Explication de l’Épître aux Éphésiens

2. Péchés contraires à la justice.

4.25 à 5.2

25 C’est pourquoi, ayant déposé le mensonge, parlez en vérité chacun avec son prochain, parce que nous sommes membres les uns des autres. 26 Mettez-vous en colère et ne péchez point ; que le soleil ne se couche pas sur votre irritation ; 27 et ne donnez pas accès au diable. 28 Que celui qui dérobait ne dérobe plus, mais plutôt qu’il travaille, faisant de ses mains ce qui est bon, pour avoir de quoi donner à celui qui en a besoin. 29 Qu’aucune parole mauvaise ne sorte de votre bouche, mais toute parole utile pour l’édification nécessaire, afin quelle donne une grâce à ceux qui l’entendent ; 30 et ne contristez pas le Saint-Esprit de Dieu, dont vous avez été scellés pour le jour de la rédemption. 31 Que toute amertume, ou passion, ou colère, ou clameur, ou parole offensante, soit ôtée de vous, avec toute malice ; 32 et soyez les uns envers les autres, bons, compatissants, vous faisant grâce les uns aux autres, comme aussi Dieu vous a fait grâce en Christ. 1 Soyez donc imitateurs de Dieu, comme des enfants bien-aimés ; 2 et marchez dans l’amour, comme aussi Christ nous a aimés, et s’est livré pour nous en offrande et en sacrifice, en odeur de bonne senteur à Dieu.

Dans cet article qui a pour objet les devoirs de la justice, ainsi que dans l’article suivant où il expose les devoirs de la sainteté, notre Apôtre présente la vie chrétienne par son côté négatif : il indique moins ce que le chrétien doit faire que ce qu’il doit éviter. Cela s’explique par le sujet qu’il traite dans cette partie de son épître (4.17 à 5.20) : le renouvellement nécessaire à un Gentil qui entre dans l’Église chrétienne.

La plupart des préceptes de l’Apôtre n’étaient pas nouveaux pour les païens. Les philosophes païens avaient bien su interdire le mensonge, le ressentiment, l’infidélité, etc., et ils ont là-dessus de fort belles maximes. Mais ce qui était tout nouveau, c’étaient les motifs dont l’Apôtre appuyait ces préceptes ; et comme ces motifs sont les seuls capables de déterminer le cœur de l’homme, ils engendraient des mœurs nouvelles que la morale païenne savait tout au plus prescrire, mais qu’elle ne savait pas réaliser. Encore ne les prescrivait-elle pas toujours, la corruption des mœurs finissant par fausser les maximes elles-mêmes, parce que les passions du cœur sont intéressées à justifier ce que les lumières de l’esprit condamnent (Romains 1.32). Cette remarque sur les motifs de la morale chrétienne trouvera particulièrement son application dans les préceptes qu’on vient de lire ; il n’en est pas un qui ne soit appuyé de quelqu’une de ces considérations qui n’appartiennent qu’à l’Évangile et où son esprit se révèle tout entier. Nous reviendrons sur ce sujet en les expliquant ; et le premier mot de l’Apôtre va nous en fournir déjà l’occasion.

C’est pourquoi, ayant déposé le mensonge, parlez en vérité chacun avec son prochain, parce que nous sommes membres les uns des autres. C’est à cause de ce que l’Apôtre vient de dire sur la nouvelle naissance que le chrétien doit s’abstenir de mentir. Le choix même des expressions fait ressortir ce rapprochement : le chrétien doit déposer le mensonge, parce qu’il a déposé le vieil homme. Que le vieil homme vive dans le mensonge, cela se conçoit ; car « il se corrompt selon les convoitises de la séduction. » Mais le nouvel homme n’a de vie que par la vérité, et pour la vérité. Par la vérité : car c’est par elle qu’il a été régénéré. Il a « appris Christ, » qui est « la vérité » (Jean 14.6) ; il « a été enseigné, selon la vérité qui est en Jésus ; » il « a été créé selon Dieu en justice et en sainteté de la vérité. » Pour la vérité : car la connaissance de la vérité n’est pas seulement le principe de son changement, elle en est encore la fin et le fruit, comme nous l’apprend notre Apôtre dans le passage correspondant de son épître aux Colossiens, qui rattache plus fortement encore la défense de mentir à la doctrine de la nouvelle naissance. « Ne mentez point les uns envers les autres, ayant dépouillé le vieil homme avec ses œuvres, et revêtu l’homme nouveau, qui se renouvelle en connaissance (littéralement pour la connaissance) à l’image de celui qui l’a créé » (3.10). Avec la vérité derrière lui et devant lui, comment le chrétien peut-il mentir ? Le chrétien est l’homme de la vérité. Quelqu’un dira peut-être : Ne confond-on pas, en parlant de la sorte, la vérité avec la véracité, la conformité de la pensée à la réalité avec la conformité du discours à la pensée ? Nous répondons que ces deux choses sont essentiellement unies. L’une comme l’autre est l’accord de ce qui est dit et de ce qui est, avec cette différence seulement qu’il s’agit de Dieu dans un cas, et de l’homme dans l’autre. L’une est l’accord de la Parole de Dieu avec ce qui est en Dieu ; l’autre est l’accord de la parole de l’homme avec ce qui est dans l’homme. Le principe est un, et les raisons sont communes. La vérité est la véracité en Dieu ; et la véracité est la vérité dans l’homme.

A cette première considération, applicable dans nos rapports avec tous les hommes, parce qu’elle est tirée de l’essence de la foi, l’Apôtre en ajoute une seconde, qui ne s’applique directement qu’à nos rapports avec nos frères en Jésus-Christ : « Parce que nous sommes membres les uns des autres » (Romains 12.5). S’il ne l’indique pas comme une raison nouvelle et distincte de la première, c’est qu’elle est implicitement contenue dans le c’est pourquoi du commencement du verset ; cette conjonction pouvant faire allusion, non seulement à ce qui précède immédiatement, mais aussi à ce qui précède à la distance de quelques versets (15 et 16). Unis comme frères et ne formant qu’un seul corps en Christ, nous nous devons la véracité les uns aux autres, indépendamment de ce que nous devons à la vérité en soi. Les membres du même corps doivent s’aider et se servir entre eux, loin de se nuire et de se tromper mutuellement. Nous sommes donc doublement obligés à la véracité dans nos relations avec nos frères. Ce n’est pas à dire que nous puissions jamais nous en dispenser avec ceux du dehors (Rapprochez Galates 6.10). Outre que la première raison expliquée ci-dessus subsiste tout entière, nous soutenons avec tous les hommes une relation, moins intime sans doute que celle dont parle ici saint Paul, mais qui nous impose une obligation semblable, au degré près. Peut-être l’Apôtre a-t-il voulu nous le faire comprendre en nous commandant de « parler en vérité chacun avec son prochain. » Dans un endroit de l’Ancien Testament, auquel ce commandement est emprunté (Zacharie 8.16), le terme prochain désigne plus spécialement le concitoyen ou l’ami ; mais dans la citation de saint Paul, il reçoit cette application plus étendue que Jésus-Christ, le premier, nous a appris à lui donner dans la parabole du Samaritain.

Les objections ou restrictions qu’on a coutume d’apporter au précepte de la véracité nous paraissent tomber d’elles-mêmes, au point de vue élevé où se place l’Apôtre et en présence des motifs auxquels il en appelle. Mensonges de légèreté, mensonges de convention, mensonges intéressés, mensonges officieux, qu’y a-t-il dans tout cela qui puisse subsister devant cette vérité, dans laquelle seule le chrétien a « la vie, le mouvement et l’être ? » Peut-on mentir avec foi ? mentir au nom de la vérité ? Mentir pour Dieu, mentir en Jésus-Christ, mentir par le Saint-Esprit ? Nous ne le pensons pas ; et nous ne pensons pas non plus que saint Paul, ni que le Seigneur, eût voulu mentir, pour quelque objet que ce soit.

La place que saint Paul donne à ce précepte en montre l’importance prépondérante, et nous en pouvons dire autant de celle qu’il lui donne dans Colossiens 3.9, bien qu’ici cette place soit la première, et là, la dernière. Mais dans l’un et dans l’autre cas, c’est la place la plus voisine de la doctrine de la nouvelle naissance, qui, dans l’épître aux Éphésiens, ouvre le développement, et dans l’épître aux Colossiens le clôt. Le respect pour la vérité est le premier fruit de la nouvelle naissance, et l’obligation la plus étroitement liée au fond de la foi ; et le mensonge, dont Satan est le père (Jean 8.44), ouvre la porte à tous les péchés.

Que l’on compare à ce verset de saint Paul ce mot de Ménandre : « Le mensonge est haï de tout homme sage et utile » (c’est-à-dire utile à la société). Le premier fait appel à la vérité en Dieu et à l’amour fraternel, le second, à l’estime de soi-même et à l’opinion d’autrui ; sur quoi Harless fait cette réflexion : « L’estime de soi-même ne saurait détruire la recherche de soi-même, qui trouvera toujours dans l’intérêt propre quelque côté accessible pour la tentation de mentir. »

Mettez-vous en colère et ne péchez point. Évidemment, l’Apôtre n’a pas voulu exhorter les Éphésiens à se mettre en colère. L’emploi de l’impératif tient ici à un idiome de la langue hébraïque (Éwald. Gr. Abr., § 618). On dit en hébreu : « Prenez conseil, et il sera dissipé, » pour : « Si vous prenez conseil, il sera dissipé » (Ésaïe 8.9) ; « Cherchez-moi et vivez, » pour : « Si vous me cherchez, vous vivrez » (Amos 5.4), etc. Voici d’après cela le sens des mots que nous venons de citer : « Si vous vous mettez en colère, ne péchez point. » Ainsi traduit Olshausen. Harless rejette cette traduction ; mais nous ne savons pas voir de différence entre elle et celle qu’il lui substitue : « Mettez-vous en colère de telle sorte que vous ne péchiez point. » Ces paroles sont empruntées au Psaume 4, verset 5, d’après la citation des Septante. Le texte hébreu peut se traduire de la sorte ; mais une autre traduction a été adoptée par nos versions reçues, et par les meilleurs commentateurs : « Tremblez, et ne péchez point. » En citant les Septante, bien qu’ils se fussent écartés du sens de l’original, saint Paul n’aurait fait que ce que font quelquefois les apôtres, lorsqu’ils invoquent un passage de l’Ancien Testament comme souvenir, et non comme argument. Il nous semble cependant qu’on pourrait s’en tenir à la traduction des Septante. La pensée du verset 5 serait alors : « Si vous êtes intérieurement émus, ne laissez pas votre ressentiment éclater ; si vous vous plaignez dans votre cœur, ne laissez pas la plainte sortir de votre bouche. » Quoi qu’il en soit, c’est probablement dans ce sens que les Septante ont entendu le texte hébreu, et que saint Paul à son tour a cité les Septante.

Tout le monde cependant n’est pas d’accord là-dessus. Ces mots de l’Apôtre ont été rendus de bien des manières. Il faut convenir qu’ils ont quelque chose d’étrange ; et qu’on a peine, en particulier, à discerner s’il s’agit ici d’une colère répréhensible, ou d’une colère légitime. C’est de cette question que dépend essentiellement l’explication de notre verset.

Plusieurs (Anselme, Théophile, Winer) ont cru qu’il s’agit d’une colère légitime ou même d’une colère sainte, parce qu’en exhortant à ne pas pécher dans cette colère, l’Apôtre leur semble donner à entendre qu’elle est exempte de péché en soi. Cette raison paraît d’abord concluante. Il n’est pas douteux qu’il ne puisse exister une colère sainte. Elle prend sa source dans des pensées analogues à celles qui expliquent ce que l’Écriture appelle « la colère de Dieu ; » et s’élève, à la vue des péchés des hommes, dans un cœur moins touché de ses sentiments personnels blessés que de la gloire de Dieu offensée. Telle est, vraisemblablement, la colère de Moïse (Exode 32.19) ; et telle est, certainement, la colère de Jésus (Marc 3.5 ; littéralement avec colère), et Jean 2.15, où le principe de cette colère est expliqué, dans le premier cas par la suite du verset, dans le second, par le verset 17. La pensée de l’Apôtre serait, selon cette interprétation, que le chrétien qui éprouve une colère de cette nature doit se garder soigneusement de passer de la colère qu’il ressent pour Dieu à une colère mêlée de sentiments personnels, ce qui pourrait arriver aisément, surtout si cet état d’esprit se prolonge, et ce qui pourrait donner accès au diable. C’est ainsi que nous avons nous-mêmes compris notre verset avant l’étude spéciale que nous venons d’en faire ; mais aujourd’hui nous croyons devoir rejeter cette interprétation par les raisons suivantes. D’abord, nous ne voyons pas d’où aurait pu venir à l’Apôtre l’idée de parler de cette colère sainte, dans une énumération des péchés qui ont cours chez les païens et auxquels les chrétiens doivent renoncer ; le sujet, en soi, serait étrange à cette place. Ensuite, cette double recommandation : « Que le soleil ne se couche point sur votre irritation, » et : « Ne donnez pas accès au diable, » donne aussitôt l’idée qu’il ne s’agit pas d’une colère bonne en soi ; et l’explication indiquée ci-dessus ne lève qu’imparfaitement cette objection. Puis, le mot que nous traduisons irritation, convient peu, ce nous semble, à une colère légitime. Enfin, au verset 31, l’Apôtre condamne « toute colère, » ce qu’il n’eût pas fait sans restriction, s’il venait de parler d’une colère sainte. Il s’agit donc d’une colère ordinaire, de celle qui a cours dans le monde et dont il est parlé encore au verset 31. Mais cette colère n’allant pas sans péché, comment l’Apôtre a-t-il pu ajouter : « Ne péchez point ? » Nous ne répondrons pas, comme l’ont fait certains interprètes, qu’il a voulu faire une concession à l’infirmité humaine, comme s’il eût dit : Mettez-vous en colère, soit, mais du moins ne vous laissez pas emporter à des actes répréhensibles. L’Écriture ne connaît pas de concession de cette nature ; la morale du Saint-Esprit est toujours parfaitement sainte. L’Apôtre n’a pas toléré la colère, mais il a prévu qu’il ne manquerait pas d’occasions qui l’exciteraient chez ses lecteurs, à cause de leur infirmité et de celle de leurs frères ; et prévoyant cela, il les exhorte à éviter soigneusement que cette colère se traduise en actes ou qu’elle dégénère en ressentiment. A la vérité, il y a déjà du péché dans le premier mouvement intérieur de la colère ; mais il y a péché d’une tout autre gravité dans l’action qui satisfait ce mouvement et dans la rancune qui le perpétue. Autre chose est que, sentant la colère s’allumer en moi, je me retire dans mon cabinet et me tienne à genoux jusqu’à ce qu’elle soit passée ; autre chose est que je m’y abandonne, que j’obéisse à ses inspirations et que je l’entretienne dans mon cœur. C’est cette distinction essentielle que l’Apôtre a voulu marquer en réservant ici le nom de péché au second cas. Dans le premier, on pourrait dire que la colère est plutôt à l’état de tentation qu’à l’état de péché proprement dit. Il ne faut pas oublier que le précepte de l’Apôtre est une citation empruntée à l’Ancien Testament, où la différence entre le sentiment et l’acte est plus marquée que dans le Nouveau. Au surplus, dans le Nouveau Testament lui-même ; et dans un discours de Jésus-Christ, le Sermon de la Montagne (Matthieu 5.22), une distinction semblable est faite entre le sentiment de la colère, et son explosion en parole, et même entre les divers degrés de cette explosion. En outre, si, dans ce dernier passage, la leçon sans cause est authentique, ce qui est douteux, les autorités étant à peu près également partagées pour et contre7, il en faudrait conclure que le Seigneur n’a pas entendu blâmer en cet endroit un mouvement de colère excité par des raisons suffisantes et promptement réprimé. Cette pensée a tant de rapport avec celle de notre texte, que nous sommes portés à croire que saint Paul a fait allusion à cet endroit du Sermon de la Montagne.

7 – En pareil cas, l’argument externe n’étant pas décisif, l’argument interne est d’un grand poids ; et comme il se rencontre que la plupart des autorités latines omettent le mot sans cause, tandis que la presque totalité des autorités grecques nous le présentent, une question assez curieuse s’élève : D’après les idées des pères latins et des pères grecs sur la colère, laquelle est la plus vraisemblable de ces deux suppositions, ou que les premiers aient effacé le mot s’il est authentique, ou que les seconds l’aient ajouté s’il ne l’est pas ?

Que le soleil ne se couche pas sur votre irritation. Peut-être ceci renferme-t-il une allusion à la fin du verset du Psaume 4 dont l’Apôtre vient de citer le commencement ; un lit de repos, et le coucher du soleil sont des idées corrélatives. Quoi qu’il en soit, l’Apôtre exhorte le chrétien qui éprouve un mouvement de colère à le réprimer sans délai, et à ne le laisser dans aucun cas dépasser la fin du jour (Voyez Deutéronome 24.15). Ceci nous montre que, parmi les péchés que la colère peut enfanter, celui contre lequel l’Apôtre veut plus spécialement prévenir ses lecteurs, c’est le ressentiment. C’est chez les chrétiens que doit se vérifier, dans son sens le plus élevé, cette parole d’un poète grec : « La colère de ceux qui s’aiment dure peu de temps ; » et régner, mais selon l’esprit et non légalement, cette règle qui obligeait les disciples de Pythagore à se réconcilier avant le coucher du soleil, s’ils étaient divisés. Cependant, il nous paraît que c’est restreindre la pensée de l’Apôtre que de l’appliquer exclusivement au ressentiment, comme le fait Harless, et après lui Olshausen. Nous pensons que la recommandation : « Ne péchez point, » a un sens plus étendu, et qu’elle comprend aussi les actes, et surtout les discours auxquels la colère peut pousser, et qui sont mentionnés dans Matthieu 5.22. Le mot irritation rend plus exactement que celui de colère le terme original. L’irritation est à la colère ce qu’est à la passion l’effervescence du moment.

Et ne donnez pas accès au diable. Nous ne croyons pas nécessaire de nous arrêter à combattre les commentateurs qui veulent traduire : Au calomniateur. Nous nous bornons à renvoyer le lecteur à 6.11 ; 2 Timothée 2.26, etc. Mais comment la colère, si l’on s’y abandonne et surtout si on la garde, donnera-t-elle accès au diable, plus que tel ou tel autre péché ? De deux manières, dont l’une regarde l’individu et l’autre l’Église. Quant à l’individu, comme rien ne favorise plus le développement de la vie de Dieu dans le cœur que l’amour fraternel, rien ne seconde mieux les entreprises du tentateur contre nous que l’amertume et l’animosité. Partout où le Diable trouve un cœur fermé, il trouve une porte ouverte. Mais surtout quant à l’Église : l’union de ses membres fait sa force, leur division sa faiblesse. Les querelles du dedans livrent la place à l’ennemi commun. C’est par une raison semblable que notre Apôtre détourne les Corinthiens d’une sévérité excessive à l’égard de ceux qui sont tombés, 2 Corinthiens 2.11. Cette sévérité, en aigrissant les esprits et en partageant l’Église, fournirait à Satan un moyen « d’avoir le dessus sur elle. » – « Satan, dit Chrysostome sur notre texte, n’a pas de meilleures occasions que celles que, lui fournissent les inimitiés. » « La colère de l’homme n’accomplit pas la justice de Dieu. » (Jacques 1.20).

Ici encore, remarquons combien le motif allégué pour réprimer la colère est fort et solennel. Il s’agit de ne pas compromettre la paix et la prospérité de l’Église, et de ne pas prêter des armes à cet ennemi, toujours présent ; toujours actif, pour tirer parti de nos divisions et pour agrandir la plus petite déchirure en s’efforçant de pénétrer par elle. Rapprochez de cela ce mot de Sénèque : « Considérez aussi combien le bruit de votre clémence vous fera d’honneur, et combien de fois on s’est fait d’utiles amis en pardonnant » (De irâ, 2, 34). Ce même traité renferme un autre passage qu’il est intéressant de comparer au commencement de notre verset 26 : « Ne pas entrer en colère, et ne pas pécher dans la colère, sont deux. Comme la médecine a d’autres moyens pour maintenir la santé du corps et d’autres pour la rétablir, la morale aussi a d’autres conseils pour prévenir la colère et d’autres pour la réprimer. » (4, 18).

Que celui qui dérobait. Non pas seulement le voleur de profession, mais quiconque était autrefois dans l’habitude de s’approprier le bien d’autrui, par quelques moyens que ce soit, tolérés ou non du monde et des lois.

Qu’il travaille, faisant de ses mains ce qui est bon. Nous nous en tenons à la leçon reçue. Les manuscrits offrent ici des variantes, entre lesquelles il est difficile, et peu important, de choisir. Les uns suppriment les mots : ce qui est bon, d’autres ceux-ci : de ses mains ; d’autres enfin lisent : de ses propres mains. Ce qui est bon, c’est-à-dire ce qui est utile et honorable, par opposition à l’industrie nuisible et immorale dont il vivait auparavant. La même expression est employée dans Galates 6.10, où nous traduisons : « Faisons ce qui est bon envers tous, » ou comme Lausanne, 1839, « faisons le bien envers tous. » En traduisant, avec nos versions reçues : « Faisons du bien à tous, » on restreint la bienfaisance recommandée par l’Apôtre à des sacrifices pécuniaires ; et cette restriction n’est pas dans l’original. Le mot du verset 9 qu’on rend par le bien est différent : il signifie plus spécialement ce qui est honorable, et celui du verset 10, ce qui est utile.

Pour avoir de quoi donner (littéralement communiquer) à celui qui en a besoin. Ce motif est admirable. Exhorter le voleur à travailler pour gagner honnêtement sa vie, c’est ce que la morale humaine pouvait faire ; mais il n’appartenait qu’à la morale évangélique de l’exhorter à travailler pour avoir de quoi donner. C’est que la première n’admet qu’une réforme ; la seconde seule demande une conversion. Le motif ordinaire est sous-entendu par saint Paul, qui l’exprime ailleurs, 1 Thessaloniciens 4.11-12 ; 2 Thessaloniciens 3.12 ; mais c’est cette omission même qui est admirable. L’Apôtre franchit toutes les considérations personnelles pour aller droit au cœur de la morale chrétienne, à la charité ; il sait que cet argument est le plus efficace aussi bien que le plus pur. Remarquez la confiance que ce langage suppose chez celui qui écrit en ceux qui lisent ; c’est un homme qui a compris cette belle parole du Seigneur : « Donner est plus heureux que recevoir, » parlant à des hommes qui l’ont comprise ainsi que lui. Aussi bien, l’Évangile n’est pas obligé à passer exactement par les degrés que se prescrirait en pareil cas la morale humaine ; car cette même doctrine de la croix qui a fait du voleur un honnête homme, en fait aussi du même coup un homme charitable, un saint, et au besoin un martyr. Qui change le cœur, peut changer toute la vie en un jour.

Qu’aucune parole mauvaise (littéralement pourrie). Nos versions traduisent malhonnête ; mais c’est empiéter sur l’article suivant où l’Apôtre traite de la pureté, et notamment de la pureté dans les discours (5.4). L’expression qu’il emploie ici a un sens plus étendu, qu’elle offre également ailleurs (Matthieu 7.17-18 ; 12.33.) Le passage parallèle de l’épître aux Colossiens (4.6) confirme cette réflexion : à la parole mauvaise de notre texte, il oppose la parole assaisonnée de sel, c’est-à-dire qui porte coup, par le sens et la vérité dont elle est pleine ; la parole mauvaise est, au contraire nuisible, ou, tout au moins, fade et insipide.

Pour l’édification nécessaire, littéralement : pour l’édification du besoin. A ce trait correspondent dans Colossiens 3.6, les mots suivants : « Afin que vous sachiez comment vous devez répondre à chacun. » Voyez aussi Proverbes 25.11 (littéralement la parole dite en son temps). L’utilité générale ne suffit pas ; il faut que nos discours s’adaptent exactement au besoin présent. Cette spécialité est indispensable pour être utile : des choses fort bonnes en soi peuvent être dépourvues de toute vertu, seulement pour être trop générales. Les généralités engendrent souvent la stérilité et l’ennui dans les rapports, soit de conversation, soit de correspondance entre chrétiens. Point d’application, point de fruit. Méditez sous ce point de vue les discours de Jésus-Christ, la spécialité est un de leurs caractères distinctifs.

Afin qu’elle donne une grâce à ceux qui l’entendent. L’expression de l’original a été diversement entendue ; par les uns : Afin quelle fasse plaisir à ceux qui l’entendent (Théodoret, Robinson, dans son dictionnaire, Rückert) ; par d’autres : Afin qu’elle fasse du bien (littéralement qu’elle accorde un bienfait) à ceux qui l’entendent (Harless, Olshausen qui citent 2 Corinthiens 8.4-6) ; par d’autres enfin : Afin quelle donne une grâce à ceux qui l’entendent (Gerlach, Lausanne 1839), c’est-à-dire qu’elle leur communique une bénédiction divine (Romains 1.11). Nous nous décidons pour cette dernière interprétation, qui ne diffère de la seconde qu’en ce qu’elle attribue au mot que Harless et Olshausen rendent par bienfait en général le sens spécial d’un bienfait divin et spirituel. Ce sens nous paraît réclamé, sinon par le terme grec (une grâce), du moins par le contexte « (l’édification nécessaire) » et surtout par Colossiens 3.6, dont les trois pensées me paraissent correspondre aux trois pensées de notre verset, et où la grâce ne peut se prendre, selon nous, que dans une acception spirituelle. Parlons toujours avec l’intention de faire du bien à ceux qui nous entendent.

Et ne contristez pas le Saint-Esprit de Dieu. Cette expression a une grande importance dogmatique. Elle prouve, d’abord, que le Saint-Esprit est une personne vivante ; ensuite, que cet Esprit, qui est « l’Esprit de Christ, » et « Christ en nous, » habite dans notre cœur non en hôte étranger et indifférent, froidement élevé au-dessus de toutes les sensations de l’humanité, mais en ami qui s’est approché de nous pour nous approcher de lui, et qui connaît quelque chose de nos alternatives de peine et de joie. Jusqu’où va cette participation ? Nous n’oserions le dire ; et nous nous en tenons aux expressions de notre texte, sans les presser davantage, de peur de tomber dans l’anthropomorphisme. Mais nous n’oserions pas, d’un autre côté, nous joindre à saint Jérôme et saint Ambroise, suivis par Harless, qui trouvent de l’anthropomorphisme dans le langage même de saint Paul. – Il est emprunté d’Ésaïe 63.10 : « Ils ont été rebelles et ils ont contristé l’Esprit de sa sainteté. » Contrister le Saint-Esprit, c’est moins que « l’outrager » (Hébreux 10.29) ; et l’outrager, c’est moins, ce semble, que « le blasphémer » (Marc 3.29).

Dont vous avez été scellés pour le jour de la rédemption. Nous traduisons dont, et non par lequel, comme nos versions reçues ; ce n’est pas le Saint-Esprit qui nous a scellés, c’est Dieu qui nous a scellés du Saint-Esprit, comme nous scellons de notre empreinte un document, pour que chacun le reconnaisse comme nôtre. Pour le jour de la rédemption, c’est-à-dire en vue de notre entière rédemption, et en attendant cette délivrance à venir, dont elle est à la fois le gage et les prémices (Voyez 1.14, et notre note sur ce verset). Il faut rapprocher de ce verset Romains 8.23-27.

L’Apôtre veut-il déterminer ses lecteurs par la crainte ou par l’amour ? En contristant le Saint-Esprit, s’exposent-ils à le voir s’éloigner d’eux ; ou se rendent-ils seulement coupables d’ingratitude envers lui ? Harless se décide pour la première hypothèse, Olshausen pour la seconde. Nous pensons qu’elles sont vraies toutes deux à la fois ; il est dans l’esprit de l’Écriture de nous pousser tout ensemble par la crainte et par l’amour. Nous accordons volontiers à Olshausen que l’amour est le mobile dominant et essentiellement évangélique ; et qu’il tient même la première place dans les mots qui terminent notre verset. Mais nous ne pensons pas que ce mobile exclue l’autre, ni le sceau du Saint-Esprit en nous la possibilité de le perdre. Il nous paraît, au contraire, que cette possibilité est obscurément indiquée par l’Apôtre, d’autant plus qu’elle est expressément supposée dans la seconde moitié du verset d’Ésaïe qu’il a sous les yeux : « C’est pourquoi il est devenu leur ennemi, et il a lui-même combattu « contre eux. » Mais c’est faire les choses trop précises dans un autre sens, et méconnaître la pensée dominante de l’Apôtre, que d’aller jusqu’à interpréter sa pensée comme le fait Hermès, cité par Harless : « Ne contriste pas le Saint-Esprit qui habite en toi, de peur qu’il ne prie Dieu, et ne s’éloigne de toi. » Le motif d’amour est clairement énoncé ; le motif de crainte n’est qu’obscurément indiqué.

Notre verset se lie étroitement au précédent, comme le 27 au 26, ainsi que le donne à connaître la conjonction et par laquelle il commence. C’est en proférant des paroles mauvaises que nous contristerions le Saint-Esprit ; en qui ? en nous qui parlons, ou en ceux à qui nous parlons ? L’un et l’autre ; mais plus spécialement, ce nous semble, en nous qui parlons. Ce motif allégué pour bien parler fait le pendant de celui qui vient d’être allégué pour réprimer la colère. L’irritation des esprits ouvrirait la porte au diable ; les paroles mauvaises la fermeraient au Saint-Esprit, ou tout au moins lui causeraient de la peine. Le mal personnifié dans le diable, le bien dans le Saint-Esprit, double caractère de l’Évangile, où tout est vivant ; et cette vie, cette personnalité, entretient la crainte et la vigilance d’une part, l’amour et la confiance de l’autre. Encore un motif tout à fait particulier à la morale évangélique, et combien capable d’agir sur notre cœur ! Quel chrétien ne veillerait mieux sur ses discours, s’il avait présent à l’esprit la pensée que des paroles nuisibles ou inutiles contristent le Saint-Esprit ?

Que toute amertume, ou passion, ou colère, ou clameur, ou parole offensante, soit ôtée de vous, avec toute malice. L’ordre de ces mots ne nous paraît pas arbitraire, comme il l’est dans Colossiens 3.8 ; notre épître a une disposition systématique, que l’épître aux Colossiens n’a pas. Les péchés ici nommés le sont dans l’ordre de leur développement. – L’amertume, source commune de tout le reste, produit, en s’agitant dans l’âme, la passion, qui est une émotion intérieure ; la passion, en se répandant au dehors, la colère ; la colère, enfin, les cris et les paroles offensantes (et non la médisance, comme l’ont rendu nos versions). Par la malice, qui est nommée à part, on entend communément une disposition générale qui renferme et résumé toutes celles qui viennent d’être nommées. Mais il nous semble que l’Apôtre aurait dit alors : en un mot toute malice, ou quelque chose de semblable ; et que la manière dont ce terme est introduit indique une idée nouvelle et qui se détache de ce qui précède. Nous pensons que la malice est la disposition qui pousse à faire du mal aux autres ; tandis que tous les termes qui précèdent se rapportent à la manière dont on supporte le mal qu’on reçoit d’eux. Supporter le mal, et n’en point faire, c’est le résumé de la charité chrétienne. En développant plus la première idée que la seconde, en y revenant encore dans les versets suivants, l’Apôtre montre la connaissance qu’il a du cœur humain. « La charité, disait un chrétien expérimenté, se réduit presque tout entière au support. »

Et soyez bons. Ce mot est opposé, selon Olshausen, à l’amertume. Je le croirais plutôt opposé à la malice ; et les mots qui suivent à l’amertume, etc. Mais peut-être est-il plus simple de ne pas essayer de faire ces distinctions. Bons, marque la bonté en général ; compatissants, la bonté envers ceux qui souffrent ; vous faisant grâce, etc., la bonté envers ceux qui nous ont offensés (Comparez Colossiens 3.12-13).

Comme aussi Dieu vous a fait grâce en Christ. Le pardon de Dieu figure ici tout ensemble comme exemple et comme argument. Harless affirme trop en disant que l’expression que nous rendons par « comme aussi » ne peut jamais marquer la comparaison seule, sans argument. Voyez le verset 17 de notre chapitre. Mais ici elle signifie tout à la fois ainsi que et parce que. Quelques manuscrits lisent nous au lieu de vous ; cette différence est insignifiante.

Soyez donc. Ce n’est pas ici le donc qui déduit une conséquence, mais le donc qui résume et conclut un développement. Les deux premiers versets du chapitre 5, qu’on aurait mieux fait de réunir au chapitre 4, terminent ce que l’Apôtre avait à dire sur les devoirs de la justice par une exhortation générale, et qui peut suppléer à toute autre.

Imitateurs de Dieu, comme des enfants bien-aimés. Il est dans l’ordre qu’un enfant soit semblable à son père (1 Jean 3.1-3) ; et il est dans la nature que celui qui a été aimé aime à son tour (1 Jean 4.7-11) ; double raison pour que nous soyons imitateurs de Dieu, et surtout de son amour. De Dieu, l’Apôtre passe, sans transition, à Christ, parce que « Dieu était en Christ » et nous a aimés en lui.

S’est livré pour nous en offrande et en sacrifice. Quelques commentateurs, Usteri, Rückert, etc., ne voient pas ici la mort expiatoire de Jésus-Christ, mais seulement l’exemple de dévouement qu’il nous a donné. Mais ces deux expressions en sacrifice et pour nous ne peuvent s’entendre que d’une expiation proprement dite. Qui souffre, comme une victime pour nous, souffre à notre place, cela est évident (rapprochez Matthieu 20.28 ; 1 Timothée 2.6 ; Romains 3.25, etc.). En principe, l’offrande diffère du sacrifice, en ce que l’offrande est le genre, et le sacrifice, l’espèce ; le sacrifice est une offrande sanglante. Mais, comme le mot offrande (ou oblation) est employé plus d’une fois de la mort expiatoire de Jésus-Christ (Hébreux 10.9, 14, 18, comparez 12 et 26), on pourrait voir dans l’offrande le sacrifice de prospérité, et dans le sacrifice le sacrifice pour le péché ; le premier, marquant la reconnaissance et le dévouement que nous devons à Dieu, le second le besoin que nous avons d’une expiation à ses yeux. Jésus-Christ a présenté à Dieu l’un et l’autre dans sa personne : le premier, en souffrant jusqu’à la mort pour accomplir la volonté du Père ; le second, en portant nos péchés en son corps sur le bois. Ainsi l’entendent Harless, Gerlach et Stier sur le Psaume 40.7, auquel saint Paul paraît faire allusion. Jésus-Christ, dit Harless, nous serait alors présenté ici comme victime et comme sacrificateur tout ensemble ; et les mots, « en odeur, etc., » confirment cette explication, selon lui, parce qu’ils ne se lisent dans l’Ancien Testament qu’en parlant des sacrifices de prospérité (Lévitique 1.1 ; 2.13, 17 ; 2.1-2 ; 31.16). Mais cette distinction est-elle suffisamment indiquée, soit ici, soit dans le Psaume 40 ? J’en doute, et suis porté à considérer l’emploi de ces deux substantifs comme destiné à épuiser l’idée du sacrifice de Jésus-Christ.

En odeur de bonne senteur à Dieu. Nous croyons devoir placer de cette manière les mots à Dieu, à cause de Lévitique 1.13 (littéralement en odeur de bonne senteur à l’Éternel), outre que la phrase « s’est « livré, etc. » (sous-entendu à la mort), est complète sans cette addition à Dieu. Cette expression, « en odeur de bonne senteur, » est appliquée souvent aux sacrifices (Genèse 8.21 ; Lévitique 2.12, etc.), et l’est, par extension, à des actions qui plaisent à Dieu, et plus spécialement à des actes de dévouement et de renoncement (2 Corinthiens 2.15 ; Philippiens 4.18).

Remarquons en terminant cet article de notre épître, à quel point le Nouveau Testament est rempli de l’Ancien. Dans ces dix versets, nous avons trouvé l’Ancien Testament cité ou rappelé cinq fois :

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