Explication pratique de la première épître de Jean

XVIII
La victoire sur le monde

5.2-5

2 En ceci nous connaissons que nous aimons les enfants de Dieu, savoir lorsque nous aimons Dieu et que nous gardons ses commandements ; 3 car c’est ici l’amour de Dieu : que nous gardions ses commandements, et ses commandements ne sont point pénibles. 4 En effet, tout ce qui est né de Dieu remporte la victoire sur le monde, et c’est ici la victoire qui a vaincu le monde : notre foi. 5 Quel est celui qui remporte la victoire sur le monde, si ce n’est celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu ?

L’amour fraternel, dans lequel l’Apôtre nous apprend à voir la marque de l’amour pour Dieu, est évidemment inséparable de l’observation générale des commandements de Dieu, qui se résument tous et trouvent leur accomplissement dans le commandement de l’amour. « En ceci, dit-il, nous connaissons que nous aimons les enfants de Dieu, savoir lorsque nous aimons Dieu, et que nous gardons ses commandements ; car c’est ici l’amour de Dieu : que nous gardions ses commandements. »

Mais où le chrétien trouvera-t-il la force nécessaire pour les garder ? Ces commandements sont les plus sublimes qui aient jamais été adressés à des hommes, ce sont ceux que Jésus a seul accomplis dans leur parfaite plénitude, et qu’il a développés dans son sermon sur la montagne ; c’est une loi de sainteté auprès de laquelle pâlit toute morale humaine, même la plus excellente, et qui ne peut qu’humilier profondément quiconque la considère. Il semble donc que rien ne doive être aussi difficile que de l’observer. Mais c’est le contraire qu’affirme saint Jean : « Ses commandements ne sont point pénibles. » Une telle affirmation ne peut provenir que de son expérience personnelle ; elle repose, non sur la nature même de ces commandements, mais sur la position nouvelle qu’occupe le chrétien vis-à-vis de la loi divine. Tant qu’il n’était pas né de Dieu, il lui était non seulement difficile, mais absolument impossible de l’accomplir ; depuis ce moment, au contraire, cette même loi lui est devenue facile. La raison qu’en donne saint Jean, c’est que « tout ce qui est né de Dieu remporte la victoire sur le monde. » L’observation des commandements de Dieu n’est possible qu’à la condition de vaincre le monde ; car le monde, l’esprit, la puissance, la séduction du monde est précisément ce qui s’oppose à ce que l’homme garde les commandements de Dieu ; c’est sous cette influence oppressive, incessante que sont étouffés les éléments divins de la nature humaine. Aussi, quiconque se soumet à la puissance du monde trouve pénibles, insupportables même les commandements de Dieu. Il faut donc que cette puissance soit avant tout vaincue par une autre puissance, celle de Dieu, de la vie de Dieu ; tout homme qui vit de cette vie, ou qui est né de Dieu, a part à cette puissance et triomphe nécessairement du monde ; les obstacles qui s’opposaient à l’accomplissement de la loi divine, il les surmonte, et cette loi ne lui paraît plus pénible. C’est ainsi que le Sauveur, s’adressant à ceux qui gémissent sous le pesant joug de la loi, s’écrie : « Mon joug est doux, et mon fardeau léger : » non que l’idéal de la vie se rabaisse pour le disciple de Christ : bien au contraire ; mais parce qu’il trouve en son divin Maître des forces qui l’élèvent au niveau de la vie la plus sainte.

Mais comment le chrétien devient-il victorieux du monde ? Par la foi, répond l’Apôtre. « C’est ici la victoire qui a vaincu le monde : notre foi. Quel est celui qui remporte la victoire sur le monde, si ce n’est celui qui croit que Jésus est le Fils de Dieu ? » Remarquons qu’il ne dit pas : « C’est par la foi que nous pouvons vaincre le monde ; » ni : « C’est la foi qui vaincra le monde ; » mais il dit : « La foi est elle-même la victoire qui a vaincu le monde ; » elle n’est pas seulement un moyen de vaincre ; elle est déjà une victoire. Le monde, en effet, s’oppose de toutes ses forces à la naissance de la foi dans un cœur ; celle-ci rencontre partout une résistance énergique, dans le monde que nous portons au dedans de nous non moins que dans le monde qui nous entoure ; de là des réactions douloureuses, des doutes pénibles contre lesquels a perpétuellement à se débattre le nouveau croyant ; s’il persiste, s’il croit, malgré ces obstacles, s’il obéit à l’attrait du Père qui le conduit au Fils, sa foi est déjà en elle-même, par le fait seul de son existence, une victoire sur le monde. Cette victoire est complète et définitive ; elle est le gage assuré des victoires successives qu’il continuera à remporter dans le cours de la vie chrétienne, et qui ne sont que la suite naturelle et comme le prolongement de cette victoire première ; car la puissance du monde est une fois pour toutes et à jamais brisée. « Prenez courage, dit Jésus à ses disciples, non parce qu’un jour je vaincrai le monde, mais parce que je l’ai réellement, quoique virtuellement, vaincu. » C’est cette victoire de Christ à laquelle participe la foi. Il n’y a même personne, ajoute saint Jean, qui puisse être victorieux du monde, si ce n’est le croyant. De là résulte que toute amélioration véritable du monde procède de la foi chrétienne, qu’on en ait conscience ou non, et qu’on doit se défier de toute tentative ayant pour but de guérir ses plaies, qui ne s’appuierait pas sur cette base. Ces essais peuvent assurément produire quelques bons effets, mais la guérison que l’on cherche ne viendra pas de ce côté ; car, malgré l’excellence et l’abondance des remèdes, la source du mal n’est pas tarie, sa force n’est pas brisée, le monde, qui partout s’oppose à l’accomplissement de la loi divine, n’a pas été vaincu, il n’a fait que revêtir une autre forme. Il faut donc, avant qu’on puisse attendre des résultats féconds et durables, que la foi en Jésus comme au Fils de Dieu, la puissance de son Esprit, ait véritablement surmonté le monde ; il faut que l’homme fort soit chassé par un plus fort que lui, le démon par le doigt même de Dieu. (Luc 11.20 ; Matthieu 12.28) Le Seigneur, parlant de ces hommes qui, sans appartenir au christianisme, produisent, par d’autres moyens, quelques-uns des fruits qu’il est destiné à produire, déclare que, tout en paraissant être pour lui, ils sont en réalité contre lui, puisqu’ils ne travaillent pas à la seule œuvre qu’il ait en vue, savoir à la fondation du règne de Dieu sur la terre, mais qu’ils s’efforcent, au contraire, d’en détourner les hommes. Il n’est pas d’illusion plus funeste que de s’imaginer pouvoir mettre à la place de l’œuvre de Jésus-Christ une œuvre qui lui ressemble à certains égards, mais qui est inspirée par un tout autre esprit.

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