Explication pratique de la première épître de Jean

II
De la nature de Dieu et des conséquences qui en résultent pour nous

1.5-10

5 Et voici le message que nous avons entendu de lui et que nous vous annonçons : c’est que Dieu est lumière et qu’il n’y a en lui nulles ténèbres. 6 Si nous prétendons avoir communion avec lui tout en marchant dans les ténèbres, nous mentons et ne pratiquons pas la vérité ; 7 mais si nous venons à marcher dans la lumière comme il est lui-même dans la lumière, nous avons communion les uns avec les autres et le sang de Jésus-Christ son fils nous purifie, de tout péché. 8 Si nous disons que nous n’avons point de péché nous nous trompons nous-mêmes et la vérité n’est point en nous ; 9 si nous confessons nos péchés, il est fidèle et juste pour nous pardonner nos péchés et nous purifier de tout mal. 10 Si nous disons que nous n’avons point péché, nous le faisons menteur et sa parole n’est point en nous.

Saint Jean passe sans cesse, dans son épître, des promesses les plus belles aux conditions auxquelles l’accomplissement de ces promesses se trouve soumis. Son exposition de la vérité religieuse a toujours pour conséquence nécessaire le progrès moral. Après avoir, dans les premiers versets, combattu ceux qui voilaient la réalité historique de la personne du Christ, il attaque maintenant le christianisme formaliste et mondain, résultat de ces doctrines relâchées. « Et voici le message que nous avons entendu de lui et que nous vous annonçons : c’est que Dieu est lumière, et qu’il n’y a en lui nulles ténèbres. » L’Apôtre dépeint la nature de Dieu, comme il l’avait souvent fait dans le cours de ses prédications orales : Dieu est lumière ; la lumière est le fond de son être ; il y a opposition absolue entre Lui et les ténèbres. Dans l’Écriture sainte, et en particulier dans saint Jean, la lumière indique tout ce qui est selon Dieu, tout ce qui appartient à son essence, la vérité, la pureté, la félicité ; les ténèbres sont l’image de tout ce qui est contraire à sa volonté, du mensonge, du mal, du malheur. Les paroles qui suivent montrent que saint Jean entend principalement ici par ténèbres ce qui est opposé à la sainteté ; en désignant Dieu comme la lumière, il veut donc indiquer avant tout que la sainteté forme son essence. De là ressortent naturellement et les conditions nécessaires pour entrer en communion avec Dieu, et les marques auxquelles on peut reconnaître cette communion, comme aussi les signes par lesquels on peut avec certitude en constater l’absence. « Si nous prétendons avoir communion avec lui, tout en marchant dans les ténèbres, nous mentons et ne pratiquons pas la vérité.Mais si nous venons à marcher dans la lumière, comme il est lui-même dans la lumière, nous avons communion les uns avec les autres, et le sang de Jésus-Christ, son Fils, nous purifie de tout péché. » Saint Jean part de ce fait, qu’il n’y a communion entre deux êtres qu’autant qu’ils ont une certaine affinité spirituelle : celle-ci, si elle est réelle, doit nécessairement se produire au dehors ; ainsi, personne ne peut entrer en communion avec le Dieu de lumière et de sainteté sans éprouver pour lui un sincère attachement, qui se manifestera par une vie de sainteté et de lumière. La pensée de l’Apôtre n’est nullement qu’une vie sainte nous amènera à la communion avec Dieu ; il suppose au contraire cette communion établie par la foi au Sauveur ; il ne veut qu’indiquer les signes auxquels on peut reconnaître si cette communion est réelle, ou si elle ne l’est pas, si la piété que l’on professe est sincère ou trompeuse. Prétendre marcher dans la communion avec Dieu, tout en agissant contre sa volonté, c’est se rendre coupable de mensonge ; c’est, dit saint Jean, ne pas pratiquer la vérité. Cette expression est remarquable ; elle tient au point de vue général de saint Jean, qui ne borne pas le domaine de la vérité à la parole articulée, mais l’étend à la vie entière. La vie de l’homme plonge ses racines ou dans le mensonge ou dans la vérité, et la véracité des discours n’est qu’une des marques de la vérité de la vie. C’est pourquoi, dit l’Apôtre, tout homme dont la conduite dément la profession, non seulement trompe en paroles, mais prouve encore par là qu’il ne pratique pas la vérité, et que sa vie est entachée de mensonge.

A ceux qui marchent dans les ténèbres, saint Jean oppose ceux qui marchent dans la lumière, c’est-à-dire dans la sainteté. Ceux-ci ont communion les uns avec les autres, par cela même que tous ont communion avec Dieu, qui est la lumière et la sainteté même. Ces deux privilèges sont inséparables l’un de l’autre ; ce ne sont, à vrai dire, que deux faces d’un même fait.

La pensée de saint Jean est donc claire ; elle peut se résumer ainsi : Il faut distinguer soigneusement les vrais membres de la communauté chrétienne, ou de l’Église (bien qu’il ne se serve point de ce nom dans cette épître), et ceux qui, tout en paraissant en faire partie, renient par leur conduite les principes mêmes sur lesquels elle repose.

Si, dès ici-bas, la vie du chrétien n’était qu’une inaltérable communion avec Dieu, si la lumière dans laquelle il marche n’était jamais obscurcie, et qu’il fût hors de l’atteinte du péché, saint Jean n’aurait eu rien à ajouter à ce qu’il vient de dire. Mais il sait que même chez le fidèle affranchi par Jésus-Christ le péché n’a pas perdu tout empire ; qu’il y a, même au sein de la lumière, de douloureuses réactions de l’esprit de ténèbres ; il sait que le chrétien n’est pas parfait, qu’il est seulement en marche vers la perfection ; aussi se hâte-t-il de déclarer, relativement aux péchés dont a encore à gémir l’enfant de Dieu, que le sang de Jésus-Christ l’en purifie sans cesse.

Il est évident qu’il ne faut prendre ni le sang de Christ ni la purification qu’il opère dans un sens matériel. Dans ce passage, comme dans le passage parallèle de l’épître aux Hébreux (Héb.9.14), il est question d’une purification spirituelle et par conséquent aussi d’un moyen spirituel de purification. Il faut chercher la pensée de saint Jean sous l’image dont il se sert pour la dépeindre. Son langage, comme celui de l’Écriture sainte en général, n’est pas le langage exact de la science, mais celui de la vie, qui, au lieu de décrire dans son ensemble tel fait ou tel objet, le désigne souvent par un de ses éléments caractéristiques ; cette méthode abrégée est surtout fréquente lorsque le caractère que l’on relève dans ce fait ou dans cet objet est entre tous le plus important, et qu’à lui seul il en mesure toute la portée. Mais dans ce cas il faut, pour saisir le vrai but de l’écrivain, grouper autour du point unique et essentiel qu’il met en lumière, d’autres détails qui s’y rattachent et sans lesquels sa pensée demeurerait incomplète. Ainsi, le sang de Christ nous ramène nécessairement au fait général de ses souffrances, et ses souffrances elles-mêmes ne sont qu’une face spéciale de son œuvre, qui fut à la fois active et passive ; il souffre pour le péché du genre humain et en même temps, en opposition avec le péché, il fait briller sur la terre la sainteté absolue. Telle est la pensée complète de saint Jean que nous aurons occasion de voir développée ailleurs. Les souffrances de Christ n’ont pas seulement un effet momentané : leur vertu rédemptrice s’étend sur tous ceux qui par la foi ont communion avec lui ; ils sont peu à peu affranchis du péché et transformés en enfants de lumière. Cette œuvre de purification est double : elle embrasse à la fois le pardon par lequel l’homme, quoique pécheur, peut rentrer en communion avec Dieu, et la sanctification, c’est-à-dire l’abolition graduelle du péché lui-même. Ce sont là les effets permanents de la rédemption une fois accomplie par Jésus-Christ. Saint Jean relève avec soin ces deux faces de la vérité dont l’importance pratique est incontestable. D’une part l’on voit des personnes qui, tout en étant sérieusement entrées dans la vie chrétienne, sentent leur conscience troublée par le péché qu’elles découvrent encore en elles ; à l’ouïe de cette parole, que Dieu est lumière, et que ceux qui marchent dans la lumière peuvent seuls avoir communion avec Lui, elles s’effrayent, des scrupules sincères s’élèvent dans leur cœur, leur confiance s’ébranle : saint Jean rassure ces chrétiens en détournant leurs regards d’eux-mêmes et les portant sur l’œuvre que Christ a accomplie en leur faveur ; là se trouve pour eux la garantie d’un affranchissement final et complet du péché. Mais il en est d’autres qui méconnaissent également la vérité chrétienne, dans un sens opposé : ce sont ceux qui se confient dans le sang de Christ, sans que la pureté de leur conduite réponde à cette confiance. Saint Jean cherche à renverser cette funeste illusion, en leur représentant qu’il est impossible de compter sur les mérites du sacrifice de Jésus-Christ, à moins de prouver par sa vie que l’on est en communion avec lui. C’est ainsi que l’Apôtre établit le lien essentiel à maintenir entre Christ en nous et Christ pour nous. Ce sont les deux faces d’un même fait, et l’on doit se garder d’en relever une à l’exclusion de l’autre. Aussi saint Jean, s’adressant principalement à ceux qui, dans le sentiment de leur union avec Jésus-Christ, oublient que le péché règne encore en eux, se hâte-t-il de leur montrer que les enfants de Dieu ont eux-mêmes constamment besoin de revenir au Sauveur : « Si nous disons que nous n’avons point de péché, nous nous trompons nous-mêmes et la vérité n’est point en nous » C’est donc nous faire la plus étrange illusion, c’est nous mentir à nous-mêmes, que de croire être dès à présent affranchis de tout péché ; c’est prouver que l’amour de la vérité n’occupe pas la première place dans nos pensées ni dans notre vie. L’Apôtre, en employant la première personne, montre qu’il ne fait aucune exception et qu’il est lui-même de ceux chez lesquels persiste le sentiment du péché et le besoin du pardon.

Poursuivant le même ordre d’idées, il ajoute : « Si nous confessons nos péchés, il est fidèle et juste pour nous pardonner nos péchés et nous purifier de toute injustice. » La fidélité et la justice de Dieu, tel est le fondement de l’assurance du chrétien. Dieu est fidèle, c’est-à-dire qu’il ne peut agir que d’une manière conforme à sa nature. Il tiendra donc infailliblement les promesses qu’il a faites aux hommes, soit directement par sa parole, soit indirectement par les besoins qu’il a lui-même implantés dans leur âme ; il existe entre le commencement, le milieu et l’achèvement de son œuvre une harmonie complète ; c’est un parfait ensemble ; ce qu’il a fait est le gage certain de ce qu’il veut faire encore ; il n’y a dans l’accomplissement de ses plans ni une seule contradiction, ni le moindre désaccord. Il résulte de là que, puisque Dieu a promis aux croyants le pardon de leurs péchés et qu’il leur a confirmé cette déclaration à diverses reprises, par sa parole, par l’envoi de son Fils au monde, par l’œuvre de son Esprit au dedans d’eux, ils peuvent sans hésitation compter sur l’accomplissement de sa promesse, pourvu que, de leur côté, ils remplissent les conditions qui leur sont imposées.

On pourrait trouver surprenant que saint Jean, après avoir parlé de la fidélité de Dieu, relève encore sa justice, comme base de la confiance du chrétien ; on s’attendrait qu’il fît plutôt reposer le pardon sur son amour et sa miséricorde. L’association de ces deux mots — fidèle et juste — fournit l’explication demandée ; le premier sert à faire comprendre le second. L’homme juste est celui qui donne à chacun ce qui lui revient. Dieu manifeste sa justice en observant avec une constance parfaite les lois sur lesquelles il fait reposer l’ordre moral ; si d’un côté la rédemption a sa source dans la miséricorde de Dieu, de l’autre c’est sa justice qui maintient les lois d’après lesquelles ce salut, fruit de son amour, s’applique aux hommes ; c’est sa justice inaltérable qui permet aux rachetés d’attendre de lui avec confiance, sous certaines conditions, l’effet de ses promesses.

C’est donc l’amour de Dieu qui donne naissance au plan de la rédemption ; c’est sa justice, toujours fidèle à elle-même, qui en règle l’application. Ainsi le chrétien jouit d’une pleine assurance : ce que Dieu a commencé, il l’achève ; il est fidèle et tiendra son engagement, si les croyants tiennent le leur. La condition qui leur est imposée, c’est la confession de leurs péchés, non celle des lèvres, mais celle du cœur ; c’est, en d’autres termes, une conviction profonde de leur état de péché, une repentance sincère, un regard saintement clairvoyant qui discerne le péché sous toutes ses formes et partout où il se trouve ; c’est enfin un besoin toujours renouvelé de s’adresser à Dieu pour obtenir le pardon et la purification du cœur. En effet, Dieu ne se communique jamais à l’homme d’une manière fatale ou magique, il n’use envers lui d’aucune contrainte, mais il le traite comme un être moral, capable d’accepter librement le salut qui lui est offert ; l’homme n’a part à ce salut qu’autant qu’il s’y montre accessible et qu’il souhaite de le recevoir : « Quiconque prie (mais celui-là seul qui prie), reçoit ; » cette parole du Seigneur trouve partout sa confirmation ; or prier c’est nous tourner vers Dieu dans le sentiment du besoin que nous avons de lui. C’est pourquoi saint Jean pose comme une condition de la grâce spéciale dont il parle, savoir du pardon des péchés, la disposition spéciale qui correspond à cette grâce et prépare le cœur à la recevoir, savoir la confession des péchés. Au pardon promis à l’homme qui reconnaît sa misère se joint la purification « de toute injustice » ou de toute iniquité ; ces deux idées, bien qu’étroitement liées entre elles, sont néanmoins distinctes : le pardon, c’est l’oubli des fautes passées ; la purification, c’est le travail qu’opère sans cesse l’Esprit-Saint dans l’âme, et qui empêche le chrétien, une fois pardonné, de retomber dans ces mêmes fautes.

Après avoir exposé cette vérité, saint Jean, selon sa coutume, la reproduit sous forme négative : « Si nous disons que nous n’avons point péché, nous le faisons menteur, et sa parole n’est point en nous. » Dire, et par conséquent se dire à soi-même ou penser que l’on est sans péché, c’est se faire sur la sainteté véritable des idées entièrement fausses, c’est n’avoir pas comparé sa vie avec l’idéal qu’on devait poursuivre, c’est ne s’être pas examiné soi-même à la lumière divine et dans le miroir de la Parole de Dieu, c’est, en outre, chercher à atténuer le péché quand on ne peut s’empêcher de le reconnaître, et émousser volontairement sa conscience. Or, agir de la sorte, ce n’est rien moins que faire Dieu menteur, c’est-à-dire déclarer pratiquement que nous le considérons comme menteur, qu’il n’est plus pour nous le Dieu vrai ; car d’un côté sa Parole représente toujours les hommes comme pécheurs, elle réveille en nous la conviction du péché ; de l’autre, la venue de Jésus au monde pour sauver le genre humain prouve avec évidence qu’aux yeux de Dieu nous avons besoin d’être sauvés ; nier ce besoin, méconnaître notre état de péché, c’est donc réellement taxer de mensonge le Dieu qui nous parle dans l’Écriture sainte et qui nous a donné un Sauveur. Saint Jean déclare, en outre, de ces hommes légers ou rebelles qui refusent de se reconnaître pécheurs, que « la Parole de Dieu n’est point en eux, » c’est-à-dire que cette parole n’est point le principe inspirateur de leur vie. C’est dans le même sens qu’il affirme plus haut (vers. 8), que la vérité n’est point en eux, que leur vie ne procède pas de la vérité. Sans doute, ils peuvent adhérer à la Parole de Dieu et se réclamer d’elle ; mais elle n’a pas pénétré dans leur âme ; le jugement orgueilleux qu’ils portent sur eux-mêmes est en opposition avec elle ; la Parole de Dieu n’est point pour eux une puissance régénératrice, elle reste hors d’eux comme une lettre morte, une règle purement extérieure.

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