio, Le Pérugin ou Filippino Lippi ne se cacheront pas d'avoir été influencés par le décor néronien.

Au carrefour des XVIIe et XVIIIe siècles, Pier Sante Bartoli explore quelques salles et en tire un recueil de dessins publié en 1706. Paraissent également soixante gravures inspirée des dessins de Smugliewiecz et Brenna. En 1812, deux copies nous conservent la trace de peintures aujourd'hui disparues[1].

[1] Musée national romain et Bibliothèque vaticane.

Ce livre était largement en chantier quand l'urgence m'est apparue d'une visite de ce musée sous terre offert depuis plusieurs années à la curiosité des touristes. J'en avais fixé l'époque quand j'appris — catastrophe ! — que la Domus Aurea était fermée pour cause de travaux de consolidation et de réhabilitation. Que faire ? Il n'est pas d'interdit que ne suppose d'exceptions. Quitte à frapper à une porte, mieux valait que ce fût la bonne. L'ambassadeur de France auprès de la République italienne se nommait Yves Aubin de La Messuzière. Des liens d'amitié nous unissaient depuis le temps — de 1988 à 1990 — où, alors que j'étais ministre de la Francophonie, il avait dirigé mon cabinet avec une allégresse et une efficacité dont je n'ai cessé de lui savoir gré.

A peine informé, Yves Abin de La Messuzière a multiplié les efforts pour que « notre » demande — le possessif était de lui — fût suivie d'effet. Elle l'a été.

Lundi 8 mai 2006, 10 heures du matin, Micheline et moi retrouvons Yves et Florence de La Messuzière devant l'entrée du pavillon du mont Oppius où tout indique que se trouvaient les appartements personnels de l'empereur[2].

[2] Elisabetta Segala, Domus Aurea (1999).

Nous attendent le directeur de l'Ecole française de Rome, Michel Gras, ainsi que les personnalités italiennes chargées des travaux de réhabilitation en cours. La façade des Thermes de Trajan — murs de briques en demi-cercle — est presque intacte. La longue galerie par laquelle nous accédons à la Maison Dorée souffre d'infiltrations d'eau : d'où le froid qui agresse.

Que le lecteur ne se méprenne pas : la Domus Aurea telle que nous y parvenons ne se compose pas de pans de murs, de ruines comme il en existe tant dans Rome, mais de pièces intactes couvertes de leur plafond. Jadis, de grandes baies les emplissaient de lumière. Restituer par l'imagination des perspectives disparues se révèle un exercice parfaitement vain. Manquent aussi l'or, le marbre, les ornements arrachés pour le grand profit des successeurs de Néron. La campagne de photographies ouverte dans la deuxième partie du XXe siècle nous a gardé des images assez nettes, parfois précises de certaines fresques. Haïssons le temps qui passe : aujourd'hui elles sont pratiquement toutes effacées.

Nous voici dans des pièces qui ouvrent sur une grande cour-jardin rectangulaire. Comme nous progressons dans le couloir que l'on nomme « des aigles », deux oiseaux nous sautent aux yeux et pleins de fraicheur encore, s'affrontent sur un candélabre végétal. Sur la voûte s'esquisse la trace d'aigles et de griffons ailés. Comment ne pas songer à ces peintres ou aquarellistes qui couchés sur le sol, ont eu la volonté — et le talent — de reproduire ce qu'ils voyaient encore, eux ? Ainsi pouvons-nous admirer la totalité des merveilleuses décorations de la voûte. Les copiant en 1776, le peintre Mirri nous les a conservées.

Nous nous sommes arrêtés longuement dans la salle 70, certes pour y considérer des façades peintes mais bien davantage pour méditer sur l'intrusion quasiment obscène d'une énorme canalisation traversant de part en part la pièce voulue par Néron et que nous devons attribuer aux architectes de Trajan.

Au moment où j'écris ceci, je tiens ouvert devant moi le livre clef d'une telle exploration. Je m'émerveille à lire les descriptions que l'on doit à Ida Sciortino[3]. Elle semble avoir vu toute chose tandis que, parcourant les mêmes salles, j'ai eu tant de mal à les deviner.

[3] Ces textes sont de ceux qui composent l'ouvrage Domus Aurea, op. cit.

La Salle de la voûte dorée est ainsi appelée à cause des peintures dont elle garde la trace. Il faut les croire sorties du pinceau de Fabulus puisque l'ensemble de la décoration picturale de la Maison d'Or lui est attribué. Pline, qui l'appréciait particulièrement, l'appelait tantôt Famulus, tantôt Amulius : « Tout récemment vécut aussi le peintre Famulus, au style digne et sévère tout en étant éclatant et fluide. [...] Il ne peignait que quelques heures par jour, et cela avec dignité car, même sur son échafaudage, il était toujours revêtu de la toge. La Maison d'Or fut la prison de son art : aussi n'existe-t-il guère ailleurs d'ouvrages de ce peintre[4]. »

[4] Histoire naturelle, XXXV, 120.

De la peinture qui ornait la voûte, il reste des esquisses suffisamment précises pour qu'elles confirment la fidélité de la copie prise par Francisco de Hollanda. Dans un carré parfait, s'inscrivent un motif central évoquant Zeus et Ganymède ; des cercles où le rouge, le vert et le bleu se complètent idéalement. On s'attarde et l'on s'attriste en apprenant que cette salle ouvrait sur des terrasses verdoyantes et, au-delà, sur ce lac dépeint par Suétone comme « semblable à une mer. » La pénombre où nous sommes entrés nous reconduit au froid qui fait trembler certains, trop peu couverts. Poursuivant notre visite, il me semble que nous avons quelque peu hâté le pas.

Impossible pourtant de ne pas s'arrêter devant les motifs qui soudain émeuvent : larges fragments de frises et peintures préservées : animaux, rubans, fleurs, une fausse fenêtre ouverte sur un paysage fantastique, une scène dionysiaque, une femme assise, un homme debout.

Dans la Salle octogonale, grandiose en vérité et entourée par une couronne de salles plus petites, les archéologues reconnaissent le premier monument important de Rome où l'emploi du ciment a permis de concevoir une voûte quasiment révolutionnaire. Depuis, l'image ne m'a pas quitté. De la part des architectes, quelle ambition, quelle réussite ! Et pour si peu de temps !

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