Théologie Systématique – III. Prolégomènes et Cosmologie

Article III
Des limites de la connaissance de Dieu dans la révélation du salut en Jésus-Christ

Si Jésus-Christ est le révélateur parfait du Père, comme cela vient d’être montré, il peut sembler ici, encore une fois, que la connaissance de Dieu qu’il nous apporte soit parfaite comme lui-même, et qu’il ne soit plus possible de rien supposer au-delà. Quelle révélation peut-on concevoir supérieure à celle de Dieu lui-même manifesté en chair, du Fils de Dieu fait homme ? Et cependant, cette connaissance de Dieu en Jésus-Christ est encore affectée, d’après la révélation chrétienne elle-même, de limites qui sont destinées à disparaître. Elle est encore à la fois obscure — δι’ ἐσόπτρου — et fragmentaire — ἐκ μέρους — (1 Corinthiens 13.9-12), comparée à son degré de perfection : « Nous ne contemplons pour le moment, dit saint Paul, les réalités divines qu’en partie, et celles-là même comme dans un miroir ; » et de même que le disque lumineux du soleil couchant, qui reste suspendu quelque temps à l’horizon, n’est déjà plus que le reflet de l’astre lui-même, les images terrestres qui nous paraissent les plus adéquates à ces réalités supérieures, ne sont que les reflets lointains encore de la lumière divine et incréée.

Dans l’existence terrestre de Christ, la gloire divine est apparue sans doute, mais enveloppée encore de faiblesse et d’ignominie, et sa personne divine et humaine ne fut connue de ses disciples que selon la chair (2 Corinthiens 5.16). Dans l’existence glorifiée de Christ, sa nature humaine est exaltée jusqu’à l’état divin, mais cette gloire qui éclate déjà dans les lieux célestes, n’est pas encore manifeste sur la terre ; elle est ignorée ou contestée de la plus grande partie de l’humanité terrestre ; Jésus-Christ, personnellement victorieux et glorieux au siège de sa toute-puissance, combat et souffre encore dans ses élus et dans son Eglise jusqu’à la fin du monde. Nous ne le connaissons encore qu’en esprit (2 Corinthiens 3.17), et par la foi (2 Corinthiens 5.7), et nous attendons pour nous-mêmes l’état où nous verrons Dieu (Matthieu 5.8) et Jésus-Christ tel qu’il est (1 Jean 3.2), non seulement dans son essence qui est l’amour, mais dans la forme correspondante à cette essence qui est la gloire (Jean 17.24) ; où nous serons introduits dans cette lumière inaccessible jusqu’ici à toute créature (1 Timothée 6.16).

La révélation de Dieu en Jésus-Christ présente donc trois degrés de perfection croissante : sa révélation historique et terrestre ; sa révélation permanente et spirituelle dans l’âme des fidèles ; sa révélation à la fois spirituelle et visible dans l’épiphanie future de l’Homme-Dieu.

Notre connaissance de Dieu sera donc, pour ainsi dire, même après toutes les révélations que nous avons reçues, encore exotérique ; elle portera non pas sur l’essence intime, intrinsèque, ineffable en toute langue humaine (comp. 2 Corinthiens 12.4) et inaccessible à toute conception et même à toute représentation humaine ; mais sur cette essence révélée à des degrés d’approximation croissante dans l’espace et dans le temps ; l’essence divine qui s’exprime dans les différents noms que Dieu s’est donnés au cours de ses relations avec les hommes.

Ce que nous venons de dire toutefois, et les réserves que nous venons de faire à l’endroit de notre connaissance de Dieu, ne doivent point, nous nous hâtons de le dire, nous rendre suspectes les révélations que nous possédons, bien qu’elles aient dû emprunter, pour rencontrer nos organes, les catégories et les modes propres aux choses finies.

Nous ne donnons qu’en partie raison à Lipsius dans le passage déjà cité par nous, et que nous reproduisons ici :

« Notre représentation (des réalités divines) est affectée de toutes les inexactitudes et de toutes les impropriétés de langage que nous importons inévitablement dans nos définitions des choses transcendantes à notre expérience immédiate. C’est ainsi que nous introduisons les catégories de l’espace et du temps dans la définition de Dieu et des choses de Dieu, lorsque nous disons qu’il est infini, immatériel, présent partout, ou que nous déterminons comme faits distincts et successifs la grâce et la liberté, la révélation et la religion, par exemple ; ou encore que nous transformons en faits historiques et passés des actes divins permanents comme la créationk. »

k – Lipsius, Lehrbuch, section LXXIII.

Nous pensons que l’auteur confond ici à tort la connaissance qui prétend avoir pour objet Dieu en soi, et celle qui résulte des révélations concernant les relations de Dieu avec les êtres finis ; et si nous croyons, d’après les révélations scripturaires, que Dieu est réellement entré par son action dans l’espace et dans le temps, nos conceptions et nos formules qui nous représentent cette action déterminée par ces deux modes, ne sont pas pour cela entachées d’inexactitude.

Nous disons que nos représentations de Dieu et des choses de Dieu, pour autant qu’elles dérivent des révélations dont lui-même est l’auteur en même temps que l’objet, tout en étant imparfaites et incomplètes dans l’économie actuelle, sont vraies, justes, exactes. Mais de même que le foyer lumineux qui se promène à notre vue dans la partie des cieux que nous habitons, ne nous envoie ses trésors que décomposés en rayons, nous ne pouvons concevoir que divisées, juxtaposées l’une à l’autre les émanations du soleil des esprits qui les renferme toutes comme vivante unité dans son sein. Issues du πλήρωμα τοῦ θεοῦ qui habite en Christ σωματικῶς, nos connaissances sur Dieu n’épuisent pas l’être divin, mais elles ne le dénaturent pas non plus ; elles expriment en langues humaines et en représentations, pour ainsi dire, enfantines les mystères du monde supersensible ; et les anthropomorphismes même les plus grossiers en apparence de l’Ancien Testament, ceux qui lui sont le plus reprochés, ne sont que les traductions accommodées aux besoins et au niveau intellectuel et moral d’hommes plus charnels encore que nous ne le sommes, des vérités les plus nécessaires à connaître. Le terme même d’anthropomorphisme implique une critique injuste des formes de langage qu’il prétend désigner. Ce n’est pas le Dieu de la Bible qui est semblable à l’homme ; c’est l’homme qui est semblable au Dieu de la Bible ; et nous croyons très fermement, tout en faisant la part de l’immense distance qui sépare le fini de l’infini, que la ressemblance entre Dieu et l’homme est plus grande que nous ne le pensons ; que les anthropomorphismes de l’Ecriture sont en tout cas plus rapprochés de la vérité absolue que les effacements dont elle est l’objet dans les pâles abstractions de la philosophie.

La méthode de nos recherches dans la matière soumise actuellement à notre étude, ne sera que le corollaire des considérations que nous venons de présenter. Elle nous imposera une grande réserve dans nos déductions ; et plus d’une fois, nous allons rencontrer sur notre chemin des dualités dont les deux termes s’imposeront avec une égale autorité à notre esprit, et dont cependant il nous sera interdit de rechercher la synthèse.

Ces réserves faites, nous abordons notre sujet qui étant d’une manière générale la doctrine biblique de Dieu, nous paraît se diviser, toujours au point de vue de nos conceptions humaines, en deux sections traitant :

  1. De l’essence de l’Être divin ;
  2. Des déterminations de l’existence divine.

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