Explication pratique de la première épître de Jean

VII
L’amour du monde

2.15-17

15 N’aimez point le monde ni les choses qui sont dans le monde. Si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’est pas en lui, 16 parce que tout ce qui est dans le monde, la convoitise de la chair et la convoitise des yeux et l’orgueil de la vie ne vient pas du Père, mais vient du monde. 17 Et le monde passe et sa convoitise ; mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement.

Après avoir indiqué aux croyants l’unique moyen de soutenir avec succès le combat contre le monde, l’Apôtre conclut par cette exhortation : « N’aimez point le monde ni les choses qui sont dans le monde. » Il est peu de paroles dont on ait autant abusé que de celle-là et à la faveur desquelles il se soit glissé autant d’erreurs dans la morale chrétienne. On a voulu faire dire à saint Jean que le vrai chrétien devait sortir du monde et y renoncer absolument : or rien n’est plus loin de sa pensée ; l’enseignement constant de l’Évangile est que le monde avec tout ce qu’il contient procède de Dieu, et qu’il est destiné, comme la création entière, à servir et à glorifier le Créateur. C’est à l’homme régénéré par Jésus-Christ qu’il appartient de réaliser librement ce but suprême de la création : il est appelé à employer à la gloire de Dieu toutes les choses qui sont au monde, chacune suivant sa nature propre ; il suit l’exemple de Christ, qui ne s’est point retiré du monde, mais a pleinement glorifié son Père par la manière dont il en a usé. Ce que demande saint Jean, c’est que Dieu seul soit l’objet de l’amour absolu de l’homme, que cet amour s’empare de son cœur, inspire sa vie, qu’il ne souffre aucun rival, mais range en sous-ordre toutes les autres affections ; la pensée de l’Apôtre est la même que celle de son divin Maître, lorsqu’il disait : « Là où est votre trésor (votre souverain bien) là sera aussi votre cœur (de ce côté-là se porteront toutes les pensées de votre âme). » L’objet que l’homme aime par-dessus tout (soit le monde, soit Dieu) détermine la direction de toute sa vie et influe sur chacun de ses actes (Matthieu 6.21). Ainsi l’amour de Dieu n’exclut pas tout autre amour, mais il déploie sa puissance en faisant servir l’universalité des choses créées à la gloire de Dieu. Aimer le monde pour lui-même, voilà ce que défend l’Apôtre ; l’aimer pour Dieu, voilà ce qu’il commande ; et toutes les fois qu’il attaque l’amour du monde, c’est en tant que cet amour s’oppose à l’amour de Dieu. C’est pourquoi il ajoute : « Si quelqu’un aime le monde, l’amour du Père n’est pas en lui. » Dès que Dieu a été reconnu comme Père, toute la conduite du chrétien doit être inspirée par un sentiment d’amour filial envers lui ; il n’est aucun détail de sa vie qui puisse, sans contradiction, relever d’un principe différent.

Après avoir constaté cette opposition générale entre Dieu et le monde, saint Jean en signale maintenant trois manifestations particulières : « Parce que tout ce qui est dans le monde, la convoitise de la chair, et la convoitise des yeux et l’orgueil de la vie ne vient pas du Père, mais vient du monde. » Le monde, en tant qu’opposé au Père, ce n’est pas le monde matériel, œuvre de Dieu lui-même, c’est le monde moral, l’esprit du monde qui tend à chercher dans les choses d’ici-bas son bien suprême. Or, les diverses manifestations de l’amour du monde, dit saint Jean, quels que soient les objets particuliers auxquels il s’attache, procèdent toutes de la même source, savoir : d’un esprit mondain, et sont en contradiction directe avec l’esprit qui émane du Père céleste. L’Apôtre indique trois formes spéciales sous lesquelles se révèle l’esprit mondain qu’il attaque. En premier lieu : les convoitises charnelles. En second lieu : celles que réveillent dans l’âme les objets de la vue. Peut-être saint Jean fait-il allusion à ce goût des spectacles qui menaçait d’entraîner même les chrétiens, tant il était répandu autour d’eux, et dont plusieurs exemples des deuxième et troisième siècles nous montrent les funestes effets. En troisième lieu : la vanité, l’amour de l’éclat, la recherche de soi-même. Ainsi la satisfaction des désirs sensuels, l’amour des plaisirs et l’orgueil, telles sont les trois formes principales de l’esprit mondain qu’indique saint Jean, bien que ce n’en soient pas les seules manifestations.

Opposées l’une à l’autre quant à leur principe, ces deux voies, celle de Dieu et celle du monde, ne le sont pas moins quant à leur résultat : « Le monde passe et sa convoitise ; mais celui qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement. » Tout ce qui est dans le monde passe, et toute joie qui ne se rapporte qu’au monde passe pareillement ; quiconque poursuit ces joies passagères verra bientôt s’évanouir le but de ses poursuites et ne recueillera de ses ardents efforts que la plus amère déception. Mais celui qui aime et accomplit la volonté de Dieu n’est point accessible aux vicissitudes terrestres ; pour lui la mort n’est plus ; il a en partage une vie d’inaltérable félicité, qui n’atteindra son entier développement que lorsque la terre aura passé avec toutes ses richesses et toutes ses joies.

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