Explication pratique de la première épître de Jean

XXII
Le péché à la mort

5.16-17

16 Si quelqu’un voit son frère pécher d’un péché qui ne soit pas à la mort, il priera et (Dieu) lui donnera la vie, savoir à ceux qui ne sont pas tombés dans des péchés qui soient à la mort. Il y a un péché qui est à la mort ; je ne dis pas qu’on doive faire des requêtes pour celui-là. 17 Tout ce qui est contraire à la justice est un péché, et il y a tel péché qui n’est pas à la mort.

Entre tous les objets que peut se proposer la prière, saint Jean en relève spécialement un qui tient intimement à la vie chrétienne. En effet, entre la prière et la vie chrétienne il existe une étroite connexion ; l’âme de l’une et de l’autre c’est la communion avec Christ ; le principe essentiel de l’une doit nécessairement être aussi celui de l’autre. Or, le mobile de la vie chrétienne c’est l’amour ; tel doit être aussi le mobile de la prière. Nous devons prier non seulement pour nous-mêmes, mais les uns pour les autres : « Si quelqu’un voit son frère pécher d’un péché qui ne soit pas à la mort, il priera et (Dieu) lui donnera la vie, savoir à ceux qui ne sont pas tombés dans des péchés qui soient à la mort. Il y a un péché qui est à la mort ; je ne dis pas qu’on doive faire des requêtes pour celui-là. Tout ce qui est contraire au bien est un péché et il y a tel péché qui n’est pas à la mort. » Notre sympathie pour nos frères doit principalement se porter sur leurs intérêts spirituels, les plus importants de tous : celle de leurs infortunes qui doit nous troubler avant toutes les autres, c’est leur état de péché ; aussi la délivrance de ce joug accablant sous lequel nous gémissons comme eux, doit-elle être le principal objet de notre prière, l’expression la plus élevée de notre sympathie pour eux. On pourrait croire que ceux qui sont sévères envers eux-mêmes le sont aussi envers les autres et n’ont pour les pécheurs qu’indifférence et mépris. Mais tel n’est pas le zèle saint, fruit de la vie chrétienne. Celui-ci n’a rien d’amer. Le chrétien qui sent qu’il est redevable de tout ce qu’il est à la grâce divine, qui sait qu’en lui-même la vie nouvelle est souillée par une foule d’éléments impurs, est nécessairement plein d’indulgence envers ses frères : n’est-il pas faible comme eux ? n’a-t-il pas comme eux besoin de pardon ? Aussi, loin de repousser ses compagnons de misère, il les aime et, souffrant du même mal, il les aide de ses prières, selon le précepte de saint Jean ; il relève leur courage et leur donne l’assurance que, si profonde qu’ait pu être leur chute, si complète qu’ait pu paraître la victoire du mal, Dieu n’en est pas moins disposé à ranimer en eux ces puissantes étincelles de vie divine que par leur propre faute ils avaient laissé s’éteindre. C’est ainsi qu’en intercédant par amour pour ses frères, le chrétien peut devenir pour eux un moyen de relèvement. Quelle plus forte marque pourrait-il leur donner de sa charité fraternelle !

Mais comment se fait-il qu’à ce précepte si formel se trouve jointe une exception relative aux péchés qui sont à la mort ? La grandeur même de la détresse spirituelle de notre frère n’est-elle pas un titre à notre sympathie ? Y a-t-il donc une limite à l’amour chrétien ? Et s’il n’y en a pas, comment la prière d’intercession, fruit de cet amour, pourrait-elle en avoir ?

Pour se rendre compte de la pensée de saint Jean, il faut se rappeler de quelle sorte de prière il parle, à quelles conditions cette prière est exaucée et quelle est la différence qui sépare les péchés en général de ceux qui sont à la mort. Entrons à ce sujet dans quelques explications. La puissance de vie nouvelle qui anime le chrétien exclut en principe et d’une manière absolue tout péché ; cependant, ainsi que l’a déjà fait remarquer saint Jean, cette vie divine se trouve en conflit perpétuel avec les restes du vieil homme qui subsistent encore chez le chrétien ; dans cette eau pure se rencontrent des éléments étrangers qui la troublent, sans pouvoir néanmoins en arrêter le cours. La direction fondamentale de la vie du chrétien tend vers la sainteté ; il déteste le péché, il l’a en horreur ; c’est pour lui un élément anormal, totalement étranger à sa nature. S’il vient à succomber momentanément à la tentation, il suffit de le rappeler à sa vocation pour qu’il reconnaisse sa faute et rentre dans la voie de la sainteté qui est la sienne. C’est d’hommes tels que ceux-là, et de ces hommes-là seulement, que parle ici l’Apôtre ; il a exclusivement en vue, dans cet endroit, des chrétiens qui se repentent de leurs péchés et tendent vers la perfection, qui sont par conséquent accessibles aux bénédictions divines, objet des prières de leurs frères ; ce sont des hommes en état de grâce, qui, bien qu’ils aient pu commettre des péchés, n’ont pas déchu néanmoins de la dignité de disciples de Christ, et n’ont pas perdu le droit de compter sur les ressources précieuses qu’offre l’amour chrétien. Or, la prière dont parle ici saint Jean est une prière de telle nature qu’elle ne peut être offerte qu’en faveur de chrétiens ; il ne s’agit donc pas d’une requête quelconque, mais de la prière d’intercession fraternelle qu’adressent à Dieu les uns pour les autres tous ceux qui sont unis entre eux par le lien de l’amour chrétien. Toutefois, tant que l’homme combat son combat terrestre, il demeure soumis, même au sein de la vie chrétienne, à mille influences mauvaises : tantôt il se trouve que cette vie n’a été pour lui qu’un élan passager, une apparence plutôt qu’une réalité, que le nerf vivant de la foi et de la vie nouvelle lui a toujours manqué, qu’il n’a reçu que le baptême d’eau, non celui de l’esprit, que Christ, en un mot, n’a pas encore été véritablement formé en lui ; tantôt la vie nouvelle à laquelle l’homme était parvenu par une foi vivante vient à déchoir, et le chrétien retombe dans l’état de mort spirituelle d’où l’avait retiré la grâce de Jésus-Christ ; sans doute, une pareille chute n’est point soudaine : le manque de vigilance, la mollesse avec laquelle on combat le péché, une sécurité trompeuse, une confiance orgueilleuse en la grâce divine ou en soi-même, tels sont les éléments divers de ce déclin insensible qui aboutit à l’abîme ; alors la vie divine ne trouve plus aucune prise sur l’âme, et l’homme qui a eu le malheur de tomber aussi bas, montre qu’après avoir paru transporté de la mort à la vie, il est redevenu la proie de la mort. Dans cet état, il commet des péchés tels qu’un chrétien, même faible, ne pourrait jamais en commettre, des péchés qui témoignent que sa chute est complète et qu’il n’appartient plus au corps de Christ ; il n’est donc plus de ceux dont parle ici l’Apôtre et qui sont invités dans un sens spécial à prier les uns pour les autres. Aussi avait-on coutume, dans les premiers temps, d’exclure de tels hommes de la communion de l’Église ; et saint Paul, dans des cas semblables, recommandait qu’on usât de cette rigueur. (Voyez 1 Corinthiens ch. 5)

On dénaturerait absolument la pensée de saint Jean, si l’on concluait de ses paroles qu’il ne faut en aucun cas prier pour ceux qui sont tombés. En effet, ni l’une ni l’autre des deux classes de personnes que nous avons décrites ne peuvent être en dehors des sympathies du chrétien. S’agit-il d’hommes qui ont paru convertis sans l’être, qui ont tout au plus ressenti en eux quelques élans passagers de piété chrétienne ? pourquoi n’espérerait-on pas que de nouvelles influences de la grâce divine trouveront en eux un accès plus réel ? S’agit-il d’hommes déchus de la grâce par leur propre faute ? pourquoi n’espérerait-on pas qu’ils se repentiront et seront remis en possession des biens qu’ils ont perdus ? Seulement, il ne faut pas oublier que plus ils ont abusé des moyens de grâce qui leur étaient offerts et mis d’obstination à préférer les ténèbres à la lumière, plus leur relèvement est difficile. (Voyez les sérieuses déclarations Hébreux 6.4-8.) Quand saint Jean nomme Jésus-Christ « la propitiation pour les péchés de tout le monde » il n’excepte à coup sûr aucun pécheur repentant, quel qu’il soit. Mais ici où il est spécialement question de la prière pour des frères en Christ, le cas est différent ; s’il y en a qui ne sont point en Christ et qui le montrent en commettant des péchés à la mort, indice trop certain de leur état de mort spirituelle, saint Jean fait remarquer que ces hommes-là ne peuvent point non plus profiter de ces prières, puisque, par leur endurcissement, ils se sont placés eux-mêmes en dehors de l’action de la grâce divine. S’il n’avait pas établi cette distinction, il aurait pu paraître autoriser l’idée que des péchés de cette nature ne sont pas absolument inconciliables avec la vocation chrétienne, et qu’entre la conduite d’un chrétien et celle d’un non-chrétien, il n’y a qu’une différence du plus au moins ; il eût risqué d’entretenir les pécheurs dans une fausse sécurité en les encourageant à compter, sans en avoir le droit, sur l’intercession d’autrui. L’amour chrétien n’exclut pas une sévère appréciation du péché. Mais que saint Jean ne veuille pas refuser, même aux plus grands pécheurs, la consolation du pardon apporté par Jésus-Christ, c’est ce qui ressort avec évidence du touchant récit de Clément d’Alexandrie, auquel rien n’empêche d’ajouter foi ; ce père de l’Église raconte que saint Jean ramena au Sauveur, par ses paternelles exhortations, un jeune homme, autrefois chrétien, mais qui était depuis lors retombé dans la corruption et s’était fait le chef d’une bande de voleurs. Toutefois, l’exercice le plus illimité de l’amour ne doit point effacer la différence entre la vie chrétienne et le péché contre lequel l’Apôtre souhaite de ranimer la haine et de diriger les forces du chrétien.

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