Introduction à la dogmatique réformée

VII.
L’autorité de l’Ecriture et le témoignage que lui rend le Saint-Esprit. Le canon du Nouveau Testament

A la question qui conclut le chapitre précédent, Calvin, suivi par les confessions de La Rochelle, des Pays-Bas, des Vaudois, répond : sans doute par la voix unanime de l’Eglise, mais surtout en dernière et suprême instance par le témoignage et la persuasion intérieure du Saint-Esprit.

C’est l’accord unanime de l’Eglise qui nous fait connaître le fait qu’il y a un canon scripturaire auquel elle se soumet et c’est le Saint-Esprit qui scelle cette affirmation de l’Eglise dans le cœur des fidèles par son témoignage créateur de la foi.

« C’est le principe qui discerne notre religion de toutes les autres : à savoir que nous savons que Dieu a parlé à nous et sommes certainement assurés que les prophètes n’ont pas parlé de leur propre sens, mais comme organes et instruments du Saint-Esprit ; qu’ils ont seulement annoncé ce qu’ils avaient reçu d’en haut. Quiconque donc voudra profiter des saintes Ecritures, qu’il arrête premièrement en soi-même que la Loi et les Prophètes ne sont point une doctrine qui ait été donnée à l’appétit ou volonté des hommes, mais dictée par le Saint-Esprit. Si on objecte, d’où c’est qu’on pourra savoir cela, je réponds que Dieu déclare et manifeste qu’il est auteur d’icelle tant aux disciples qu’aux docteurs, par la révélation de ce même Espritm. »

mCalvin, Com. in 2 Timothée 3.16.

On a critiqué cette réponse. Calvin aurait confondu le fait religieux de l’expérience chrétienne qui entend, ici et là, dans l’Ecriture, la voix de son Dieu, avec des questions purement scientifiques relevant de l’histoire et de la critique, comme sont l’intégrité des textes et les conditions dans lesquelles le canon fut sanctionné.

Cette critique n’est elle-même possible que parce que l’on perd de vue la double acception du mot canon.

Empiriquement, et abstraction faite de toute question de principe, on désigne par le terme de Canon de la Bible la liste des livres qui la composent. C’est ainsi qu’il y a deux canons de l’Ancien Testament : le canon hébreu reçu par les protestants, le canon dit Alexandrin reçu par les catholiques. Cela veut dire que certains écrits de l’Ancien Testament qui figurent sur la liste alexandrine sont absents de la liste hébraïque. C’est ainsi encore que, si l’on néglige les canons d’églises hérétiques orientales sans importance culturelle et dépourvues de rayonnement spirituel, on peut dire qu’il y a un canon du Nouveau Testament pour la chrétienté.

D’un autre côté, le terme de canon peut revêtir un sens dogmatique. Si l’on considère la Bible comme inspirée de Dieu, son canon aura une autorité normative. Il résulte de là que le terme de canonique est susceptible d’être pris en deux acceptions différentes.

Il peut signifier — comme dans la confession de La Rochelle — divin et normatif, et il peut signifier transmis par l’Eglise et reconnu par elle comme faisant partie de la liste des Ecrits authentiques de la Bible.

Dans cette seconde acception, il est parfaitement évident que le témoignage du Saint-Esprit ne fait pas connaître quelle est cette liste ni quel est le nombre, le titre et l’authenticité et l’étendue des ouvrages qui la composent. Et c’est dans ce sens que H. Bavinck reconnaît que le Saint-Esprit ne dépose pas sur la canonicité de tel ou tel écritn.

n – H. Bavinck, Geref. Dogmat. I, p. 642 (§ 154).

C’est là une question purement historique et qui doit être résolue selon les méthodes de la science critique. Pour savoir quels livres une Eglise reconnaît comme canoniques, ce n’est pas le Saint-Esprit, mais cette Eglise qu’il faut d’abord interroger.

Des théologiens du XVIIe siècle comme Quenstedto, Pierre Dumoulinp, etc., reconnaissent à l’envi que le catalogue des livres canoniques — le canon dans la seconde acception du terme — n’est pas « un article de foi surajouté aux autres qui sont contenus dans l’Ecriture ».

o – Voir des textes de ce théologien dans B.-B. Warfield, Calvin and Calvinism, p. 98.

p – Pierre Dumoulin, le Bouclier de la Foi, des livres apocryphes, sect. IV.

On peut avoir la foi qui sauve et ne pas connaître distinctement ou ne pas accepter intégralement le nombre des livres canoniques. Il serait absurde d’enseigner que les Nestoriens seront tous damnés pour ce motif.

Quand donc il s’agit de déterminer la canonicité dans ce sens scientifique, il n’y a pas d’autre voie que l’information expérimentale et la critique interne et externe, au sens littéraire. C’est le procédé que Calvin emploie dans ses commentaires sur les antilégomènes du Nouveau Testament (les écrits dont l’authenticité identifiée à la canonicité fut contestée dans les églises et par des docteurs des premiers siècles). Là, il use de la liberté critique, hors de laquelle il n’y a pas de connaissance scientifique, et il est bien obligé de constater que la rédaction de ces livres ne peut pas toujours être attribuée aux auteurs que la tradition leur assigne ou que, du moins, cette attribution est incertaineq.

q – Voir les Préfaces de Calvin aux Antilégomènes qu’il a commentés.

Mais il n’en demeure pas moins que Calvin et les églises réformées ont accepté le canon du Nouveau Testament tel que les conciles de Hippo Regius et de Carthage, vers la fin du IVe siècle, l’avaient reçu et que l’Eglise romaine qu’il s’agissait de réformer l’avait transmis. Etait-ce se montrer, en fait, les esclaves d’une tradition que l’on considère, en droit, comme un misérable produit de l’esprit humainr ?

rJülicher, Einleitung in das Neue Testament, 1906, p. 504.

C’est ici que, dans la dogmatique réformée, apparaît le rôle du témoignage du Saint-Esprit s’appliquant à la canonicité des livres saints, la canonicité au sens purement religieux.

La matière du présent chapitre et des deux suivants sera consacrée au témoignage du Saint-Esprit.

Cette Ecriture inspirée dont le protestantisme orthodoxe fait le principe externe de sa théologie se divise en deux parties : l’Ancien Testament et le Nouveau Testament. Chacune de ces deux parties est constituée par un corps d’écrits dûs à des auteurs secondaires, différents, composés en des temps divers et primitivement indépendants les uns des autres. Ce n’est que longtemps après leur rédaction qu’ils ont été inscrits sur une liste unique appelée canon. C’est ainsi qu’il y eut d’abord le canon juif, puis le canon des livres du Nouveau Testament.

Nous nous occuperons séparément de ces deux canons, parce que leur autorité n’est pas établie de la même manière pour le chrétien, le témoignage du Saint-Esprit nous parvenant plus immédiatement dans un cas que dans l’autre.

Parmi les protestants, l’école apologético-historique, même orthodoxe, veut établir le canon par la critique historique. Cette voie n’est qu’une impasse. Elle ne peut aboutir qu’à une connaissance conjecturale, réservée à une élite intellectuelle et dont la foi ne saurait se contenter.

Le raisonnement de Le Clerc au XVIIIe siècles, repris, peut-être, d’une manière indépendante au XIXe siècle, par Ritschl, a une valeur incontestable du point de vue humain. Il est certain que pour retrouver le christianisme originaire et authentique, il faut remonter à la source, ou du moins à une époque où la tradition sur le Christ était encore vivante ; certain que, pour le moins, les écrits incontestés du Nouveau Testament, qui forment le noyau solide du canon chrétien, satisfont à ce besoin, dans une grande mesure.

sLe Clerc, dans l’avant-dernière page de la préface, dont la pagination n’est pas numérotée, et que cet auteur a mise en tête de sa traduction du Nouveau Testament, imprimée à Amsterdam en 1703.

Mais pour la fidélité de la transmission des textes originaux, nous sommes à peu près complètement dépendants du témoignage de l’Eglise du IIe siècle et comme le Christ n’a laissé aucun écrit, la critique conjecturale devra s’efforcer de dégager l’enseignement authentique du Christ des altérations que lui auront fait subir la pensée des hommes des premières générations chrétiennes. Le vrai canon protestant serait la parole du Christ « notre seul maître », disait Eugène Menegoz. Le malheur est que ce canon est historiquement impossible à déterminer rigoureusement. L’histoire toute seule, sans axiome religieux, ne peut donner au protestant une autorité distincte de son « sens privé ». Finalement, les simples devront se contenter du « Professoren Christus » aux multiples et instables impersonnifications.

Quant au canon proprement dit du Nouveau Testament, il est présenté comme une création tardive de l’épiscopat en réponse à l’initiative de l’hérésiarque Marcion qui en aurait eu le premier l’idée. Au fond, il n’y a qu’une littérature chrétienne primitive, érigée par l’Eglise en un canon fermé, destiné à faire pendant au canon juif de l’Ancien Testament et à donner au vieux catholicisme une base plus ferme pour étayer sa tradition et sa regula fidei que l’exégèse allégorique des livres sacrés des juifs. Pour établir ce rôle de l’épiscopat dans la création du canon, on se sert d’un texte d’Origène (Proœm Lucæ) d’après lequel « les changeurs experts à l’essayage des monnaies » (οἱ δόκιμοι τραπὲζιται) n’ont pas admis (ἑνέκριναν) — d’après une autre lecture, n’ont pas examiné minutieusement (ἁνέκριναν) tous les nombreux évangiles existants, mais recueillirent seulement (επελέξαντο) « les quatre » que nous possédons. « L’Eglise de Dieu, conclut-il, préfère ces quatre à l’exclusion de tous les autres. » (τἁδέ τέτταρτα μόνα προκρίενι). On admet généralement que le critère employé fut l’origine supposée médiatement ou immédiatement apostolique de l’écrit.

Nous ne discuterons pas la question de savoir si les « changeurs essayeurs » d’Origène sont bien des évêques, comme le veut Jülicher. Cela nous semble douteux à cause d’un texte de son commentaire sur Matt.25.27 ; du fait que dans son Prœmium Lucæ, il attribue au peuple ancien le « charisme du discernement des esprits » et enfin parce qu’il croyait qu’il subsistait encore de son temps quelques rares chrétiens doués de ce don. Or, il ne pouvait ignorer que le nombre des évêques était considérable au moment où il écrivait. Nous ne nions pas non plus qu’à un moment donné on ait appliqué aux écrits contestés le critère d’apostolicité. Nous ferons seulement remarquer qu’il y a des textes et des faits qui montrent que ces écrits furent souvent reçus pour des motifs religieux et regardés comme canoniques bien qu’on reconnût pour tel d’entre eux qu’il n’était pas d’origine apostoliquet.

t – Voir note annexe 2.

Au fond, on ne peut faire, de l’aveu d’un prince de la critique, que des conjectures sur les facteurs qui concoururent à la formation du canonu.

u – Adolphe Harmack, Lehrb. d. Dogmengeschichte, p. 343.

Combien plus solide apparaît, au premier abord, la thèse de Rome. Le catholique romain ne connaît aucune hésitation sur la liste des écrits canoniques. Les contours de son Nouveau Testament sont exactement délimités par l’autorité infaillible de l’Eglise (décisions des conciles œcuméniques de Florence et de Trente). Malheureusement, l’autorité infaillible de l’Eglise est, nous l’avons vu, un colosse aux pieds d’argile. Une autorité ne décide rien qu’elle n’ait premièrement été reçue. Si le canon de la parole de Dieu s’appuie sur la décision de l’Eglise, sur quoi donc s’appuie l’autorité et l’infaillibilité de celle-ci ? Le Tu es Petrus est dans l’Evangile de Matthieu. Supposons un instant qu’il prouve ce que Rome veut qu’il prouve. Comment saurai-je que l’Evangile de Matthieu est inspiré, canonique et règle de foi ?

Même si nous faisons abstraction de cette objection liminaire, qui ne voit combien il est étrange de supposer, avec le système romain, qu’il y a une instance supérieure à une parole de Dieu, nécessaire pour légitimer cette parole dans l’esprit des croyants ?

Il est infiniment improbable qu’un texte immédiatement et totalement inspiré par Dieu ne puisse être reçu que premièrement il n’ait été authentifié par des hommes supposés sans doute infaillibles, mais dont on avoue pourtant qu’ils ne sont pas inspirés.

Si nous devons avoir un autre canon que notre subjectivité, force nous est donc de nous replacer dans la position des réformateurs et d’indiquer comme moyen de connaître le canon, non plus l’autorité hésitante de la critique, ni l’autorité juridique de l’Eglise, mais l’unanimité pratiquement réalisée à la fin du IVe siècle de la chrétienté et confirmée par le témoignage même du Saint-Esprit dans le cœur des fidèles.

Les controversistes romains exultent et croient nous embarrasser beaucoup quand ils nous objectent que les réformateurs et les premiers protestants ne pouvaient savoir que le canon du Nouveau Testament était complet et pur par un autre moyen que l’autorité infaillible de l’Eglise romaine dont ils tenaient ces pages sacrées.

Mais ce plaisir et cette attente seraient de courte durée si ces polémistes consentaient à regarder les choses comme elles se sont passées dans la réalité concrète, au lieu de rester dans les nuées de la spéculation.

Les réformateurs et les premiers protestants étaient certes des chrétiens et des chrétiens vivant sous l’obédience romaine plus au moins bien définie en Allemagne impériale, en France gallicane, en Angleterre dont les liens avec Rome était déjà assez lâches dès avant Henri VIII. C’est proprement de leurs églises nationales respectives, et plus rigoureusement des églises locales où ils ont grandi, qu’ils ont reçu les principes et les éléments du christianisme, y compris l’enseignement sur l’existence d’une Ecriture Sainte et d’un canon biblique.

Ces Eglises dont « l’état », le régime étaient « en ruines et démolitions », ne laissaient pas d’être « églises », branches malades, mais branches tout de même de cet arbre qu’est le « corps mystique du Christ ». Quand elles enseignaient, au milieu d’erreurs désolantes, quelque point de la vérité divine, elles pouvaient donc enfanter des âmes à la vie de la foi. Nous voulons dire que leur enseignement, dans la mesure où il se soumettait à la Parole de Dieu ; où il montrait le Christ et sa Parole ; où il se conformait à cette Parole, pouvait être scellé et était effectivement scellé dans l’âme des vrais fidèles par le témoignage du Saint Esprit.

Mais il importe de rendre à l’Eglise ce qui appartient à l’Eglise et au Saint Esprit ce qui appartient au Saint Esprit.

Ce qui appartient à l’Eglise, c’est de faire connaître. C’est par elle que les réformateurs ont connu l’existence d’une Ecriture Sainte, d’un Nouveau Testament, d’un Rédempteur, d’une incarnation, de la trinité sainte, du Père céleste. Ces hommes n’étaient donc pas des tables rases et n’ont pas voulu faire table rase du passé. Nés dans la catholicité chrétienne, ils ont pris leur point d’appui sur elle et ils y sont toujours restés.

Ce qui appartient au Saint Esprit, c’est de faire savoir, d’une certitude de foi divine à ceux qui entendaient l’enseignement de leur église particulière que celle-ci demeurait malgré tout un fait surnaturel et que certains de ces enseignements — le contenu du symbole, l’inspiration de l’Ecriture, le canon du Nouveau Testament — étaient l’affirmation de faits et d’enseignements divins. Ces réalités spirituelles, étant transcendantes à la raison et aux sens, ne peuvent être sues que par le moyen d’un organe surnaturel qui est la foi et la foi qui croit sur l’autorité de Dieu est le témoignage du Saint Esprit dont elle porte la marque d’origine.

Ce qui donnait et donne aux yeux des protestants orthodoxes une importance de premier ordre au témoignage unanime de l’Eglise en faveur du canon du Nouveau Testament, c’est le fait que Dieu produit dans leur conscience religieuse la certitude que l’existence de l’Eglise est un fait divin. Et cette certitude, il la produit par la prédication même de cette vérité qui est déjà une Parole de Dieu, et, comme telle, est susceptible d’être scellée dans l’âme des fidèles avant qu’ils aient lu l’Ecriturev. Cette Ecriture du Nouveau Testament leur est présentée par leur église particulière — la seule qu’ils connaissent immédiatement — comme s’appuyant sur le consensus de l’antiquité chrétienne qui, triomphant d’hésitations antérieures, s’établit à partir des conciles d’Hippo Regius et de Carthage, au IVe siècle. Les cas légèrement aberrants de quelques communautés hérétiques (monophysistes) ou de docteurs particuliers, sur des points de détails, sont insignifiants devant cet accord imposant. Par le consentement de l’Eglise nos réformateurs, leurs disciples immédiats et leurs successeurs sont portés à éprouver un respect profond pour les documents vénérables qui constituent le Nouveau Testament.

vCalvin, Com., in Actes 17.11.

Mais ils ne pouvaient pas, légitimement, même avant leur séparation d’avec Rome, asseoir une certitude de foi divine relativement au canon du Nouveau Testament tirée de la tradition de l’Eglise universelle, au sens où les docteurs tridentins veulent qu’elle soit reçue avec un respect égal à la Parole de Dieu, parce que cette tradition ne répondait pas aux critères exigés : quod semper, quod ubique, quod ab omnibus creditum.

Cette tradition avait à leurs yeux pratiquement le « cru partout et par tous ». Mais ils savaient très bien qu’elle ne pouvait invoquer le « toujours ». Calvin exégète n’ignorait pas, par exemple, les difficultés que l’épître aux Hébreux ou la deuxième de Pierre avaient éprouvées pour être admises dans le canon et il connaissait à peu près toutes les raisons péremptoires qui empêchent d’attribuer la rédaction de ces épîtres aux auteurs que la tradition a fini par leur assigner. Et Luther en savait sur cela autant que son brillant successeur.

Ils ne pouvaient légitimement asseoir cette foi sur la décision d’un concile œcuménique infaillible pour cette excellente raison qu’à leur connaissance du moins aucun concile œcuménique n’avait sanctionné le détail du canon. Le concile de Trente le fit bien. Mais ce fut, ou après la mort de tel des réformateurs, ou plusieurs années après qu’ils eussent consommé leur rupture avec Rome. Et quand le concile de Trente se réunit, ils avaient des raisons qui leur paraissaient — comme à nous, leurs successeurs — péremptoires pour refuser à ce concile la qualité d’œcuménique qu’il s’attribuait.

Ils ne pouvaient enfin appuyer leur foi sur la décision d’un pape parlant ex cathedra, à supposer qu’il en existât une. Le concile du Vatican ne s’était pas encore réuni et ce n’est que depuis 1870 que les catholiques romains savent qu’il est de foi romaine que de telles décisions doivent être considérées comme des articles de foi.

Est-ce à dire que les catholiques romains du temps de Luther et de Calvin ignoraient l’existence d’un Nouveau Testament ? Certainement non. Ceux qui étaient suffisamment instruits connaissaient très bien le fait et c’est dans le Nouveau Testament que Luther trouva la parole libératrice des terreurs qui assaillaient sa conscience. On lui avait dit que Dieu parlait par ce livre. Il alla. Il entendit et il crut. Il savait désormais, par une expérience immédiate que ses directeurs ne l’avaient pas trompé. C’est par là et sous cette forme que le témoignage du Saint Esprit se grava dans son âme.

Lorsque la détresse et la misère de l’Eglise devinrent évidentes aux yeux de Zwingle sous la forme de l’invasion des superstitions païennes à Einsiedeln, sous l’aspect du mercantilisme judaïsant aux yeux de Luther, c’est vers le Nouveau Testament que nos premiers réformateurs se tournèrent comme autrefois Pierre vers Jésus, parce que l’Esprit de Dieu leur montrait que ce livre contenait les paroles de la vie éternelle.

Mais une difficulté se présentait à laquelle ils durent, sous la pression du moment, trouver une réponse. C’est dans le Livre réformateur lui-même que leurs adversaires cherchèrent des armes pour défendre les erreurs dont il s’agissait de purifier l’Eglise. Au sola fide de Luther, on opposa l’épître de Jacques. Zwingle combattait l’intercession des anges : on lui montra dans l’Apocalypse l’ange qui faisait monter vers le ciel les prières des fidèles dans la fumée de l’encens.

Dans ces conjonctures dont ils s’exagéraient à tort la difficulté, les deux premiers réformateurs ne virent d’autre ressource que de distinguer, dans l’enseignement de l’Ecriture, entre ce qui est canonique et ce qui ne l’est pas : le critère de Zwingle était la gloire de Dieu. Celui de Luther, le plan du salut. C’était, sans qu’ils le voulussent, — leur attitude ultérieure contre les illuminés l’a montré, — introduire le subjectivisme au cœur du principe formel de la Réforme. On leur en fait grand honneur chez les modernes. Pour notre part, nous ne pouvons que déplorer cette lourde erreur des premiers pionniers de la Réforme. Mais nous ne leur jetterons pas la pierre. Ils ont rendu trop de services à la paix des consciences et à la pureté du culte rendu à Dieu pour que nous n’honorions pas leur mémoire.

Leur manque de sang-froid les a empêché de percevoir le témoignage du Saint Esprit dans toute sa plénitude. Le génie courageux et mesuré tout à la fois du Réformateur de Genève devait rétablir la situation. Il avait d’ailleurs l’immense avantage de venir après Luther et Zwingle et d’avoir pu mesurer toute l’étendue du danger dont les « esprits fantastiques » menaçaient l’avenir de la Réforme.

Suivant l’exemple de notre réformateur, nous partons de deux faits contrôlables immédiatement : il existe un Nouveau Testament reconnu par l’Eglise romaine au sein de laquelle sont nés les réformateurs, comme donné par inspiration divine, et dont la Parole qu’il contient doit être reçue, de son propre aveu, comme un enseignement procédant de Dieu et non des hommes. Ce témoignage de l’Eglise latine est corroboré par celui de l’Eglise d’Orient, abstraction faite, pour des points de détail, de communions hérétiques.

Nous savons bien que l’accord en question, dans le cas des deutéro-canoniques du Nouveau Testament ne s’est pas établi du premier coup.

La formation du canon tel que nous le possédons est le résultat d’un développement historique lent et graduel dont les synodes d’Hippone et de Carthage indiquent pratiquement l’aboutissement.

Nous estimons qu’on peut se représenter ce développement de la manière suivante. Les églises ont d’abord lu en public les écrits que leurs conducteurs et le peuple reconnaissaient comme prophétiques ou charismatiques en raison de leur origine apostolique et, à défaut, de leur antiquité et de leur utilité, donc de la valeur intrinsèque qu’ils avaient comme témoins historiques ou comme instruments d’édification. Plusieurs de ces écrits ne figurent plus dans le canon actuel. Seuls ne demeurèrent en première ligne que ceux dont l’origine apostolique était solidement établie par une tradition constante. En seconde ligne, figuraient ceux qu’on n’aurait pu rejeter sans froisser la piété dont ils étaient l’objet de la part de frères dont on tenait à ménager les sentiments. L’origine apostolique au moins médiate supposée fut sans doute un facteur important. Mais il ne fut pas avant 265, une condition sine qua non. La preuve en est que nous voyons l’évêque Denys d’Alexandrie, mort à cette date, précisément pour ménager le sentiment d’hommes qu’il respectait, chercher à sauver la canonicité de l’Apocalypse en l’attribuant à un autre Jean que Jean l’apôtrea.

aEusèbe Hist. Ecc. VII. 25. Voir note annexe 2.

L’accord en question est donc l’aboutissement d’un processus historique, mais rien désormais ne peut empêcher que cet aboutissement ne soit ce qu’il est.

L’individu, le savant, peut bien constater que, dans ce canon, il y a des parties secondaires moins solidement attestées par la critique externe que d’autres. Mais il doit reconnaître que le bloc s’est cimenté et qu’il s’est imposé finalement à l’acceptation de la foi de l’Eglise. Elle a reconnu et reconnaît que son Dieu lui parle dans et par cette Ecriture Sainte.

A ce fait social, on ne peut rien changer : l’Eglise a reçu le canon du Nouveau Testament tel qu’il est aujourd’hui, comme la synagogue lui avait légué le canon hébraïque.

On ne peut pas refaire le canon, parce qu’on ne peut pas refaire l’histoire. Le concile de Trente en a fait l’humiliante expérience quand il a voulu ajouter les apocryphes au canon hébraïque.

L’existence du Nouveau Testament : voilà donc le premier fait.

Mais on peut demander, celui surtout qui ne croit pas que l’Eglise ait qualité pour conférer son autorité à la Parole de Dieu, peut demander : d’où donc ce canon tire-t-il son autorité ?

A cette question nous répondons par un autre fait, d’ordre spirituel celui-là, et qui s’atteste immédiatement à notre connaissance.

Lorsque l’Eglise nous dit que Dieu parle dans le Nouveau Testament comme il parlait autrefois à son peuple élu dans la Loi et les Prophètes, elle n’a aucune difficulté à nous faire sentir la vérité de son assertion. Pour nous en persuader, elle peut avec confiance nous renvoyer à la méditation de l’enseignement qu’il contient : tout chrétien ne peut manquer d’être touché du caractère divin qui y est imprimé et qui y resplendit.

Ce sentiment immédiat de la présence d’une révélation divine, d’un message qui éveille dans le cœur du fidèle la confiance, est certes une manifestation du témoignage du Saint Esprit. « Mes brebis entendent ma voix et elles me suivent. » Mais ceux chez qui il se réduit à cela, comme c’est d’ailleurs souvent le cas, ou bien restent encore en dehors de la foi protestante ou bien, croyant être des hommes de progrès, ne font que remonter à la proto-histoire de la dogmatique protestante, au premier stade de Luther et de Zwingle. Calvin connaissait, lui aussi, ce sentiment, lui qui disait qu’on reconnaissait la divinité de l’Ecriture comme on reconnaît le doux de l’amer, le blanc du noirb. Mais ce qui fait de lui le théoricien génial de la doctrine du témoignage du Saint Esprit, c’est que son analyse plus pénétrante a su démêler un autre fait dont il a, croyons-nous, donné le premier la formule théologique, parce qu’il a vu, le premier, à quelle condition unique, la conscience chrétienne pourrait s’assurer une norme véritablement formelle qui l’affranchirait de la tyrannie des clercs et des égarements du subjectivisme individualiste.

bCalvin, Inst., 1.7.2

Sous la forme de sentiment immédiat de la divinité du message chrétien dans son sens général, le témoignage du Saint Esprit ne suffit pas à nous garantir contre les égarements du subjectivisme individualiste en nous donnant une norme divine extérieure. La raison en est que la faiblesse de notre intelligence ne permet pas de tout saisir exactement et que ce qui subsiste de la corruption du cœur rend certaines parties du message antipathique, scandaleux, ou tout au moins inefficace, alors que d’autres en goûtent la saveur divine.

Dès lors, le chrétien court le risque de chercher des remèdes à ces défauts soit dans l’illuminisme, — et le mal ne fera qu’empirer, — soit dans la soumission aveugle à une autorité ecclésiastique prétendue infaillible et il aliène la liberté que le Christ lui a acquise au prix de son sang, pour se soumettre au gré de ses tendances subjectives ou des hasards de sa naissance, à Rome ou à Byzance, à quelque chose de moindre encore, selon le cas.

Ceux à qui Dieu fait la grâce de donner une claire vision de ces deux écueils et qui savent, par l’expérience immédiate que nous avons dite, que Dieu leur parle dans le Nouveau Testament de l’Eglise, sont alors les objets d’une grâce nouvelle. Il se vérifie en eux la promesse du Christ : à celui qui a, il sera donné davantage.

Par l’enseignement de l’Eglise d’abord, par contact personnel ensuite, ils ont déjà appris que Dieu parle dans le Nouveau Testament. Ils savent par la foi que là est une Parole de Dieu ; que le processus historique qui a donné l’existence à ce joyau unique de l’ancienne littérature chrétienne n’est que le moyen humain par lequel Dieu a fait don à son Eglise de ce trésor.

Maintenant leur foi en l’autorité matérielle d’un contenu plus ou moins étendu de l’Ecriture du Nouveau Testament est métamorphosée en une foi plus complète. Ils ont reconnu que les-auteurs des écrits du Nouveau Testament se présentent comme les dépositaires, les témoins et les interprètes d’un enseignement donné par le Christ et sur le Christ qu’ils se reconnaissent le droit de transmettre à leurs lecteurs.

Comment connaîtrions-nous cet enseignement sans eux ? Et, les ayant à notre disposition, comment saurons-nous qu’ils sont compétents et fidèles ?

La voie de la tradition ecclésiastique orale à travers les siècles, pour mener à la connaissance du Christ est exclue, exclue par l’expérience qui nous en fait voir les déformations et les excroissances, exclue par le Christ lui-même d’après le témoignage des évangélistes qui nous le montrent condamnant les traditions des pères, quand elles s’opposent à la Parole de Dieu écrite, de laquelle seule il est dit, quand il s’agit du passé, qu’elle ne peut être anéantie (Romains 9.8).

La voie par une illumination intérieure indépendante de la Parole est exclue. On ne peut s’y fier car il y a telle lumière qui est trompeuse. Il n’est pas nécessaire d’être très versé dans l’histoire des sectes et des hérésies pour savoir cela. D’ailleurs, au témoignage des évangélistes, le Christ nous a mis en garde contre les illusions possibles de notre sens naturel (Matthieu 6.23), et il a enseigné que la connaissance du Christ n’est possible qu’à celui à qui il la communique (Luc 10.22).

Mais, encore un coup, comment avoir l’assurance de la fidélité et de l’autorité des témoins qui rendent le Christ présent à notre intelligence et à notre cœur ?

Par la science critique et historique ? Mais, au mieux, une telle science ne pourrait nous donner que des probabilités. Et la foi ne peut vivre de probabilités. « Or, dit l’Institution, si nous voulons bien pourvoir aux consciences, à ce qu’elles ne soient point tracassées sans cesse de doutes et légèretés, qu’elles ne chancellent point, n’hésitent point à tous scrupules, il est requis que la persuasion que nous avons dite soit prise de plus haut que de raisons humaines ou jugements ou conjectures, à savoir du témoignage secret du Saint Espritc ». Seul Dieu peut donner autorité à sa Parole.

cInst., 1.7.4

Or, c’est ce qu’il fait à l’égard de ceux qui ont renoncé à tout appui humain pour se confier uniquement en Celui qui ne manque jamais dans la nécessité.

Au contact du Nouveau Testament, Dieu crée en ceux qu’il a ainsi disposés la foi en l’autorité formelle de ce corps d’écrits que l’Esprit Saint a donné à l’Eglise.

« Etant donc illuminés par la vertu d’icelui, déjà nous ne croyons pas ou à notre jugement, ou à celui des autres que l’Ecriture est de Dieu ; mais par-dessus tout jugement humain nous arrêtons indubitablement qu’elle nous est donnée de la propre bouche de Dieu par le ministère des hommes : comme si nous contemplions à l’œil l’essence de Dieu, en icelle.d »

dInst., 1.7.35

Une telle foi est la démonstration de ce que l’œil de la chair ne voit pas. Elle est le fondement de l’expérience infinie ; elle est le sceau et l’arrhe du Saint Esprit dans le domaine noétique. Celui qui la possède, pendant qu’il la possède, ne peut rigoureusement pas douter. Qu’on vienne lui demander alors : « Qui est-ce qui nous persuadera qu’on reçoive un livre sans contredit en rejetant l’autre, si l’Eglise n’en donnait point règle infaillible ? » et il lui apparaîtrait qu’une question de ce genre ne peut être posée « sans grande moquerie du Saint Esprite ». Le canon du Nouveau Testament lui apparaît, à la lumière de la foi, comme une création de Dieu par le ministère anonyme d’hommes dont les mains sont depuis des siècles tombées en poussière : On ne corrige pas un chef-d’œuvre du passé ; on ne profane pas un sanctuaire d’où monte le credo des adorateurs.

eInst., 1.7.1

Devant l’Ecriture, le fidèle doit s’incliner comme s’il contemplait de ses propres yeux Dieu dans sa majesté et comme s’il l’entendait parler.

Dieu sait bien qu’il demande aux ignorants et aux savants quelque chose qui dépasse totalement leurs forces. Les premiers ne savent pas ce qui leur manque de connaissances et les seconds croient en savoir plus qu’il n’en faut pour cela.

Mais le fidèle voyant l’impossible réalisé avec une ardeur surnaturelle et sous l’impulsion d’une vertu « qui ne peut être que divine », et cela en lui et dans ceux qui, comme lui, ont les yeux ouverts sur les dangers de droite et de gauche, perçoit immédiatement que « c’est Dieu qui agit en nous de cette sorte par son Saint Esprit ».

C’est donc la puissance de l’action de Celui qui agit en causant la foi à l’Ecriture, qui constitue le témoignage du Saint Esprit relativement au canon. Et c’est, en particulier, sur ce témoignage qu’est fondé le Nouveau Testament, qui d’ailleurs abonde partout en « notes » de divinité.

Cette méthode purement religieuse d’établir l’autorité de l’Ecriture permet de dépasser celle de l’historicisme représentée du temps de Calvin par Carlstadt. Mais elle n’est accessible qu’après certaines expériences historiques qui montrent ce qu’il y avait de sommaire, de décevant dans l’attitude primitive de Luther et de Zwingle. Pour percevoir le témoignage du Saint Esprit au sens où l’entendait Calvin et où les fidèles de son temps l’ont perçu, une certaine préparation psychologique était nécessaire. Elle avait manqué aux premiers réformateurs.

A partir du moment où la foi a reçu cette préparation, elle sait par le témoignage et la persuasion intérieure du Saint Esprit que le canon des Ecritures a été donné par Dieu à l’Eglise pour la conduire dans la vérité et lui permettre de se réformer selon cette norme divine. En d’autres mots, la vérité dont l’éclat divin brille à ses yeux et qui apaise le doute par sa vertu intrinsèque, est celle-ci : le corps des Ecritures dont l’Eglise est la gardienne, est la Parole de Dieu ; une affirmation de l’Ecriture, même si elle choque la raison ou la sensibilité subjectives, doit être reçue sur la seule autorité de Dieu enseignant par l’Ecriture.

Exemple : un chrétien réformé doute-t-il du bien fondé de la doctrine de l’élection et de la réprobation ; se demande-t-il si le synode de Dordrecht a raison contre les arminiens ? Il ne cherchera pas son refuge dans un conformisme doctrinal qui érigerait un synode, si vénérable fût-il, en norme suprême. Il interrogera l’Ecriture et quand il sera convaincu avec Reuss « que ce n’est pas par des raisons exégétiques qu’on réfutera jamais les canons de Dordrecht », il les acceptera quoiqu’il puisse en coûter à sa raison ou à sa sensibilité.

Le témoignage du Saint-Esprit, qui lui atteste, qui fonde et qui scelle l’autorité de l’Ecriture et qui le guide dans l’étude qu’il en fait, est ainsi d’abord une cause et non une raison. Mais il devient la raison suprême quand celui qui croit prend conscience qu’il est agi par le Tout Puissant et qu’il a atteint le repos parfait de l’esprit et du cœur dans l’obéissance.

La foi n’est donc jamais aveugle car elle est précédée d’une adhésion fort raisonnable à une expérience sensible de la majesté de la Parole de Dieu. Elle connaît son objet et en apprécie la divinité tant qu’elle n’est qu’opinion bien fondée en expériencef.

f – C’est pourquoi Calvin dit que la foi consiste plus en certitude qu’en appréhension. Le terme appréhension signifie précisément une opinion conçue d’après des données sensibles.

Et quand elle devient foi d’autorité divine, elle ne cesse pas, au contraire, de connaître ce qu’elle croit. Mais elle embrasse l’objet connu et aimé avec une force d’adhésion dont le sujet a conscience qu’elle dépasse ses propres forces et qu’elle est divine.

Pour nous résumer sur ce point, nous dirons que le fidèle n’est pas placé devant cette alternative : ou l’autorité objective de Dieu parlant dans l’Ecriture ou l’autorité subjective de l’expérience religieuse lui faisant reconnaître ici et maintenant que Dieu parle. Il y a très certainement une expérience subjective. Mais cette expérience subjective renvoie à la réalité objective qu’est Dieu parlant dans l’Ecriture et qui est la source de cette expérience subjective. Et quand celle-ci a amené ainsi le sujet à renoncer à lui-même, à sortir de lui-même et oublier même son expérience pour s’attacher à la seule autorité objective qui soit digne de ce nom, naît la foi. Celle-ci n’a d’autre point d’appui que l’autorité de Dieu, concrètement de l’Ecriture, Parole de Dieu. La foi en l’autorité formelle de l’Ecriture est bien encore un acte du sujet, l’acte de croire, de se confier, mais un acte qui implique la conscience qu’il est, comme acte, un don parfait, une grâce éminente et divine, la grâce de croire que l’Ecriture est le juge suprême nécessaire et suffisant des controverses en matière de foi, parce que c’est Dieu qui parle par elle.

La confession de La Rochelle invoque le même fait expérimental au sens où l’avait éprouvé le chef désormais reconnu des réformés. Cela explique qu’elle peut sans contradictions dresser la liste des livres canoniques et en appeler au témoignage du Saint-Esprit pour les discerner des autres livres ecclésiastiques (Les Apocryphes). Le canon est considéré comme un tout comprenant l’Ecriture Sainte dans son intégrité (art. III au début. Sur l’erreur de Reuss, Sam. Berger et d’autres à propos de l’attitude de Calvin à l’égard de l’Apocalypse et des deux dernières épîtres de Jean, voir B.-B. Warfield, Calvin and Calvinism, p. 48-53).

De ce point de vue les facteurs contingents de l’histoire du canon du Nouveau Testament dont l’école moderne fait si grand cas perdent l’importance dogmatique qu’on voudrait leur donner : quelles qu’aient été les circonstances qui ont concouru à la formation du canon, une chose est certaine, c’est que les hommes, avec leurs hésitations, leurs erreurs, leurs intentions bonnes ou mauvaises, leur fidélité aussi et l’héroïsme de leur foi, n’ont été que des instruments que Dieu a voulus anonymes et donc sans autorité connue. C’est par leurs mains qu’il a fait don à l’Eglise du Novum. Jamais l’Eglise n’a été sans une Ecriture canonique : elle a toujours eu l’Ancien Testament. Jamais elle n’a subsisté un instant sans professer la doctrine dont le Nouveau Testament nous conserve le trésor et dont la regula fidei n’est que le résumé fidèle et, au moment marqué par la Providence divine, à l’heure où la tradition doctrinale devenait hésitante et s’altérait, l’Eglise a reconnu la divinité du canon chrétien. Elle ne l’a pas promulgué dans des assises œcuméniquesg. De simples conciles provinciaux, à la vérité considérables, Hippone, Carthage, ont enregistré et confessé la foi commune. Les Eglises réformées de France, des Pays-Bas, d’Angleterre, n’ont pas fait autre chose. Aucun concile, aucun synode, aucune Eglise ne peut conférer l’autorité à une Parole qui fonde toute autorité parce qu’elle émane de Dieu et qu’elle s’atteste par le sceau de l’Esprit de Dieu comme Parole de Dieu.

g – Jülicher, après avoir reconnu que ce serait une vue fausse que de considérer que les écrits du Nouveau Testament actuel aient été élevés du rang de livres ordinaires à la dignité de documents divins par un coup de majorité conciliaire (Einleit6, p. 432) nous parle pourtant de « canonisation ». Mais quand il s’agit de celle-ci dans l’Eglise de Rome, il ne peut nous indiquer que des assemblées dans le genre du « Synode » tenu sous la présidence de Damase en 382. Le canon du Nouveau Testament de ce synode est conforme au nôtre. Mais ledit synode était si peu un concile universel ayant autorité sur toutes les églises que l’auteur dans la même page de son livre (p. 492), nous signale que l’évêque de Brescia Philostrate, grand pourchasseur d’hérétiques, en l’an 385, passe sous silence dans son catalogue l’épître aux Hébreux et l’Apocalypse. Cela est d’autant plus significatif qu’il tiendrait la première pour paulinenne et la seconde pour apostolique. L’histoire de la prétendue épître de Paul aux Laodicéens (Ibid., p. 494) est encore plus significative.

Le sens commun suffit à faire comprendre que la tradition orale relative à la personne et à l’enseignement du Christ ne pouvait, sans un miracle constant, se conserver dans une pureté suffisante qu’à condition d’être mise par écrit : verba volant, scripia manent.

L’instinct chrétien présuppose axiomatiquement qu’aussi vrai que le Christ est la révélation de Dieu à l’Eglise, aussi vrai Dieu a dû pourvoir à ce que la tradition orale devenue écrite nous conserve dans la mesure où la chose est nécessaire, une documentation nous transmettant purement les traits essentiels de cette révélation.

C’est ainsi qu’un Nouveau Testament apparaît comme nécessaire.

L’Eglise, gardienne des Ecritures, a pour fonction de nous montrer où est ce Nouveau Testament, de nous en faire connaître la substance et de nous en faire voir les marques de divinité.

Le Saint-Esprit seul peut élever à la hauteur d’une certitude de foi divine ces données du sens commun et du témoignage de l’Eglise.

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