La société juive à l’époque de Jésus-Christ

VIII
Le Talmud

Pour faire connaître la vie sociale en Palestine à l’époque du Sauveur, l’auteur de cet ouvrage a fait bien souvent appel aux enseignements d’un livre considérable dans le Judaïsme. Nous voulons parler du Talmud. Il est donc indispensable qu’avant de le fermer nous disions un mot du contenu, du caractère, de l’utilité de ce livre si vénéré en Israël.

Le mot Talmud semble dériver de Lamad apprendre. Il signifiait donc, en premier lieu, l’étude, puis une manière particulière d’apprendre ou de raisonner, ou mieux « ce qui doit être enseigné ». L’ouvrage se compose proprement de la Mishnah et de la Gemara qui en forme le commentaire. La Mishnah, a des suppléments par exemple Sifra, un Midrash ou commentaire sur le Lévitique, Sifri sur les Nombres et Deutéronome, et Mechilta sur l’Exode.

L’origine de ce livre monumental rappelle une période particulièrement solennelle de la vie du peuple d’Israël. On sait que pour les Juifs la loi se subdivise en deux parties, la loi écrite, et la loi orale, loi sur les lèvres ou tradition. Celle-ci a la même autorité que la première. Elle paraît même revêtue d’une plus grande considération. La loi orale ne fut pas confiée à l’écriture jusqu’à l’époque des derniers Tanaïm (30-80 de J.-C.). La plus ancienne Megillath Taanith (collection de légendes et de règles sur les temps et les solennités), que l’auteur a souvent citée, a été rédigée, pense-t-on, à l’époque de Jésus-Christ. Toutefois le premier docteur qui mit en écrit la Mishnah était le fameux R. Jehudah Hakkodesh qui mourut en 190 après Jésus-Christ. Epouvanté à la pensée du danger que courait la nation après le terrible massacre qui suivit la défaite de Bar Tochebas, il voulut sauver du moins de l’oubli ce monument de la sagesse des pères.

Les règlements contenus dans les traités de la Mishnah, traditions, ordonnances ne font aucune différence entre les grandes et les petites lois. Tout est divin. Ici nulle métaphysique, le code est absolument pratique. Que contient-il ? Un ensemble de lois civiles pénales ecclésiastiques que l’on a justement comparé aux Pandectes ou aux Institutes. « Ainsi le Talmud, comme s’exprime M. Deutsch, renferme non seulement la loi sociale, morale, criminelle, internationale, humaine et divine, mais aussi un tableau de l’éducation, des arts, des sciences, de l’histoire et de la religion durant un espace de temps de mille ans environ, et surtout durant le temps qui a immédiatement précédé et suivi la naissance du christianisme. Il nous montre les rues populeuses de Jérusalem, l’artisan à son travail, les femmes au foyer domestique, les enfants se livrant au jeu sur la place du marché. Le prêtre et le lévite célébrant leurs rites sacrés, le prédicateur prêchant sur la colline et entouré d’une foule compacte, et jusqu’au conteur populaire dans le bazar, tout vit, se meut et respire dans ces pages. »

La Mishnah

Dans son ensemble, on peut regarder la Mishnah comme une source sûre dans l’étude du judaïsme à l’époque du Sauveur. Les idées qui y sont exprimées étaient déjà reçues, au moins dans leur substance, 200 ans avant Jésus-Christ. Il a ainsi pour la connaissance de la vie spirituelle du peuple Juif, dans le ier siècle, autant d’importance que les pages de l’historien Josèphe pour l’intelligence de l’histoire politique de la Palestine en ce temps-là.

Jehuda divisa les immenses matériaux dont il disposait en six Sedarims ou ordres, contenant 63 Massiktoth ou traités, et 525 Perakim ou chapitres. En voici le sommaire tel qu’il nous est présenté par le Dr Schürer.

i. — Seder Zeraïm (Semences).

  1. Berachoth. — Des formules de bénédiction et des prières.
  2. Pea. — Du coin du champ que la faucille doit épargner pendant la moisson. De ce qui est destiné aux pauvres ; en général du droit des pauvres aux revenus des champs (Lévitique 19.9 ; 23.22. Deutéronome 24.19).
  3. Demaï. — Des fruits dont la dîme est difficile à établir.
  4. Kilajim. — Du mélange illégitime des choses de diverse nature, animaux, plantes, habits (Lévitique 19.19 ; Deutéronome 22.9-11).
  5. Schebiith. — De l’année Sabbatique.
  6. Therumoth. — Des oblations faites aux prêtres.
  7. Maaseroth. — De la dîme pour les Lévites.
  8. Maaser Scheni. — De la deuxième dîme qui devait être mise à part après la livraison de la première, et consommée à Jérusalem (Selon Deutéronome 14.22-25).
  9. Challa. — Des prémices de la pâte, qui, d’après Nombres 15.17 s., étaient données aux Prêtres.
  10. Orla. — De la défense de manger les fruits des arbres nouvellement plantés pendant les trois premières années (Lévitique 19.23).
  11. Bikkurim. — De l’oblation des prémices.

ii — Seder Moad (Ou des fêtes).

  1. Schabbath. — De la célébration du sabbat.
  2. Erubin. — De la réunion des deux espaces séparés dans le but de jouir d’une plus grande liberté de mouvement le jour du sabbat.
  3. Pesachim. — De la fête de Pâques.
  4. Shekalim. — De l’impôt du demi Sekel ou didrachme.
  5. loma. — Du « Jour » c’est-à-dire du grand jour des expiations.
  6. Sukka. — De la fête des Tabernacles.
  7. Beza. — Est-il permis de consommer un œuf pondu le jour du sabbat, et en général de la sanctification des jours de fête et de sabbat.
  8. Rosch haschana. — De la fête du nouvel an.
  9. Taanith. — Des jours de jeûne et de deuil.
  10. Megilla. — De la lecture du rouleau, c’est-à-dire du livre d’Esther et en général de la fête de Purim.
  11. Moed Katan. — Des jours intermédiaires qui seraient le 1er et le dernier jour des principales fêtes.
  12. Chagiga. — Du devoir de venir et d’offrir un sacrifice à Jérusalem à l’époque des trois grandes fêtes.

iii. — Seder Naschim (Femmes).

  1. Jebamoth. — Du Lévirat.
  2. Kethuboth. — Des contrats de mariage.
  3. Nedarim. — Des vœux.
  4. Nasir. — Du Naziréat.
  5. Sota. — De l’action contre la personne soupçonnée d’adultère.
  6. Gittin. — De la lettre de divorce, et des droits des époux dans la rupture du lien conjugal.
  7. Kidduschin. — Des fiançailles.

iv. — Seder Nezikin (Dommages).

  1. Baba Kamma. — « La première porte » c’est-à-dire la première partie du fragment qui traite des dommages des droits de l’Israélite qui a subi un dommage de la part d’un autre.
  2. Baba mezia. — « La porte du milieu. » Des plaintes et des droits du locataire vis-à-vis du propriétaire — de l’ouvrier vis-à-vis de celui qui l’emploie ; de l’emprunteur vis à-vis du prêteur.
  3. Baba bathra. — « La dernière porte. » Des rapports juridiques des citoyens dans la vie sociale.
  4. Sanhédrin. — Du Sanhédrin et de la justice criminelle.
  5. Makkoth. — De la punition par le fouet.
  6. Schebuoth. — Du serment et des délits dans le domaine des choses saintes.
  7. Edujoth. — « Témoignages. » Il contient des préceptes qui furent affirmés et confirmés le jour de l’élévation d’Elieser ben Asarja à la direction des écoles Juives.
  8. Aboda Sara. — Du culte des idoles, et en général du Paganisme.
  9. Aboth. — Recueil de sentences des scribes les plus célèbres de l’an 200 avant J.-C. à l’an 200 après le Sauveur.
  10. Horajoth. — « Décisions » sur des délits involontaires produits par des décisions erronées du Sanhédrin, et des transgressions non intentionnelles du grand prêtre et des princes.

v. — Seder Kadaschim (Consécrations).

  1. Sebachim. — Des victimes offertes en sacrifice.
  2. Menachoth. — Des sacrifices de gâteaux.
  3. Chullin. — De la vraie méthode pour immoler les animaux qui ne doivent pas être offerts sur l’autel, et de la manière d’en faire usage.
  4. Bechoroth. — De la sanctification du premier né, homme ou animal.
  5. Arachin. — « Contributions » savoir (Lévitique 27) des moyens de délier les personnes et les choses qui se sont vouées au service du sanctuaire, ou y ont été consacrées par d’autres.
  6. Temura. — De l’échange des choses consacrées à Dieu (Lévitique 27.10).
  7. Kerithuth. — De la punition de l’extermination, ou plutôt de ce que doivent faire ceux qui, sans intention, ont violé un commandement, menacé de l’extermination.
  8. Meila. — Du détournement des choses consacrées à Dieu (Nombres 5.6-8).
  9. Tarnid. — Du sacrifice du matin et du soir et, en général, du culte célébré chaque jour dans le temple.
  10. Middoth. — Des mesures et de la disposition du temple.
  11. Kinnim. — Du sacrifice des pigeons offert par les pauvres (Lévitique 5.1-10 ; 12.8).

vi. — Seder Taharoth (Purifications).

  1. Kelim. — Des meubles de la demeure, et des moyens de les purifier.
  2. Ohaloth. — De la souillure des tentes et des maisons, en particulier, par la présence d’un cadavre.
  3. Negaim. — De la lèpre.
  4. Para. — De la vache rousse, et des moyens de purifier ceux qui ont été souillés par la présence d’un corps mort.
  5. Tohoroth. — Des souillures d’une moindre importance.
  6. Mikvaoth. — De l’eau qui est convenable pour les bains et les ablutions.
  7. Nidda. — Des souillures de la femme.
  8. Maschirin. — Traite des eaux souillées qui, tombant sur les fruits, les rend ou non impurs (Lévitique 11.34,38).
  9. Sabim. — Des matières purulentes et du flux de sang.
  10. Tebul jom. — Des souillures purifiées par le bain, mais qui demeurent attachées à la personne jusqu’au soir.
  11. Jadajim. — De l’impureté et de la purification des mains.
  12. Ukzin. — De la souillure imprimée aux fruits par l’écorce ou la gousse.

La Gemara

Cependant, comme la casuistique est une science sans limites, quelle que fût l’abondance des cas examinés dans ; la Mishnah, chacune de ses thèses ouvrait le champ à des difficultés et à des doutes. Le texte de la Mishnah devint ainsi l’objet de discussions infinies. Ici, on s’efforça de résoudre toutes les questions qui n’avaient point été traitées jusqu’alors. Telle fut l’origine des deux Gemares, celle de Babylone et celle de Jérusalem. Celle-ci, quatre fois plus étendue, a été étudiée depuis cette époque avec un grand zèle, et jouit d’une plus grande autorité. L’une et l’autre ne doivent être employées qu’avec une extrême circonspection, surtout la Gemare de Babylone.

La langue du Talmud est bizarre et souvent inintelligible. Choses belles et bonnes quelquefois, discussions habituellement confuses, fourmillant de contradictions et de méprises, « vides et sophistiques » comme s’exprime Lightfoot, voilà ce qu’on y rencontre, à chaque instant. Rien d’aussi anti-historique que ce livre. Il confond les noms, les dates et les faits avec une indifférence absolue. Par le changement d’un Resch en un Daleth, les Romains sont transformés en Iduméens, Vespasien confondu avec Titus, Titus avec Trajan.

Ici et là quelques maximes excellentes qui se rapprochent des paroles de Christ. Ensevelies dans le Talmud elles y gisent, comme des « perles dans une mer » d’obscurité et de boue. Mais qui prouvera que ces maximes ont toujours été prononcées par les Rabbins auxquels on les attribue, qui pourrait démontrer que lorsqu’elles ne proviennent pas de la source de l’Ancien-Testament, il ne faut pas les faire remonter directement ou indirectement à l’influence de la religion et de la pensée chrétienne ? M. Deutsch, ardent admirateur du Talmud, ne fait-il pas l’aveu suivant : « ces paroles sont souvent tendres, poétiques, sublimes, mais elles ne sont pas absolument neuves. Aucune d’elles qui ne fût contenue, en substance dans les écrits canoniques ou non canoniques de l’Ancien-Testament ». Citons les passages du Livre Israélite qu’on peut rapprocher de ceux de l’Évangile.

Mais à côté de ces maximes combien de préceptes puérils, bizarres, étranges, en contradiction manifeste avec le sentiment moral que tout homme porte en lui-même. N’a-t-on jamais fait usage de la loi Mosaïque pour justifier les haines nationales ou religieuses ? Entre plusieurs autres passages, ne lit-on pas dans le Talmud ces mots. « Ne manifeste ni bonté, ni pitié à l’égard des gentils. » (Midr. Tehillin. f. 26. 4 et Schottgen Horæ heb. sur Deutéronome 23.6 ; 7.2). Entre cette parole et telle pensée d’Hillel, par exemple, nous savons bien qu’il y a un abîme. Et nul ne saurait méconnaître la beauté de certaines portions de ce livre vénéré ; ainsi, les nobles et belles pages du Shema.

On est malheureusement forcé d’admettre que les passages semblables à cette triste parole, trop nombreux dans la Mishnah ont été peut-être, selon la remarque de Gfrörer, l’occasion des reproches que les païens adressaient aux Juifs et dont nous entendons l’écho dans les récits de Tacite, et dans les Satires de Juvénal : « Adversus omnes alios hostile odium » (… pour le reste des hommes une haine implacable… Hist. v : 5.) — Non monstrare vias eadem nisi sacra colenti. » (… ils n’auraient garde de montrer le chemin aux fidèles d’un autre culte… Sat. xiv : 103). Dans tous les cas, il n’est guère possible de souscrire aux expressions d’enthousiaste admiration des Rabbins lorsqu’ils s’écrient : « Si la loi est semblable au sel, la Mishnah est comme le poivre et la Gemara analogue aux épices parfuméesa ».

a – Allen’s Modern Judaism p. 74. Hershon. A Talmudic Miscellany.

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