Explication pratique de la première épître de Jean

Vie de Saint Jean

Au moment d’aborder l’étude de notre Épître, quelques mots sur la personne de l’écrivain sacré ne paraîtront pas déplacés. On comprend que nous n’avons nullement la pensée d’envisager ce sujet sous toutes ses faces ; traité à fond, il fournirait la matière d’un livre plein d’intérêt et d’édification. Après avoir retracé les circonstances de la vie de saint Jean, il faudrait encore essayer, à l’aide de ses écrits, de pénétrer dans son âme, et raconter sa vie intérieure ; sous le personnage historique, il faudrait rechercher le théologien, l’apôtre, le chrétien, l’homme. Tel n’est pas notre but : nous nous proposons simplement de rassembler ici les rares détails que nous possédons sur la vie du disciple bien-aimé.

Les Pères qui suivirent Eusèbe, les apocryphes du Nouveau Testament, la tradition ecclésiastique en général, nous ont transmis sur saint Jean une foule de légendes superstitieuses sur lesquelles nous ne nous arrêterons pas, mais qui servent à prouver tout au moins la prédilection avec laquelle on s’attachait aux moindres particularités, vraies ou supposées, de son histoire. Voici à peu près tout ce que nous savons de certain sur lui. Jean (je — abréviation de Jéhovah ; hana fait grâce), frère de Jaques-le-Majeur, et probablement plus jeune que lui, puisque quand son frère est nommé, il l’est en général avant lui, était fils d’un pêcheur de la Galilée nommé Zébédée. Il est permis de penser, malgré l’affirmation contraire de Chrysostôme, que sa famille possédait quelque aisance : en effet, le lac de Génézareth où pêchait Zébédée étant très poissonneux, l’état qu’il exerçait devait être lucratif ; il avait sous ses ordres plusieurs ouvriers (Marc 1.20) ; sa femme suivait Jésus en Galilée et l’assistait de ses biens (Luc 8.2-3 ; Marc 15.40-41 ; Matthieu 27.56) ; après la mort de Jésus, elle acheta des drogues aromatiques pour embaumer son corps (Marc 16.1) ; enfin, son fils possédait une maison où il recueillit la mère de Jésus (Jean 19.17). La mère de notre Apôtre s’appelait Salomé. Les deux traits que nous venons de citer de son affectueux dévouement à la personne du Sauveur, ainsi que la prière à la fois intempestive, naïve et pleine de foi, qu’elle adressa à Jésus en faveur de ses deux fils (Matthieu 20.21), concourent à nous montrer en elle une femme pieuse qui dans l’humble fils de Marie avait appris à reconnaître et à révérer le Messie. Nous ne possédons sur la piété de Zébédée aucune indication précise, si ce n’est qu’il ne paraît pas s’être opposé à ce que ses fils le quittassent subitement pour suivre le Sauveur (Matthieu 4.22). La famille de saint Jean appartenait sans doute à cette classe de Juifs simples et croyants que l’on rencontre en Palestine à cette époque, et qui, plus occupés de l’accomplissement des prophéties que de l’observance rigide de la loi, attendaient avec ardeur la délivrance d’Israël. De ce nombre étaient la famille de Zacharie et celle de la mère de Jésus. Ce furent peut-être les impressions religieuses reçues au milieu des siens qui poussèrent Jean à quitter ses filets pour venir, au moment où le fils de Zacharie commençait ses prédications sur le bord du Jourdain, se mêler à la foule de ses auditeurs. Envoyé par Jean-Baptiste à Jésus-Christ, il se sentit, dès le premier instant, vivement attiré vers lui ; toutefois, il ne demeura pas dans sa société : Jésus, après l’avoir reçu dans sa maison et l’y avoir gardé jusqu’à la fin du jour, avec André qui l’accompagnait, les renvoya à leurs travaux (Jean 1.35-39). Jean avait repris sa barque et ses filets quand Jésus l’appela définitivement, en même temps que Jaques son frère, Pierre et André (Matthieu 4.21). Comme la tradition universelle rapporte qu’il mourut à la fin du premier siècle, il paraît naturel d’admettre qu’il était encore jeune au moment de sa vocation. Nous ne savons pas quel était alors son développement religieux ; mais nous voyons que dans la suite lui, son frère et Pierre furent distingués entre les apôtres, et eurent le privilège d’accompagner partout le Sauveur. Clément d’Alexandrie appelle ces trois apôtres « élus entre les élus. » Nous les retrouvons à la pêche miraculeuse (Luc 5.9), à la résurrection de la fille de Jaïrus (Marc 5.37), à la transfiguration (Matthieu 17.1), dans le jardin de Gethsémané (Matthieu 26.37) ; et parmi ces compagnons privilégiés du Seigneur Jean eut encore une place à part, puisqu’il s’appelle lui-même, dans un sens spécial, « le disciple que Jésus aimait » (Jean 13.23).

Lorsque Jésus fut fait prisonnier, Jean prit la fuite avec tous les autres disciples (Marc 14.50) ; mais il ne tarda pas à revenir sur ses pas ; il entre avec Pierre dans la cour de la maison de Caïphe qu’il connaissait personnellement (Jean 18.15-16) ; il suivit probablement le Sauveur dans le cours de sa passion, et nous le retrouvons avec les saintes femmes au pied de la croix. Jésus mourant lui recommande sa mère, et dès cette heure il la prit chez lui (Jean 19.25-27). Trois jours après, Marie de Magdala vint lui annoncer, ainsi qu’à Pierre, la résurrection du Seigneur : ils coururent tous deux au sépulcre ; Jean, plus agile que Pierre, y arriva le premier, mais n’osa pas en franchir le seuil ; ce ne fut qu’à l’exemple de son compagnon, plus entreprenant que lui, qu’il se hasarda à entrer (Jean 20.2).

Ici se termine la première partie de la vie de saint Jean ; après la mort de son divin ami il entre dans une phase nouvelle de sa carrière ; au disciple de Jésus succède l’apôtre, le missionnaire, le prédicateur de l’Évangile. A partir de ce moment, son histoire se confond davantage avec celle des autres apôtres. C’est à Jérusalem qu’il commence à exercer son ministère dans la compagnie de Pierre (Actes 3.1) ; il eut à y souffrir de la part des chefs du peuple (Actes 4.7, 18-19), et se rendit bientôt à Samarie (Actes 8.14). Après y avoir prêché quelque temps, il retourna à Jérusalem, où il paraît avoir fait un long séjour, puisque Paul, dix-sept ans après sa conversion (Galates 1.18 ; 2.1), l’y trouva encore (Actes 8.25 ; Galates 2.9). Mais dans le dernier voyage que fit Paul à Jérusalem, environ l’an 60, il n’y rencontra probablement pas saint Jean, car il ne le nomme pas, tandis qu’il nomme Jaques son frère (Actes 21.18). Quand s’éloigna-t-il de Jérusalem et où se dirigea-t-il alors ? Nous sommes réduits aux conjectures sur ces deux questions. Quant à la première, Nicéphore affirme dans son histoire ecclésiastique que son départ eut lieu à l’époque de la mort de Marie, après que sa mission de charité auprès de sa mère adoptive fut terminée. Quant à la seconde, on ne peut guère supposer que Jean se rendit immédiatement de Jérusalem à Ephèse où nous le trouvons plus tard, car Paul, dans tous ses travaux en Asie Mineure, ne fait point mention de lui ; d’ailleurs l’apôtre des Gentils avait pour principe de n’annoncer l’Évangile que dans les lieux où l’on n’en avait pas encore entendu parler (Romains 15.20 ; 2 Corinthiens 10.13-16) ; il n’aurait donc pas voulu entrer dans un champ de travail déjà cultivé par saint Jean. Ce dernier ne vint vraisemblablement à Ephèse qu’après le départ, et peut-être après le martyre de saint Paul, vers la fin du règne de Néron, ce qui explique entre autres le ton des épîtres de saint Jean, évidemment adressées à des églises ou à des individus qui connaissaient déjà l’Évangile. Il resta à Ephèse jusqu’à sa mort, dirigeant de là les églises de l’Asie Mineure et les visitant quelquefois (2 Jean 1.12 ; 3 Jean 1.13-14). Il fut vers la fin de sa vie transporté à Patmos, petite île rocheuse de la mer Egée, au sud-ouest d’Ephèse ; c’est là, dans le silence de l’exil, qu’il écrivit ses révélations prophétiquesa (Apocalypse 1.9). On ne sait combien de temps il y demeura. Clément d’Alexandrie raconte qu’à son retour il ramena à la foi chrétienne, par ses paternelles exhortations, un jeune homme autrefois pieux, mais qui, entraîné par de funestes exemples, était tombé dans le mal et s’était mis à la tête d’une bande de voleurs. Dans les dernières années de sa vie, ne pouvant plus adresser à ses disciples de discours suivi, il se faisait transporter au milieu d’eux et se bornait à leur dire de sa voix défaillante : « Mes petits enfants, aimez-vous les uns les autres ! » Il mourut, dans un âge très avancé, à Ephèse, sous le règne de Trajan. Les traces de sa piété simple et ardente se reconnaissent, bien qu’affaiblies, dans les docteurs de l’Asie Mineure qu’il avait instruits. Il ferma le siècle apostolique. On sait que d’après Jean 21.21, la croyance se répandit dans l’Église chrétienne qu’il n’était point réellement mort.

a – Bien que la tradition ecclésiastique s’accorde à regarder le séjour de Jean à Patmos comme un exil, et que rien dans le texte ne s’oppose à cette interprétation, remarquons toutefois que rien non plus ne la confirme d’une manière décisive. ll se pourrait qu’il eût été conduit par une direction divine dans la solitude de Patmos, pour y recevoir ses révélations, « pour la parole de Dieu et le témoignage de Jésus-Christ. »

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