Étude pratique sur l’épître de Jacques

2. La prière

1.5-8

5 Si quelqu’un d’entre vous manque de sagesse, qu’il s’adresse à Dieu qui donne à tous simplement, sans faire de reproches, et il lui sera donné ; 6 mais qu’il demande dans la foi, sans douter ; car l’homme qui doute est semblable au flot de la mer agité par le vent et ballotté ça et là ; 7 or que cet homme-là ne s’attende pas à recevoir quoi que ce soit du Seigneur ; 8 un homme dont le cœur est partagé est inconstant dans toutes ses voies.

Si parmi ses lecteurs il s’en trouve qui se sentent encore éloignés du but qu’il vient d’indiquer, Jacques les rassure en joignant à ses exhortations un motif de confiance. Il leur montre ce qu’ils ont à faire de leur côté, afin de devenir des chrétiens accomplis.

Le même moyen qu’il indique dans le cas actuel, il l’eût également recommandé pour tous les genres de dons spirituels dont ces chrétiens pouvaient avoir besoin ; ce n’est donc point une exhortation qui se borne exclusivement à la circonstance présente, comme il pourrait sembler à première vue ; seulement, fidèle à sa coutume de préférer les applications particulières aux maximes générales, Jacques s’arrête sur le don spécial dont les églises auxquelles il s’adresse devaient surtout sentir alors la privation.

La vraie sagesse, telle est la première condition pour que la vie entière porte le cachet du royaume de Dieu. Le terme original traduit ici par « sagesse » l’est quelquefois par « prudence, » ces deux vertus pouvant se ramener à la même disposition chrétienne, puisque la prudence évangélique est un fruit de la sagesse, et lui sert d’organe. En effet la prudence que recommande si souvent le Seigneur et à laquelle il attache tant de prix, c’est la prudence qui est propre à la vraie sagesse, la prudence de l’amour chrétien. Mais ainsi que nous l’avons déjà fait remarquer, ces églises où régnait un esprit judaïque étaient malheureusement portées à une fausse sagesse, tout extérieure, et disposées à accorder trop d’estime au pur savoir, ce qui entretenait dans leur sein une vanité et une présomption funestes. Il fallait donc avant tout leur rappeler que la vraie sagesse ne peut se baser que sur l’humilité, et qu’on en recueille les leçons non dans les écoles des scribes, mais uniquement à la source de l’éternelle lumière. Aussi Jacques ajoute-t-il : Si quelqu’un d’entre vous manque de sagesse, qu’il s’adresse à Dieu qui donne à tous simplement, sans faire de reproches, et il lui sera donné. Les lecteurs de l’Épître sont exhortés, s’ils ont conscience de ce qui leur manque, à s’adresser à Dieu par la prière, à ce Dieu « qui donne simplement, » c’est-à-dire par pur amour, qui donne pour donner ; cette simplicité est opposée à une générosité limitée et circonscrite qui hésite, marchande avec elle-même, et cherche à économiser ses dons. Dieu ne reproche à personne ses libéralités ; il ne demande qu’à donner, partout où il trouve un cœur disposé à recevoir ses bienfaits. Qu’ils n’aillent donc pas s’adresser à des docteurs qui cherchent à taire une partie de la vérité, qui ne communiquent que parcimonieusement leurs instructions et ne cessent de rappeler à leurs disciples les obligations qu’ils ont contractées envers leurs maîtres ; mais qu’ils s’adressent plutôt à ce Père céleste qui est plein d’amour, qui donne sans mesure, et n’aime rien tant que de donner.

La prière, telle est donc, d’après Jacques, la condition exigée des chrétiens pour qu’ils puissent puiser à la source céleste qu’il vient d’indiquer ; c’est elle qui établit la seule relation possible dans le domaine spirituel entre celui qui donne et celui qui reçoit ; car lorsqu’il s’agit de grâces divines, le rôle de l’âme humaine ne peut être que réceptif, et l’agent actif, celui qui opère, qui communique ses dons ne peut être que Dieu. Or la disposition à recevoir ce que Dieu est disposé à donner, se manifeste par la prière.

Celle-ci consiste essentiellement dans une disposition à nous tourner vers Dieu, qui naît à la fois du sentiment profond de notre indigence et de l’assurance intime que Dieu seul peut la soulager, et même qu’il la soulagera en effet ; elle est l’ardent soupir d’une âme affamée, et altérée qui regarde à Dieu. Chercher en lui la vérité et prier c’est au fond une seule et même chose. Lorsqu’une âme est remplie de ce désir vers Dieu, toute sa vie n’est qu’une prière ; aussi Christ rapproche-t-il entre elles les trois expressions : chercher, heurter (afin de découvrir ce qui est encore caché) et prier : « Demandez et l’on vous donnera, cherchez et vous trouverez ; heurtez et l’on vous ouvrira. » (Matthieu 7.7)

Mais en écrivant à des communautés chrétiennes qui avaient un si grand penchant au formalisme religieux en général, Jacques éprouve le besoin de les mettre spécialement en garde contre le formalisme dans la prière, car cet acte saint ne mérite le nom qu’il porte qu’autant qu’il exprime ce qu’il y a de plus intime en nous, et qu’il procède du fond même de notre âme ; aussi se hâte-t-il de les prémunir contre cette funeste tendance à se contenter de paroles de prière, sans élévation de l’âme vers Dieu. Cet avertissement est renfermé dans le verset 6  : Qu’il demande dans la foi, sans douter. La confiance en Dieu, telle est donc la disposition première de l’âme, d’où doit émaner la prière. Il faut que celui qui prie sente que Dieu, celui auquel s’adresse sa prière, est réellement présent, et qu’il ait la confiance que Dieu veut et peut à la fois satisfaire le besoin qu’elle exprime ; alors seulement sa prière est réelle ; ce n’est point une prière des lèvres, mais du cœur. A moins d’être revêtue de ces caractères, une prière ne peut point être exaucée. Jacques en indique aussitôt la raison : Celui qui doute est semblable au flot de la mer, agité par le vent et ballotté çà et là. La prière a pour condition un élan soutenu de l’âme vers Dieu, mais celui qui doute manque de cette disposition essentielle ; lorsque d’un côté l’âme se sent attirée vers Dieu, et qu’elle commence à mettre en lui son espérance, de l’autre, l’attrait du monde exerce son pouvoir en sens inverse, et tend à comprimer ces premiers mouvements de foi et de confiance. Jacques compare l’homme tiraillé par ces influences contraires au flot de la mer ballotté de côté et d’autre par les vents ; il est en désaccord avec lui-même, partagé de cœur ; littéralement : c’est un homme à deux âmes, inconstant dans toutes ses voies, plein d’hésitations, toujours irrésolu. Or telle vie, telle prière. Cette association de pensées chez Jacques montre que la prière doit être comme l’écho de la vie, d’une vie qui se rapporte tout entière à Dieu, et que, dans la vie chrétienne, tout doit procéder du même esprit.

Mais, peut-on se demander, comment atteindre ce degré de foi qui est une condition indispensable de la prière ? Si l’on n’y est pas encore parvenu, en résulte-t-il qu’il faille s’abstenir de prier ? Nullement : la foi étant toujours considérée comme une œuvre de Dieu dans l’homme, il en est de la foi comme de toutes les grâces dont Dieu seul est la source, et pour lesquelles il existe pourtant, selon la parole de Jésus-Christ, une condition nécessaire de la part de l’homme, savoir de chercher ces grâces en Dieu, de le prier, de heurter à la porte des cieux.

Quiconque se sent faible dans la foi, quiconque souhaite de voir sa foi s’accroître et s’affermir, n’a donc d’autre ressource que de s’adresser à Dieu. Il en est de tout homme qui sent sa faiblesse à cet égard comme de ce malheureux père dont l’Evangile nous rapporte l’histoire, et qui lorsque Jésus l’exhorte à croire qu’il a la puissance de guérir son fils, s’écrie dans le sentiment de ce qui manquait encore à sa foi : « Seigneur, subviens à mon incrédulité ! » (Marc 9.17-27) De même, le sentiment vrai de notre défaut de foi, ce grand obstacle à la prière, devient un mobile qui nous pousse à demander qu’il nous soit donné de croire. L’homme assailli par le doute tournera le dos à cet ennemi dangereux, il renoncera au monde qui menace d’envelopper son âme dans le perfide lacet du doute, et se réfugiera auprès de. Dieu par la prière ; il y a donc à la fois action et réaction : car, par la prière, la foi se fortifiera, et, devenue plus forte, elle imprimera à son tour à la prière un nouvel élan, et lui communiquera une plus grande puissance.

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