Explication de l’Épître aux Éphésiens

VI. La vie nouvelle

1. La régénération.

4.17-24

17 Voici donc ce que je dis et ce que je recommande instamment dans le Seigneur : c’est que vous ne marchiez plus ainsi que marchent encore le reste des Gentils, dans la vanité de leur intelligence, 18 ayant leur pensée obscurcie, séparés de la vie de Dieu, par l’ignorance qui est en eux, par l’endurcissement de leur cœur ; 19 lesquels, ayant perdu tout sentiment, se sont livrés à l’incontinence pour commettre toute sorte d’impureté avec avidité. 20 Mais vous, ce n’est pas ainsi que vous avez appris Christ, 21 si du moins vous l’avez entendu et si vous avez été enseignés en lui, ainsi que la vérité est en Jésus, 22 pour que vous déposiez quant à votre première conduite le vieil homme qui se corrompt selon les convoitises de la séduction, 23 que vous soyez renouvelés dans l’esprit de votre intelligence, 24 et que vous revêtiez l’homme nouveau, créé selon Dieu en justice et en sainteté de la vérité.

L’Apôtre, décrivant le changement moral qui doit se faire dans un Gentil qui embrasse l’Évangile, explique d’abord ici l’idée générale de cette vie nouvelle (la régénération) ; il en explique ensuite les obligations particulières, qu’il subdivise en obligations de justice (4.25 à 5.2) et de sainteté (5.3-20).

Voici donc ce que je dis. L’Apôtre reprend l’exhortation commencée au verset 1 de notre chapitre. Cette exhortation se présentait d’abord avec un caractère général : « Je vous exhorte à marcher d’une manière ; digne de la vocation dont vous avez été appelés ; mais, dès le verset 2, elle fléchit et s’engage dans un sujet particulier, « l’unité de l’esprit, » dans la diversité des dons et des ministères, qui n’ont tous qu’un même but, l’édification du corps de Christ. Après cette espèce de digression, l’Apôtre revient à la pensée générale, et dans les versets 17 et suivants, qui font suite au verset 1, comme le montre le rapport même des expressions, il avertit les Éphésiens convertis à Jésus-Christ de vivre d’une vie nouvelle, conforme à l’esprit de Jésus-Christ, et entièrement différente de celle qu’ils ont menée autrefois et que mènent encore les Gentils inconvertis. Cet ordre a quelque chose d’étrange, et, à coup sûr à la place de l’Apôtre, nous aurions fait suivre le verset 1 sans intervalle du verset 17, et mis l’article de la régénération en tête de la seconde partie de notre épître. Mais plus la marche du développement de l’Apôtre nous étonne, plus elle nous instruit sur l’importance prépondérante qu’il attache à « l’unité de l’esprit, » et sur l’influence qu’il lui attribue sur tout le reste. Voyez les notes sur le verset 3 de ce chapitre.

Ce que je recommande instamment. Le verbe grec, le même à peu près qui est employé dans 1 Timothée 5.21 ; 2Timothée 2.14 ; 4.1, a une énergie étymologique qui se perd dans la traduction. Il signifie proprement attester, et cette idée de témoignage y demeure vaguement attachée et lui communique quelque chose de solennel lorsqu’il prend, comme ici et dans les autres endroits que je viens de citer, le sens de presser, exhorter (latin : obtestari). Le mot de notre langue qui en approcherait le plus, c’est celui de protester, que nos versions et Lausanne 1839 ont employé dans 2 Timothée 2.14, mais en le détournant un peu de son acception reçue. Lausanne 1839 l’a même traduit ici par attester, mais au préjudice de la clarté ; il ne faut pas sacrifier le sens à l’étymologie. Le mot conjurer rend assez bien la pensée de l’original, avec cette différence seulement qu’il substitue la nuance de serments, celle de témoignage. Nous l’aurions préféré à l’expression un peu froide que nous avons adoptée, s’il eût pu entrer dans la construction de la phrase.

Dans le Seigneur. Quelques-uns ont traduit à tort : par le Seigneur, ce qu’ils ont entendu d’une sorte de témoignage rendu ou de serment prêté par l’Apôtre, en invoquant le nom du Seigneur. C’est dans le Seigneur que l’Apôtre recommande ce qui va suivre ; c’est-à-dire, c’est en tant que croyant au Seigneur et servant le Seigneur, et non par aucune considération personnelle ou humaine. Il en parle avec plus d’autorité et en doit être écouté avec plus de soumission. (Voyez Romains 9.1 ; 1 Thessaloniciens 4.1.)

Que vous ne marchiez plus ainsi que marchent encore le reste des Gentils. Littéralement comme aussi marchent, etc., ce qui n’est pas tout à fait la même chose que : comme marchent aussi, etc. Il n’est pas superflu de prémunir les Éphésiens contre les égarements décrits dans les versets 18 et 19 ; puisque aussi bien, c’est ainsi que vit tout ce qu’il y a de païens dans le monde. L’adverbe encore, que nous empruntons à la version de Lausanne 1839, nous a paru rendre assez exactement la pensée de l’Apôtre, à défaut d’aussi bien, qui trouverait difficilement sa place dans la traduction1. D’après quelques manuscrits et quelques versions anciennes, on devrait lire les Gentils au lieu de le reste des Gentils. Mais nous pensons, avec Olshausen, Harless, etc., qu’il faut conserver la leçon reçue, et que l’on ne s’en est écarté que parce qu’elle suppose que les Éphésiens étaient eux-mêmes des Gentils pour l’Apôtre. Mais cela ne doit pas nous étonner. Ils ne sont plus Gentils par le cœur, mais ils le sont par la naissance ; et l’Apôtre maintient, jusque dans l’Église chrétienne, la distinction des deux peuples, l’un sorti d’Israël, l’autre du sein des nations (ce qui est, ne l’oublions pas, le sens propre du mot Gentils). Il écrit bien aux chrétiens de Rome : « Je vous dis donc à vous, Gentils, etc. » (Romains 11.13).

1 – Comparez kajwc kai Colossiens 3.13.

Dans la vanité de leur intelligence. On eût plutôt attendu de votre intelligence ; mais au lieu de décrire l’ancien état des Gentils convertis, saint Paul décrit l’état actuel des Gentils inconvertis et passe ainsi de la seconde personne à la troisième. L’ordre de la période y perd, mais la force de la pensée y gagne, la réalité présente étant substituée au souvenir du passé. Le langage de notre Apôtre est plein de semblables irrégularités ; l’esprit le préoccupe plus que la grammaire. – L’intelligence, cette noble faculté par laquelle l’esprit de l’homme se rapproche de Dieu et devrait s’élever à Dieu, s’est laissé gagner elle-même à cette « vanité, » à laquelle toute « la création a été assujettie » (Romains 8.20). Privée de la vraie force et de la vraie lumière, elle se consume, même dans ses plus nobles recherches, en efforts impuissants et en spéculations creuses, et ne recueille que des illusions au lieu de la vérité qu’elle poursuit (Romains 1.21) : « Ils sont devenus vains dans leurs raisonnements. » L’intelligence travaille toujours en vain, quand elle pense pouvoir trouver le vrai et le bien hors du Dieu vivant. Quelques-uns entendent « la vanité de l’intelligence » de l’idolâtrie (Actes 14.15) ; mais la pensée de l’Apôtre est plus générale. L’idolâtrie est le développement naturel et comme le dernier mot de cette vanité (Romains 1.21-23) ; mais elle en diffère pourtant comme l’application du principe ; et c’est surtout l’égarement intellectuel et moral des Gentils que notre Apôtre a eu en vue dans cet endroit.

Ayant leur pensée obscurcie. Littéralement, étant obscurcis dans leur pensée. La pensée se rapporte à l’intelligence comme l’acte à la faculté. Une intelligence obscurcie engendré des pensées ténébreuses ; voyez Romains 1.21, où l’on doit entendre par le cœur le fond de la pensée. C’est l’opposé de Éphésiens 1.18.

Séparés de la vie de Dieu, c’est-à-dire de la vie spirituelle qui est en Dieu et que Dieu communique à ses créatures quand elles ne sont pas séparées de lui par le péché. Nous traduisons séparés plutôt qu’éloignés, ainsi que nous l’avons fait du même mot dans 2.12, parce que le premier de ces mots marque l’action exprimée par le participe grec, tandis que le second ne marque que l’état qui résulte de ce déchirement. Ces deux traits, ayant leur pensée obscurcie et séparés de la vie de Dieu, sont les deux faces par lesquelles se découvre la vanité de leur intelligence. » Ils diffèrent l’un de l’autre en ce que le premier appartient plus spécialement à la conception, le second au sentiment.

Par l’ignorance qui est en eux, par l’endurcissement de leur cœur. Après avoir décrit les caractères de l’état moral des Gentils, saint Paul en indique les causes. Il en nomme deux. Harless et Olshausen, observant que l’ignorance correspond plus spécialement à l’obscurcissement de la pensée, et l’endurcissement à la séparation d’avec la vie de Dieu, ont supposé que chacune de ces deux causes doit être rapportée à chacun de ces deux caractères, comme si l’Apôtre avait écrit : « Ayant leur pensée obscurcie par l’ignorance qui est en eux, séparés de la vie de Dieu par l’endurcissement de leur cœur. » Cette disposition des mots satisfait l’esprit par une parfaite symétrie ; mais est-ce une raison suffisante pour l’adopter ? Nous la croyons plus ingénieuse que solide, et ne connaissons aucun exemple d’une construction semblable. Car ni Philippiens 2.12, ni 2.12, ni 2.14-15, que cite Harless, n’offrent d’analogie réelle avec notre verset ainsi expliqué, sans compter que nous ne saurions admettre l’interprétation que Harless a donnée du second des passages que nous venons de rappeler (Voyez les notes sur Éphésiens 2.14-15). Il nous semble, en outre, que, si l’interprétation de Harless et Olshausen était fondée, l’Apôtre aurait dit plutôt leur ignorance (ou l’ignorance de leur esprit), comme il dit aussitôt après l’endurcissement de leur cœur, que l’ignorance qui est en eux ; tandis que cette locution est toute naturelle s’il a voulu marquer que cette ignorance est produite par cet endurcissement.

Telle est notre pensée. Comme cause de l’égarement des Gentils, l’Apôtre indique d’abord leur ignorance, et puis, comme cause de cette ignorance même, leur endurcissement ; de telle sorte que l’endurcissement du cœur est la cause de la cause et le principe de tout le mal. L’homme s’égare dans la vanité de son intelligence, parce qu’il ignore Dieu ; mais il l’ignore parce qu’il a endurci son cœur contre les premières lumières qu’il avait reçues de lui. Cet ordre est important à remarquer, parce qu’il rejette en dernière analyse sur l’homme la responsabilité de son égarement et le laisse sans excuse. Saint Paul l’explique encore dans Romains 1.18-23, avec plus de développement, quoique avec moins de précision, surtout dans le verset 21 : « Ayant connu Dieu, ils ne l’ont point glorifié ni béni comme Dieu, » voilà l’endurcissement du cœur ; « ils sont devenus vains dans leurs raisonnements, etc., » voilà l’ignorance, avec la vanité de l’intelligence qu’elle enfante, mais d’avec laquelle elle n’est pas distinguée, comme dans Éphésiens 4.18. Quoi qu’il en soit, la pensée capitale est la même dans les deux endroits : le Gentil est « inexcusable » (Romains 1.20), parce qu’il a « retenu la vérité dans l’iniquité » (verset 18), c’est-à-dire étouffé la vérité par l’iniquité. Le Seigneur explique d’une manière toute semblable le développement de l’incrédulité dans le cœur, et c’est par là qu’il la condamne : « C’est ici la condamnation (de celui qui ne croit pas), que la lumière est venue dans le monde, et que les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises » (Jean 3.19). Voyez encore le verset 20. Ils sont incrédules, parce qu’ils ignorent la lumière ; mais ils ignorent la lumière volontairement, parce qu’ils ont endurci leur cœur. Il ne faut donc qu’observer attentivement l’origine et le développement du mal dans notre race, et l’on pourrait en dire autant de l’individu, pour reconnaître qu’il est punissable. Il est vrai que celui qui veut se séduire lui-même pourra encore trouver à contester contre ce raisonnement de saint Paul et de Jésus-Christ. Mais à quoi bon ? Que vous compreniez ou non leur raisonnement, le résultat en est clairement révélé : « Ils sont inexcusables. » Celui qui a écrit cela dans le livre est aussi celui qui vous le prouvera sur son tribunal. N’attendez pas ce moment suprême ; mais croyez, et repentez-vous.

Lesquels, ayant perdu tout sentiment. Cette dernière image se lie à celle par laquelle le verset 18 a fini. Le mot que nous rendons par endurcissement s’emploie proprement de l’état de la peau lorsqu’elle a contracté une callosité ; et le mot que nous rendons par perdre tout sentiment (anglais, being past feeling), de cette même peau lorsque la callosité est devenue si considérable et si dure qu’elle est morte à toute sensation de douleur. Mais on peut concevoir de deux manières le rapport du verset 19 avec la fin du verset 18 ; il en peut être ou le simple développement, ou bien la conséquence.

Dans le premier cas, le verset 19 servirait à expliquer en quoi consiste l’endurcissement du cœur dont on vient de parler. Il consisterait non dans la lumière de Dieu repoussée, comme nous l’avons dit ci-dessus, mais dans l’abandon des Gentils à l’impureté. Cette impureté serait alors le principe de l’égarement des Gentils, dont les divers degrés seraient :

  1. l’endurcissement du cœur, ou le frein lâché à toutes les convoitises charnelles ;
  2. l’ignorance, produite par cette vie de péché ;
  3. la vanité de l’intelligence, produite par cette ignorance.

Dans le second cas, le verset 19 indiquerait les fruits que l’endurcissement du cœur a portés, non pas immédiatement, mais médiatement, et, si l’on peut ainsi parler, à la troisième génération, en enfantant l’ignorance, qui la vanité de l’intelligence, qui la vie de péché. Les degrés de l’égarement des Gentils seraient alors :

  1. l’endurcissement du cœur, ou la lumière de Dieu repoussée ;
  2. l’ignorance ;
  3. la vanité de l’intelligence ;
  4. enfin la vie de péché, qui serait le dernier terme du développement.

A ne consulter que l’ordre grammatical, nous préférerions la première interprétation ; mais nous nous décidons pour la seconde, à cause du passage parallèle de l’épître aux Romains que nous avons déjà cité plus d’une fois, Romains 1.21-24, et encore versets 28-31. Le cœur endurci séduit l’esprit, et l’esprit séduit endurcit le cœur encore plus. Nous avouons cependant que ce rapprochement n’est pas décisif ; car, suivant la manière dont la question est envisagée, on pourrait considérer la vie de péché comme le dernier terme du développement ou comme le premier. Aussi, dans le passage de saint Jean que nous avons rapporté tantôt (Jean 3.19-20), les « œuvres mauvaises » sont indiquées comme la racine et non comme le fruit de l’incrédulité.

Se sont livrés. Selon Romains 1.24-28, ils y ont été livrés de Dieu. Il n’y a pas ici de contradiction ; ce sont deux faces différentes du même sujet. Vue par un côté, leur incontinence est un abandon volontaire ; vue par un autre côté, elle est un jugement de Dieu. Dieu a établi dans le monde moral cette loi d’après laquelle un homme qui s’endurcit et qui s’éloigne de Dieu se livre à tous les péchés ; vous trouvez une différence semblable entre Ésaïe 6.9-10, cité par Matthieu 13.14-15, et ce même passage cité par Jean 12.40.

Toute sorte impureté. L’incontinence est la disposition, l’impureté l’acte extérieur.

Avec avidité. Le mot grec s’emploie le plus souvent de l’avidité pour l’argent, de la cupidité ; mais il a aussi, comme le mot français par lequel nous le rendons, un sens plus étendu : il marque l’ardeur insatiable avec laquelle les Gentils s’abandonnaient aux convoitises de la chair. C’est ainsi que ces mots ont été entendus par Chrysostome et Théodoret. D’autres les ont traduits diversement : les uns, pour gagner de l’argent (Grotius) ; d’autres, dans les excès du manger et du boire (Harless, Olshausen) ; d’autres enfin, à l’envi, en s’appliquant à se surpasser mutuellement (versions reçues). La première de ces interprétations est inadmissible ; la seconde ne nous paraît pas suffisamment justifiée ; quant à la troisième, en faveur de laquelle on pourrait citer 1 Thessaloniciens 4.6, elle se rapproche beaucoup de la nôtre et exprime une idée affreusement exacte. Mais la traduction que nous avons suivie nous paraît, à tout prendre, la plus naturelle, bien qu’il faille convenir que la signification du terme grec n’est pas très bien déterminée. Nous y reviendrons en expliquant les versets 3 et 5 du chapitre suivant.

Au lieu à ayant perdu tout sentiment, certaines autorités critiques lisent : ayant désespéré. Mais cette variante n’a pas de valeur et n’est probablement qu’une explication de la leçon reçue.

Ce n’est pas ainsi que vous avez appris Christ.. C’est-à-dire vous n’avez pas appris Christ de telle sorte que vous puissiez continuer de mener une telle vie. Apprendre Christ est une locution remarquable ; elle s’explique par une observation générale que nous avons eu occasion de faire plus d’une fois sur le langage de notre Apôtre, et qu’on peut étendre à toute l’Écriture. L’Écriture nous présente la vérité sous une forme moins abstraite et plus vivante que la théologie humaine ; elle nous met en présence des choses et des personnes plus encore que des idées, et cela est vrai surtout quand elle nous entretient du Seigneur. Christ lui-même est renfermé dans la parole de la vérité, et se communique par elle à l’âme fidèle. On reçoit Christ Jean 1.12 ; Colossiens 2.6 ; et ici on apprend Christ. Il ne faut pas dire, avec la plupart des commentateurs anciens et modernes, que Christ est mis ici pour la doctrine de Christ ; mais il faut apprendre de ce langage que la vraie foi nous fait entrer en communion réelle et personnelle avec le Seigneur. C’est ce qui fait la différence entre l’orthodoxie et la vie. Le prédicateur orthodoxe prêche la doctrine de Christ, et l’auditeur orthodoxe apprend et reçoit la doctrine de Christ ; le prédicateur qui a la vie prêche Christ (2 Corinthiens 4.5), et l’auditeur qui a la vie apprend Christ et reçoit Christ.

Si du moins vous l’avez entendu et si vous avez été enseignés en lui. L’expression que nous rendons par entendre Christ ne peut pas être traduite dans notre langue avec une exactitude parfaite. Elle est à peu près synonyme de celle que nous avons expliquée dans le verset précédent, apprendre Christ. Notre traduction donnerait à croire que Christ est dépeint ici comme celui qu’on entend parler ; tandis qu’il est dépeint dans l’original comme celui dont on entend parler. Cela nous paraît prouvé, et par le contexte, tant précédent que suivant, et par le cas auquel le mot lui est placé, malgré l’explication contraire de Harless et d’Olshausen. Le premier cite avec éloge cette paraphrase de Pellican : « Si toutefois vous avez réellement entendu Christ parlant au dedans de votre cœur2. » Cependant nous ne saurions traduire : « Si vous avez entendu parler de lui ; » ce serait affaiblir la pensée, comme on l’affaiblirait au verset précédent en traduisant : « Ce n’est pas ainsi que vous avez appris ce qui concerne Christ. » Nous n’avons rien vu de mieux à faire que de traduire littéralement, en expliquant qu’il s’agit d’entendre Christ prêché et non d’entendre Christ prêchant. Etre enseigné en Christ, ce n’est pas, comme le veulent quelques-uns, être enseigné concernant Christ, ni par Christ, ni, comme le pensent Olshausen et Winer, être enseigné de telle sorte qu’on entre en communion avec Christ ; mais c’est, comme l’explique Harless, être enseigné, étant en Christ, être enseigné comme on l’est quand on est en Christ. Cet enseignement suit la communion en Christ, il en est le fruit ; celui que suppose Olshausen la précéderait et en serait le principe. On peut rapprocher de cette locution les locutions suivantes : « parler en Christ » (2 Corinthiens 12.19) ; « vivre pieusement en Christ » (2 Timothée 3.12) ; porter du « fruit en Christ » (Jean 15.3), etc.

2 – Si c’était la pensée de saint Paul, il se serait servi du génitif, non de l’accusatif.

Ainsi que la vérité est en Jésus. Il serait trop long de rapporter les nombreuses explications qu’on a proposées de ces mots. Nous nous bornerons à indiquer les deux principales, entre lesquelles il nous paraît qu’il faut choisir.

D’après l’une, pour laquelle nous nous décidons, le membre de phrase qui nous occupe se lie à ce qui précède, et le sens de l’Apôtre est celui-ci : « Si vous avez été enseignés en Christ, selon la vérité qui est en Jésus, savoir que vous dépouilliez, etc., » c’est-à-dire cette vérité en Jésus est, ou enseigne, que vous devez dépouiller, etc.

D’après l’autre, qui a été proposée par Harless et suivie par Olshausen, ce membre de phrase se lie à ce qui suit, et voici, dans cette hypothèse, la pensée de saint Paul : « Si vous avez été enseignés, en lui, à dépouiller le vieil homme, selon la vérité qui est en Jésus3, etc., » c’est-à-dire selon l’exemple de sainteté que nous avons en Jésus ; l’Apôtre présentant la sainteté par le côté de la vérité, par opposition à la séduction qui est le caractère du péché (verset 22), et appelant ici « vérité » ce qu’il appelle au verset 24 « la sainteté de la vérité. »

3 – Aux raisons qu’il donne pour prouver que kajwc peut, grammaticalement, se lier à ce qui suit, Harless aurait pu ajouter un exemple décisif (Colossiens 3.13)

Voici les deux raisons principales qui déterminent Harless et Olshausen. D’une part, le pronom vous qui accompagne le verbe dépouiller n’étant pas nécessaire dans l’original comme il l’est dans notre langue, indique que l’Apôtre a voulu mettre ici les Éphésiens en opposition ou en parallèle avec quelque autre. Cet autre, c’est Jésus : comme Jésus a marché dans la vérité, vous aussi, vous devez y marcher. A cela nous répondons : Non ; mais cet autre, c’est le Gentil inconverti. Le reste des Gentils vivent ainsi que je viens de le dire ; mais vous, au contraire, vous devez dépouiller le vieil homme, etc. Et n’est-ce pas dans ce sens que saint Paul appuie sur le vous, non seulement au verset 17, mais encore au verset 20, dans la même période à laquelle appartiennent les mots que nous expliquons ? D’une autre part, le nom donné dans cet endroit au Seigneur, Jésus, disent Harless et Olshausen, n’est jamais employé par saint Paul séparé du nom de Christ, que lorsqu’il veut appeler l’attention sur la nature humaine du Seigneur (Hébreux 3.1 ; 4.14 ; 7.22), et de là il l’est spécialement quand il est fait allusion à la mort du Seigneur (2 Corinthiens 4.10-11 ; 1 Thessaloniciens 1.10 ; 4.14 ; Hébreux 10.14 ; 13.12). Or, le choix de ce nom dans notre verset s’explique s’il y est parlé de l’exemple que Jésus nous a donné, dans sa nature humaine, tandis qu’il ne s’explique pas s’il y est parlé, en général, de la vérité qui est en Jésus. Comment l’Apôtre n’a-t-il pas dit alors : ainsi que la vérité est en Christ, ou bien, en lui ? A cela nous répondons, d’abord que rien n’empêche de supposer, tout en traduisant ainsi que nous l’avons fait, que l’Apôtre ait entendu par la vérité qui est en Jésus, ou tout au moins compris dans cette vérité, la sainteté qui a paru dans la vie, de Jésus ; ensuite que, sans nier en principe la distinction que ces deux commentateurs établissent entre les noms de Christ et de Jésus, nous n’oserions la presser autant qu’ils le font ni en rendre un compte aussi précis. Autre chose est que l’Apôtre ait eu toujours, comme nous l’admettons volontiers, de bonnes raisons pour choisir l’un de ces noms préférablement à l’autre, autre chose que ces raisons nous soient connues dans tous les cas. Pour nous du moins, nous avouons ne les pas bien connaître. Pourquoi, par exemple, passe-t-il du nom de Christ à celui de Jésus dans 2 Corinthiens 4.4 et 5 ? Harless répond : parce qu’il a en vue la mort du Seigneur, comme on le voit par les versets 10 et 11. Cela peut être ; mais ces versets sont assez éloignés du verset 5. Pourquoi encore un changement analogue dans 2 Corinthiens 11.3 et 4 ? C’est une question que nous donnons à résoudre au lecteur, et dont nous cherchons encore la solution nous-même ; quand nous l’aurons trouvée, elle pourra servir peut-être aussi pour notre verset.

Les raisons de Harless et d’Olshausen n’étant pas de nature à nous persuader nous nous décidons pour l’autre interprétation, parce qu’il nous semble qu’elle se présente plus naturellement à l’esprit ; qu’elle donne à la phrase grecque une construction plus facile ; qu’elle explique mieux que l’autre pourquoi l’Apôtre appuie sur le pronom vous dans le verset 22 ; qu’elle explique seule le cas auquel il met ce pronom4 ; enfin, qu’en mettant un léger point d’arrêt après le mot Jésus, et en détachant ainsi la pensée, « que vous dépouilliez le vieil homme, etc., » d’avec ce qui précède immédiatement, elle la rattache à l’exhortation commencée au verset 17, « que vous ne marchiez plus, etc., » mais bientôt détournée de son cours naturel, ainsi que nous l’avons vu, ce qui donne à toute la période (versets 17-24) un meilleur ordre et un développement plus régulier. Ce n’est pas que nous supposions, avec quelques commentateurs, que le verset 22 dépende directement du verset 17 ; mais nous pensons que la construction du verset 22, « que vous dépouilliez, » correspond à la construction tout à fait semblable et assez inusitée du verset 17, « que vous marchiez, » et que l’ordre de la pensée, un moment interrompu, mais qui est demeuré présent à l’esprit de l’auteur sacré, est enfin repris dans notre verset. La vérité de cette observation nous paraît surtout sensible dans le texte original5.

4 – Il nous semble que si le verbe dépouiller était lié au verbe enseigner (si vous avez été enseignés à dépouiller), il faudrait que le pronom vous fût mis au nominatif, et non à l’accusatif.

5 – Les deux kajwc des versets 17 et 21 se correspondent aussi : – ne pas marcher ainsi que marchent les Gentils ; marcher ainsi que la vérité est en Jésus. Plus j’y réfléchis, plus je suis persuadé que le verset 21 est la reprise de la pensée et de la construction commencée au verset 17. Le passage parallèle de l’épître aux Colossiens (3.7, 8) me confirme dans cette explication ; car les mots « vous avez marché autrefois, » y sont suivis immédiatement de ceux-ci : « Mais maintenant déposez toutes ces choses, » etc. (Le kai du verset 8 ne peut se rapporter aux autres païens, comme celui du verset 7. Se rapporte-t-il aux autres chrétiens ou à Christ, verset 4 ?)

Que vous déposiez, quant à votre première conduite (ou, quant à la conduite précédente) le vieil homme qui se corrompt selon les convoitises de la séduction. Voici d’abord le côté négatif de la régénération : déposer le vieil homme ; vient ensuite son côté positif : revêtir l’homme nouveau. Il va sans dire, du reste, que l’une de ces choses ne va pas sans l’autre. Ce ne sont pas deux actes différents, mais deux faces différentes du même acte. L’image est tirée d’un vêtement qu’on dépouille et qu’on revêt. Comparez Colossiens 3.9-10.

Les mots quant à la conduite précédente, qui sont littéralement traduits de l’original, ont quelque chose de singulier, de peu précis, pour l’expression, mais la pensée est claire.

Déposer le vieil homme quant à la condition précédente, c’est le déposer en renonçant à cette conduite, ou, comme s’exprime notre Apôtre dans le passage parallèle de l’épître aux Colossiens, « dépouiller le vieil homme, avec ses œuvres » (3.9). Cette addition renferme cette instruction importante, que la nouvelle naissance, bien qu’essentiellement intérieure, doit se montrer au dehors par un changement de vie6. On sentira mieux la vérité de cette explication en lisant, dans l’épître aux Colossiens, ce qui précède le passage que nous venons de citer : « Déposez la colère, l’animosité, etc. ; ne mentez point les uns aux autres, ayant dépouillé le vieil homme, avec ses œuvres. » Au reste, le vieil homme, qui doit être déposé, est à ces œuvres ce que la racine est au fruit. C’est le principe intérieur qui dirige l’homme irrégénéré, « le cœur mauvais » duquel « procèdent les mauvais discours, les meurtres, les adultères, etc. » (Matthieu 15.20).

6 – Calvin l’explique un peu différemment : « Quo melius ostendat non esse supervacaneam hanc exhortationem apud Ephesios, pristinæ vitæ memoriam illis renovat ».

Qui se corrompt selon les convoitises de la séduction. Ce sont les convoitises qui viennent d’être décrites dans le verset 19. En s’y abandonnant, le vieil homme achève de se corrompre. Elles sont appelées « convoitises de la séduction, » non seulement parce qu’elles séduisent l’homme en lui promettant un bonheur qu’elles ne lui donnent jamais, mais encore parce qu’elles supposent et entretiennent cette « vanité de l’intelligence » dont il a été parlé ci-dessus, le mettent en contradiction avec Dieu et avec lui-même, et font de tout son être une illusion et un mensonge perpétuels ; tandis que Jésus-Christ, qui est la vérité, remet, au contraire, dans l’homme qui le reçoit la vérité et l’harmonie (Voyez aussi Romains 1.11 – Olshausen fait remarquer que tous les païens ne se livraient pas aux convoitises de la chair ; mais, outre que ceux qui en étaient exempts étaient des exceptions infiniment rares, et que le mal était devenu si universel que l’on songeait moins à s’en cacher qu’à le justifier, ceux-là mêmes qui échappaient à la souillure générale étaient asservis à d’autres convoitises plus subtiles, et avaient besoin, comme les autres, de déposer leur cœur naturel et leurs anciennes œuvres. Bien plus, ce changement radical est également indispensable dans tous les temps et dans toutes les conditions (Jean 3.3, 5 ; 2 Corinthiens 5.17).

Le dépouillement du vieil homme et le revêtement de l’homme nouveau sont présentés ici comme une œuvre continue. Les Éphésiens étaient déjà créés de nouveau en Jésus-Christ (2.10) ; mais ils ne cessent pas pour cela d’avoir à lutter contre les penchants auxquels ils étaient autrefois asservis. C’est même dans leur nouvelle naissance, une fois accomplie, qu’ils puisent les forces dont ils ont besoin pour cette lutte, constamment renouvelée. Ce rapport est clairement indiqué dans le commencement du troisième chapitre de l’épître aux Colossiens, et surtout dans la liaison des versets 5 à 10, avec les versets 1 à 4.

Que vous soyez renouvelés.. Ce renouvellement s’accomplit par la force de Dieu, comme l’indique la forme passive du verbe employé par l’Apôtre ; mais la volonté de l’homme intervient, soit pour concourir à l’œuvre du Saint-Esprit, soit pour la contrarier, et de là l’exhortation de l’Apôtre. Comment expliquer autrement une exhortation au passif, comme celle que nous avons ici (Éphésiens 5.18) et en tant d’autres endroits ?

Dans l’esprit de votre intelligence. On peut traduire aussi : par l’esprit de votre intelligence ; et c’est ainsi que paraît l’avoir pris Olshausen, dont l’explication ne nous paraît pas bien claire. « L’intelligence, dit-il, est la faculté de concevoir ce qui est éternel…Dans l’état naturel, cette faculté se trouve réduite à la vanité (verset 18)…Ce n’est qu’en Christ qu’elle apprend à servir à la loi de Dieu (Romains 7.23), étant fortifiée dans la régénération…Cette force nouvelle lui vient de l’Esprit de Christ communiqué à l’âme ; et c’est là ce que l’Apôtre exprime en disant qu’il faut être renouvelé par l’esprit de notre intelligence. » Nous préférons traduire, avec Harless, « soyez renouvelés dans l’esprit de votre intelligence. » Cette expression est plus facile à comprendre qu’à analyser. L’esprit est ce qu’il y a de plus intime dans l’âme, le principe même de la vie intellectuelle et morale ; et en avertissant les Éphésiens qu’ils doivent être renouvelés dans l’esprit de leur intelligence, l’Apôtre veut leur donner à connaître que le changement qui doit s’opérer en eux doit pénétrer jusque dans la partie la plus profonde de leur être. Ainsi expliquée, l’expression de notre texte correspond à peu près à cette autre expression de notre Apôtre, « l’homme intérieur. » « L’esprit de l’intelligence, dit Théodore de Bèze, est ce qu’il y a de plus intime dans l’âme elle-même. »

Créé selon Dieu. Ces paroles, éclaircies par Colossiens 3.10, renferment une allusion manifeste à Genèse 1.27 : « Dieu fit l’homme à son image. » Cette ressemblance, effacée par le péché, est rétablie par la nouvelle naissance, qui a le caractère d’une seconde création (2.10 ; 2 Corinthiens 5.17 ; Galates 6.15). Le type après lequel l’homme est formé dans cette création nouvelle, c’est Christ, « le second Adam, » « l’image du Dieu invisible » (1 Corinthiens 15.45 ; Colossiens 1.15 ; 2 Corinthiens 4.4). Aussi le nouvel homme est appelé « Christ en nous » (Colossiens 1.27).

En justice et en sainteté de la vérité. La traduction ordinaire : en justice et en sainteté véritables, n’affaiblit pas seulement le sens ; elle le dénature. Ce n’est pas le caractère de cette sainteté que l’Apôtre veut surtout faire ressortir ; c’en est le principe, l’origine. Elle est une manifestation, un produit de la vérité, qui est en Jésus, comme les convoitises charnelles sont des produits de l’illusion et de l’erreur qui se trouvent hors de lui (verset 22). – La préposition en désigne l’élément dans lequel la nouvelle naissance l’opère, et l’état dans lequel consiste la ressemblance le l’homme régénéré avec Dieu. – Les expressions justice et sainteté sont plusieurs fois réunies (Luc 1.75 ; 1 Thessaloniciens 2.10 ; Tite 1.8). La première désigne plus spécialement les dispositions et les actes auxquels nous sommes obligés d’homme à homme et dans les relations de la vie ; la seconde, ceux auxquels nous oblige la pureté, mais une pureté dont Dieu est le principe. C’est ainsi que l’Apôtre développe lui-même sa pensée ; les devoirs de la justice occupent 4.25 à 5.2 ; et ceux de la sainteté, 5.3-20. Dans ce dernier paragraphe, il commence par la pureté, et finit par la piété ; c’est que la sainteté, telle que l’entend l’Apôtre, touche à la piété, mais sans se confondre pourtant avec elle (1 Timothée 2.8 ; Hébreux 7.26).

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant