Explication pratique de la première épître de Jean

XIII
L’assurance du chrétien devant Dieu

3.19-21

19 C’est en cela que nous connaissons que nous sommes de la vérité et que nous rassurerons nos cœurs en sa présence ; 20 car si notre cœur nous condamne, certes Dieu est plus grand que notre cœur et il connaît toutes choses. 21 Bien-aimés, s’il se trouve que notre cœur ne nous condamne pas, nous avons de la confiance par devers Dieu.

Saint Jean, après avoir distingué la charité vraie de celle qui n’en a que l’apparence, montre que ce caractère de la charité doit être aussi celui de toute la vie chrétienne ; elle doit plonger toutes ses racines dans le terrain de la vérité : « C’est en cela (par cette pratique sincère dont il vient de parler) que nous connaissons que nous sommes de la vérité, et que nous rassurerons nos cœurs en sa présence. » La pensée de l’Apôtre n’est nullement que l’homme doive chercher un appui dans sa propre justice, doctrine en opposition avec toute la teneur de l’épître ; il indique seulement un moyen de constater la réalité de la vie chrétienne, comme le fait Jésus-Christ dans le sermon sur la montagne, quand il dit : « Toutes les choses que vous voulez que les hommes vous fassent, faites-les-leur aussi de même ; car c’est la loi et les prophètes. » On a souvent, bien à tort, cité ces paroles comme le résumé même du christianisme. S’il en était ainsi, si Jésus-Christ n’avait pas proclamé d’autre principe que celui-là, il n’était pas nécessaire qu’il vînt au monde. La prudence humaine bien entendue, un égoïsme habilement calculé, suffirait pour dicter cette conduite. Assurément, Jésus n’a pas fait de cette morale, qui pourrait n’être qu’une morale mondaine, la loi suprême des enfants de Dieu ; il aspire plus haut pour eux. Le but de Jésus, dans le passage que nous avons indiqué, comme celui de saint Jean dans cet endroit de son épître, est d’opposer, à une justice qui n’en a que l’apparence, la vraie justice, qui se reconnaît à l’amour fraternel ; pour cela, il signale un des caractères de cet amour véritable qui ne se retrouve jamais dans un amour simulé, savoir la disposition à se mettre à la place de notre prochain et à le traiter comme nous souhaiterions d’être traités à sa place. Telle est la pierre de touche de Jésus. Celle qu’indique saint Jean, c’est l’accord de nos actes avec les sentiments chrétiens. Quand cet accord existe, nous reconnaissons que nous sommes de la vérité. La vérité dont parle l’Apôtre n’est pas, on le sait, une abstraction intellectuelle, c’est la vie nouvelle dont sont nés les enfants de Dieu. Christ est la vérité ; en lui elle a pris vie et a paru, sous forme personnelle, au sein de l’humanité ; sa vie est la seule qui soit absolument vraie, c’est-à-dire absolument d’accord avec elle-même et d’accord avec Dieu. C’est donc dans la mesure où les hommes ont reçu Christ qu’ils sont issus de la vérité. Dans le monde, tout n’est qu’apparence ; chez les chrétiens, il faut que tout soit vérité. Or, la preuve que nous sommes de la vérité, déclare l’Apôtre, c’est l’harmonie complète entre nos actes et notre profession, l’unité réelle de notre vie dans tous ses éléments ; alors nous pouvons avoir confiance et rassurer nos cœurs en la présence de Dieu.

L’Apôtre désigne d’une manière générale l’âme humaine, l’être spirituel par le nom de cœur, sans s’inquiéter des distinctions psychologiques qu’on a établies entre les diverses facultés de l’âme. Ces distinctions ont leur valeur ; mais cette vue d’ensemble, qui embrasse l’âme entière, comme un tout indivisible, a assurément la sienne. Elle est même d’une grande importance pour la conception chrétienne de la vie ; celle-ci, en effet, est tout d’une pièce ; elle procède tout entière d’un même principe, bon ou mauvais ; et quant au chrétien, toutes ses forces morales, quelque nom spécial qu’elles portent, ont le même but et prennent la même direction. Ce que saint Jean appelle ici le cœur, c’est à proprement parler la conscience ; Dieu l’a placée en nous, comme un juge inflexible, qui est l’écho de sa voix sur la terre ; c’est elle qui nous condamne ou nous absout dès ici-bas, c’est devant son tribunal que les pensées des hommes, selon l’expression de saint Paul, s’excusent ou s’accusent entre elles (Romains 2.15). C’est cette conscience dont il s’agit de faire taire la voix accusatrice. Si nous ne parvenions pas à l’apaiser, si nous tolérions un désaccord volontaire entre notre profession et notre conduite, si malgré nos efforts pour nous tranquilliser en nous faisant illusion à nous-mêmes, notre propre conscience s’élevait néanmoins en témoignage contre nous, combien moins pourrions-nous espérer tromper Dieu, qui en tant qu’il possède la toute-science, est plus grand que notre cœur : « Que si notre cœur nous condamne, dit saint Jean, certes Dieu est plus grand que notre cœur et il connaît toutes choses. » Rien n’échappe à ce regard pénétrant qui plonge jusque dans les plus secrets replis de l’âme ; en sorte que l’accusation de notre cœur est pour nous l’avant-coureur du jugement de Dieu. L’homme a donc un moniteur intérieur ; grâce à lui, il peut savoir quels sont ses vrais rapports avec Dieu ; en outre, il est en garde, soit contre les louanges irréfléchies de gens qui ne distinguent pas l’apparence de la réalité, soit contre les suggestions de l’amour-propre et de la vanité de son cœur. Ainsi, le moyen de nous bien connaître nous-mêmes, c’est de sortir des distractions du monde, de nous recueillir et d’écouter en silence la voix de ce juge incorruptible que chacun de nous porte au dedans de lui-même. Si dans cet examen notre conscience nous rend le témoignage que nous souhaitons sincèrement de mettre notre pratique d’accord avec notre profession, alors nous sommes en paix : « Bien-aimés, si notre cœur ne nous condamne pas, nous avons de la confiance par devers Dieu. » Ce ne sont pas nos œuvres qui nous justifient, mais ce sont elles qui témoignent que nous sommes véritablement en communion avec Celui qui nous justifie ; elles scellent d’un cachet de sincérité notre vie chrétienne. C’est à ce titre qu’elles deviennent pour nous un sujet de confiance.

L’Apôtre relève ensuite un des privilèges spéciaux qui se rattachent à cette communion de l’enfant de Dieu avec son Père céleste, la prière : « Quoi que nous demandions, nous le recevons de lui, parce que nous gardons ses commandements, et que nous faisons les choses qui sont agréables devant lui, » De même qu’un fils dont les rapports avec son père n’ont point été interrompus lui demande tout avec confiance, de même le chrétien qui est né de la vérité, qui sent qu’il n’y a aucune barrière entre Dieu et lui, s’adresse à Dieu comme à son Père, et ne craint pas de tout réclamer de son amour. Il est assuré d’être exaucé, car il sait, avec une certitude absolue, que son Père ne peut lui refuser aucune grâce salutaire. Cette assurance, l’Apôtre la fonde sur ce fait, que les enfants de Dieu gardent ses commandements, ce qu’il explique en ajoutant qu’ils font ce qui est agréable devant lui, ce qui est véritablement bon, bon aux yeux du Saint des saints. Ceci s’applique non seulement aux actes extérieurs, mais aux dispositions d’où émanent ces actes, et qui seules leur donnent leur vraie signification ; le chrétien ne doit être mu que par des sentiments saints, tels que Dieu les demande, et se rapportant exclusivement à sa gloire. Saint Jean établit donc un lien intime entre l’ensemble de la vie chrétienne et la prière ; celle-ci n’est pas un fait isolé ; elle procède du même esprit qui inspire toute la vie du chrétien. La communion de l’âme avec Dieu par Jésus-Christ, qui est l’essence de la prière du fidèle, est aussi le principe qui anime tous ses actes.

Cette remarque fournit la vraie réponse à une difficulté qui pourrait naître du langage absolu de saint Jean : « Si nous demandions une chose qui ne nous fût pas bonne, objecte-t-on, ou qui ne concordât pas avec le plan de Dieu, il ne nous l’accorderait pas, quel que fût notre désir de l’obtenir ; il y a donc des exceptions à la promesse que fait l’Apôtre en termes inconditionnels. » Cette difficulté se lève d’elle-même, quand on maintient avec fermeté le lien qu’indique saint Jean entre la prière et la vie chrétienne. La prière, en effet, procède du même sentiment qui se retrouve au fond de la vie chrétienne, d’un sentiment de dépendance filiale de Dieu, d’harmonie complète entre sa volonté et la nôtre. La condition dont parle explicitement l’Apôtre 1 Jean 5.14, est ici sous-entendue. Il s’agit non de demandes arbitraires ou égoïstes, mais de prières saintes, n’ayant pour but que la gloire de Dieu ; la soumission filiale à sa volonté est non seulement un élément inséparable de ces prières, mais elle est le principe même d’où elles émanent. Le chrétien, dans le sentiment de sa communion avec Christ, demande à Dieu ce que Christ lui-même eût demandé à sa place, ce que l’Esprit de Christ le pousse à demander. Le même Dieu qui lui enseigne à prier, lui garantit aussi la réponse à ses prières. C’est là ce que Jésus-Christ appelle « prier en son nom », et c’est aussi pour cela que le chrétien qui prie au nom du Seigneur est parfaitement assuré d’être exaucé. Rien ne peut affaiblir le caractère absolu de cette promesse du Maître.

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