Explication pratique de la première épître de Jean

XIX
Le triple témoignage rendu à Jésus-Christ

5.6-10

6 C’est lui qui est venu avec l’eau et le sang, Jésus, le Christ ; non avec l’eau seulement, mais avec l’eau et le sang ; et c’est l’esprit qui en rend témoignage, parce que l’esprit est la vérité. 7 Car les témoins sont au nombre de trois : 8 l’esprit, et l’eau, et le sang, et ces trois sont un. 9 Si nous recevons le témoignage des hommes, le témoignage de Dieu est plus considérable ; car c’est ici le témoignage de Dieu, savoir celui qu’il a rendu touchant son propre Fils. 10 Celui qui croit au Fils de Dieu possède ce témoignage en lui-même. Celui qui ne croit point à Dieu le fait menteur, puisqu’il n’a pas ajouté foi au témoignage que Dieu a rendu touchant son propre Fils.

Saint Jean, en indiquant trois signes auxquels Jésus-Christ peut être reconnu comme Fils de Dieu, a particulièrement en vue ceux qui méconnaissaient la double nature du Sauveur et brisaient l’unité de sa personne et de son œuvre ; tel était, entre autres, Cérinthe. Ces faux docteurs séparaient arbitrairement de Jésus-homme, le Christ, être divin venu d’en haut, revêtu d’un pouvoir rédempteur. Suivant eux, le moment où se rencontrèrent ces deux éléments, jusque-là séparés, fut le baptême de Jésus-Christ. La colombe qui descendit alors sur lui, c’est l’Esprit céleste qui, sous une forme visible, s’unit dans ce moment à sa nature humaine. Par cet Esprit, il fut rendu capable de révéler le Dieu caché, de publier sa volonté, d’accomplir des miracles ; mais avant sa passion, cet Esprit l’abandonna et remonta au ciel ; Jésus-homme souffre seul ; le Christ enseigne et agit au nom de Dieu, mais il ne souffre pas. Pour ces docteurs, la croix était un scandale ; ils regardaient l’œuvre de la rédemption comme complète sans elle ; le sens profond des souffrances de Christ leur demeurait complètement voilé. Ne comprenant pas que la vraie grandeur éclate au sein de l’humilité, se refusant à reconnaître le Fils de Dieu sous la forme d’un serviteur, repoussés par ce perpétuel et total abaissement, dont la crèche est le point de départ et la croix le terme suprême, Cérinthe et ses adhérents ne trouvaient d’autre moyen d’expliquer la personne de Jésus, qu’en brisant son unité morale et admettant en lui une juxtaposition fortuite et temporaire des deux éléments qui constituent sa personnalité : le divin et l’humain.

Ces deux éléments, répond saint Jean, sont intimement unis : Jésus est le Christ ; il a été déclaré tel, non seulement à son baptême (témoignage de l’eau), mais encore dans sa passion (témoignage du sang). « C’est lui qui est venu avec l’eau et le sang, Jésus le Christ ; non avec l’eau seulement, mais avec l’eau et le sang. » L’eau désigne le baptême que reçut Jésus de Jean-Baptiste, et dans lequel éclata sa gloire comme Fils de Dieu ; le sang désigne ses souffrances ; dans l’un et dans l’autre cas, sur le Calvaire non moins qu’au Jourdain, Jésus a été manifesté comme le Christ ; ces deux moments de sa vie tiennent intimement l’un à l’autre ; ils appartiennent également à l’œuvre rédemptrice et concourent à révéler le Fils de Dieu. Il est encore un troisième témoignage de la divinité de Jésus, le témoignage de l’Esprit : « Et c’est l’Esprit qui en rend témoignage, parce que l’Esprit est la vérité. Car les témoins sont au nombre de trois : l’Esprit et l’eau et le sang, et ces trois sont un. » Si, dans l’ordre des temps, le témoignage de l’eau précède celui du sang, celui-ci, à son tour, précède celui de l’Esprit. Par ce dernier témoignage, il faut entendre les manifestations de puissance divine qui suivirent la glorification de Jésus-Christ, l’action permanente du Saint-Esprit qui, depuis la première effusion au jour de la Pentecôte, témoigne, dans tous les lieux où l’Évangile est prêché, que Jésus est le Fils de Dieu. C’est à ce témoignage de l’esprit qu’en appelle Jésus dans ses derniers discours rapportés par saint Jean. Sans lui, les deux premiers, celui de son baptême et celui de ses souffrances, demeurent sans efficace. C’est pourquoi l’Apôtre insiste sur ce troisième témoignage, le plus puissant et le plus universel : « L’Esprit, dit-il, est la vérité. » L’Esprit de Dieu n’est pas seulement véridique ; c’est la vérité même ; quiconque le reçoit est à l’abri de toute erreur. Ces trois témoins se réunissent pour confirmer et proclamer le même fait, savoir que Jésus est réellement le Fils de Dieu.

Cette tendance à séparer en Christ le divin de l’humain se renouvelle de nos jours. On relève tantôt l’une, tantôt l’autre des deux faces qui, réunies, constituent la personne du Sauveur ; on ne le reçoit pas tel qu’il est, dans l’intégrité de sa personne divine et humaine, telle qu’elle s’est manifestée dès le commencement de sa vie, et qu’elle a continué de se manifester dans ses miracles, dans sa passion et dans ces paroles de vie éternelle qui, depuis son entrée dans son ministère, au jour de son baptême, ne cessèrent de s’échapper de ses lèvres. En face de pareils adversaires, l’avertissement de saint Jean conserve toute sa force et un admirable à-propos.

Il est encore une autre classe de docteurs auxquels il importe d’opposer ce solennel avertissement : ce sont ceux qui mettent à la place du vrai Christ historique, venu avec l’eau et avec le sang, une image fantastique et vaporeuse, fruit de leur imagination. Si le baptême et la passion de Jésus-Christ sont des faits passés, bien que leur efficace soit toujours actuelle pour le croyant, le troisième témoignage, celui de l’Esprit, se perpétue d’une manière évidente, quoique accompagné de moins de démonstrations éclatantes qu’au temps de saint Jean. C’est dans le sein de l’Église que se manifestent ses opérations : tout le développement de l’histoire de l’Église, jusqu’à nos jours, n’est que l’enchaînement divin de ces témoignages de l’Esprit, dont la suite non interrompue relie notre époque aux premiers temps de l’Église chrétienne. Que sont toutes les merveilles enfantées par le christianisme, ses progrès toujours croissants au sein de peuples incultes et grossiers, ces déploiements multiples d’une force qui surmonte et régénère le monde, ces créations nouvelles évoquées du sein de la fange de la vie humaine, ces glorieuses et pacifiques victoires sur la superstition et l’incrédulité, que sont tous ces prodiges, si ce n’est le témoignage puissant de cet Esprit qui est la vérité ? Et si cet Esprit, qui donna la force aux premiers prédicateurs de l’Évangile de rendre leur témoignage par leur parole, par leur vie et par leur sang, suscite aujourd’hui un plus grand nombre de messagers du salut qu’il n’y en eut jamais depuis l’époque des apôtres ; s’il réveille de nouveaux martyrs comme à Madagascar, que sont ces actes d’héroïsme, sinon de nouveaux témoignages de ce même Esprit ? Toute l’histoire des missions, telle qu’elle se développe aujourd’hui sous nos yeux, se rattache directement aux premières manifestations de la vie chrétienne du temps de saint Jean, et procède du même Esprit. Nous pourrons donc aujourd’hui, comme alors, en face de ceux qui voudraient envelopper d’un nuage la personne historique du Christ, nous appuyer sur ce témoignage rendu par l’Esprit, qui est la vérité, à Celui dont on voudrait obscurcir l’image, à ce Jésus qui est venu avec l’eau et avec le sang, et qui s’est par là manifesté comme le Fils de Dieu.

Ce témoignage divin, quelle n’en est pas l’importance ! « Si nous recevons le témoignage des hommes, dit saint Jean, le témoignage de Dieu est plus considérable, car c’est ici le témoignage de Dieu, savoir celui qu’il a rendu touchant son propre Fils. » L’Apôtre oppose au témoignage de l’homme, toujours incertain, le témoignage de l’Esprit, qu’il appelle maintenant le témoignage de Dieu. Nous qui n’hésitons pas à accepter le témoignage des hommes, comment n’ajouterions-nous pas foi à celui de Dieu, qui ne peut point tromper et qui se perpétue à travers tous les âges ? Ce témoignage de Dieu, rendu partout où se manifeste la puissance de l’Évangile, proclame le même Christ dont les évangélistes nous racontent la vie ; l’indubitable certitude de sa venue, la réalité absolue de sa personne, telle que la dépeignent les récits évangéliques, voilà le témoignage que rend le Père touchant son Fils. Ce témoignage, que saint Jean a représenté comme actuel, parce qu’en effet il se continue sous nos yeux, il le représente maintenant comme achevé, parce qu’il le contemple dans le passé, où il forme un tout complet, un parfait ensemble. Encore aujourd’hui, selon le point de vue auquel nous nous plaçons, nous pouvons dire tantôt que Dieu rend témoignage, tantôt qu’il a rendu témoignage touchant son Fils.

Ce témoignage, il dépend de l’homme de le recevoir ou de le repousser. Dans le premier cas seulement, il devient en lui ce qu’il doit devenir, un témoignage intérieur : « Celui qui croit au Fils de Dieu possède ce témoignage en lui-même. Celui qui ne croit point à Dieu a fait Dieu menteur, puisqu’il n’a pas ajouté foi au témoignage que Dieu a rendu touchant son propre Fils. » Quiconque a été amené par ce témoignage de l’Esprit à croire au Fils de Dieu, n’a plus besoin de chercher hors de lui ce témoignage précieux ; en vertu de sa foi, il le porte au dedans de lui-même, dans son cœur et dans sa vie ; il acquiert, par son expérience personnelle, l’inébranlable conviction que Jésus est en effet le Fils de Dieu. Mais, au contraire, quiconque refuse de croire Dieu dans le témoignage qu’il rend de son Fils, le fait menteur, puisqu’il traite de faux et de mensonger le témoignage que Dieu a rendu ; il accuse Dieu d’être en désaccord avec lui-même, en d’autres termes, de n’être pas vrai, puisqu’il proclame comme son Fils un être qui ne l’est pas. L’incrédulité est réduite à l’impossibilité de reconnaître Dieu comme le Dieu vrai ; elle ne peut voir dans ses œuvres que de pures contradictions, le taxe perpétuellement de mensonge, et pose sur toutes les choses divines le sceau de l’impiété.

Retirons de là cette importante leçon qu’il n’existe aucun moyen de prouver irrésistiblement que Jésus est le Fils de Dieu à celui qui se refuse opiniâtrement à y croire, qui, au lieu de recevoir dans un cœur simple et humble le témoignage que Dieu rend à son Fils par les effets de l’Évangile, se raidit contre ces manifestations, et repousse obstinément la voix qui l’invite à croire, à se laisser vaincre, à céder au témoignage de l’Esprit de Dieu. C’est ici que se révèle la disposition des cœurs ; c’est ici qu’intervient un acte solennel de volonté par lequel on peut ou se confier avec abandon à ce puissant témoignage de l’Esprit, ou déclarer que les œuvres de Dieu sont des œuvres menteuses.

[Les versions reçues portent. « Il y en a trois qui rendent témoignage dans le ciel, le Père, la Parole et le Saint-Esprit, et ces trois-là sont un. Il y en a aussi trois qui rendent témoignage sur la terre, l’esprit, l’eau et le sang… » Les mots en italiques sont manifestement inauthentiques ; il serait temps de les élaguer des nouvelles éditions de la Bible. La preuve externe et la preuve interne se réunissent pour confirmer ce résultat de la critique sacrée. D’une part, ces mots ne se trouvent dans aucun manuscrit ancien de quelque importance ; ils ne sont cités par aucun des premiers Pères, même par ceux qui recherchent avec le plus de soin tous les textes sur lesquels on peut appuyer la doctrine de la Trinité. D’autre part, ces mots défigurent entièrement la phrase. Qu’on les retranche, le sens parait clair, complet, bien suivi ; qu’on les intercale, l’on verra que, loin de fortifier l’argument de l’Apôtre, ils l’embarrassent et rendent sa pensée singulièrement confuse. Comment les trois personnes de la Trinité dans le ciel peuvent-elles témoigner aux hommes que Jésus est le Fils de Dieu ? Quelle relation y a-t-il entre ce triple témoignage céleste et ce triple témoignage terrestre ? On ne peut voir là qu’une allégorie très recherchée que s’est permise un copiste dans un intérêt dogmatique, mais dont saint Jean ne doit pas porter la responsabilité.]

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