Théologie Systématique – I. Méthodologie

Introduction à la Théologie Systématique

Dans l’Introduction à la Théologie systématique ou Propédeutique, nous nous proposons en premier lieu : de définir l’objet et d’arrêter les limites de la Théologie systématique, en classant cette discipline théologique en son lieu et à son rang, tout d’abord dans l’ensemble des produits de la pensée humaine, puis dans l’organisme des sciences théologiques en particulier. Toutefois la position centrale qu’occupe la Théologie systématique au sein de la théologie, nous autorise et même nous oblige à traiter à propos d’elle la question de la méthode scientifique et théologique avec plus d’étendue, et à exposer en même temps que les rapports de la Théologie systématique avec les autres disciplines théologiques, les limites de celles-ci les unes en regard des autres. La Méthodologie, comprenant une encyclopédie des sciences théologiques, formera donc la première section de notre Propédeutique.

Mais cette première opération consistant à établir les règles respectives de la science théologique en général et de la Théologie systématique en particulier, ne sera pour ainsi dire qu’hypothétique. Elle suppose nécessairement connu et admis le fait religieux que nous donnons pour objet à la science qui nous occupe, et nous faisons cette supposition sur la foi d’une tradition et d’institutions dont nous ne pourrons discuter que plus tard les droits et la légitimité. Etant donné, disons-nous, le fait religieux qui se nomme Christianisme ou Révélation chrétienne, voilà comment la science humaine devra se comporter à son égard, si tant est que la science humaine doive le comprendre dans le champ de ses investigations. Etant donné le fait chrétien, voilà ce que sera la théologie, ce que sera en particulier la Théologie systématique. Et soit que l’objet de la foi chrétienne, le Christianisme, doive être tôt ou tard vérifié ou démenti par les moyens ordinaires de la critique historique et ensuite d’une enquête impartiale, il est déjà entendu que la théologie et toutes les disciplines qu’elle renferme subsistent ou disparaissent avec lui.

Il peut, à vrai dire, paraître étrange que nous nous occupions à définir une discipline qui, jusqu’à la vérification du fait auquel elle est rapportée, n’est encore au point de vue strictement logique, que la science éventuelle d’un objet hypothétique. Et qu’arriverait-il donc, si notre tentative d’apologétique avortait ? si nos investigations ultérieures nous amenaient à reconnaître que ce que nous appelons fait chrétien, révélation chrétienne, christianisme, n’est qu’un être de raison ? Nous aurions fait un travail inutile. Nous en serions pour nos frais de méthodologie. — Cette objection nous toucherait peu. Nous repousserions même ce scrupule comme attentatoire à la dignité du Christianisme, de la foi chrétienne et de la science chrétienne. Nous revendiquons sans aucune hésitation le droit de faire l’anticipation que nous avons annoncée ; d’opérer sur cette hypothèse, de raisonner sur l’admission de cet objet de foi non encore scientifiquement démontré. Se laisser arrêter par cet obstacle, qui ne serait après tout qu’un scrupule de méthode, serait concéder que la certitude du fait chrétien pourrait dépendre des démonstrations scientifiques qui en seront tentées ; laisser croire que cette certitude n’est pas le produit immédiat de l’expérience personnelle, la récompense de la pratique de la vérité. Ce serait livrer la foi aux chances heureuses ou malheureuses de cette discipline encore si controversée et si mouvementée, que l’on appelle l’apologétique du Christianisme.

Bien que tout chrétien ne soit pas et ne doive pas être un théologien, nous tenons qu’avant d’être théologien et pour l’être, il faut être chrétien et croyant, et nous prétendons venir à l’étude scientifique du fait chrétien, non pas avec des doutes et des recherches seulement, mais avec une conviction déjà formée, avec une foi déjà pratiquante et vécue. Avant même d’aborder l’étude de la théologie, et pour pouvoir l’aborder avec une conscience libre et joyeuse, nous devons être, dans notre for intime, convaincus qu’il y a une science théologique, parce qu’il y a une religion du salut ; et que cette religion est la vérité, que ce salut est un fait, parce qu’il y a par le monde des sauvés et des saints.

Cependant cette certitude, suffisante pour la pratique individuelle, et qui d’ailleurs, fille de l’expérience personnelle de la vérité, engendre à son tour des expériences toujours nouvelles et plus actives de la vérité, ne peut se dispenser de se présenter tôt ou tard, elle aussi, à la barre du tribunal de la critique scientifique. Il faut que la foi, la vie chrétienne, devenue consciente d’elle-même et de sa formule, se rende compte, du moins par l’organe des hommes appelés à cette tâche, des raisons que le croyant peut avoir à opposer à la raison incroyante ou incrédule ; des arguments que la religion chrétienne peut faire valoir en sa faveur ; à tout le moins, de l’insuffisance ou de l’illogicité des objections qui lui sont faites.

Après avoir, dans une première section, traité hypothétiquement de la science du fait, nous aurons donc à entreprendre dans une seconde la vérification du fait lui-même, c’est-à-dire qu’à la Méthodologie des sciences théologiques succédera dans notre système l’apologie du Christianisme ou Apologétique. A vrai dire, cette seconde partie de notre programme devra débuter par une définition du terme même de Christianisme, sujet dans tous les temps et aujourd’hui plus que jamais, à tant de malentendus, et cela de peur qu’il ne nous arrive d’appliquer notre travail apologétique à une conception particulière du Christianisme, au produit de notre propre raison ou de notre préjugé, plutôt qu’au fait historique et authentique, auquel seul répond ce nom propre dans le langage des chrétiens.

Cependant cette vérité chrétienne qui fait l’objet à la fois de la science chrétienne et de la foi chrétienne, a été transmise dès ses origines à travers les siècles jusqu’à la génération dont nous sommes les membres. Comment et par quels organes ou par quels documents cette transmission s’est-elle faite ? Quels degrés de crédibilité méritent ces organes ou ces documents, qu’ils se nomment tradition orale, autorité ecclésiastique ou Ecriture-Sainte ? Et c’est ainsi qu’après la vérification historique du fait qui fera l’objet de notre seconde section, il nous restera à traiter du caractère canonique attribué par l’Eglise aux documents primitifs de la Religion chrétienne, et à nous demander, une fois ce caractère reconnu, quels critères nous permettront de distinguer les documents canoniques de ceux auxquels ce titre doit être refusé ou peut-être même retiré. Ce sera le sujet de la Canonique.

Remarques

1. La plupart des matières que nous renfermons dans la Propédeutique forment d’ordinaire en Allemagne la première partie de la Dogmatique. Cette disposition nous parait vicieuse en ce qu’on attribue à la dogmatique spécialement, maintes matières introductives, supposées aussi bien par l’éthique que par la dogmatique, et également indispensables à l’une et à l’autre, comme, par exemple, les questions d’apologétique et de canonique.

2. Souvent aussi les matières que nous venons d’énumérer, sont décomposées en deux expositions particulières dont le lien avec l’ensemble est conçu diversement. L’Encyclopédie ou Méthodologie des sciences théologiques et l’Apologétique apparaissent alors comme des disciplines isolées et autonomes. Nous eussions pu être tenté, nous avons même été sollicité de détacher cette dernière, entre autres, de l’Introduction à la Théologie systématique, pour en faire le premier terme de la trilogie : Apologétique, Dogmatique, Ethique. Nous ne nous sommes pas rendu à des raisons qui nous paraissaient suggérées plutôt par le goût de la symétrie que par le principe plus essentiel de l’unité organique. Nous eussions eu devant nous trois fragments détachés, dont la synthèse eût dû être recherchée après coup ; et d’ailleurs, bien des questions relativement importantes nous auraient échappé, qui tout en figurant à l’aise dans une Introduction à la Théologie systématique, seraient manifestement sorties du cadre d’une apologétique proprement dite.

Est-il prudent d’ailleurs et serait-il opportun d’annoncer en grandes lettres, une apologie du Christianisme, à un moment où la nécessité de cette discipline, les moyens qu’elle peut mettre en œuvre et l’objet même auquel elle doit s’appliquer, sont livrés à des discussions plus ou moins ardentes ? N’est-ce pas mettre d’avance les partisans timides en défiance, et adresser à l’adversaire une provocation peut-être téméraire, que d’afficher si haut le dessein de confondre les attaques dirigées contre la foi des chrétiens ? Sans mettre un seul instant en doute la valeur objective des arguments que la religion chrétienne a toujours fournis à ses défenseurs autorisés, nous avons cru, en ce qui nous concerne, qu’il était plus modeste et plus prudent de faire de l’apologétique, pour ainsi dire, sans ostentation et sans solennité, en en faisant le sujet de la deuxième section de notre Propédeutique.

3. Nous avons jugé important, en revanche, de détacher le sujet de notre troisième section, la doctrine du Canon des Saintes-Ecritures, de celui de la deuxième, la vérification du fait chrétien, dont il faisait partie intégrante dans l’ancien système apologétique. Nous avons tenu à rompre la solidarité préjugée si souvent entre la crédibilité du fait historique et l’autorité à attribuer aux documents réputés canoniques de ce fait ; à établir indépendamment les uns des autres les résultats de l’apologie de la religion chrétienne et ceux de l’examen du Canon des Saintes-Ecritures. L’ancienne apologétique remontait du document au fait, de l’autorité et de l’authenticité du Livre une fois démontrée à l’autorité et à la crédibilité du fait surnaturel contenu dans la Révélation. Le principal inconvénient de cette marche était que les attaques portées à l’Ecriture-Sainte, et surtout à telle ou telle conception de l’inspiration des Saintes-Ecritures, atteignaient du-même coup le fond même de la croyance chrétienne, la foi à la révélation du salut. Or le Christianisme a existé avant les documents qui nous en ont transmis la substance, et il est permis de supposer soit un mode de transmission de la révélation chrétienne à travers les âges différent de celui de l’écriture, soit le cas d’un homme qui, tout en adhérant pleinement au fait chrétien, rejetterait pour une raison ou pour l’autre l’autorité des documents sur lesquels l’Eglise appuie sa foi. Cet homme ferait une perte sans doute, mais non pas celle du salut, et il pourrait être encore, dans cette situation incomplète, un témoin fidèle et utile de la vérité qui est en Jésus-Christ.

En cherchant à définir et à vérifier le fait chrétien dans notre deuxième section, nous aurons donc à faire totalement abstraction de l’autorité dogmatique de l’Ecriture-Sainte ; nous devrons nous passer dans notre opération apologétique de cet article de foi ; nous n’emploierons l’Ecriture qu’à titre-de document historique contemporain ou du moins fort rapproché des faits, afin que les résultats quelconques de nos recherches ultérieures sur la valeur canonique des documents primitifs du Christianisme, ne puissent pas invalider les résultats déjà acquis sur la réalité historique du fait lui-même.

Notre Introduction à la Théologie systématique ou Propédeutique comprendra donc trois sections intitulées : Méthodologie, Apologétique, Canonique.

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