Explication pratique de la première épître de Jean

VI
L’unité et la diversité de la prédication évangélique

2.12-14

12 Je vous écris à vous, petits enfants, parce que vos péchés vous sont pardonnés par son nom. 13 Je vous écris à vous, pères, parce que vous avez connu Celui qui est dès le commencement. Je vous écris à vous, jeunes gens, parce que vous avez vaincu le malin. 14 Je vous ai écrit à vous, petits enfants, parce que vous avez connu le Père. Je vous ai écrit à vous, pères, parce que vous avez connu Celui qui est dès le commencement. Je vous ai écrit à vous, jeunes gens, parce que vous êtes forts, et que la parole de Dieu demeure en vous et que vous avez vaincu le malin.

Saint Jean, qui vient de relever les sublimes exigences de la vie chrétienne, s’empresse, pour ne pas décourager ses lecteurs, de leur rappeler les non moins sublimes promesses sur lesquelles elle s’appuie. S’adressant à tous, comme un père spirituel : « Petits enfants, dit-il, je vous écris parce que vos péchés vous sont pardonnés par son nom. »

Le nom est l’indication et comme le résumé de la personne : par Jésus-Christ, Fils de Dieu et Fils de l’Homme, seul médiateur entre Dieu et les hommes, se trouve réalisé le pardon des péchés pour quiconque accepte cette médiation. Saint Jean qui a déjà établi cette vérité ne fait que la rappeler ici, pour en faire ressortir la consolation puissante qu’elle renferme. Dans le but de rappeler aux chrétiens les privilèges magnifiques attachés à leur vocation, il s’adresse successivement aux différentes générations qui composaient ces églises, savoir aux pères, aux jeunes gens et aux enfants. Sans doute, les grâces divines ne se laissent pas scinder : il n’en est point qui soient exclusivement le partage d’un certain âge, et ce que saint Jean dit aux uns, il eût pu le dire à tous. Néanmoins, il relève d’une manière spéciale, en parlant à chacun, ce qui lui convient plus particulièrement, ce qui répond le mieux à son degré de développement spirituel.

C’est aux pères qu’il s’adresse d’abord. La prédication évangélique, qui avait commencé par être un simple témoignage rendu à Jésus de Nazareth, devait insensiblement s’élever jusqu’à la connaissance de sa nature même : à mesure qu’ils avançaient dans la foi, les chrétiens devaient remonter de la Parole faite chair à cette Parole éternelle elle-même, dans sa divine essence. Ce degré supérieur de connaissance suppose une plus longue expérience du christianisme : aussi est-ce aux pères que saint Jean l’attribue : « Je vous écris à vous, pères, parce que vous avez connu celui qui est dès le commencement. » Il ne faut d’ailleurs pas oublier de quelle sorte de connaissance parle saint Jean : ce n’est pas de celle de l’esprit, mais de celle du cœur, de celle qui procède d’une communion vivante avec l’objet de la connaissance, et qui, à son tour, réagit sur la vie. Cette sainte habitude de l’âme est bien différente, on le voit, d’une connaissance intellectuelle qui ne serait que l’adhésion à certaines formules dogmatiques sur la personne de Christ.

L’Apôtre s’adresse ensuite aux jeunes gens, et relève, en leur parlant, le côté de la vie chrétienne qui est le plus accessible à la jeunesse : « Je vous écris à vous, jeunes gens, parce que vous avez vaincu le malin. » La jeunesse est destinée à la lutte ; de ses rangs sortent les vaillants guerriers. Tandis que l’enfance s’ignore elle-même et soupçonne à peine les agitations qui dorment dans son sein, la jeunesse, au contraire, est le moment où se tranchent les contrastes : le mal se révèle ; la paix que donne une foi enfantine et traditionnelle s’évanouit au contact d’une raison orgueilleuse qui s’éveille et essaye ses forces ; la puissance des passions s’élève contre cette loi suprême que saint Paul appelle « la loi de l’Esprit ; » en un mot, l’opposition, jusque-là assoupie, entre le vieil homme et l’homme nouveau, éclate dans le jeune homme avec toute son énergie. Un combat assidu peut seul entretenir et féconder la semence divine que saint Jean, écrivant à une communauté chrétienne, suppose déposée dans le cœur des enfants qui en font partie. Ce combat, le jeune homme chrétien ne doit pas le redouter ; il est armé pour la lutte ; qu’il fasse seulement un fidèle usage des armes dont Dieu l’a revêtu, et la victoire lui sera infailliblement acquise : sa foi, jusque là inconsciente, deviendra une foi personnelle et vivante, et la paix dont il jouit une paix inébranlable. Pour atteindre ce résultat, il suffit que le jeune chrétien fasse un bon emploi des grâces qu’il a déjà reçues ; aussi saint Jean ne dit-il pas : « Vous vaincrez le malin, » comme si cette victoire était réservée à l’avenir, mais : « Vous avez vaincu le malin, » parce qu’il a en vue des jeunes gens qui, ayant vécu depuis leur enfance dans la communion du Sauveur, ont part au triomphe définitif qu’il a remporté sur le monde et sur le mal.

Ce n’est point par leurs propres forces qu’ils soutiennent cette sainte lutte, c’est par la foi au Rédempteur ; à vrai dire, c’est Jésus-Christ lui-même qui combat et qui triomphe en eux ; ils ne sont que ses organes, en tant qu’ils demeurent unis à lui par la foi ; leur lutte ne consiste qu’à s’approprier toujours de nouveau sa victoire. Toutefois, s’il est naturel que les jeunes gens envisagent surtout sous cette face la vie chrétienne, n’oublions pas que personne n’est dispensé du combat : comme le Sauveur combattit tout le long de sa vie, jusqu’à ce qu’il poussât sur la croix ce cri de triomphe : « Tout est accompli ! » de même ses disciples ne peuvent vivre qu’en combattant, jusqu’au moment de ce solennel et dernier combat qui doit les introduire dans le repos éternel.

Enfin saint Jean s’adresse au premier âge. La relation que l’enfant connaît le mieux est celle qui existe entre lui et ses parents ; c’est l’amour filial qui est pour lui la première initiation à l’amour envers Dieu, son Père céleste. C’est pourquoi l’Apôtre rappelle aux enfants des familles chrétiennes qui, par la foi au Sauveur, ont appris dès l’âge le plus tendre à aimer Dieu comme leur Père, qu’ils ont connu le Père : « Je vous écris à vous, petits enfants, parce que vous avez connu le Père. » Il est question ici, comme plus haut, d’une connaissance spirituelle telle que l’entend toujours saint Jean.

[Quelques manuscrits portent le parfait : je vous ai écrit, petits enfants, quelques autres le présent : je vous écris. Neander admet cette dernière version. La phrase : « Je vous écris » se trouve ainsi répétée quatre fois de suite et deux fois appliquée sous cette forme aux enfants, tandis que la phrase suivante : « Je vous ai écrit » évidemment correspondante à la première, n’est répétée que deux fois, et ne s’applique point aux enfants. Neander échappe à cette difficulté en admettant que le : mot « enfants », au verset 12, désigne non des enfants proprement dits, mais les chrétiens en général, souvent appelés de ce nom dans notre épître. L’Apôtre ne s’adresserait donc aux enfants qu’une seule fois sous la forme du présent, au verset 13, et quand il reprend ses avertissements sous la forme du passé (14), il négligerait de répéter ceux destinés aux enfants. ll nous paraît beaucoup plus naturel et plus conforme au contexte d’admettre au verset 13 la leçon : « Je vous ai écrit ; » alors à trois présents correspondent trois parfaits, chaque classe de personnes est avertie à deux reprises sous deux formes différentes, et l’on conserve dans cette phrase la complète symétrie qui est manifestement dans l’intention de saint Jean, mais que le texte adopté par Neander fait évanouir.]

Comme l’on aime à dire deux fois ce que l’on tient, à faire vivement sentir, il répète ce qu’il vient d’avancer, avec quelques additions destinées à en relever l’importance. A la forme du présent : « Je vous écris, » il substitue celle du passé : « Je vous ai écrit, » comme s’il voulait dire : Ce que j’ai écrit demeure ferme : je le redis, je n’ai point d’enseignement plus important à vous communiquer : « Je vous ai écrit à vous, pères, parce que vous avez connu celui qui est dès le commencement. Je vous ai écrit à vous, jeunes gens, parce que vous êtes forts, et que la parole de Dieu demeure en vous, et que vous avez vaincu le malin. » Ce n’est qu’aux pères et aux jeunes gens que s’adresse ce second avertissement, sans doute parce que c’est d’eux plutôt que des enfants que l’Apôtre attend des efforts sérieux et personnels. En parlant aux jeunes gens, il leur montre comment ils ont vaincu le malin. S’ils cherchent en eux-mêmes la force de vaincre, ils seront couverts de confusion au jour de la lutte : leur force est hors d’eux-mêmes ; elle consiste à retenir avec fermeté la Parole de Dieu qu’ils ont reçue ; que cette Parole jette dans leurs cœurs d’indestructibles racines, voilà le seul fondement solide de leur confiance ; il n’est aucune puissance qui puisse résister à cette Parole ; c’est à elle qu’est promise la victoire, elle l’a déjà virtuellement remportée.

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