La société juive à l’époque de Jésus-Christ

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Pharisiens, Sadducéens, Esséniens – Leurs rapports avec l’Évangile

Les Pharisiens l’emportent sur les Sadducéens. — Un grand prêtre Sadducéen à la fête des tabernacles. — Doctrines des Sadducéens. — Origine de ce nom. — Les Esséniens. — Relation intime de leurs principes et des enseignements de la religion de Zoroastre. — Leur nombre. — Sectaires rattachés à la branche du Pharisaïsme qui se vouait à l’ascétisme et au mysticisme. — Costume et extérieur de l’Essénien. — Pratiques religieuses. — Vœux et règles. — L’emploi du jour. — Analogies et dissemblances entre l’Essénisme et le Christianisme. — Opposition essentielle entre l’Évangile et l’enseignement des Pharisiens, des Sadducéens et des Esséniens.

En jetant un regard sur la description que nous avons donnée du Pharisien, il nous est difficile dès l’abord de comprendre cette parole du Seigneur : « Faites donc et observez tout ce qu’ils vous disent (Matthieu 23.3). » Les premiers disciples, en effet, ne devaient pas briser brusquement et pour jamais avec l’Église Juive. Qui ne voit aussitôt qu’une semblable direction était absolument nécessaire ?

Le Pharisaïsme gouvernait la pensée théologique de cette époque, comme l’ultramontanisme l’opinion du catholicisme moderne. Ses principes étaient proclamés solennellement ; ils dirigeaient tous les actes de l’existence et les adversaires même de ce parti puissant, les Sadducéens, étaient obligés de se soumettre à leur autorité. Lorsqu’un Sadducéen accomplissait dans le temple les cérémonies du culte, lorsqu’il était assis sur le siège du juge il ne pouvait échapper à la cruelle nécessité de prendre des décisions semblables à celles qu’un Pharisien eût formulées. Sans doute, le parti auquel il se rattachait avait souvent éprouvé la tentation de faire prédominer ses principes particuliers, mais dans cette lutte sourde il avait été vaincu d’une manière manifeste. Que disons-nous ? On nous affirme qu’il avait détruit lui-même le livre des ordonnances que ses propres mains avaient rédigé. Chacune de ces victoires doctrinales était célébrée, dans la société des Pharisiens, par une fête. Le livre Hébreu, le plus ancien après la Bible, le Megillath-Taanith, ou livre des Jeûnes est une sorte de calendrier où le Pharisaïsme se décerne à lui-même des couronnes éternelles. Et, pour rappeler les triomphes dogmatiques du parti, il y institue des journées de fête, où le jeûne et quelquefois même les pleurs sont interdits à tous les fils d’Israël.

Il fallait donc obéir à ces lois. Lorsqu’un souverain sacrificateur sadducéen, à la fête des Tabernacles, avait répandu l’eau sur le sol, au lieu de la verser dans le tuyau d’argent de l’autel, bien qu’il appartînt à la famille des rois Maccabées, c’était avec peine qu’il échappait à la mort en expiation de ce forfait. Plus tard, au moment où le prêtre allait procéder à l’accomplissement des rites sacrés de cette auguste cérémonie, on entendait retentir, de toutes les parties du temple, cette parole ou cet ordre adressé au suprême ministre du culte : Elève la main !

Les Sadducéens soutenaient qu’au jour des expiations le grand prêtre devait allumer l’encens, avant de pénétrer dans le lieu très saint. Comme c’était là une coutume contraire aux enseignements des Pharisiens, ceux-ci forçaient le grand prêtre à s’engager, par serment, à observer la forme de leur rituel, avant de lui permettre de célébrer les offices sacrés. Selon les Sadducéens, les sacrifices journaliers ne devaient pas être offerts aux frais du trésor public, mais prélevés sur le trésor formé de certaines contributions spéciales. Ils devaient se soumettre cependant, et prendre part à la célébration du demi-jour de fête que la majorité triomphante avait inscrit dans son calendrier, pour perpétuer la mémoire d’une décision contraire. A en croire les Pharisiens, on devait compter les jours qui séparent la Pâque de la Pentecôte, en commençant à la deuxième journée de la fête. A leur tour, les Sadducéens affirmaient qu’on était tenu, d’une manière littérale, de les faire partir du sabbat qui suivait ce jour. Qu’était-ce que cela pour le Pharisaïsme ? En dépit de leur argumentation, les Sadducéens étaient contraints de se joindre à la procession solennelle qui, dans l’après-midi de cette sainte journée, allait couper la première gerbe, et ils devaient ainsi reconnaître que le jour de la Pentecôte était bien celui que leurs adversaires avaient choisi.

Nous n’ignorons pas la différence essentielle qui distinguait les principes des Pharisiens et ceux des Sadducéens. Les derniers voulaient s’en tenir à la lettre pure et simple de la loi, ne faire ni plus, ni moins que ce qu’elle ordonnait, quelles que fussent les conséquences. Telle était la règle qu’ils appliquaient, aussi bien lorsqu’il s’agissait d’un point de jurisprudence que lorsqu’il était question de doctrines religieuses. Nous ne pouvons ici entrer dans tous les détails. Mais ce que l’on conçoit parfaitement c’est que ce littéralisme devait rendre leurs décisions judiciaires (ou plutôt celles qu’ils proposaient) bien plus strictes que celles des Pharisiens. Ils ne réclamaient, en effet, rien de moins que l’application précise du principe « œil pour œil, et dent pour dent ». Telle était leur manière de voir en ce qui touchait la loi des purifications et celle qui réglait l’hérédité. Leurs doctrines sont, du reste, suffisamment connues de tout lecteur du Nouveau-Testament. Il est absolument vrai que, par opposition aux idées des Sadducéens qui niaient l’existence d’un autre monde et la doctrine de la résurrection, les Pharisiens modifièrent les formules prescrites dans les liturgies du Temple et dirent : « Béni soit Dieu d’un monde à un autre » (d’une génération à une autre génération, ou un monde sans fin). C’était, en d’autres paroles, enseigner qu’au terme de la vie présente commençait une nouvelle existence de bénédictions et de châtiments, semée de joies et de tristesses. Le Talmud, cependant, nous montre que la pensée véritable des Sadducéens n’était pas de nier d’une manière absolue qu’il y eût une résurrection. Ils affirmaient seulement qu’on ne pouvait la démontrer par la Thorah ou la loi. De là à la négation de cette doctrine il n’y avait, à vrai dire, qu’un pas. Et il est impossible de douter que cette conclusion odieuse ne fût enseignée par la grande majorité des membres de ce parti. Mais encore ici ce fut par opposition avec les idées du strict littéralisme qui se trouve à la base de toutes leurs erreurs.

Ce principe était absolument nécessaire à leur existence même. Nous avons retracé l’histoire du Pharisaïsme jusqu’à une période précise, disons mieux, jusqu’à un événement spécial, et nous avons pu ainsi expliquer très exactement le nom de « séparés » que portaient les adeptes de la compagnie célèbre. Ils ne se le donnèrent pas à eux-mêmes. Nulle secte, nul parti n’agissent ainsi. Pourquoi eussent-ils réclamé un titre distinctif, puisque seuls ils représentaient fidèlement la vérité ? Mais cette qualification, ils l’acceptèrent volontiers. Pour eux, ce nom ne devait faire naître aucune autre idée que celle suggérée, plus tard, par le titre de puritain donné à un parti bien différent dans l’église.

L’origine du terme de Sadducéen est entourée de nombreuses difficultés. Toutes les étymologies sont peu satisfaisantes. On le rattache parfois au grand prêtre Tsadok. Parfois aussi au Rabbin de ce nom qui avait pour principe qu’on ne doit rechercher jamais de récompense lorsqu’on accomplit les devoirs imposés par la religion. Cette idée, ils l’avaient mal comprise et mal appliquée. Quelques savants enfin cherchent dans le mot Tsadikim, les justes, le motif qui donna à ce parti religieux le nom qu’il porte dans l’histoire. Bien qu’incomplètes, chacune de ces étymologies renferme certains éléments de vérité.

Il est hors de doute que la formation de la société des Sadducéens fut provoquée par une réaction contre le Pharisaïsme. Ceux-ci ajoutaient leurs gloses, leurs interprétations et leurs traditions à la loi divine. Les Sadducéens prirent pour appui la lettre toute nue de la loi. Ils ne voulurent connaître aucune de ces additions, ils refusèrent d’être justes à l’excès. Ne leur suffisait-il pas de pratiquer la Tsédakah, la justice ? Ce Schibboleth devint, dans la bouche du peuple, le surnom d’un parti. Les uns l’employaient pour se railler d’eux, les autres pour les approuver. Peu à peu le parti l’accepta avec autant de complaisance que les Pharisiens celui sous lequel ils étaient connus. Jusque-là nous acceptons la théorie de ceux qui font dériver ce terme du mot tsaddikim. Mais qui nous expliquera la transformation de tsadikim en tsaddukim ? Cette altération significative de l’une des lettres du mot ne viendrait-elle pas de leurs adversaires eux-mêmes ? Ce serait là un fait assez ordinaire. Ceux-ci ne pouvaient-ils pas leur dire : « Eh quoi ! vous seriez des tsaddikim ? Dites donc des tsaddukim. » faisant ainsi dériver le surnom du mot Araméen tsadu, qui signifie dévaster ou désoler. En d’autres termes, « vous n’êtes pas les champions mais les destructeurs de la justice. »

Quoiqu’il en soit du reste, les hommes qui se rattachaient à l’opinion des Sadducéens appartenaient surtout aux familles riches et aristocratiques, en y comprenant les maisons opulentes des prêtres. Au contraire, d’après les déclarations de Josèphe, corroborées ici par le témoignage du Nouveau-Testament, la masse du peuple et spécialement les femmes vénéraient et soutenaient le parti Pharisien. C’est ainsi que ces derniers devinrent graduellement populaires comme les ultramontains. Dépendants, par leur nature même de la science de la tradition, ils se confondirent bientôt avec les Rabbis, les sages ou les disciples des sages. A son tour, le terme qui flétrissait presque l’homme qui n’appartenait pas à la Chaburah, celui de « Am-ha-aretz » désigna l’Israélite qui ignorait la science de la tradition et de ses ordonnances. Ce fut surtout le cas lorsque la dissolution de l’état Juif rendit impossible l’observation des obligations imposées aux membres de l’association. Dans de telles circonstances, le Pharisien historique devint une peste pour les chefs du parti, comme cela arrive fréquemment avec les adhérents originaires et les plus ardents d’une coterie dans laquelle l’irrésistible progrès des temps a produit des changements inévitables.

Cette étude nous a montré que ni les uns ni les autres ne constituaient une secte, en ce sens qu’ils se séparassent du temple ou de la synagogue. Nous avons également reconnu que le peuple Juif n’était pas divisé en partisans des Pharisiens et disciples des Sadducéens. Le petit nombre des Pharisiens professants, l’idée que le Nouveau-Testament nous donne d’eux, la circonstance curieuse que Philon ne mentionne pas une seule fois, dans ses ouvrages, le nom des Pharisiens, confirment le résultat auquel nous sommes parvenus. Ordre religieux à son origine, le pharisaïsme donna plus tard son nom à un parti, et représenta enfin la tendance d’une école théologique.

Le Nouveau-Testament ne nous parle que de ces deux sociétés religieuses. Mais Josèphe et Philon font mention d’une sorte d’ordre ascétique, celui des Esséniens. Il ne rentre pas dans notre plan de décrire ici leurs doctrines, non plus que de rappeler les pratiques de piété auxquelles ils se livraient, ou de discuter la question complexe de l’origine de leur noma. Leur influence sur la société juive était peu considérable et ils disparurent rapidement. On pourrait voir en eux une sorte de Pharisaïsme, élevé à la suprême puissance, associé à une dévotion et à des pratiques qui dérivaient du mysticisme de l’Orient et plus particulièrement de la religion Médo-Perse. Au premier de ces systèmes ; on peut faire remonter le fait que l’un des objets, par eux poursuivi, était une pureté supérieure. L’étude attentive de leurs doctrines, si on les compare avec le système de Zoroastre, nous révèle les emprunts nombreux qu’ils avaient faits à l’Orient. Personne n’ignore l’influence considérable que les idées philosophiques et religieuses de la Perse exerçaient sur les esprits.

a – M. Graetz fait venir leur nom de Sahah, baigner ; Baur de Asah, guérir. D’autres de hachah, se taire. (G.R.)

[V. Chanoine Lightfoot. Comment sur les Col. p. 151. La discussion magistrale du professeur Lightfoot sur les Esséniens, remplie d’une science si solide et si calme, a ouvert une ère nouvelle à l’étude de la secte. On peut dire qu’elle a transporté cette étude du domaine de la spéculation arbitraire dans celui de l’investigation historique. Ce n’est pas ici le lieu de renouveler cette discussion scientifique. Mais en ce qui touche les résultats obtenus par le prof. Lightfoot il me sera permis de relever avec joie la circonstance que c’est à des conclusions semblables aux siennes que je suis arrivé dans mon histoire de la nation juive. Voyez ce que je dis des Esséniens et l’extrait que je donne de la Kabbale p. 433-461.]

Comme secte, les Esséniens ne s’élevèrent jamais au-dessus du chiffre de 4000 personnes. Ils vivaient retirés, ne se mêlaient point à la société des hommes et au culte divin. En règle générale, ils s’abstenaient du mariage ; aussi disparurent-ils bientôt de la scène du monde. Les écrits des Rabbins font allusion à un certain nombre de personnes qu’ils nous présentent comme des sectaires, et qui appartenaient toutes, plus ou moins, à la branche des Pharisiens, adonnés au mysticisme et à l’ascétisme. Nommons ici les « Vathikin » ou les forts. Ceux-ci célébraient leurs prières au point du jour. Les « Toble schachrith », les baptistes du matin, se plongeaient entièrement dans l’eau, avant la prière matinale, afin de ne prononcer le nom de Dieu que dans un état de pureté parfaite ; les « Kehala Kadisha » ou sainte assemblée consacraient un tiers du jour à la prière, un tiers à l’étude, un tiers au travail. Les « Banaïm » ou les constructeurs poursuivaient une pureté supérieure, et s’occupaient en même temps d’études mystiques sur Dieu et le monde. Quant aux « Zenuin » ou les hommes pieux et cachés, ils gardaient secrets leurs doctrines et leurs écrits. Les « Nekije hadaath » à leur tour, les hommes du pur esprit, se séparaient réellement de leurs frères. On cite encore les « Chashaim » ou les hommes du mystère ; enfin les « Assiim » les hommes qui secourent et guérissent les âmes. Ceux-ci prétendaient posséder la vraie prononciation du nom sacré de Jéhovah et naturellement toutes les bénédictions dont cette science est la source.

[C. p. Hamburger : Real Encycl. fur Bibel u. Talmud. vol. 2, p. 173. — Dieu était si redoutable qu’il était défendu d’énoncer son nom sacré. Une fois, par an, seulement le grand-prêtre le prononçait en entrant dans le lieu très saint. On disait que celui qui connaîtrait le nom de Jéhovah serait maître des forces secrètes de l’Univers. Aussi quand le lecteur de la synagogue rencontrait le vocable auguste il le remplaçait aussitôt par le mot d’Adonaï. La Mishnah substitue souvent à ce nom des mots hébreux qui signifient le lieu. Les Samaritains, celui-ci : le nom. Selon le Talmud, on connaissait autrefois trois noms pour exprimer l’idée de Dieu. Le tétragramme JHVH ou nom de quatre lettres, et deux autres étrangers à la Bible, l’un de 12, l’autre de 42 lettres. « Les sages enseignaient les premiers, une fois par semaine, à leurs fils et à leurs disciples. » Le nom de 12 lettres, enseigné d’abord à tous ne fut plus enseigné qu’aux plus discrets d’entre les prêtres qui le faisaient réciter à voix basse à leurs frères pendant la bénédiction du peuple. (Talm. Bab. traité Berachoth.) Quant à celui de 42 lettres on n’en révélait le mystère qu’à l’homme revêtu de toutes les qualités morales. « Celui qui a été instruit de ce secret et le garde avec vigilance dans un cœur pur peut compter sur l’amour de Dieu et sur la faveur des hommes. Son nom inspire le respect, sa science ne craint pas l’oubli, et il se trouve l’héritier de deux mondes, celui où nous vivons maintenant et le monde venir. » (Trait. Berachoth.)

Comme il n’existe, dans aucune langue, un nom de 42 lettres, bien moins encore en hébreu, où les voyelles ne font pas partie de l’Alphabet Maimonides pense que ces 42 lettres se divisaient en plusieurs mots de chacun exprimait un attribut fondamental de l’essence divine. (V. Franck. Cabb., p. 62.) (G.R.)]

Dans certaines villes de Judée on rencontrait des hommes vêtus de blanc de la tête aux pieds. Ils portaient des sandales et des vêtements où l’on discernait déjà des signes de vétusté, car ils ne devaient les abandonner que lorsqu’ils étaient entièrement hors d’usage. Si on remarquait encore que leurs habits étaient d’une propret scrupuleuse, il était permis de dire aussitôt qu’on était en présence d’un Essénien. Le passant s’arrêtait et le considérait avec un certain mélange de respect et de curiosité. Il était rare de les rencontrer dans les villes ou dans les villages.

[S’ils n’entraient pas dans les villes c’était afin d’éviter de passer sous les statues des portes. Pour obéir au commandement qui défend de faire des images taillées, ils refusaient de se servir de pièces de monnaies. (G.R.)]

La secte vivait séparée du reste de la nation et habitait les lieux déserts, surtout les environs de la Mer morte. Observateurs du sabbat dans leurs propres synagogues, ces sectaires faisaient porter dans le temple des dons pour l’autel, mais ils ne le fréquentaient pas. Ils n’offraient aucun sacrifice, soit parce qu’ils estimaient que les ordonnances du sanctuaire n’étaient pas suffisamment pures au point de vue lévitique ; soit parce qu’ils considéraient leur propre table comme un autel, et leurs repas, pris en commun, comme un sacrifice.

Ordre religieux, ils étaient soumis à des vœux sévères formés sous la menace de terribles serments et assujettis à la plus rigoureuse discipline. S’abstenant de vin, de viande, d’huile et, la plupart d’entre eux, du mariage, ils professaient la communauté des biens et étaient liés par des vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance à leurs supérieurs. On leur enjoignait surtout d’user de vérité dans les paroles. Tout serment leur était interdit, le droit de posséder des esclaves leur était également refusé. Quatre degrés d’initiés composaient cette association. Le contact d’un affilié d’une classe inférieure souillait celui qui lui était supérieur par le degré. Bien que le noviciat durât deux ans, le candidat était admis à une communion plus intime avec les membres de la société au terme de la première année. Dépositaires du pouvoir, les anciens avaient le droit d’admettre ou de frapper d’exclusion chacun des associés. Cette dernière punition était équivalente à la mort par la faim, car l’Essénien s’était obligé lui-même, par un serment terrible, à ne pas entrer dans une nouvelle société.

Pour les Esséniens la journée commençait avec le lever du soleil. Ils se rendaient alors à la prière. Avant l’accomplissement de ce devoir religieux, il leur était défendu de parler de ce qui se rapportait aux choses du siècle. La prière achevée, ils s’occupaient de travaux agricoles, car il ne leur était pas permis d’avoir des pâtres et des troupeaux ; ils vaquaient à quelque office de charité, particulièrement à la guérison des malades. A onze heures ils se baignaient, changeaient de vêtements et se réunissaient pour le repas pris en commun. Un prêtre ouvrait l’agape et la terminait par la prière. La place de chacun était déterminée d’après son âge et sa dignité. Les plus âgés pouvaient s’entretenir les uns avec les autres, mais sur un ton assez bas pour qu’on ne pût les entendre du dehors. Les jeunes gens remplissaient l’office de serviteurs. Chacun recevait du pain, du sel, ainsi qu’un autre plat. Les anciens pouvaient user de l’hysope comme condiment, et avaient le droit de se servir d’eau chaude. Après le repas ils changeaient de vêtement, et retournaient à l’ouvrage jusqu’au soir. Nouveau repas pris alors en commun, suivi d’hymnes et de danses mystiques pour symboliser les ravissements de l’esprit et les extases.

Ce que nous avons dit de ces sectaires, sans parler même de leur séparation d’avec le monde, de leur observation minutieuse du jour du sabbat, de leurs idées sur les purifications aussi bien que leur opposition aux sacrifices et surtout leur rejet de la doctrine de la résurrection suffit pour montrer qu’aucune relation n’existait entre eux et le Christianismeb. Une assertion semblable émise avec la tranquillité de l’ignorance ou du préjugé étonne l’homme livré à l’étude calme de l’histoire et afflige l’âme du chrétien. Il est hors de doute cependant que ces sectes mystiques conservaient le dépôt de certaines doctrines sur l’Essence divine, sur le Messie et sur son royaume, etc., qui se firent jour plus tard dans les traditions secrètes de la synagogue. Comme elles dérivent de l’étude des écrits prophétiques, on y rencontre naturellement des échos merveilleux de la vérité chrétienne. On a voulu parfois faire descendre le Christ et l’Évangile du Pharisaïsme ou bien trouver quelque rapport entre son enseignement et celui des Sadducéens et des Esséniens. Nous pouvons à cette heure concevoir les relations qui les unissaient. Les communautés qui existaient alors, leurs tendances religieuses, l’esprit du temps ne présentaient assurément aucun point d’attache à la religion nouvelle. Ils n’offraient au contraire qu’un contraste absolu avec les idées de royaume des cieux. Le héraut chargé de préparer les voies du Seigneur ne pouvait faire appel à aucun des ces mouvements. Sa voix retentissait en effet « dans le désert ». Bien au-delà de l’époque où les Pharisiens, les Sadducéens et les Esséniens avaient surgi dans l’histoire, il devait ramener les âmes à ce jour solennel de la Pâque où Israël avait été consacré à Jéhovah. A ce symbole allait maintenant succéder la réalité. « Voici l’agneau de Dieu qui ôte le péché du monde. » Le premier grand miracle du Christianisme était l’abolition du mur qui, dans ce domaine, séparait les âmes. Serait-il interdit d’en voir un second — (nous pourrions dire un premier, si nous comprenons le symbolisme des deux miracles de Cana) — dans le fait qu’aucune analogie essentielle n’existait entre la religion du Christ et les communautés qui l’entouraient. Nulle part une tige sur laquelle on pût greffer la plante nouvelle. Elle était réellement « comme une racine sortant d’une terre aride ». Quant aux Pharisiens, aux Sadducéens et aux Esséniens, ils pouvaient dire en employant la parole du prophète : « Elle n’a ni forme ni beauté ; et, en la contemplant, il n’y a rien en elle qui nous la fasse désirer. »

b – L’idée fondamentale de l’Essénisme, la purification obtenue par des pratiques extérieures montre l’erreur de MM. Grœtz et Cohen qui ont voulu faire de Jésus un Essénien. (Stapfer, Encyl. Licht. IV : 551-356.) (G.R.)

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