La société juive à l’époque de Jésus-Christ

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Des Synagogues

Idées du R. lochanan sur la prière. — Prescriptions du Talmud de Babylone sur l’assistance au culte de la synagogue. — D’où dérive ce mot. — Le Edah et le Kahal. — Origine et histoire de la synagogue. — Du nombre de personnes indispensable pour former une congrégation. — Les synagogues de Jérusalem. — Place et architecture de ces édifices. — Synagogue de Capernaüm. — Jean 6.25 expliqué par la devise sculptée sur le linteau de la porte. — Les prières de la synagogue. — La légende d’Elie. — Le R. Seira courant vers le saint édifice. — L’église dans la maison. — Collectes. — Sainteté de ces lieux. — Oratoire. — Séparation des sexes. — Intérieur de la synagogue. — Les rouleaux de là loi. — Les sièges des auditeurs.

C’était bien, en vérité, une parole admirable que celle qui tombait des lèvres du Rabbin Jochanan. « Celui qui prie dans sa demeure, disait-il, l’entoure d’une ceinture infranchissable ; il la fortifie, pour ainsi parler, au moyen d’une muraille de fer (Jer. Ber. V. : 1). » Malheureusement cette déclaration semblait contredite par ce qui la suit. Jochanan enseignait en effet que ces principes n’ont une vérité absolue que lorsqu’un homme habite dans un lieu solitaire. Mais partout où existe une communauté, la prière doit être offerte à Dieu dans la synagogue. Il nous est facile de comprendre comment, après la destruction du Temple et la disparition de son culte symbolique, on attacha une valeur toujours plus considérable à la simple assistance au service célébré dans ce lieu sacré jusqu’à ce qu’enfin l’erreur arrivât à dépasser toutes les limites de la modération ou de la raison.

L’usage était d’appliquer ici, par exemple, des paroles telles que celles d’Esaïe : « Ils amèneront tous vos frères du milieu de toutes les nations, en offrande à l’Éternel, sur des chevaux, des chars et des litières, sur des mulets et des dromadaires, à ma montagne sainte, à Jérusalem, dit l’Éternel. » (Ésaïe 66.20) « Cherchez l’Éternel pendant qu’il se trouve ; invoquez-le tandis qu’il est près. » (Ésaïe 55.6) « Dieu se tient dans l’assemblée de Dieu ; il juge au milieu des dieux. (Psaumes 82.1) » Le Talmud de Babylone ne s’arrête même pas là. Il nous répète : la prière qu’un homme adresse au Seigneur n’a d’effet que si elle est offerte dans la synagogue, et il ajoute que si un Israélite habitué à la visiter chaque jour néglige de le faire une seule fois, l’Éternel lui demandera un compte sévère de cette négligence. Il nous assure que si Jehovah trouve moins de dix personnes réunies dans ce lieu sacré sa colère s’enflamme comme il est écrit dans le prophète Esaïe (Ber. 6. b) : « Je suis venu, pourquoi n’y avait-il personne ? J’ai appelé, pourquoi personne n’a-t-il répondu ? Ma main est-elle trop courte pour racheter ? N’ai-je pas assez de force pour délivrer ? par ma menace, je dessèche la mer, je réduis les fleuves en désert ; leurs poissons se corrompent faute d’eau, et ils périssent de soif (Ésaïe 50.2) ». Lorsqu’une synagogue s’élève dans la ville où demeure l’Israélite, s’il n’y entre pas pour prier il mérite le nom de méchant voisin. Aussi bien attire-t-il le châtiment de l’exil sur lui-même et sur ses enfants, ainsi qu’il est écrit : « Jusques à quand le pays sera-t-il dans le deuil, et l’herbe de tous les champs sera-t-elle desséchée ? A cause de la méchanceté des habitants, les bêtes et les oiseaux périssent. Car ils disent : Il ne verra pas notre fin. » (Jérémie 12.4) Au contraire l’usage de se rendre de bonne heure à la synagogue est la cause secrète de la longévité des personnes fidèles. Laissons de côté ces paroles excessives. Nous ne pouvons mettre en doute que longtemps avant l’époque de la rédaction du Talmud, les maisons de prière n’eussent été établies et parmi les Juifs de la Palestine et parmi ceux de la dispersion. Ce qui demeure certain en outre c’est que des causes diverses en avaient fait sentir la nécessité croissante.

Les lecteurs du Nouveau-Testament savent qu’aux jours du Seigneur ces édifices s’élevaient sur tous les points de la Terre-Sainte ; et que, « dès les temps anciens », les livres de Moïse étaient lus dans ces lieux respectés (Actes 15.21). Les assemblées étaient soumises à certaines autorités qui y exerçaient aussi la discipline. La règle du service était fort précise bien qu’on accordât à tout assistant une large mesure de liberté. Il était d’usage de consacrer une portion du temps du culte divin à la lecture des prophètes ; puis venait, généralement, une exhortation (Actes 13.15) ou une allocution (Luc 4.17). Le mot de synagogue est, comme on sait, d’origine grecque, et met en relief le fait de « se réunir ensemble » pour un objet religieux. Les rabbins emploient pour les désigner celui de Chenisa ou de Kahal, etc. Ce dernier terme indiquait plutôt le caractère intime ou spirituel des assemblées. Une autre expression, edah, relevait l’organisation extérieure. Cette distinction a été sentie par les Septante. Dans la Mishnah, Kahal nous montre le peuple d’Israël considéré dans son ensemble ; Zibbur désigne les Églises ou l’Église, les congrégations distinctes ou encore l’ensemble du peuple Israélite, considéré comme formant un organisme ou une société.

L’origine des synagogues se perd dans l’obscurité des traditions. Les Rabbins, selon leur usage, les font remonter aux patriarches. Dans le Targum de Jonathan et dans celui de Jérusalem, on nous montre Jacob assistant au culte de la synagogue, Rébecca s’y rend aussi pour y recueillir de saintes directions quand elle sent le combat que se livrent en elle les deux enfants. Nous ne discuterons pas ces étranges affirmations.

Nous lisons dans le livre des Rois (2 Rois 22.8) que le volume de la loi fut découvert par Shaphan le scribe dans la maison du Seigneur. Nous devons en conclure que, pendant le règne de Josias, il n’y avait pas eu de synagogues dans l’enceinte de la terre sacrée. En effet, le but dans lequel on les avait instituées était précisément d’assurer une lecture hebdomadaire des livres de Moïse et par conséquent de les sauver de la destruction (Actes 15.21). Il est vrai que Psaumes 74.8 dit : « Ils ont brûlé toutes les synagogues de Dieu dans le pays. » Il est permis cependant de mettre en doute l’exactitude de cette traduction. En la considérant même comme exacte, la question de l’époque à laquelle remontent les premiers de ces édifices ne serait pas résolue par là. Ajoutons qu’il ne reste aucun vestige d’un culte semblable pendant le temps de la loi et à l’époque des prophètes. Etant donnée l’importance qui s’attachait à ce point, cette remarque devrait être décisive. Comment oublier qu’il n’y avait pas place pour de telles assemblées dans la dispensation de l’Ancien-Testament ? Tout le culte avait un caractère typique. Israël ne s’approchait de son Dieu que par le moyen des sacrifices. C’était là la voie, le canal même des bénédictions divines.

[Avant l’exil nulle autre mention de la prière dans le culte public que le chant des lévites (1 Chroniques 16.4 ; 23.36) et certaines prières de circonstance comme celle de Salomon. L’accomplissement de cet acte religieux était réservé à la dévotion privée. (Munk Palest, 417.) (G.R.)]

Les réunions de prière et de communion avec le Père appartiennent, si nous considérons l’église dans son ensemble, à la dispensation de l’Esprit Saint. C’est pour cela que lorsque des hommes remplis de l’Esprit de Dieu s’élevaient au milieu du peuple, les personnes qui aspiraient à une connaissance plus profonde, celles qui voulaient établir des liens plus intimes entre leur âme et l’Éternel, se réunissaient autour d’eux, le jour du sabbat ou des nouvelles lunes. Voyez ici la pieuse Sunamite se rendant auprès d’Elisée (2 Rois 4.23). Ailleurs, d’autres Israélites accourent vers les disciples des prophètes. Il en fut tout autrement pendant la captivité de Babylone. Privé des services du temple, le peuple ne pouvait se passer d’un culte religieux sous peine de tomber dans un paganisme pratique. Ce danger même ne put être conjuré par les exhortations des prophètes et les perspectives de la délivrance qu’ils faisaient briller aux yeux des descendants dégénérés d’Abraham. Pour maintenir le lien national, qui unissait tous les Israélites, pour étayer la religion elle-même, il sembla indispensable de fonder des synagogues. Les livres d’Esdras et de Néhémie nous montrent, après le retour de la captivité, les premiers éléments du culte. Ces services servaient surtout à l’instruction religieuse des personnes que l’ignorance des choses de la foi avait presque conduites au paganisme. Voici l’époque des persécutions syriennes et la grande lutte des Maccabées. L’institution se développe et arrive, ou peu s’en faut, au degré de perfection qu’elle atteignit plus tard. A mesure que l’importance spirituelle des services religieux célébrés dans le temple diminue et que le Judaïsme devient un culte d’ordonnances extérieures, de distinctions subtiles et de discussions logiques, l’influence de la synagogue doit grandir. A l’époque de Jésus-Christ, on ne trouvait aucune colonie Juive, à l’étranger, qui ne possédât au milieu d’elle une ou plusieurs de ces maisons de prière. Celle d’Alexandrie, dont les Talmuds nous parlent en langage hyperbolique, était particulièrement splendide. Dans la Palestine, elles étaient très nombreuses, et c’est de celles-ci que nous allons nous occuper.

Nulle ville, nul village, s’ils comptaient seulement dix hommes, qui pussent ou qui voulussent s’appliquer aux choses divinesa, n’étaient dépourvus de synagogues. Pourquoi le nombre dix est-il fixé comme le chiffre le plus bas des chefs de famille qui pouvaient constituer une congrégation ? Voici la réponse des Rabbins. Selon les déclarations de Nombres 14.27 : « l’Assemblée mauvaise » se composait des espions, qui avaient porté de déplorables nouvelles à leur retour du pays de Canaan. Or, ils étaient au nombre de dix, si on fait abstraction de Josué et de Caleb. Les villes plus importantes possédaient plusieurs édifices semblables. Telle la ville de Jérusalem, d’après Actes 6.9. La tradition nous parle de la synagogue des Alexandrins à laquelle Etienne appartenait par la naissance, ou par l’éducation. S’il fallait en croire les Rabbins, au moment de la destruction de Jérusalem, cette ville n’en comptait pas moins de 480 ou de 450. Si le chiffre 480 n’est point mentionné comme multiple d’un nombre symbolique (4×10×12), c’est là une manifeste exagération.

a – On les appelait Batlanim. Le sens exact de ce terme a provoqué de nombreuses et savantes discussions.

Dès l’entrée d’un étranger dans une ville, il lui était facile de trouver la maison de prière. On n’y distinguait pas sans doute, comme dans la construction de nos cathédrales gothiques, des clochers élancés dont la flèche semble emporter vers le ciel les pensées de tous ceux qui passent à leur ombre. Du moins choisissait-on pour les bâtir les places les plus élevées. Symbole évident qui enseignait que les études auxquelles on se livrait dans leur enceinte dépassaient les misérables objets qui absorbent la pensée des hommes terrestres. Il rappelait la parole du prophète : la maison du Seigneur sera « établie sur le sommet des montagnes et élevée au-dessus des collines » (Ésaïe 2.2).

Lorsqu’il était impossible de se procurer une semblable position, on cherchait un emplacement situé « au coin des rues », ou à l’entrée des principales places conformément à ce passage : « La sagesse crie à l’entrée des lieux bruyants, aux portes, dans la ville, elle fait entendre ses paroles » (Proverbes 1.21), que l’on considérait comme une direction précise en de telles circonstances. La pensée du Seigneur se portait sur ce point lorsqu’il détournait ses disciples de l’imitation de ceux qui aiment « à prier en se tenant debout dans les synagogues et au coin des rues » (Matthieu 6.5). Il était d’usage de présenter une prière à l’Éternel en pénétrant dans une synagogue. A défaut de terrain élevé pour y bâtir le sanctuaire, on devait du moins dresser sur le toit une poutre qui dépassât les plus hautes demeures. La ville dont la maison de prières était située au-dessous du niveau des autres habitations était considérée comme exposée à la ruine.

Nous pouvons nous former une idée de l’architecture de ces édifices par la vue des synagogues les plus anciennes qui subsistent encore, et par les fouilles récentes qui ont été pratiquées en Palestine. A l’intérieur elles avaient une forme rectangulaire ou circulaire. Autour de la nef s’élevait une simple ou double colonnade ornée de sculptures. Un symbole sacré était ciselé à l’extérieur sur les linteaux des portes. Ordinairement le chandelier à sept branches, ou l’urne qui contenait la manne. Il existe un exemple trop remarquable de l’usage de ce second emblème pour que nous le passions sous silence.

[« On ne trouve généralement nulle trace du tabernacle dans lequel l’arche fut déposée à Shiloh, depuis le temps de Josué jusqu’à ceux de Samuel. Au sommet d’un petit tertre nous découvrons les débris de ce qui fut une synagogue, plus tard une église et enfin une mosquée. Sur le linteau qui surplombe ta porte d’entrée, entre deux guirlandes de fleurs est sculpté un vase semblable à une amphore romaine. La forme se rapproche si exactement de celle de l’urne de la manne, que l’on distingue sur les monnaies et dans les ruines de la synagogue de Capernaüm, qu’il a dû former, sans doute, une portion de l’édifice. Il est permis de supposer que le sanctuaire de cette ville s’élevait sur le sol sacré qui depuis tant de générations formait le centre du culte Juif. » (Those Holy Fields.) — Signalé par le Chanoine Williams le savant auteur de The Holy City. Voyez : The Bible as illustrated by modem science and Travel. (1868) p. 31, 32.]

Dans Capernaüm, la ville du Seigneur (Matthieu 9.1), le voyageur ne rencontrait qu’une synagogue, celle que le pieux Centurion avait fait bâtir. Jusqu’à ces derniers temps on avait ignoré la position exacte de l’ancienne cité de ce nom. Aujourd’hui il est permis, avec une probabilité qui touche à la certitude, de la placer dans le site occupé par la moderne Tell-Hum. Chose plus intéressante encore Les ruines mêmes de la synagogue, que le bon Centurion avait élevée ont été mises au jour, et, comme pour dissiper tous les doutes, l’architecture appartient, d’une manière manifeste, à la période des Hérodes. Détail caractéristique qui confirme avec évidence la narration des Évangiles. Nul n’ignore que le Seigneur multiplia, un jour, les pains pour nourrir les 5000 hommes qui l’avaient suivi pour entendre ses paroles. Il nous est dit qu’on dut même remplir quelques corbeilles des morceaux qui étaient demeurés de reste. Le jour du miracle avait été suivi d’une nuit aussi admirable. Battus par la tempête sur la mer de Tibériade, les disciples avaient vu le Maître s’approcher d’eux en marchant sur les vagues soulevées. Epouvantés à l’aspect de cette apparition étrange, ils avaient craint de le recevoir dans la nacelleb. Mais quand sa voix les eut rassurés, quand le Maître se fut assis à leur côté « le vaisseau aborda aussitôt au rivage ». Ce pays était la côte de Capernaüm. Le jour suivant, la lumière d’un matin de printemps s’étend sur le lac. Des voiles nombreuses signalent l’approche des nacelles de ces disciples qui, la veille auraient voulu le faire roi et qui l’ont suivi jusqu’ici. Ces derniers le trouvent sans difficulté dans cette ville, pays de Pierre et d’André (Marc 1.21,29). Mais quelle maison pourra abriter, dans ses murs, une telle multitude ? Naturellement tous se dirigent vers synagogue. Pendant la route, nous plaçons la question la réponse racontées par Jean (Jean 6.25-28) : « Rabbi, quand es-tu venu ici ? Jésus leur répondit : En vérité, en vérité, vous le dis, vous me cherchez non parce que vous avez vu des miracles, mais parce que vous avez mangé des pains. » Les voici maintenant entrés dans l’édifice sacré. Entendez-vous le Maître qui les entretient du pain de vie ? Comme le mentionne le verset 59 : « Jésus prononça ces paroles enseignant en pleine synagogue à Capernaüm. Remarquons en passant que le linteau de la porte de ce synagogue a été retrouvé, et que le symbole qui y est gravé est en relation intime avec la question que les Juifs posent à Jésus. Il nous semble qu’ils le désignent au Sauveur en entrant dans le sanctuaire et qu’ils lui disent : « Nos pères ont mangé la manne dans le désert comme il est écrit : il leur a donné à manger le pain du ciel. » (Jean 6.31) Sur le linteau, couché dans les ruines de cette maison prières bâtie par le bon Centurion on voit sculpté le vase de la manne. A côté du vase se dessinent des branches de vigne et des grappes de raisin, nouvel emblème du mystère que le Seigneur y développait un jour d’une manière si admirable.

b – Telle est l’impression que fait sur mon esprit Jean.6.21 comparé avec les v. 19 et 20.

[Ici à Tell-Hum, sur le sol encombré de fragments de marbre blanc s’élèvent les murailles en ruine de ce qui fut peut-être une synagogue bâtie dans le style fleuri et composite de l’époque d’Hérode. Au milieu des touffes d’herbes vigoureuses et des chardons gigantesques, gisent dispersés les débris des piliers et des architraves qui démontrent que sur ce lieu même s’élevait autrefois une belle et prospère cité. Le Major Wilson, membre de la société qui a pour mission d’explorer la Palestine, nous décrit ainsi le plan du large édifice de Tell-Hum. Il se compose de 4 rangées de sept colonnes chacune entourées d’une muraille blanche ornée au dehors de pilastres et surmontée d’une corniche assez lourde et de date ancienne. Ce qui surprend, c’est que l’entrée est au midi, chose inusitée dans les synagogues. L’édifice sacré était entouré d’un autre édifice de date plus ancienne bien bâti lui-même et couvert de sculptures soignées. (Farrar, Life of Christ, 138, 139.) (G.R.)]

Avant de quitter ce sujet intéressant plaçons, à côté du Maître, les deux représentants de son église, un Juif et un Gentil. Le nom de cet édifice nous les rappelle naturellement. En parlant de son fondateur, le Chanoine Williams nous dit : « Les riches et habiles sculptures des corniches et des entablements, des colonnes, des chapiteaux et des niches nous montrent quel esprit de généreux amour animait le soldat Romain, lorsqu’il faisait cette offrande au Dieu d’Israël. » Le chef de la synagogue se nommait Jaïrus. Nul n’ignore que ce furent ses prières, pleines d’angoisse et de foi qui conduisirent Jésus jusqu’à sa demeure. C’est ici qu’il prononça la parole de la vie : Talitha Cumi ! sur cette fille unique qui allait entrer dans son adolescence, et qui était étendue, sans vie, dans la chambre haute, tandis qu’au dehors la foule et les musiciens faisaient retentir les sons discordants de leurs airs funèbres.

Tel était l’aspect extérieur des synagogues. Leur disposition, à l’intérieur, était calquée sur celle du temple, ou peut-être sur le tabernacle.

La plus ancienne que l’on connaisse, celle des Juifs de Cyrène, dans l’île de Gerbe, est selon la description d’un missionnaire, le Dr Ewald divisée en trois parties, d’après le modèle du parvis, du lieu saint et du lieu très saint. Dans toutes, le corps de l’édifice et l’espace qui l’entoure représentent la cour des femmes, tandis que la place centrale et la plus élevée, avec l’arche qui contient les rouleaux de la loi, figure le sanctuaire lui-même. Les synagogues semblent, à leur tour, avoir servi de modèle aux premières églises chrétiennes. La structure de la Basilique, et le terme de bema a passé dans la langue des Rabbinsc. Les premiers chrétiens étaient de nationalité Juive, et le paganisme ne pouvait leur présenter aucun type qui pût servir de modèle au culte nouveau.

c – Le sujet est discuté tout au long par Vitringa : Synag., p. 444-456.

On considérait comme une grande faute l’usage prier derrière une synagogue, sans se tourner du côté l’édifice. Aussi racontait-on l’histoire d’Elie qui apparaît sous la forme d’un marchand Arabe, et qui punit l’homme coupable de ce péché. « Tu te tiens devant ton maître, lui dit-il, comme s’il y avait deux pouvoirs (ou Dieux) dans l’Univers. » A peine avait-il prononcé ces paroles que, tirant son épée, il le met à mort.

Une autre idée aussi étrange, c’est qu’il fallait s’avancer dans la nef à une distance de la longueur « de deux portes » avant de s’arrêter pour prier. On étayait cette prescription d’un passage du livre des Proverbes. « Heureux l’homme qui m’écoute, qui veille chaque jour à mes portes et qui en garde les poteaux. » (Proverbes 8.34) La pensée est singulière, mais elle n’a pas lieu de nous surprendre plus que celle de quelques critiques modernes, et certainement elle est moins étonnante que celle du Talmud qui, dans une page précédente, discute la durée précise des temps de la colère du Tout-Puissant, et conclut en disant que Balaam est le seul qui l’ait connu exactement. En effet, n’est-il pas écrit (Nombres 24.16) qu’il « connaissait les pensées du Très-Haut » ?

Le Talmud donnait aussi le conseil de quitter l’assemblée à pas lents, mais lorsqu’on s’y rendait de se hâter autant que la chose était possible, puisqu’il est écrit (selon la traduction des Rabbins) : « Poursuivons, pour connaître le Seigneur. » (Osée 6.3) Rabbi Seira nous raconte même qu’il avait été une fois scandalisé de voir les Rabbins se précipitant vers le saint édifice, dans le jour du sabbat où le repos corporel était prescrit sévèrement, pour assister à une prédication. Mais quand il eut compris comment le passage d’Osée (Osée 11.10) s’appliquait à l’enseignement de la Halachah, il se joignit aussitôt à eux. Et il conclut par ces paroles quelque peu railleuses : « La récompense d’un discours est la hâte » avec laquelle les peuples y accourent, peu importe qu’ils se rendent dans le lieu de culte avec l’intention de l’entendre ou non ; peu importe aussi qu’il y ait quelque chose digne d’être écouté dans l’enseignement qu’ils y recevront.

Règle générale, ces maisons étaient bâties aux frais de la congrégation, assistée peut-être par les membres les plus riches de l’Église. Quelquefois, un fidèle zélé se chargeait seul de tous les frais. Cet acte était particulièrement méritoire. En d’autres circonstances, lorsque le nombre des Juifs était peu considérable, une vaste salle dans une maison particulière était mise à part pour cet objet. Cette coutume passa dans la primitive église, comme nous le voyons par le texte d’Actes 2.46 ; 5.42. De là cette expression des écrits apostoliques, « l’Église qui est dans la maison (Romains 16.3, 5 ; 1 Corinthiens 16.19) ». Ces mots nous montrent que les chrétiens avaient soin de mettre à part dans l’habitation de l’un des membres de l’église un appartement, dans lequel ils s’assemblaient régulièrement pour la célébration du culte.

Les synagogues étaient inaugurées et consacrées à leur pieuse destination par des prières solennelles. La cérémonie n’était pas considérée comme achevée avant que les requêtes ordinaires eussent été offertes par quelqu’un des fidèles, alors même qu’il n’aurait été qu’un étranger de passage dans la localité. Des règles de décence, analogues à celles qui étaient en usage dans le temple de Jérusalem, étaient imposées aux assistants. On insistait sur la nécessité d’être revêtu de vêtements convenables, sur la tranquillité et le respect dans la contenance du corps. Et on y revenait avec une abondance de détails et de distinctions qui fatiguent le lecteur.

[Les Rabbins enseignaient que celui qui se rend à la synagogue, mais ne fait nulle attention à ce qu’on y enseigne, n’a d’autre mérite que celui de I’assistance dans un lieu saint. Le second ne se rend jamais dans la salle du culte mais pratique les enseignements qui y sont donnés. A celui-là, ils attribuent le mérite de l’activité des œuvres. Mais l’homme qui ne se rend point à la synagogue et ne pratique point les préceptes qu’on y enseigne, celui-là n’est qu’un pécheur. Malheur à l’homme qui s’endort pendant le culte divin. Il commet un grave péché. « Comment avez-vous fait, demandait-on au R. Ada, pour atteindre un âge aussi avancé ? » « Je ne me suis jamais abandonné au sommeil dans la synagogue », répondit le vieillard. (N. o. c. 210.) (G.R.)]

Les collectes qui y étaient faites devaient être consacrées aux pauvres ou au rachat des captifs. Si l’édifice menaçait ruine, on devait l’abattre sous la condition d’en élever aussitôt que possible un autre à la même place. Mais, même alors, la sainteté du lieu était respectée. Les ruines de la synagogue ne pouvaient être converties en lieux de lamentations. Il était interdit de les employer pour y établir une rue passante. Défense était faite à tous d’y étendre des cordes ou des filets, aussi bien que des fruits pour les faire sécher. L’argent collecté pour bâtir une de ces maisons de prière pouvait, dans un cas d’absolue nécessité, être employé par la congrégation pour un autre objet. Mais si l’on avait acheté déjà des pierres, des poutres, etc., qui devaient servir à l’érection de l’édifice, on ne pouvait mettre de nouveau en vente ces matériaux. Ils étaient considérés comme consacrés à Dieu. La synagogue d’une ville était inaliénable, mais il était permis de se défaire de celle d’un village, en suivant les avis du Sanhédrin local, pourvu que le lieu ne fût pas ensuite employé à des bains publics, à une buanderie ou à un réservoir. Le produit de la vente devait être employé à quelque chose de plus sacré que la pierre et le mortier, à savoir aux dépenses d’entretien de l’arche dans laquelle on conservait les exemplaires de la loi. Bien que consacrés à un usage analogue, les oratoires ou « places où on avait coutume de faire les prières » (Actes 16.13) en différaient complètement. Ils étaient généralement, situés hors des villes et près de l’eau courante ou de la mer (Jos. Ant. XIV : 10, 23), afin de faciliter les lustrations qui étaient unies ordinairement à la prière (Philo. II : 535).

La séparation des sexes, pratiquée même dans le temple à l’époque de Jésus-Christ, était strictement observée. Une division de l’édifice, formée par des cloisons et une grille, avec une entrée distincte, permettait de veiller rigoureusement à l’observation de cette règle. Elle est, du reste, en harmonie avec les coutumes et les sentiments des Orientaux. Mais les Rabbins qui cherchent un appui dans l’Écriture pour toutes les directions, par eux imaginées, quelque triviales qu’elles soient, ont découvert une preuve qui appuie leurs prescriptions dans Zacharie 12.11-14. Il y est dit cinq fois au moins que les femmes se livrent « à part » à leurs gémissements et à leurs prières. N’est-ce pas là une admirable preuve du règlement que nous avons mentionné ? La synagogue était disposée de telle manière qu’en y entrant l’Israélite tournait son visage vers Jérusalem.

Au-delà du centre s’élevait une plateforme, bima, selon la dénomination antique ou « Almmeor » comme on s’exprime aujourd’hui. Ceux qui étaient appelés, pour faire la lecture, y montaient par le côté le plus rapproché du siège qu’ils occupaient, et en descendaient par celui qui en était le plus éloigné. Sur le bima, se dressait la chaire ou plutôt le pupitre du lecteur, le « migdal » ou la « tour de bois » (de Néhémie 8.4) du haut de laquelle on lisait les portions prescrites de la loi et des prophètes et d’où l’on prononçait les allocutions. Le lecteur se tenait debout. Le prédicateur assis. C’est ainsi qu’après avoir lu une portion du prophète Esaïe, notre Seigneur « ferma le livre, le tendit au ministre et s’assit » avant de prononcer son discours dans la synagogue de Nazareth. On offrait debout les prières. Dans le temple, les assistants se prosternaient jusqu’à terre ; cette pratique était observée dans la récitation de quelques-unes des litanies les plus solennelles. La chaire où pupitre, tour, chaire, trône (churseja), ou élévation (pergulah du latin pergula) se dressait au milieu du bima et en face de l’arche. Celle-ci, placée dans la position la plus reculée de la synagogue, correspondait au lieu très saint dans le temple et formait la partie la plus essentielle de l’édifice. On l’appelait la aron (arche), la tevah ou tevutha (coffre, comme celui dans lequel Noé et Moïse furent sauvés de l’eau) ou le « hechal » (petit temple). Elle se composait d’une armoire, ou boîte, dans laquelle on déposait les rouleaux de la loi. L’arche était mobile afin qu’on pût, dans certaines occasions, dans un jour de jeûne ou de prières, par exemple, l’emporter pour la placer soit dans la rue, soit sur la place où le peuple se rassemblait. Quelquefois il existait une seconde armoire pour les rouleaux des prophètes. On y gardait les parchemins de la loi usés ou endommagés.

En face de l’arche était suspendu le « vilon » (vélum, voile) par imitation de celui qui était tendu devant le lieu saint. Au-dessus se balançait le « ner olam » ou lampe perpétuelle ; tandis que près de l’arche s’élevait le chandelier à huit branches, que l’on allumait pendant les huit jours de la fête de la dédicace du temple (Jean 10.22) ou de la Chandeleur. L’usage de faire brûler des cierges ou des lampes, non seulement pour dissiper l’obscurité mais pour honorer un jour ou une fête n’est pas inconnu dans les synagogues. Cependant, sur ce point particulier aussi bien que sur quelques autres usages, il est impossible de dire, avec une parfaite précision, quelle était la coutume à l’époque de Jésus-Christ, bien que l’on aperçoive la manière dont ces pratiques s’introduisirent progressivement dans le culte divin.

Nous ne pouvons ici décrire les directions multiples imposées à l’homme chargé de copier les rouleaux qui renfermaient les cinq livres de Moïse, ni mentionner, avec détail, ce qui les rendait impropres à l’usage public. On ne connaissait pas moins de vingt motifs de rebut énumérés par les Rabbins. Le velin sur lequel on écrit le Pentateuque est de nos jours fixé à deux rouleaux qui sont soutenus par une enveloppe de toile (mitpachoth), et placés dans un étui (tick du mot grec theke). Tout ceci est déjà déterminé dans la Mishnah. Quant aux coutumes qui s’introduisirent plus tard, nous n’avons pas à nous en occuper.

Disons seulement qu’à l’origine la foule se tenait debout dans la synagogue, ou assise sur le sol. Mais quand la durée du culte se prolongea, on établit des sièges dans l’intérieur de l’édifice. La congrégation s’asseyait, le visage tourné vers l’arche. Les chefs de la synagogue, les Rabbins, les Pharisiens distingués, tous ceux qui cherchaient la gloire qui vient des hommes, réclamaient les premiers sièges. Ils étaient placés alors de manière à tourner le dos du côté de l’arche, et le visage vers les assistants. Ces sièges qui portent le même nom que dans le Nouveau-Testament étaient l’objet de leur ambition (Matthieu 23.6). Le rang, la dignité, l’âge donnaient à un Rabbin ou à un homme important le droit de l’occuper, de préférence aux autres membres de l’assemblée. Notre Seigneur mentionne ce fait comme l’une des manifestations caractéristiques de l’orgueil Pharisaïque. Cet esprit et cet usage s’étaient, paraît-il, glissés dans quelques-unes des églises primitives C’est ce qui ressort de l’avertissement de saint Jacques (Jacques 2.23). On sait que l’apôtre met les fidèles en garde contre toute acception de personnes qui poussait les présidents du culte à attribuer une place d’honneur aux chrétiens qui n’y avaient d’autres titres que leur vêtement magnifique et les bagues d’or qu’ils portaient à leurs doigts.

Nous n’avons jusqu’ici décrit que la disposition extérieure des synagogues. Il est nécessaire, à cette heure, d’esquisser, en quelques traits, l’usage auquel on les employait, leur culte, les officiers qui y présidaient. En plus de cent endroits en effet, le Nouveau-Testament ramène notre attention sur ces divers sujets.

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