Explication pratique de la première épître de Jean

XXIII
L’union avec Christ, source de sainteté

5.18-21

18 Nous savons que quiconque est né de Dieu ne pèche point, mais celui qui a reçu de Dieu sa vie, se garde lui-même et le malin ne l’atteint point. 19 Nous savons que nous sommes de Dieu, et le monde entier gît dans le mal. 20 Or nous savons que le Fils de Dieu est venu, et il nous a donné l’intelligence nécessaire pour connaître Celui qui est le Véritable, et nous sommes dans le Véritable, dans son Fils Jésus-Christ. C’est lui qui est le Dieu véritable et la vie éternelle. 21 Mes petits enfants, gardez-vous des idoles !

Après avoir établi entre les péchés la distinction dont il vient d’être question, saint Jean tient à montrer que les chrétiens ne sauraient en aucune manière s’en prévaloir pour traiter de chose légère un péché quel qu’il soit, et qu’il ne doit nullement leur suffire d’éviter les péchés criants et scandaleux. En effet, s’il y a des péchés qui sont à la mort et d’autres qui ne le sont pas, cette différence ne porte que sur l’appréciation qu’en font les hommes. Au fond de tous les péchés se retrouve le même principe, la transgression de la loi de Dieu, la prédominance de la volonté humaine sur la volonté divine. C’est pourquoi l’Apôtre relève avec force cette vérité solennelle, que la vie nouvelle exclut absolument le péché. « Nous savons que quiconque est né de Dieu ne pèche point ; mais celui qui a reçu de Dieu sa vie se garde lui-même, et le malin ne l’atteint point. » Quiconque conserve fidèlement en soi-même cette vie reçue de Dieu, n’a rien a craindre des tentations ; il possède en lui le pouvoir de résister à Satan et à toutes ses séductions. De même que le tentateur fut mis en fuite par Jésus-Christ, de même il sera repoussé par ceux qui sont en communion avec Christ ; car « il n’a rien en eux. » De là résulte que l’enfant de Dieu doit éviter scrupuleusement tout péché sans exception, et que la distinction établie par saint Jean entre les péchés n’est nullement faite pour endormir sa vigilance. De là résulte encore que ceux qui tombent dans des péchés à la mort, ne sont pas nés de Dieu, ou que s’ils ont jamais connu cette nouvelle naissance, ils sont, par manque de vigilance, retombés sous la puissance du mal, qu’ils avaient pour mission de combattre.

L’Apôtre est conduit, par ce qu’il vient de dire, à tracer encore une fois, avec la plus grande netteté, la ligne de démarcation qui sépare les enfants de Dieu du monde pécheur ; c’est par là qu’il conclut son épître : « Nous savons que nous sommes de Dieu, et le monde entier gît dans le mal. Or, nous savons que le Fils de Dieu est venu, et il nous a donné de l’intelligence, afin que nous connaissions Celui qui est le véritable, et nous sommes dans le véritable, dans son Fils Jésus-Christ. » Au moment de prendre congé de ses lecteurs, l’Apôtre leur rappelle encore, avec le plus grand sérieux, quelle doit être leur position dans le monde : ils sont appelés, comme enfants de Dieu, à former avec lui un complet contraste, car le monde est sous l’empire du mal. Or, entre le mal et la vie divine qui est en eux règne une irréconciliable opposition.

Saint Jean, chargé d’années et mûri par une longue expérience de la grâce divine, jette un dernier regard en arrière : il a vu, durant son pèlerinage terrestre, le mal se développer rapidement dans le monde qui l’entoure ; il va bientôt le quitter, pour rentrer dans la céleste patrie où l’attend son Sauveur ; mais il laisse dans ce monde corrompu des enfants spirituels, qui demeurent exposés à ses séductions. Emu à la pensée du danger qu’ils courent, il les conjure de se rappeler qu’ils doivent se distinguer du monde, se préserver de ses souillures, veiller sur eux-mêmes, se garder purs, combattre le mal, être le sel de la terre. Telle est leur vocation. Le monde honore et sert de faux dieux : le véritable, celui qui seul est Dieu, le monde ne le connaît pas. Mais les croyants se distinguent du monde précisément en ce que le Fils de Dieu est venu et leur a donné l’intelligence pour connaître le vrai Dieu. L’homme, dans son état naturel, ne possède pas cette intelligence ; il faut qu’un esprit nouveau lui soit donné, que son œil spirituel soit ouvert : alors seulement il peut parvenir à la connaissance de Dieu. Saint Jean, élevé dans le judaïsme, avait appris de bonne heure à connaître l’Éternel ; toutefois, il se met sur la même ligne que les chrétiens sortis du paganisme, auxquels il s’adresse, et déclare que c’est au Fils de Dieu qu’il doit lui aussi la connaissance qu’il a du vrai Dieu. Personne, ni juif, ni païen, ne connaît le Père que par le Fils. On peut donc se réclamer du nom de Dieu, avoir en Lui une foi de tête, et cependant être encore loin de le connaître véritablement. Mais comme à celui qui n’a pas, cela même qu’il a ou qu’il croit avoir lui sera ôté, l’esprit du monde finira par envahir l’âme de ceux qui se contentent de cette foi morte, et cette pâle image s’évanouira complètement en eux, en sorte qu’ils reconnaîtront la vanité de ces soutiens sur lesquels ils pensaient pouvoir s’appuyer, et sentiront avec effroi qu’ils sont éloignés de Dieu. Ce sentiment d’angoisse les poussera à rechercher avec ardeur l’esprit nouveau, qui seul nous met en relation avec Dieu, et que Jésus-Christ seul communique.

La connaissance dont parle saint Jean plonge ses racines dans la vie nouvelle dont le Sauveur nous a rendus participants ; c’est pourquoi il rappelle aux chrétiens qu’ils sont dans le Véritable, c’est-à-dire qu’ils vivent dans la communion du vrai Dieu, et que s’ils ne demeurent pas unis à Lui par Jésus-Christ, ils se trouveront ne plus le connaître. Cette vie en Dieu est leur garantie contre les atteintes du monde. Il est vrai que, dans un certain sens, tout homme, même dans son état de chute, possède en lui des liens puissants qui le rattachent à Dieu, glorieux restes de son origine, ineffaçables souvenirs de l’image de Dieu en lui. C’est dans ce sens que saint Paul déclare que nous avons tous en lui « la vie, le mouvement et l’être. » Mais cet attrait naturel qui relie l’homme à Dieu n’amène pas à la connaissance vivante dont parle l’Apôtre ; la croyance en un Dieu inconnu et lointain sera bientôt submergée par les flots d’un monde qui gît dans le mal ; les rayons épars de lumière naturelle qui éclairent l’homme au milieu des ténèbres du monde, ne tardent pas à s’obscurcir ; son esprit s’enveloppe peu à peu d’un sombre nuage, et un voile épais le sépare des choses de Dieu. Rien n’est fait aussi longtemps que l’attrait du Père n’a pas conduit l’homme au Fils, qui seul a le pouvoir d’affranchir son esprit et de lui faire connaître le vrai Dieu.

Puis, l’Apôtre conclut sa sublime épître en exhortant ses lecteurs à se garder de tout contact avec les idoles, et, dans ce but, à tenir les yeux attachés sur ce Dieu vivant et vrai que Jésus-Christ leur a révélé, en même temps qu’à persévérer dans la vie nouvelle qui procède de Lui : « C’est lui qui est le Dieu véritable et la vie éternelle. Petits enfants, gardez-vous des idoles. » Les mots c’est lui pourraient, à la rigueur, se rapporter au Fils de Dieu : mais il paraît plus conforme à la pensée de saint Jean de les rapporter à Dieu lui-même, qui est opposé aux idoles. Le Dieu de l’Évangile est le vrai Dieu, la source de la vie éternelle, le souverain bien de l’homme pour le temps et pour l’éternité, tel est le dernier mot de saint Jean, le résumé de tout son enseignement.

Afin de retenir ce trésor suprême, le chrétien doit fuir tout contact avec les faux dieux qu’encense le monde. Cet avertissement, si nécessaire à l’époque idolâtre où écrivait l’Apôtre, l’est-il moins aujourd’hui ? Quand on réfléchit à ce qu’entend saint Jean par la connaissance du vrai Dieu, connaissance qu’on n’acquiert que par un renouvellement spirituel, quand on songe que partout où manque cet esprit nouveau, partout où Dieu n’est pas adoré en Jésus-Christ, il y a, sous les apparences de la piété, une idolâtrie véritable, on ne peut s’empêcher de reconnaître l’opportunité de ce solennel avertissement. Le monde, comme monde, a toujours ses dieux, et toujours il leur rend le culte qui n’est dû qu’au Dieu vrai. Ces dieux enveloppent de tous les côtés les enfants de Dieu ; ce n’est qu’en lui demeurant inébranlablement fidèles, en évitant toute souillure du monde, qu’ils peuvent conserver le précieux dépôt qui leur a été confié. Jamais pareille exhortation n’a été mieux à sa place qu’à une époque où règne la déification du moi humain et du monde matériel, à une époque où l’humanité s’est détachée du vrai Dieu, s’est abandonnée à une idolâtrie raffinée et consciente d’elle-même, et en est venue, de démence en démence, à se glorifier et à s’adorer soi-même. C’est à une époque comme celle-là qu’il faut faire retentir l’exhortation finale de saint Jean : « Le Dieu que Jésus-Christ nous a révélé est le vrai Dieu et la vie éternelle. Gardez-vous de toute participation aux pratiques idolâtres d’un monde plongé dans le mal ! »

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