Ignace et Polycarpe

4. Contenu doctrinal

Nous n’avons pas l’intention de faire ici un exposé systématique des doctrines théologiques d’Ignace. Notons seulement qu’il est avant tout un disciple de saint Paul, dont il semble connaître à fond toutes les épîtres : si les citations directes qu’il en fait sont assez rares, les réminiscences en sont continuelles. Ses lettres sont littéralement saturées d’idées et d’expressions pauliniennes. Comme l’apôtre des Gentils, il combat le judaïsme et les judaïsants. Mais les deux points sur lesquels il concentre tous ses efforts sont, d’une part, la hiérarchie ecclésiastique, et, d’autre part, la réalité de la nature humaine et de la vie terrestre de Jésus-Christ, en opposition avec le docétisme. En même temps qu’il appuie, avec tant d’insistance, sur l’humanité de Jésus-Christ, il affirme non moins nettement sa divinité : le Christ est pour lui notre Dieu. La formule que l’Église fixera plus tard dans les symboles, vrai Dieu et vrai homme, eût pu servir dès lors de résumé à la christologie d’Ignace. L’Eucharistie est pour lui un remède d’immortalité, un antidote contre la mort (Éph.20.2) ; si les docètes s’en abstiennent, c’est, dit-il, parce qu’ils ne veulent pas reconnaître, dans l’Eucharistie, la chair de Jésus-Christ notre Sauveur (Smyrn.7.1).

Mais au lieu d’un exposé théorique des doctrines d’Ignace, qu’on peut trouver très complet dans les ouvrages d’H. de Genouillac (L’Église chrétienne au temps de S. Ignace d’Antioche, Paris, 1907) et surtout d’E. v. d. Goltz (Ignatius von Antiochien als Christ und Theologe, dans Texte und Untersuchungen, 1894), nous avons préféré grouper tout simplement, autour des principaux points de la doctrine chrétienne, les passages qui s’y rapportent, en gardant autant que possible les termes mêmes de S. Ignace. Le lecteur pourra ainsi se faire, par lui-même, une idée exacte de la théologie d’Ignace, dont il aura les éléments sous les yeux comme dans une sorte de tableau synoptique. Naturellement, avec un auteur qui effleure au passage tant de sujets différents que ses lettres sont souvent un véritable chaos, nous n’avons pas la prétention d’être complet ; nous nous bornerons aux points principaux.

On trouvera peu de renvois à l’épître aux Romains ; c’est que cette épître n’est pas, comme les six autres, une série d’enseignements et de conseils, mais une simple requête adressée aux fidèles de Rome.

Unité de Dieu.

Il n’y a qu’un Dieu, qui s’est manifesté par Jésus-Christ, son Fils, qui est son Verbe sorti du silence : Magn.8.2

Trinité.

Le Saint-Esprit.

Divinité de Jésus-Christ.

Réalité de l’incarnation et de la vie terrestre de J.-C., contre les docètes.

La rédemption et ses conséquences.

Le plan éternel de Dieu est de délivrer l’homme de la tyrannie du diable, le prince de ce monde ; déjà, dans le judaïsme, Dieu préparait, par le ministère des prophètes, l’exécution de ce plan (Philad.5.2 ; 9.1-2), mais c’est par Jésus-Christ qu’il le réalise complètement.

Merveilleux effets de l’apparition de Jésus sur la terre (Éph.19.3, très belle description). J.-C. est mort pour nous (Trall.2.1) ; il a souffert pour nous sauver (Smyrn.2.1) ; il est « mort pour nous, ressuscité à cause de nous » (Rom.6.1) ; il a été cloué à la croix pour nous (Smyrn.2.1).

C’est au fruit de sa croix (implicitement comparée à l’arbre de vie) que nous devons la vie (Smyrn.1.2). Le vrai chrétien est un rejeton de la croix (Trall.,11.2). La croix est l’instrument avec lequel J.-C. nous élève (Éph.11.1). La croix est un scandale pour les incrédules, mais pour nous le salut et la vie éternelle (Éph.18.1).

Par sa résurrection, J.-C. a levé son étendard pour grouper tous les hommes (Smyrn.1.2). J.-C. est la tête, les chrétiens sont les membres (Trall.11.2 ; cf. Éph.4.2).

J.-C. est notre Sauveur (Éph1.1) ; notre commune espérance (Éph.21.2) ; l’inséparable principe de notre vie (Éph.3.2) ; notre éternelle vie (Magn.1.2) ; l’unique médecin (Éph.7.2) ; la bouche infaillible par laquelle le Père a vraiment parlé (Rom.8.2) ; notre unique maître (Éph.15.1 ; Magn.9.2) ; le maître qu’attendaient les prophètes (Magn.9.3) ; le grand-prêtre, chargé du Saint des Saints, … la porte qui mène au Père, et par laquelle entrent Abraham, Isaac, etc. (Philad.9.1).

Eucharistie.

Le sang de Dieu (Éph.1.1) ; le sang de J.-C. (Philad. suscr.) ; — la chair et le sang de J.-C. (Smyrn.12.2). — Dans ces trois passages, la signification eucharistique des mots chair et sang est très douteuse. L’Eucharistie de Dieu : Éph.13.1

Rompant tous un même pain, ce pain qui est un remède d’immortalité, un antidote contre la mort (Éph.20.2). Je veux le pain de Dieu, qui est la chair de Jésus-Christ, et pour breuvage je veux son sang, qui est l’amour incorruptible (Rom.7.3).

La foi, qui est la chair du Seigneur, et la charité, qui est le sang de Jésus-Christ (Trall.8.1, signification eucharistique discutée).

Unité de l’Eucharistie et unité de l’Église (Philad.4, très important).

Les docètes s’abstiennent de l’Eucharistie parce qu’ils ne veulent pas reconnaître en elle la chair de J.-C. (Smyrn.7.1).

Ne regarder comme valide que l’Eucharistie célébrée sous la présidence de l’évêque ou de son délégué (Smyrn.8.1). Il n’est pas permis de célébrer l’agape en dehors de l’évêque (Smyrn.8.2).

L’Église.

1° La hiérarchie ecclésiastique.

Les évêques, établis jusqu’aux extrémités du monde (Éph.3.2).

L’évêque est, pour ainsi dire l’incarnation de son église : « c’est bien vous tous que j’ai reçus en la personne d’Onésime » (Éph.1.3) ; — « c’est votre église entière que je contemple en la personne de Polybe » (Trall.1.1).

C’est la puissance même de Dieu le Père qu’on doit révérer dans l’évêque (Magn.3.1). Il faut craindre l’évêque et le regarder comme le Seigneur lui-même (Éph.6.1). Comme J.-C. est la pensée du Père, ainsi les évêques ne sont qu’un avec l’esprit de J.-C. (Éph.3.2).

On ne doit avoir avec son évêque qu’une seule et même pensée (Éph.4.1). Il faut avoir toujours en vue Dieu et l’évêque (Smyrn.9.1). Tromper l’évêque, c’est tenter de mentir à Dieu (Magn.3.2). La soumission à l’évêque est une des conditions de la sanctification (Éph.2.2) et de la soumission à Dieu (Éph.5.3)

Être soumis à l’évêque comme à J.-C, et au presbytérium comme aux apôtres (Trall.2.1-2 ; Éph.20.2 ; Magn.2). Tout ce que l’évêque approuve est également agréé de Dieu (Smyrn.8.2). Efficacité de la prière de l’évêque unie à celle de l’église entière (Éph.5.2).

Ne rien faire sans l’évêque (Magn.4 ; Philad.7.2) ; sans l’évêque et les presbytres (Magn.7.1) ; sans l’évêque, les presbytres et les diacres (Trall.7.2). Ne rien faire, sans l’évêque, de ce qui concerne l’Église : eucharistie, agape, baptême (Smyrn.8.1-2).

L’évêque ne doit rien laisser faire sans son autorisation (Polyc.4.1). On ne doit contracter mariage qu’avec l’approbation de l’évêque (Polyc.5.2). Agir à l’insu de l’évêque, c’est servir le diable (Smyrn.9.1). Vigilance de l’évêque au temporel comme au spirituel (Polyc.1.2).

Pas trop de familiarité avec l’évêque, même jeune (Magn.3.1).

Union du presbytérium et de l’évêque comparée à celle des cordes et de la lyre (Éph.4.1). Soumission à l’évêque, au presbytérium et aux diacres (Smyrn.8.1).

C’est spécialement le devoir des presbytres d’encourager l’évêque (Trall.12.2). Le collège des presbytres, précieuse couronne spirituelle (Magn.13.1).

L’évêque tient la place de Dieu, les presbytres représentent le sénat des apôtres, les diacres sont chargés du service de J.-C. (Magn.6.1). Sans l’évêque, les presbytres et les diacres, il n’y a point d’Église (Trall.7.1).

Devoirs envers les diacres, l’évêque et les presbytres (Trall.3.1). Devoirs des évêques (Polyc. 1 à 5). Devoirs des diacres (Trall.2.3).

2° L’Église et son unité.

L’Église est un corps un : c’est pour grouper tous les peuples dans ce corps unique que J.-C. a arboré son étendard (Smyrn.1.2).

Incorruptibilité de l’Église (Éph.17.1).

Dieu est unité, et son unité est le symbole de celle qui doit régner dans l’Église (Magn.7.2 ; Trall.2.2 ; 11.2). C’est l’unité qui doit faire régner l’harmonie universelle (Éph.5.1).

L’unité de l’Eucharistie, symbole de l’unité de l’Église (Philad.4). L’unité en tout (Magn.1.2 : beau passage). L’unité prêchée par l’Esprit (Philad.7.2). L’unité est le plus grand de tous les biens (Polyc.1.2) ; ne laisse aucun accès aux loups (Philad.2.2) ; doit être à la fois extérieure et intérieure. (Magn.13.2).

Il n’y a de bon que ce que l’on fait en commun (Magn.7.1). Fuir les divisions (Philad.2.1). Quiconque suit un fauteur de schisme, se prive de l’héritage du royaume de Dieu (Philad.3.3).

Les fidèles sont les pierres du temple du Père (Éph.9.1) ; ils sont tous compagnons de route (Éph.9.2) ; ils font partie du même chœur (Éph.4.1-2).

Nécessité de fréquenter les assemblées de l’Église (Éph.5.2). Importance des assemblées fréquentes (Éph.13.1 ; cf Polyc.4.2).

Hérétiques et schismatiques.

Ce sont des bêtes féroces, des chiens enragés, qui mordent traîtreusement (Éph.7.1) ; difficilement guérissables (Éph.7.1) ; difficiles à convertir (Smyrn.4.1) ; des bêtes féroces à figure humaine (Smyrn.4.1) ; des loups ravisseurs (Philad.2.2) ; des empoisonneurs (Trall.6.2) ; des stèles funéraires et des tombeaux (Philad.6.1) ; des herbes du diable (Éph.10.3) ; des rameaux parasites et dangereux, portant des fruits de mort ; ils n’ont pas été plantés par le Père (Trall.11.1) ; ils iront au feu inextinguible, eux et ceux qui les écoutent (Éph.16.2) ; il faut les éviter et se contenter de prier pour leur conversion (Smyrn.4.1).

L’hérésie est l’onguent empesté du prince de ce monde (Éph.17.1) ; une plante étrangère (Trall.6.1).

Les fauteurs de divisions sont des plantes nuisibles, non plantées par le Père (Philad.3.1).

Les moyens d’éviter l’hérésie sont l’humilité et l’attachement à J.-C, à l’évêque et aux préceptes des Apôtres (Trall.7.1).

Contre les Judaïsants (Magn. ch. 8 à 10 ; Philad.5.2 ; 6.1).

Les Docètes n’ont pas la charité (Smyrn.6.2) ; ils nient que l’Eucharistie soit la chair de Jésus-Christ (Smyrn.7.1). Contre le Docétisme (Magn. ch. 11 ; Trall. ch. 9 à 11 ; Smyrn. ch. 1 à 7). Sont en outre dirigés contre le docétisme tous les passages où se trouve le mot τὸ δοκεῖν, en apparence, et presque tous ceux où sont employés ἀληθῶς, réellement et ἀληθινός, réel.

Le diable.

Le diable est le prince de ce monde, (Éph.17.1 ; 19.1 ; Magn.1.3 ; Trall.4.2 ; Rom.7.1 ; Philad.6.2).

C’est pour détruire son « antique royauté » que Dieu s’est manifesté sous une forme humaine (Éph.19.3 : passage capital sur la réalisation du plan éternel de Dieu par l’Incarnation).

Le diable n’eut connaissance ni de la virginité de Marie, ni de son enfantement, ni de la mort du Seigneur (Éph.19.1) ; il est l’inspirateur des hérétiques et des schismatiques, qui sont des plantes du diable (Éph.10.3).

Les supplices infligés aux chrétiens sont son œuvre (Rom.5.3).

La foi et la charité

La foi et la charité « sont le principe et la fin de la vie ; la foi en est le principe, la charité en est la perfection ; l’union des deux, c’est Dieu même : toutes les autres vertus leur font cortège » (Éph.14.1) ; se reconnaissent aux œuvres (Éph.14.2).

II n’y a rien au-dessus de la foi et de la charité (Smyrn.6.1). La charité est au-dessus de tout (Magn.1.2).

La foi est la chair du Seigneur, la charité est le sang de Jésus-Christ (Trall.8.1).

« C’est en Jésus-Christ que nous devons avoir les uns pour les autres une charité constante » (Magn.6.2).

Apostolat de l’exemple et conduite à tenir envers les Païens (Éph.10.1-3 : magnifique passage).

A noter encore la croyance d’Ignace à la prochaine fin du monde (Éph.11.1) ; l’idée qu’il a des prérogatives des martyrs en fait de science céleste (Trall.5.2) ; ce qu’il dit des anges exposés au jugement « s’ils ne croient au sang du Christ » (Smyrn.6.1).

On trouvera peut-être notre traduction un peu longue, un peu paraphrastique.

Comme nous l’avons signalé plus haut, les épîtres d’Ignace sont remplies d’anacoluthes, de phrases inachevées, de constructions irrégulières et incohérentes, d’expressions si bizarres et de formules si concises qu’elles ne se comprennent que par le contexte. Toutes ces particularités de style font de la traduction des épîtres un problème difficile à résoudre.

D’une part, une traduction très littérale aurait l’avantage de bien mieux rendre la personnalité si tranchée de l’auteur, en même temps qu’elle ferait plus nettement ressortir les difficultés matérielles au milieu desquelles il a dicté ses épîtres. Mais, d’autre part, une telle traduction, possible, quoique déjà difficile, en allemand, est à peu près impossible en français : elle serait souvent inintelligible, et aurait elle-même besoin d’être traduite en langage plus simple et plus accessible.

Nous avons donc pris le parti de tout sacrifier à la clarté : nous avons essayé de nous bien pénétrer de la pensée d’Ignace et de l’exprimer d’une façon conforme au génie de notre langue quitte à être souvent moins concis que l’original.

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