La société juive à l’époque de Jésus-Christ

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La Mort et ce qui la suit

Mort du R. Iochanan et du R. Jehudad le saint. — La mort d’après l’Évangile. — Influence de l’état spirituel des parents sur leurs enfants. — Ce qu’on pensait de la maladie. — Châtiment. — Lois d’hygiène. — Médecins. — Remèdes. — Mort prématurée, — Trépas de l’Israélite privé de postérité. — 903 espèces de mort. — La mort par la bouche de Jehovah. — Les personnes sur lesquelles l’ange de la mort n’a aucune puissance. — Visite des malades. — Ensevelissements. — Funérailles du jeune homme de Naïn. — Cérémonies funèbres. — Sépulcres. — La résurrection de Christ. — Comment on se conduisait vis-à-vis des affligés. — Distinction entre le Ouen et le Avel. — Anniversaires de la mort. — Enseignement des Rabbins sur la vie future. — Paradis et enfer. — Péché. — Paraboles rabbiniques qui ressemblent à celle de l’habit de noces. — Doctrine de la synagogue sur le purgatoire et le paradis.

On ne peut lire de récit plus triste que celui des derniers moments du Rabbin Jochanan ben Saccan, « la glorieuse lumière d’Israël ». Vivant à l’époque même qui précéda la destruction du Temple, et au commencement de la période qui la suivit, il avait, pendant deux années, présidé le Sanhédrin. Or, selon le Talmud (Ber, 28 b), lorsque ses disciples vinrent le visiter sur son lit de mort, il se mit à fondre en larmes. Remplis d’étonnement, ceux-ci lui demandèrent comment il pouvait lui, « la lumière d’Israël, le pilier du Temple, le marteau puissant, après avoir réduit en poussière de nombreux adversaires de la loi, montrer, en ce moment, de tels signes d’épouvante ? — Ah ! répondit le Rabbin, si je devais à cette heure être conduit devant un roi de la terre, aujourd’hui plein de vigueur et qui demain sera étendu, sans vie, sur sa couche funèbre, un roi dont la colère et les châtiments ne sont point éternels, et qui ne peut faire retomber sur notre tête qu’une sentence temporaire ; un roi qu’on peut fléchir par des arguments, dont on peut au poids de l’or conquérir la faveur, je tremblerais et des larmes amères couleraient sur mon visage ! Et combien plus de motifs n’ai-je donc pas de me lamenter, quand je suis sur le point de paraître devant la face du Roi des Rois, devant le Dieu saint et unique (que son nom soit béni !), qui vit aux siècles des siècles, et enchaîne les impies dans des liens éternels, le Dieu dont la sentence de mort tue pour toujours, que je ne pourrais jamais convaincre par des arguments ou séduire par de l’argent ? Que dis-je ? Devant moi, s’ouvrent deux voies, l’une mène au paradis, l’autre dans les enfers, et je ne sais dans laquelle de ces routes je dois m’engager. Ah ! comment pourrais-je retenir mes larmes et mes sanglots ? »

En face de cette déclaration, placez la parole du R. Jehudah, appelé le saint, qui protestait, au moment de mourir, en élevant les mains vers le ciel, qu’aucun de ses dix doigts n’avait jamais transgressé la loi de son Dieu. Et dites quelle est celle, de ces deux déclarations, qui forme l’opposition la plus manifeste avec les vérités lumineuses et libératrices que l’Évangile a apportées dans le monde antique. Est-ce le désespoir sans remède du premier, ou la présomption évidente du second ?

Ces deux paroles ne nous rappellent-elles pas aussi un détail de l’Évangile ? Le Livre divin y ouvre deux voies devant nous. Celle-ci mène à la vie, celle-là à la perdition. Ici, il nous exhorte à ne pas redouter ceux qui peuvent tuer le corps, mais à craindre plutôt celui qui, après avoir ôté la vie, possède le pouvoir de nous plonger dans la géhenne. Ailleurs l’assurance exprimée par saint Etienne, saint Jacques ou saint Paul n’est pas moins solide que celle du Rabbin Jehudah, appelé le saint, bien qu’elle s’exprime d’une tout autre manière, et repose sur une base essentiellement différente.

Au reste, jamais les sentences des Rabbins ne sont plus contradictoires, jamais plus incapables de satisfaire les justes exigences du cœur humain que lorsqu’ils s’efforcent de résoudre les profondes et redoutables questions qui se posent devant toute âme humaine : Péché, maladie, mort, existence au-delà du tombeau. C’est avec une entière vérité que s’exprimait l’apôtre Paul, instruit aux pieds de Gamaliel dans les traditions et la science de ses pères. Il faisait connaître à tous l’intime conviction de chacun des chrétiens qui avaient passé par les écoles rabbiniques, lorsqu’il s’écriait : « Christ, notre Sauveur, a seul mis en évidence la vie et l’immortalité par l’Évangile. » (2 Timothée 1.10)

Un jour, nous est-il dit, les disciples demandent au Seigneur au sujet de l’aveugle né : « Seigneur qui a péché, cet homme ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? » (Jérémie 9.1-2) C’était là une question brûlante pour la conscience d’un Juif strict. Les enfants souffrent ou sont récompensés selon l’état spirituel de leurs parents, telle était la doctrine généralement admise parmi les Israélites. Ils ne craignaient pas d’affirmer qu’un enfant, même avant de naître, pouvait contracter une souillure, puisque la yezer-ha-ra, c’est-à-dire la disposition au mal qui était présente en lui depuis sa première heure pouvait produire des fruits sous l’influence des circonstances extérieures. La maladie était considérée comme une punition et une expiation du péché.

[Les Juifs pensent que les enfants nés avec : un défaut corporel doivent expier les péchés de leurs parents. Veut-on connaître la cause de l’apostasie d’Elisée, fils de Abuja, dit le Midrash Ruth, cap. 3 : 13, la Toici : Lorsque sa mère le portait sous son cœur, elle passa devant le temple d’une idole, et, en respirant le parfum de l’encens qui s’élevait du l’autel, elle en ressentit un plaisir coupable. (Nork. o. c. 178.) — Quel est l’âge dans lequel l’enfant devient capable d’hériter du royaume de Dieu ? R. Chaja estime que c’est dès l’heure de sa naissance. R. Simon, fils de Rabba, au contraire, croit que ce n’est que depuis le jour où il est capable de parler. R. Abenna prétend qu’il faut faire remonter cette capacité en lui au jour de la conception. R. Nachman, fils d’Isaac, fait partir ce moment de l’heure où il a été circoncis et R. Meier de celle où il peut joindre son amen aux prières de l’assemblée. (Sanhédrin, fol. 110 : col. 2.) (S. 153.) (G.R.)]

Reconnaissons-le cependant. Nous rencontrons aussi des sentences qui nous rappellent l’enseignement d’Hébreux 12.5, 9 : « Et vous avez oublié l’exhortation qui vous est adressée comme à des fils : Mon fils, ne méprise pas le châtiment du Seigneur et ne perds pas courage lorsqu’il te reprend ; car le Seigneur châtie celui qu’il aime. ». La parole apostolique empruntée au troisième chapitre des Proverbes, prise dans le même sens, est aussi écrite dans une page du Talmud (Ber. 5 a). Dans la citation de Psaumes 94.12 ce dernier livre propose de lire, au lieu de ces mots « heureux l’homme que tu enseignes par tes leçons, Éternel » ceux-ci : « tu nous instruis par ta loi. » Or ta loi nous apprend que les châtiments ont de grands avantages. Si, d’après le passage Exode 21.26-27 un esclave obtenait la liberté à cause du châtiment que son maître lui avait infligé, châtiment qui cependant n’atteignait qu’un seul de ses membres, combien plus les épreuves qui purifient le corps entier de l’homme doivent-elles avoir ce résultat bienfaisant. » Un autre rabbin à son tour nous répète : « Le Dieu saint et unique — béni soit-il ! — a donné trois présents inestimables à Israël. Mais le peuple les a tous reçus par le moyen des souffrances, la loi, le pays d’Israël et le monde à venir. La loi, comme le dit le Psaumes 94.12 ; la terre sacrée selon Deutéronome 8.5, suivi immédiatement par le verset 7, et le monde à venir selon Proverbes 6.23. » Les docteurs de la synagogue étaient de soigneux et habiles observateurs des lois de la santé, et leurs règlements devancent parfois les pratiques de la médecine moderne. Plusieurs allusions nous portent à supposer que l’art de guérir qui, en Egypte, atteignait une si grande perfection que chaque maladie y avait ses médecins, était aussi cultivé en Israël.

[La Médecine demeura toujours à l’état d’enfance chez les Hébreux. La cause en fut surtout l’ignorance absolue de l’Anatomie qui était, en fait, impossible avec la crainte religieuse que l’Israélite avait des corps morts, dont le seul contact souillait au point de vue lévitique. Les nombreuses victimes immolées dans le temple pouvaient seules, en effet, donner occasion aux prêtres d’acquérir quelque connaissance du corps des animaux. Mais une telle science était bien insuffisante. Il est cependant étrange que la dissection fut autorisée parfois et maintes paroles du livre de l’Ecclésiaste sembleraient indiquer que l’Anatomie n’était pas ignorée entièrement dans le peuple d’Israël. D’une manière progressive, l’emploi des soins du médecin devint plus habituel, et nous entendons Sirach redire les louanges de l’homme de l’art : « Rends au médecin l’honneur qui lui appartient, pour le besoin que tu en as, car aussi le Seigneur l’a créé, parce que la guérison vient du très Haut et le médecin sera même honoré des rois. La science du médecin lui fait lever la tête et le fait admirer parmi les princes. Le Seigneur a créé les médicaments de la terre, et l’homme prudent ne les dédaigne point. « (Siracide 38.1-4)

Le Talmud nous a conservé diverses recettes, imaginées dans les temps les plus récents, pour les maladies des femmes. On employait, en outre, les baumes, surtout ceux de Galaad, certaines plantes et des emplâtres de figues (2 Rois 20.7), ou encore le fiel de poisson pour les maladies des jeux (Tobie 11.13-15). On faisait aussi usage des eaux minérales, en particulier de celles de Callirhoë près de Tibériade. Il va sans dire que le peuple, ici comme partout, était porté à employer des moyens superstitieux, amulettes, magie, en particulier lorsqu’il s’agissait de maladies attribuées au démon, d’autant plus que l’on faisait descendre directement de Dieu l’origine de chacun des maux qui frappaient l’homme. (G.R.)]

Là, le livre sacré censure le péché d’Asa trop confiant aux médecins terrestres (2 Chroniques 16.12). Ici, le Nouveau-Testament nous parle de la femme qui avait dépensé tout ce qu’elle possédait et souffert beaucoup de la main des médecins (Marc 5.26). L’usage de certains remèdes, tels que l’huile et le vin, pour la guérison des blessures (Luc 10.34) semble avoir été très répandu au milieu du peuple. St Luc était médecin (Colossiens 4.14). Parmi les officiers réguliers du temple un médecin était spécialement chargé de soigner les prêtres qui, par une conséquence inévitable de l’accomplissement de leurs fonctions, célébrées les pieds nus, étaient assujettis à des dérangements fréquents. Les Rabbins ordonnèrent que chaque ville possédât au moins un docteur. Il avait qualité pour faire les opérations chirurgicales, quand il n’y avait pas d’homme de l’art. Quelques-uns des Rabbins entreprirent eux-mêmes des études de médecine. Et, en théorie du moins, tout praticien devait avoir obtenu d’eux la licence d’exercer. Il était défendu de demander les secours d’un médecin hérétique ou d’un Hébreu devenu chrétien. Une absolue nécessité seule autorisait le fidèle à avoir recours à ces derniers.

Bien que protecteurs de l’art d’Esculape, on entend parfois les docteurs de la synagogue énoncer des maximes railleuses sur cette science vénérée. « Médecin, guéris-toi toi-même » est réellement un proverbe Juif. « Ne vivez point dans une ville dont le premier magistrat est un médecin » car il s’occupe des affaires publiques et néglige ses malades. « Le plus excellent des docteurs mérite la Géhenne » pour les soins mal entendus qu’il a donnés aux uns, et pour la négligence qu’il a mise à s’occuper des autres. Il serait oiseux d’énumérer les remèdes souvent employés à cette époque. D’après ce que nous savons il n’est point surprenant que la femme de l’Évangile eût fait la triste expérience que l’emploi de ces drogues diverses, loin d’améliorer son état, n’avait eu d’autre résultat que de l’aggraver (Marc 5.26).

Sans revenir sur ceux que nous avons cités, disons que les moyens usités étaient, en général, des maximes d’hygiène, et, sous ce rapport, il y a un contraste significatif entre nos mœurs et leurs usages. Ils employaient encore des procédés purement médicinaux ou bien des formules sympathiques ou magiques. Les prescriptions ordonnaient l’emploi de corps simples ou de sels composés. Les végétaux étaient plus usités que les minéraux. Des compresses d’eau froide, l’emploi de l’huile et du vin à l’extérieur et à l’intérieur, des bains médicinaux ou naturels, et un régime particulier étaient prescrits avec soin dans certains cas. Le lait de chèvre et les potages d’orge recommandés dans toutes les maladies qui amenaient un dépérissement. Les chirurgiens Juifs semblent même avoir connu le moyen de faire l’opération de la cataracte.

Tout fils d’Israël espérait ordinairement jouir d’une longue vie. La mort était considérée comme la punition et l’expiation du péché. On disait de celui qui mourait avant 50 ans, qu’il avait été retranché du milieu de son peuple ; à 52 ans, qu’il était mort comme Samuel le prophète ; à 60 ans, la mort lui avait été donnée par la main des puissances célestes. Soixante-dix ans était la fin du vieillard, 80 ans celle des hommes forts. Les Docteurs comparaient un trépas prématuré à la chute d’un fruit qui n’était point parvenu à sa maturité, ou à un flambeau qu’un souffle d’air éteint subitement. Quitter le monde sans laisser un fils, c’était mourir comme Joab. Quand le fils survivait à son père, celui-ci s’endormait dans le sépulcre ; ainsi pour le roi David. L’homme avait-il achevé son œuvre, on regardait sa mort comme celle du juste qui est réuni à ses pères. La tradition concluait, au moyen d’une exégèse fantastique, d’une simple parole contenue dans le verset 12 du Psaume 62 qu’il y avait 903 espèces de mort. L’angine était considérée comme la plus mauvaise et comparée à l’action d’arracher un des fils d’un tissu de laine. La mort la plus douce était assimilée au fait d’enlever un cheveu du milieu d’une tasse de lait, et on l’appelait la « mort donnée par un baiser ». Cette dernière expression dérivait des passages suivants : Nombres 33.38, et Deutéronome 34.5 où il est dit de Moïse et d’Aaron qu’ils sont morts littéralement « de la bouche de Jéhovah ». Il y avait six personnes sur lesquelles l’ange de la mort n’avait, disait-on, pas de puissance : Abraham, Isaac et Jacob puisqu’ils avaient vu leur œuvre complètement achevée avant leur dernière heure ; Marie, Aaron et Moïse qui étaient morts « dans un baiser de Dieu ». Si le trépas prématuré était la punition du péché, les justes succombaient parce que leur tâche allait être confiée à d’autres serviteurs de Jéhovah. Josué allait entreprendre celle de Moïse ; Salomon celle de David, etc. Quand l’heure de la mort avait sonné tout servait de moyen au Créateur pour l’infliger. Et les Rabbins s’écriaient : « O Seigneur, toutes choses te servent, car le pied de l’homme le portera vers le but que tu lui as fixé. »

On notait aussi la manière dont le mourant avait rendu le dernier soupir. La mort était-elle soudaine, il avait été englouti. Le trépas survenait-il après un jour de maladie, c’était signe de réprobation ; après deux, de désespoir ; après quatre, de réprimande ; après cinq jours, c’était la mort naturelle. Expirait-il avec un doux sourire sur les lèvres, avec le regard élevé en haut, heureux présage ! Regarder en bas, avoir l’aspect d’un homme agité ; avoir l’air de pleurer, ou mourir le regard tourné vers la muraille, tout autant de mauvais signes, selon la tradition.

[Les démonstrations de la tristesse étaient énergiques comme celles de la joie. La loi de Moïse interdisait néanmoins toutes les mutilations et toutes les blessures que l’on aurait pu faire au corps (Lévitique 19.28 ; Deutéronome 14.1). Les femmes surtout poussaient des gémissements qui se faisaient entendre au loin (Jérémie 9.19). C’était au milieu des lamentations que le corps était immédiatement après le décès placé dans la chambre haute (Actes 9.37), où devaient se faire les préparatifs des funérailles (Cp. Michael, Mos. Recht : IV : 2716). (G.R.)]

Le malade recouvrait-il la santé, il devait présenter des actions de grâce à l’Éternela. Par une singulière et superstitieuse idée on disait que celui qui parlait dès le premier jour de sa maladie l’aggravait, et que l’on devait seulement le second jour offrir pour lui des prières. Mentionnons enfin un détail qui peut jeter quelque lumière sur la pratique dont parle St Jacques (Jacques 5.14). On avait coutume d’oindre le malade au moyen d’un mélange composé d’huile, de vin et d’eau, que l’on pouvait préparer même le jour du sabbat.

aNedarim, f. 41, C. 1. R. Chia, fils d’Abba : Le jour de la guérison du malade n’arrive pas avant que ses péchés n’aient été pardonnés.

Quand le Seigneur citait la visite des malades parmi les signes évidents de cette piété, qui pourrait soutenir la venue du jour du jugement (Matthieu 25.36), il faisait appel à un principe généralement accepté parmi les Juifs. Maimonides, le grand docteur du judaïsme, affirme que ce devoir l’emporte sur toutes les autres bonnes œuvres. Le Talmud va même jusqu’à enseigner que celui qui visite les malades sauvera son âme du feu de la géhenne (Ned, 40 : a). C’est ainsi qu’un Rabbin discute le sens de cette parole : « C’est l’Éternel votre Dieu que vous devez suivre » (Deutéronome 13.4), et il arrive à la conclusion qu’elle se rapporte à l’imitation des actes divins que nous trouvons mentionnés dans l’Écriture. Dieu revêt ceux qui sont nus (Genèse 3.21). Agissons de la même manière. Il visite les malades (Genèse 18.1), il console les affligés (Genèse 20.11) et il ensevelit les morts (Deutéronome 35.6), nous laissant un exemple afin que nous suivions ses traces (Sota, 14 a). Pour encourager l’Israélite dans l’accomplissement de ce devoir on invoquait les effets bienfaisants de la sympathie sur le malade, et on enseignait que celui qui visite le patient enlève la soixantième partie de ses souffrances (Ned, 39 b). Les soins de la charité ne devaient point s’arrêter là. L’ensevelissement des morts était un devoir aussi pressant que la visite du malade. Aussi, quand un convoi funèbre traversait la rue, était-il du devoir de chacun des assistants de se joindre au cortège, si la chose lui était possible. Les Rabbins appliquaient à l’observation de cet avis, Proverbes 14.32 ; 19.7, et à sa négligence la parole contenue dans Proverbes 17.5 (Ber. 18 a). La même pensée inspirait le respect qu’on témoignait à la dépouille des morts, et les cimetières étaient soigneusement préservés de toute profanation. On allait jusqu’à y interdire toute conversation frivole.

[Presque chaque famille avait une sépulture particulière dans laquelle tous les membres désiraient reposer après leur mort. Il n’y avait guère de cimetières communs que pour les gens du bas peuple et pour les étrangers. Mais les tombes y étaient également inviolables, et c’était une profanation criminelle que d’en retirer jamais les ossements, ou même d’ouvrir les sépulcres pour enlever les trésors ou les armes qu’on y avait déposés. On les considérait, du reste, comme les demeures des démons et ils servaient à des pratiques superstitieuses (Ésaïe 8.19 ; 65.4) (G.R.)]

L’ensevelissement suivait de près le dernier soupir autant que la chose était possible (Matthieu 9.23 ; Actes 5.6,10 ; 8.2). C’était là sans nul doute une prescription d’hygiène. Des raisons spéciales (Actes 9.37,39) ou le respect pour les parents faisaient différer quelquefois de plusieurs jours les derniers devoirs. La préparation de l’ensevelissement du Seigneur mentionnée dans les Évangiles, l’onction d’huile parfumée (Matthieu 26.12), les épices, le mélange de myrrhe et d’aloès (Luc 23.5-6), tous ces usages sont confirmés, au pied de la lettre, par le témoignage des Rabbins de ce temps-là. A une certaine époque, les dépenses des funérailles étaient si considérables qu’elles mettaient dans un grand embarras les familles pauvres, qui ne voulaient pas être ici inférieures à celles de leur voisinage. Les folles dépenses s’appliquaient non seulement aux cérémonies funèbres, mais aux épices brûlées près de la tombe, aux monnaies et aux objets de valeur déposés dans le sépulcre, et même aux vêtements somptueux dans lesquels on enveloppait le cadavre. Il ne fallut rien moins que l’exemple du Rabbin Gamaliel pour introduire enfin une réforme bien nécessaire. Il ordonna que son corps fût enseveli dans un simple vêtement de lin. Par reconnaissance, on vide une coupe de bénédiction à sa mémoire dans les repas des funérailles. Son petit-fils limita même à un seul les vêtements dont on devait revêtir le mort dans sa bière. Il est fait avec l’étoffe de lin la moins coûteuse, et porte le nom de Tachrichin, enveloppe, ou vêtement de voyage. Aujourd’hui il est toujours blanc mais autrefois il pouvait être d’une couleur quelconque. Ainsi un Rabbin ordonna qu’on ne l’ensevelît pas dans un linceul blanc, de peur qu’il ne semblât joyeux, ni dans un vêtement noir afin de n’avoir pas l’air de ceux qui sont dans la tristesse. Il voulut être enveloppé d’une robe rouge. Un autre demande à être revêtu d’un vêtement fait d’étoffe blanche pour montrer qu’il n’avait pas honte de ses œuvres. Un troisième réclame ses souliers, ses bas et son bâton afin d’être prêt pour le jour de la résurrection. L’Évangile nous apprend que le corps était entouré d’un linceul blanc et la face d’un linge (Jean 11.44 ; 20.5, 7).

[La religion n’intervenait pas plus dans les funérailles que dans les mariages. On ne trouve, dans la loi, aucune cérémonie religieuse prescrite pour cette circonstance. — Tous les cadavres humains étaient considérés comme impurs. Celui qui entrait en contact avec eux était souillé pendant 7 jours et devait, le 3e et le 7e, se purifier par l’accomplissement de certaines cérémonies. Cet usage qui n’existait pas chez les anciens Hébreux, surtout pendant le séjour de l’Egypte, venait peut-être de ce qu’ici la coutume d’embaumer les morts y était pratiquée. (Cp. Michaelis. Mos. Recht IV : 227, s.) — Pour les cortèges funèbres on louait des joueurs de flûte comme cela ressort de Chetuboth, cap. 4, halacha 6, où on lit : Le plus pauvre même à la mort de sa femme ou de sa fille est tenu de fournir deux joueurs de flûte et une pleureuse. (No. o. c. 60.) (G.R.)]

Le cadavre ayant été ainsi préparé pour les dernières cérémonies, on procédait à l’accomplissement des rites funéraires. Nous en lisons le récit dans les pages de nos Évangiles. La description de la procession funèbre de Naïn arrêtée par le Maître de la vie (Luc 7.11-13) peut nous fournir d’intéressants détails sur ce point. Tout d’abord elle nous montre que les cimetières étaient toujours hors des villes (Matthieu 8.28 ; 27.7, 52-53 ; Jean 11.30-31). Nulle route, nul canal ne devaient les traverser. Nul animal n’avait le droit d’y paître. Il nous est parlé de cimetières publics et privés. Ces derniers étaient placés dans des jardins ou dans des grottes. C’était l’usage de visiter les tombeaux (Jean 11.31), soit pour pleurer, soit pour prier. Il était défendu de manger, de boire, de lire, ou même de marcher d’une manière irrévérencieuse au milieu des tombes. La crémation était proscrite comme une coutume païenne contraire à l’esprit de tout l’Ancien-Testament.

[On avait cru trouver, dans Jérémie 34.5 ; 2 Chroniques 21.19 ; Amos 6.10, qu’il était d’usage de brûler les cadavres avant l’époque de l’exil. C’est une grande erreur. Les Hébreux enterraient leurs morts. Ils brûlaient parfois les cadavres des suppliciés. Mais c’était là un excès d’ignominie (Josué 7.25). Les corps de Saül et de ses fils ne furent consumés par le feu que dans le but de les soustraire aux outrages des Philistins. Dans le premier des passages que nous venons de citer il est parlé d’épices brûlées et dans le second de ce qui fut accompli dans une époque où l’épidémie de la peste désolait le pays. C’est aussi avec raison que Tacite appelle l’usage d’inhumer le corps une coutume Juive. La pensée de demeurer sans sépulture était l’objet de la terreur et la marque de la suprême infamie, et c’était une œuvre de charité que de ravir aux bêtes fauves, par l’inhumation, un cadavre abandonné. Les malfaiteurs et les ennemis mêmes devaient être ensevelis avant le coucher du soleil. (Deutéronome 21.23) (G.R.)]

Nous voyons, en second lieu, qu’à Naïn le corps était porté à découvert dans la bière. Les porteurs changeaient fréquemment afin de permettre à un plus grand nombre d’assistants de prendre part à une œuvre aussi méritoire. Les tombeaux placés dans les champs étaient souvent ornés de colonnes monumentales qui perpétuaient le souvenir de celui qui reposait dans ce lieu. Les enfants âgés d’un mois et au-dessous étaient portés, par leurs mères, au lieu du repos. On déposait ceux qui n’avaient pas encore atteint une année sur un lit ou sur un brancard.

Enfin l’ordre dans lequel se déroulait le cortège est en parfaite harmonie avec ce que nous savons des usages de ce temps. C’est hors de la porte de la ville que le Seigneur et ses disciples le rencontrent. Si l’événement s’était passé en Judée, les pleureurs et les musiciens auraient précédé la bière. En Galilée ils la suivaient. D’abord venaient les femmes, car ainsi que s’exprime un ancien commentaire Juif : c’est à la femme, qui a introduit la mort dans le monde, de prendre la direction de la procession funèbre. Parmi ces femmes, le Seigneur a bientôt reconnu la mère veuve à laquelle l’enfant, son unique trésor, avait été enlevé, et qui allait être pour jamais ravi à ses regards. Derrière la bière, conformément à la loi et aux coutumes des Juifs, une grande multitude de personnes de la ville. La vue de la douleur émeut les entrailles du Fils de l’homme, la présence de la mort le contraint à déployer son divin pouvoir. C’est à elle qu’il s’adresse. C’est à nous qu’il répète : ne pleure point ! Il touche le cercueil et ceux qui portent le mort s’arrêtent aussitôt. Scène admirable ! Une parole puissante retentit dans les profondeurs de l’Hadès. Les portes inexorables se rouvrent et le flot de la vie revient animer ce corps insensible. « Celui qui était mort s’assit sur sa bière et commença à parler. » Quelles paroles sortirent en ce moment de ses lèvres ? C’est le réveil soudain qui ne laisse pas même dans l’âme la moindre trace des songes qui ont traversé l’esprit.

[La Mischna ordonnait que les demeures des morts appelées maisons de l’éternité (Ecclésiaste 12.5) fussent placées au moins à cinquante coudées de toute ville. — Le cercueil appelé lit ou Mittah était magnifique pour les princes et rempli de parfums « préparés selon l’art du parfumeur, et dont on brûlait une quantité considérable en leur honneur » (2 Chroniques 16.14) comme ce fut le cas pour le roi Asa. — Les membres du cortège chantaient les airs funèbres accompagnés de flûtes qui avaient déjà retenti dans la maison mortuaire. Les chants consacrés commençaient par ces mots : Hélas mon frère ! Hélas ma sœur ! Hélas Seigneur ! Quelquefois un ami improvisait, sur la tombe, un chant de douleur, comme David près du sépulcre d’Abner. On avait aussi des poètes qui faisaient métier d’improviser des complaintes en manière d’oraisons funèbres. (Amos 5.16) (Voyez Munck : Palestine 380 s.) (G.R.)]

Au tombeau, sur la route où le cortège faisait des haltes fréquentes, de courtes allocutions étaient parfois prononcées, quelquefois aussi une oraison funèbre. Si le sépulcre était creusé dans un cimetière public, on devait laisser au moins une distance d’un pied et demi entre les diverses fosses. Les grottes ou sépulcres taillés dans le roc se composaient d’un vestibule dans lequel la bière était déposée et d’une chambre intérieure, ou plutôt d’une salle, située à un niveau inférieur à celui de la première. D’après le Talmud, ces chambres avaient ordinairement six pieds de long, neuf pieds de large et dix de hauteur. On y trouvait huit niches, trois sur chacun des côtés de l’entrée et deux en face, où les corps étaient placés dans la position du sommeil. Les sépulcres les plus vastes pouvaient contenir treize cadavres. Une large pierre ou une porte défendait l’entrée du tombeau (Matthieu 15.46 ; Jean 11.38-39.)

[Le sépulcre était placé hors des villes au milieu des bosquets d’arbres (1 Samuel 31.13), dans un jardin (2 Rois 21.18 ; Matthieu 27.60), sur une montagne (2 Rois 23.16), dans une grotte naturelle ou creusée dans le rocher (Genèse 23.17 ; Ésaïe 22.16). Quelquefois on dressait en mémorial un monceau de pierres (Job 21.32) ou bien encore (Genèse 35.20 ; 2 Samuel 18.18 ; 1 Maccabées 13.25 s.) un véritable monument comme on le voit dans le tombeau d’Absalon. (De Wette, Archæol. 400 s.) (G.R.) — « Rappelons aussi que les caveaux funéraires étaient des chambres basses taillées dans un roc incliné où l’on avait pratiqué une coupe verticale. La porte, d’ordinaire en contrebas, était fermée par une pierre très lourde qui s’engageait dans une feuillure. Ces chambres n’avaient pas de serrures fermant à clef ; la pesanteur de la pierre était la seule garantie qu’on eût contre les voleurs ou les profanateurs des tombeaux ; aussi s’arrangeait-on de telle sorte qu’il fallût, pour la remuer, ou une machine ou l’effort réuni de plusieurs personnes. » (Renan, Les Apôtres, p. 8.) (G.R.)]

Ces détails peuvent éclairer quelques-unes des circonstances de la sépulture du Seigneur. Il est bien naturel que les femmes, venues de bonne heure au sépulcre, aient éprouvé une vive surprise en trouvant que la pierre avait été enlevée, et comment nous étonner, qu’en entrant dans la grotte inférieure, la vue d’un jeune homme assis au côté droit du lieu où le corps avait été déposé, et revêtu d’un long vêtement blanc, les ait remplies d’épouvante (Marc 16.4-5) ? Ces détails nous aident, en même temps, à retrouver l’ordre des événements que Jean nous rapporte (Jean 20.1-12). Il nous dit que Marie-Madeleine était venue au sépulcre quand « il était encore obscur ». Elle attendait la venue de la lumière qui devait éclairer les yeux de son corps et ceux de son âme. Mais, en cherchant de la main l’entrée du tombeau elle avait senti que la pierre avait été roulée et, en toute hâte, elle était allée annoncer aux disciples qu’on avait enlevé le corps du Seigneur. Cependant au milieu de ces émotions diverses le cœur des apôtres était rempli d’espérances qu’ils osaient à peine s’avouer l’un à l’autre. Les deux disciples témoins de ses actes sur la terre, spectateurs désolés de ses humiliations dans le palais de Caïphe, attendaient aussi dans leur demeure l’aube du jour. Dès qu’elle paraît, ils courent ensemble au tombeau. Les bords de l’horizon étaient déjà colorés par une ligne dorée. Le silence régnait dans le jardin de Josèphe d’Arimathée et le souffle du matin faisait frissonner les arbres qui, dans la nuit sombre, semblaient se dresser pour protéger le sommeil du Juste. Saint Jean arrive, regarde dans la grotte et voit les linges posés à terre. Pierre survient alors. Il pénètre dans le sépulcre suivi aussitôt par saint Jean qui entre et croit. Ces événements avaient excité dans l’âme de Marie-Madeleine le désir de voir des merveilles plus hautes encore. Elle ne fut pas déçue dans son attente. Celui qui seul pouvait répondre aux questions qui se pressaient dans son âme ; celui dont la main seule pouvait sécher ses larmes parla avant tous les autres à celle qui l’entourait d’un amour aussi profond et aussi pur.

Ainsi le Seigneur accomplit, de la manière la plus fidèle, ce que la loi et la tradition juive demandaient par-dessus tout. Il consola les âmes désolées (Jacques 1.27). Nous voyons, dans les ouvrages des Rabbins, qu’il y avait dans le temple une porte spéciale par laquelle entraient les affligés, afin que tous ceux qui les rencontraient pussent remplir à leur égard les devoirs de la charité compatissante. Une coutume digne d’imitation était en usage parmi les Juifs. On défendait de tourmenter, par des conversations oiseuses, les personnes éprouvées. Tous les assistants devaient observer le silence jusqu’à ce qu’on leur adressât la parole. Plus tard, afin de couper court aux réflexions dépourvues de sagesse, on décréta une formule consacrée pour les heures du deuil. Dans la synagogue, celui qui dirigeait les exercices religieux, et, dans la maison, un des assistants, commençait en disant : « Informez-nous des causes de votre douleur. » « Dieu est un juste juge » répondait aussitôt l’un de ceux qui étaient présents et, si possible, un Rabbin. Ces mots voulaient dire qu’il avait enlevé un des êtres que les liens de la parenté rendaient particulièrement cher au cœur de ceux qui pleuraient. Enfin tandis que dans la synagogue on prononçait une formule d’encouragement, arrivés dans la demeure les assistants adressaient aux affligés quelques paroles d’affection et de consolation.

Les Rabbins font une distinction entre le Onen et le Avel — l’homme affligé ou souffrant — et celui qui est brisé, flétri par le vent de l’épreuve, comme la fleur par le souffle du désert, celui qui mène deuil. La première de ces expressions s’appliquait uniquement à la journée des funérailles, la seconde aux jours qui les suivaient. On admettait que la loi de Dieu ne prescrivait le deuil que pour le premier jour, celui de la mort et de l’ensevelissement (Lévitique 22.4-6). La durée de la période qui lui succédait était fixée par les ordonnances traditionnelles. Tant que le corps mort était dans la demeure ; il était défendu de prendre des aliments, de boire du vin, de lier les phylactères autour du front ou de s’occuper de quelque étude. Les mets nécessaires devaient être préparés au dehors et, si possible, consommés hors de la présence du mort. Le premier des devoirs était de déchirer les habits. Ceci devait se pratiquer sur un ou plusieurs des vêtements de dessous, mais non sur ceux qui étaient extérieurs. La déchirure, faite sur le devant, devait avoir la longueur des quatre doigts de la main. Quand on pleurait un parent, elle ne devait jamais être refermée. Pour les autres personnes on pouvait la réparer après le quarantième jour. Dès que le corps a été enlevé de la maison, toutes les chaises et tous les lits sont renversés et l’affligé s’assied (excepté le jour du Sabbat et, une heure le vendredi) sur le sol ou sur un escabeau peu élevé. Ici une triple distinction. Les profondes douleurs devaient durer sept jours. Les trois premiers étaient appelés jours des pleurs. Pendant cette semaine de tristesse il était interdit, entre autres choses, de se laver, de s’oindre de parfums, de chausser ses souliers, d’étudier ou de se livrer aux affaires terrestres.

[Pendant ces sept jours on demeurait assis à terre, les cheveux et la barbe en désordre, on négligeait de se laver et de s’oindre et on remplaçait le vêlement ordinaire par le costume de deuil appelé Sac. Ce vêtement étroit, sans manches et sans plis comme on en voit encore en Orient, était serré à la taille par une corde. Il était probablement d’une couleur noire ou d’un brun foncé. Les veuves portaient le deuil toute leur vie. (G.R.)]

Après cette période, en commençait une autre moins sévère qui durait quarante jours. Les enfants devaient pleurer leurs parents une année entière, et pendant onze mois (afin qu’on ne tirât pas la conséquence qu’ils avaient besoin de demeurer une année complète dans le purgatoire) ils devaient réciter « les prières pour les morts ». Celles-ci cependant ne contenaient pas d’intercession faite en faveur de ceux qui n’étaient plus.

[Il en est autrement aujourd’hui. La liturgie de M. Isidore, grand Rabbin de Paris, recommande l’intercession pour les morts. Cette idée était déjà en germe dans les pratiques du passé. Selon le rituel Juif, les assistants doivent, aussitôt après l’enterrement, réciter le Kaddisch. A qui s’applique donc cette prière ? Aux Juifs qui ne sont ni parfaitement justes, ni blasphémateurs du nom trois fois saint de Jehovah. Elle ne saurait bénéficier aux hérétiques qui, après avoir abandonné le Judaïsme, ont embrassé la foi chrétienne. C’est le fils aîné du défunt qui, pendant onze mois, doit l’offrir a Dieu chaque jour. En voici l’origine selon le Talmud : « Le rabbin Akiba (contemporain de l’empereur Adrien) rencontra, un jour, dans les champs un vieillard courbé sous le faix d’une charge de bois telle que ni âne ni cheval n’aurait pu la porter ; le docteur lui demanda s’il était homme ou esprit. Le vieillard oppressé répondit qu’il était déjà mort et que chaque jour il devait porter un pareil fardeau jusqu’au purgatoire, pour y préparer le bûcher sur lequel il serait brûlé en expiation de ses péchés passés. Mais, reprit le rabbin, n’avez. vous pas un fils qui vous survive ? Puis s’étant informé du nom de la femme et des enfants du défunt, et du nom de la ville où il avait vécu, il se rendit au lieu indiqué et auprès de la famille du malheureux destiné au supplice du feu. Là, il enseigna le Kaddish au fils aîné, lui en recommandant la récitation journalière pour la délivrance de l’auteur de ses jours. Peu de temps après, le défunt apparut en songe au rabbin et le remercia vivement ; il lui annonça qu’il était sorti du purgatoire et entré dans le jardin d’Eden. Frappé de ce fait, Akiba envoya à toutes les écoles juives un récit détaillé de ce qui s’était passé, et ajouta la recommandation expresse à tout fils aîné de réciter le Kaddish pour le salut de son père. » Voici du reste la formule du Kaddish : « Que le nom de l’Éternel, y est-il dit, soit glorifié et sanctifié dans ce monde ! Que Dieu le renouvelle bientôt par la venue du jour où il ressuscitera les morts pour les appeler à la vie éternelle ! et qu’il édifie la sainte cité, la Jérusalem céleste, afin d’y établir son trône à jamais ! Alors l’idolâtrie et la superstition s’enfuiront, le culte du vrai Dieu, du Dieu unique s’établira par toute la terre, et le Saint (béni soit-il !) régnera dans toute sa gloire et dans toute sa majesté. Puisse ce jour arriver bientôt pendant qu’Israël subsiste encore ! Dites : Amen ! » (V. Chrét. Evang. 1871 : 30, s.) (G.R.)]

L’anniversaire du jour du trépas était aussi célébré. Défense de pleurer un homme qui avait abandonné la foi du Judaïsme. On devait au contraire se revêtir de vêtements blancs à cette occasion et faire d’autres démonstrations de joie. Nous savons dans quelles circonstances exceptionnelles il était permis aux prêtres et aux souverains sacrificateurs de pleurer sur leurs morts (Lévitique 21.10-11). Dans le cas d’un grand-prêtre, on avait l’habitude de lui dire : « Puissions-nous être ton expiation ! » (« Puissions-nous souffrir les douleurs qui auraient dû t’atteindre. ») Et celui-ci répliquait : « Soyez bénis du ciel. » Les paroles ainsi adressées au grand sacrificateur avaient pour but de montrer l’étendue de l’affection des fidèles, et le savant Otto pense (Jer. Ber III : 1) que ce souvenir pouvait traverser l’esprit de l’apôtre quand il désirait lui-même d’être anathème pour ses frères (Romains 9.3).

Au retour de la cérémonie, les amis et les voisins préparaient, pour les affligés, un repas qui consistait en pain, en œufs durs, et en lentilles. C’étaient, disait-on, des mets arrondis et grossiers ; arrondis comme la vie qui court sans s’arrêter vers la tombe. On servait ces aliments dans des plats de terre. Les amis des affligés prenaient part, à leur tour, à un repas funéraire, dans lequel il n’était permis de vider que dix coupes, deux avant, cinq pendant le repas, et trois, lorsqu’il était achevé. Dans les temps modernes, le devoir religieux d’assister les mourants, les morts et les affligés est rempli par une société spéciale appelée association des « saints frères », à laquelle la plupart des Juifs fidèles s’unissent pour l’accomplissement des œuvres pieuses auxquelles elle se voue. Malgré la solennité du sabbat et des jours de fête, la tradition permettait de dépasser les limites fixées pour la marche pendant les jours consacrés, et d’accomplir, pour les morts, tous les devoirs imposés aux survivants. Ceci jette une grande lumière sur le récit que nous font les évangiles des soins qui furent rendus au corps de Jésus à la veille de Pâques. Les principales cérémonies funèbres étaient interrompues par le sabbat ou les fêtes, et l’un des monuments les plus intéressants et peut-être le plus ancien des documents Hébraïques, abstraction faite des livres de la Bible, le Megillath Taanith, ou liste des jeûnes, mentionné tous les jours dans lesquels il était défendu de s’affliger. Ceux-ci étaient les anniversaires qui rappelaient de joyeux événements. La Mishnah (Moed. K. III : 5-9) renferme nombre de règles imposées aux personnes en deuil. Elles ne peuvent avoir de l’intérêt que pour les savants qui s’occupent de la casuistique des Rabbins. Disons seulement qu’on ne devait pas s’affliger pour la perte d’un esclave.

Mais, après la mort, que se passait-il ? Qu’enseignait-on du jugement qui la suit ? Qui a introduit la mort dans l’humanité ? Qu’est-ce qui donne une importance aussi solennelle à cet événement et au jugement qui l’accompagneb ? Il serait inutile et pénible de donner en détail les affirmations contradictoires des Rabbins sur ce sujet. Quelques-unes d’elles pourraient être, il est vrai, susceptibles d’une interprétation allégorique. Mentionnons en quelques mots celles qui ont quelque utilité pour le lecteur du Nouveau-Testament.

b – Voir à la fin du volume la Note. VI : « La mort et la vie future ». (G.R.)

Le Talmud, et le Targum enseignent que le paradis et l’enfer furent créés avant le monde. Une citation du Targum de Jérusalem (sur Genèse 3.24) suffira pour le prouver. Elle nous montrera, en même temps, quelle était la doctrine qui avait cours alors parmi les Juifs sur ce sujet. « Deux mille ans, lisons-nous, avant que l’Univers fût tiré du néant, Dieu créa la loi, la Géhenne et le jardin d’Eden. Il planta le jardin des délices pour les justes, il voulut qu’ils en pussent consommer les fruits et savourer les joies parce que, dans cette vie, ils avaient gardé les commandements de la loi. Pour les méchants, au contraire, il prépara la Géhenne qui ressemble à une épée aiguë et à deux tranchants. Il y plaça des étincelles de feu et des charbons ardents pour punir les méchants dans le monde à venir, parce qu’en ce monde même ils n’avaient pas observé les préceptes de sa loi sainte. Celle-ci n’est-elle pas l’arbre de la vie ? L’homme qui l’observe vivra et subsistera à toujours, comme l’arbre de vie dont le feuillage ne se flétrit jamais. »

[Targum Jerushalim : Genèse 30.22 : « Dieu tient dans ses mains quatre clefs qu’il ne confie ni aux séraphins ni aux autres saints anges. Ce sont : la clef de la nourriture, celle de la pluie, celle des tombeaux, et celle des enfantements. (Sanhédrin, f. 113, col. 1.) — Lorsque le fils unique de la femme de Sarepta était étendu livide et privé de vie, Elie demanda à Dieu de lui céder la clef par laquelle le très Haut accomplit la résurrection des morts. Alors il lui fut répondu : Il y a trois clefs quo Dieu ne confie à aucun de ses envoyés, celle des enfantements, celle du ciel (pour en faire découler la pluie) et la clef des tombeaux, pour rendre la vie aux trépassés. (No : o. c. 380.) — On admettait deux régions dans le séjour des morts (Scheol ou Hadès). Elles étaient séparées par un grand abîme (Luc 16.26) ou par un mur. L’une, appelée Paradis, était le séjour des morts pieux, des patriarches et d’Abraham (Luc 16.22 s.). L’autre, désignée sous le nom de Géhenne (Matthieu 16.28 etc.) était considérée comme un lieu de souffrances et rempli de flammes inextinguibles (Luc 16.23). C’était l’idée des Pharisiens. Quant aux Esseniens, ils enseignaient que les âmes pures se rendaient au-delà de l’Océan, pour y habiter une contrée sans pluie et sans neige. Les âmes mauvaises étaient reléguées dans une sombre caverne où elles étaient tourmentées. La Géhenne et le Paradis du Hadès devaient du reste être anéantis puisque la terre transformée, dans le jour de la résurrection finale, était destinée à servir de séjour aux bienheureux. (Nedarim, fol. 39, b.) G.R.) — D’autres Rabbins nous enseignent que sept choses existaient avant le monde, la loi, la repentance, le paradis, l’enfer, le trône de Dieu, le nom du Messie et le temple. Le lecteur remarquera que la citation du Targum essaie d’allégoriser et par conséquent d’interpréter d’une manière rationaliste la narration de Genèse 3.24 : « C’est ainsi qu’il chassa Adam ; et il mit à l’orient du jardin d’Eden les chérubins qui agitent une épée flamboyante, pour garder le chemin de l’arbre de vie. »]

On supposait que le paradis et l’enfer étaient contigus et séparés par la simple épaisseur de la main. Il faut voir, peut-être, une allégorie dans cette parole. Quoi qu’il en soit, et bien que l’on puisse constater une faible ressemblance entre ces enseignements et le lieu où l’Évangile place la scène de l’histoire de l’homme riche et de Lazare (Luc 16.25-26), les personnes qui sont au courant des idées qui régnaient dans la théologie de ce temps, peuvent apprécier exactement la différence infinie qui sépare le récit évangélique et les peintures que nous rencontrons dans la littérature de l’époque. Nous n’en voulons d’autre preuve que le 22e chapitre du livre d’Enoch qui a été, aussi bien que tant d’autres passages des récits rabbi-niques et pseudoépigraphiques, faussement cité par certains écrivains modernes dans un but hostile au christianisme. Les docteurs de la synagogue paraissent avoir cru à l’existence d’une multitude de cieux. La plupart en admettaient sept. Ils reconnaissaient également sept provinces dans le Paradis et autant dans l’Enfer. Il est permis de croire aussi qu’on ait admis la préexistence de l’âme de tous les membres de l’humanité avant leur venue sur la terre. Peut-être même la croyance de la transmigration des âmes. L’une et l’autre de ces doctrines étaient soutenues dans les hypothèses conçues par les esprits spéculatifs. Elles avaient été introduites en Judée par des savants étrangers.

[Par ces mots « Dieu a fait l’un à côté de l’autre », (Ecclésiaste 7.14) il faut entendre l’enfer et le paradis, remarque le Midrash Coheleth (f. 103, c. 2.) Quelle est la distance qui les sépare ? R. Johannan répondait, une muraille. Selon d’autres docteurs l’égalité de niveau entre les deux demeures laisse la possibilité de regarder de l’une dans l’autre. » (Nork, o. c, p. 131.) — Nous saisissons cette occasion de rappeler un livre qui a servi d’entrepôt principal où certains écrivains ont puisé leurs enseignements, et qui a été accepté, avec trop de négligence, comme une autorité absolue même par des hommes qui auraient dû vérifier pour eux-mêmes l’exactitude de ses citations. Nous voulons parler de Gfrörer. Gesch. d. Urchrist., où le passage d’Enoch XXII est certainement cité à faux. — Les sept régions du ciel étaient pour certains rabbins : Le velum, l’expansum, les nubes, l’habitaculum, l’habitatio, la sedes fixa, l’araboth. (Cependant le Rabbin Juda n’admettait que deux régions célestes.) Chacun de ces espaces était plus brillant que l’espace inférieur. Dans chacun des trois premiers trônait un ange. Le septième était la résidence de Dieu le Père, du Fils et de l’ange du Saint-Esprit. (V. Wabnitz. Encycl. Lichtemb. III : 182.) — Après qu’Adam eut péché, la Schechinah, qui jusqu’alors avait résidé sur la terre, se retira dans le premier ciel. Le meurtre d’Abel l’obligea à entrer dans le deuxième ciel, à l’époque d’Enoch elle passa dans le troisième. Le déluge survint et elle s’éloigna encore plus de la terre, en pénétrant dans le quatrième, puis dans le cinquième au moment de la construction de la tour de Babel. Le péché de Sodome et de Gomorrhe la contraignit à se retirer dans le sixième, et lorsque Abraham demeura eu Egypte la Schechina était déjà parvenue aux hauteurs du septième ciel. (Bereschith Rabba 19, fol. 19, col. 3.) — Le Talmud de Jérusalem (Erubin, f. 19, c. 1) enseigne : « L’enfer a trois ouvertures, une dans le désert, car il est écrit « et ils descendirent vivants dans l’enfer. » (Nombres 16.33). — Une autre dans la mer, car il est écrit : « J’ai crié du ventre de l’enfer et tu as entendu ma voix. » (Jonas 2.1). Et une troisième à Jérusalem, comme il est écrit : « Ainsi dit le Seigneur qui a un troupeau à Sion. » (Ésaïe 31.9). Par ces mots l’école du R. Ismaël entend le fond du séjour des réprouvés. (No : o. c. 32.) (G.R.)]

Nous ne sommes encore qu’aux questions préliminaires. Elles ne concernent que d’une manière très indirecte les grands problèmes de l’âme humaine, dans ses relations avec le péché et le salut. Ici, nous ne pouvons qu’affirmer une conviction qui s’affermit toujours plus dans notre esprit. Plus on étudie le langage, plus on respire l’atmosphère intellectuelle qui enveloppe les hommes et les esprits dans la Palestine, à l’époque où les pieds de Jésus en foulaient le sol, plus on reconnaît qu’une opposition essentielle distingue l’enseignement du Christ et de ses apôtres de celui des Rabbins. On peut dire, en général, que les doctrines du Nouveau-Testament sur le péché originel et ses conséquences ne correspondent à rien d’analogue dans les écrits des docteurs de cette période. Quant à ce qui concerne le moyen du salut, il est permis de résumer d’une manière large leur enseignement en la désignant comme la justice obtenue par les œuvres.

Sur ce point, à parler strictement, on ne peut voir qu’une inconséquence logique dans le sérieux avec lequel les Rabbins réclament une repentance universelle et immédiate, le besoin de la confession des péchés et celui d’une préparation morale pour entrer dans un autre monde. Qui pourrait le contester ? Parler d’un paradis dans lequel tous les hommes ont le droit d’entrer par leurs propres mérites, et que tous cependant doivent chercher à obtenir par la repentance et par des moyens analogues ; enseigner un paradis que l’on ne peut obtenir qu’après avoir traversé une espèce de purgatoire, c’est affirmer une doctrine qui, au point de vue moral, porte une grave atteinte à la religion du rabbinisme. Ces inconséquences ne peuvent être corrigées qu’en poussant les docteurs du Judaïsme dans une autre direction pour les forcer à se rapprocher de la vérité biblique. Comparez à ces leçons de la synagogue les doctrines du Nouveau-Testament. L’enseignement du Seigneur sur l’immortalité des justes était, en général, en harmonie avec celui des Pharisiens.

Ils enseignaient aussi (Ber 17 a) comme le Seigneur (Matthieu 22.30), mais, avec certaines hésitations, que « dans le monde à venir il n’y aurait ni manger, ni boire, ni fécondité, ni croissance, ni commerce, ni affaires, ni envie, ni haine, ni disputes. Les justes alors seront assis, portant sur leur front la couronne, et ils se repaîtront de la splendeur de la Schechinah ainsi qu’il est écrit : « Ils virent Dieu et ils mangèrent et burent. » (Exode 24.11)

[Tanchuma f. 71, c. 1. L’effet de la repentance est vraiment admirable. A peine avaient-ils dit : Nous avons péché ! que Dieu fut aussitôt ému de miséricorde pour eux. (N. o. c. 357.) Vajikra Rabba, p. 10, f. 133, c. 4. Le R. Jehuda et Jehoschua fils de Levi discutaient le point suivant. La pénitence, disait le premier, possède un pouvoir réel, mais la prière accomplit de plus grandes choses. Le deuxième niait cette proposition et donnait à la repentance la prééminence sur la prière. (N. o. c. 379.) (G.R.) — Voir mon article sur « la maladie et la mort » dans Bible Educator, vol. IV, p. 330-333. Nous lisons dans Sanh. 90 b, 91 a et b de longues démonstrations destinées à prouver, dans certaines discussions avec les Sadducéens et avec les païens, la vérité de la résurrection en s’appuyant sur la loi, les prophètes et les hagiographes. On invoquait pour cela les textes suivants : Exode 15.1 ; Deutéronome 11.6, 21 ; 4.4 ; Nombres 18.28 ; Exode 6.4 ; Nombres 15.31 ; Deutéronome 32.39 ; Ésaïe 26.19 ; 32.8 ; Cantique des cantiques 7.9 ; Psaumes 72.16 ; 84.7. (Le temps ici comme dans les autres passages est mis au futur.) On trouve des raisonnements semblables dans Abod. S. 18 a ; Pes. 68 a. Sanh. 92 b ; et dans plusieurs des Midrashim.]

Le fragment suivant est si ressemblant, par la forme, et si différent, par l’esprit, de la Parabole de la robe de noces (Matthieu 22.1-14) que nous le citons en entier. « Le R. Iochanan, fils de Saccai, proposa une parabole. Un roi prépara un banquet et il y invita ses serviteurs, sans avoir fixé l’époque où le festin serait célébré. Ceux d’entre eux qui étaient sages se revêtirent de leurs ornements, et s’assirent à la porte du palais du roi, en faisant ce raisonnement : Peut-il manquer quelque chose dans la demeure du prince ? Mais ceux qui étaient insensés s’en allèrent à leurs travaux en disant : Y a-t-il jamais fête sans travail ? Tout à coup, le roi appela ses serviteurs pour les introduire dans la salle du banquet. Les sages entrèrent alors couverts de leurs habits splendides, et les insensés de leurs sordides vêtements. Le roi se réjouit sur les sages, et sa colère s’irrita contre les insensés et il dit : que ceux qui se sont ornés de leurs beaux vêtements s’asseyent, boivent, mangent et se livrent à la joie. Mais ceux qui ont négligé de se parer, se tiendront debout et contempleront leur allégresse comme il est écrit dans Ésaïe 65.13. »

Les livres des Rabbins contiennent encore une parabole qui a quelque analogie avec la précédente, mais dont la forme a un caractère plus judaïque. La voici : « Les biens du monde à venir sont semblables à un prince de la terre qui confia à ses serviteurs les robes royales. Ceux qui étaient sages les plièrent et les placèrent dans la garde-robe. Mais ceux qui étaient négligents s’en revêtirent et s’en allèrent à leur travail. Après quelques jours, le roi réclama les robes précieuses. Les sages les lui remirent dans l’état où il les leur avait confiées, c’est-à-dire propres et immaculées ; ceux qui étaient insensés les lui rapportèrent couvertes de souillures honteuses. Le roi se réjouit de la conduite des sages, et fut irrité contre les serviteurs négligents. Aux premiers il dit : « Déposez les robes dans le trésor étaliez en paix. » Quant aux autres il commanda qu’on leur remît les robes, afin qu’ils les lavassent et qu’ils fussent jetés en prison, ainsi qu’il est écrit touchant les corps des justes dans Ésaïe 37.2 ; 1 Samuel 25.29 et le corps des injustes dans le prophète Ésaïe 48.22 ; 57.21, et 1 Samuel 25.29. »

Citons pour conclure le passage suivant du même traité : « Le R. Eliezer dit : Faites repentance le jour qui précède la mort. — Eh ! quoi, lui demandèrent ses disciples : un homme peut-il connaître l’heure de son trépas ? — Repentez-vous donc aujourd’hui même, répliqua le maître, de peur que par hasard vous ne veniez à mourir demain. »

La seconde de ces paraboles nous fait entrevoir les conclusions auxquelles le rabbinisme devait nécessairement aboutir. Ce n’est pas comme dans l’Évangile à la pensée du pardon et de la paix qu’il arrive. Ce qu’il affirme en dernière analyse c’est l’idée du travail avec la récompense qui « peut-être » viendra le couronner. Quant à ce qui suit la mort, le paradis, l’enfer, la résurrection et le jugement, les systèmes de la synagogue sont plus discordants que jamais, les opinions plus opposées à l’Écriture et les descriptions plus fabuleuses et plus révoltantes qu’il n’est possible de le dire. Ce n’est ici le lieu ni d’énumérer les pensées diverses des docteurs Israélites, ni de nous efforcer de les exposer avec ordre. Bornons-nous à observer que, pour eux, la justice des œuvres et l’étude de la loi sont les voies les plus sûres pour parvenir au ciel. Ils nous parlent d’une sorte de purification sinon de purgatoire qui suit la mort. Quelques-uns des Maîtres de la loi semblent même affirmer l’anéantissement des méchants.

[La famille et la fortune sont en ce moment impuissantes à le délivrer. « Alors l’homme rassemble ses bonnes œuvres et leur dit : Venez et délivrez-moi de la mort. Soutenez-moi. Ne me laissez pas sortir du monde sans l’espoir du salut. Elles répondent « va en paix ; car avant que tu aies quitté cette terre nous t’aurons devancé dans la vie éternelle, comme il est écrit (Ésaïe 58.8) : Tes mérites te précèdent, et la gloire divine te prendra à elle. » Baba Bathra. f. 10. col. 1 : Les dons de miséricorde que répandent les Israélites dans ce monde seront dans la vie avenir leurs intercesseurs auprès du Père céleste. (Ko. o. c. 417.) — Les idées qui suivent, empruntées aux docteurs de la synagogue nous apprendront à bénir la lumière que l’Évangile jette dans les ombres du sépulcre. Que le lecteur veuille bien se reporter à la note VI, placée à la fin du volume et y remarquer l’idée confuse que les Juifs contemporains de Jésus-Christ se formaient de la vie future. (G.R.)]

Prenez les doctrines les plus larges et les plus généreuses du rabbinisme et vous pourrez les résumer ainsi : Tout Israël participera aux joies du monde à venir. Les âmes pieuses, au milieu des Gentils, y seront aussi admises. Celles qui sont parfaitement justes entrent aussitôt dans le paradis. Toutes les autres doivent traverser une période de purification et de perfectionnement plus ou moins étendue qui peut durer une annéec. Mais les violateurs notoires de la loi et spécialement ceux qui ont renié la foi du Judaïsme, aussi bien que les hérétiques ne peuvent conserver aucune espérance d’être mis au nombre des élus ni sur la terre, ni au delà du sépulcre. Telles sont les paroles suprêmes que la synagogue adresse à l’humanité.

c – Les Juifs pensaient que le pauvre pouvait obtenir l’entrée du riche dans le ciel.

[Jalkut Rubeni f. 93, c. 4. Lorsque Dieu voulut donner la loi aux Israélites il leur dit : Mes enfants ! j’ai mis pour vous en réserve un don précieux qui sera votre récompense si vous observez ma loi. A la question quel est ce don ? la réponse suivante fut faite. Le monde à venir. Les Israélites désirèrent alors contempler une image de cette vie future. « Vous la possédez dans le sabbat lui-même » répondit Jéhovah. (N. o. c. 331.) — Sohar sur Gen. f. 76, c. 299. R. Pinchar disait : avant qu’un homme pieux meure, un Bath kol dans le Paradis crie aux justes qui y demeurent : Préparez une place pour N. N. (N. o. c. 183.) — Chesed Samuel pref. f. 2, c. 2. « J’ai écrit ce petit livre pour l’usage des pauvres aussi bien que pour celui des riches. Pour le bien des pauvres, parce que la lecture de ces pages excitera les riches à leur distribuer des aumônes. Je l’ai composé aussi pour le bien des riches, parce que leurs actes de miséricorde pousseront les pauvres à intercéder pour eux dans le ciel. L’un a besoin du secours de l’autre. En cette vie, le riche prête secours au misérable ; dans la vie à venir, le pauvre tend au premier une main secourable. (N. o. c. 147.) (G.R.)]

Combien différente est la déclaration du Messie, du roi des Juifs. S’il nous enseigne que nous sommes condamnés par nos fautes, il nous apprend aussi que « le fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu ». La justice que nous pouvons acquérir nous est communiquée par Celui qui « a été froissé pour nos péchés et brisé à cause de nos iniquités ». « C’est par ses meurtrissures que nous sommes guéris. » La loi à laquelle nous obéissons est celle qu’il a écrite dans nos cœurs, et par laquelle nous devenons les temples de l’Esprit Saint. « L’Orient d’En Haut nous a visités » par les miséricordes de notre Dieu. L’Évangile a mis en évidence la vie et l’immortalité, car nous connaissons Celui en qui nous avons cru, et le « parfait amour chasse la crainte ». Les problèmes de la maladie, de la tristesse, de la souffrance, de la mort, nous n’en ignorons pas la solution. « Les pleurs peuvent loger chez nous le soir, mais la joie vient le matin. » Les larmes de la terre pendent comme des gouttes de rosée aux branches des arbres et à la tige des fleurs. Mais elles brilleront ainsi que des diamants étincelants aux rayons du soleil levant. En effet, dans la nuit profonde de cette vie le Christ a mêlé les gouttes de sueur du travail et des tristesses de ses disciples au sang précieux de son agonie. Et cette sainte rosée répandue sur la terre guérit les blessures de l’âme, comme un baume bienfaisant, adoucit ses douleurs, chasse les frayeurs du sépulcre et anéantit la mort.

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