Étude pratique sur l’épître de Jacques

9. La foi sans les œuvres

2.14-26

14 De quoi sert-il, mes frères, que quelqu’un dise avoir la foi, mais qu’il n’ait pas les œuvres ? la foi peut elle le sauver ? 15 Si un frère ou une sœur se trouvent nus et qu’ils manquent de la nourriture de chaque jour, 16 et que quelqu’un d’entre vous leur dise : « Retirez-vous en paix et rassasiez-vous, » mais sans leur donner les nécessités de la vie, de quoi cela sert-il ? 17 De même aussi la foi, si elle ne produit pas d’œuvres, est morte, réduite à elle-même. 18 Mais l’on pourrait dire : « Toi, tu as la foi et moi, j’ai les œuvres : » montre-moi ta foi sans tes œuvres, et moi, par mes œuvres, je te montrerai ma foi. 19 Tu crois que Dieu est un : tu fais bien ; les démons aussi croient et tremblent. 20 Veux-tu reconnaître, ô homme frivole, que la foi sans les œuvres est morte ? 21 Abraham, notre père, n’est-ce point par les œuvres qu’il fut justifié, lorsqu’il offrit Isaac son fils sur l’autel ? 22 Tu vois que la foi coopérait avec ses œuvres, et que c’est par les œuvres que la foi fut rendue parfaite, 23 et l’Ecriture a été accomplie qui dit : Abraham crut Dieu et cela lui fut compté comme justice et il fut appelé ami de Dieu. 24 Vous voyez donc que c’est par les œuvres que l’homme est justifié et non par la foi seulement. 25 De même aussi Rahab, la prostituée, n’est-ce pas par les œuvres qu’elle fut justifiée, lorsqu’elle accueillit les messagers et qu’elle les fit repartir par un autre chemin ? 26 En effet, comme le corps sans âme est mort, de même aussi une foi sans œuvres est morte.

Le grand ennemi que Jacques s’efforce de combattre, c’est le formalisme ; partout il sépare, avec le plus grand soin, l’apparence de la réalité et met ses lecteurs constamment en garde contre le danger de prendre l’une pour l’autre. Nous l’avons vu s’élever, tour à tour, contre une connaissance de la loi divine, qui ne réside que dans la tête et à laquelle la vie ne correspond point, et contre un culte extérieur auquel ne se joint pas l’amour. Suivant le même ordre de pensées, il s’élève maintenant contre une foi qui ne se montre pas par de bonnes œuvres : De quoi sert-il, mes frères, que quelqu’un dise avoir la foi, mais qu’il n’ait pas les œuvres ! la foi peut-elle le sauver ? Remarquons que Jacques ne dit pas qu’il ne sert de rien que quelqu’un ait la foi, mais qu’il dise l’avoir, qu’il le prétende ; il parle non de la foi vraie, mais d’une foi prétendue, qui par l’absence de bonnes œuvres, prouve qu’elle n’a aucune réalité ; c’est d’elle qu’il déclare qu’elle est inefficace à procurer le salut. Paul représente également les bonnes œuvres comme un fruit nécessaire de la véritable foi ; ainsi que Jacques, Paul n’aurait pas considéré comme foi salutaire et propre à nous justifier devant Dieu, celle qui n’est pas accompagnée de ces effets de sanctification ; il faut ajouter seulement qu’il ne l’aurait probablement pas même appelée de ce nom.

Jacques éclaircit admirablement sa pensée par un exemple familier ; il compare la foi qui n’est point accompagnée d’œuvres à une charité feinte qui ne consiste qu’en paroles, sans jamais se révéler par des actes : Si un frère ou une sœur se trouvent nus et qu’ils manquent de là nourriture de chaque jour et que quelqu’un d’entre vous leur dise : « retirez-vous en paix, chauffez-vous et rassasiez-vous, » mais sans leur donner les nécessités de la vie, de quoi cela sert-il ? De même aussi la foi, si elle ne produit pas d’œuvres, est morte, réduite à elle-même.c En appelant la foi sans œuvres une foi morte, Jacques ne veut assurément pas dire que les œuvres doivent s’ajouter à la foi pour que celle-ci soit rendue vivante ; ce n’est pas dans l’acte extérieur et tombant sous les sens que Jacques place l’élément vivifiant de la foi ; mais considérant la vraie foi comme portant en elle-même son principe vital d’où doivent sortir les œuvres, il montre que c’est par les œuvres que cette vie doit se manifester. Il voit donc dans l’absence des œuvres une preuve de l’absence de vie dans la foi ; aussi appelle-t-il une foi de cette nature une foi morte.

c – Le texte original porte : « La foi est morte étant seule » ; c’est-à-dire lorsqu’elle ne produit pas d’œuvres qui l’accompagnent et la manifestent.

Puis Jacques, par une figure oratoire, fait parler à sa place, un homme qui défend les mêmes principes que lui et qui répond à un objectant lequel prétendrait avoir la foi sans avoir les œuvres ; ce nouvel interlocuteur lui montre que ces deux choses sont inséparables : l’on pourrait dire : « toi, tu as la foi et moi, j’ai les œuvres : montre-moi ta foi sans tes œuvres, et moi, par mes œuvres, je te montrerai ma foi ».d A celui qui se vante de posséder la foi, tout en reconnaissant qu’elle n’est pas accompagnée d’œuvres, Jacques propose (nous disons Jacques, car l’interlocuteur qu’il fait intervenir parle en son nom,) de mettre à l’essai sa théorie et de lui montrer sa foi sans œuvres ; l’objectant se trouve dans l’impossibilité de le faire ; de son côté, Jacques montrera ses œuvres et par là réussira facilement à faire voir quelle est la foi qui l’anime et qui a inspiré des œuvres comme celles-là.

d – Nos versions portent : « Montre-moi ta foi par tes œuvres » ; mais la vraie leçon c’est : « Montre-moi ta foi sans tes œuvres. »

Comme preuve qu’une foi sans œuvres n’a aucune valeur, il cite la foi des démons. Sans doute, la véritable foi en Dieu ne peut exister qu’autant qu’on le reconnaît librement comme le souverain bien et que toute la vie se rapporte à lui ; elle suppose une communion intime avec Dieu ; loin d’être seulement une adhésion intellectuelle, elle est essentiellement pratique. Mais il est une foi bien différente ; c’est le sentiment de l’autorité inflexible qu’exerce sur nous un être tout puissant et la dépendance forcée où nous sommes de lui. Cette foi s’impose aux démons malgré eux ; tous leurs efforts tendent à briser ce joug, sans qu’ils puissent y parvenir ; c’est une foi qu’ils subissent passivement, parce qu’ils ne peuvent s’y soustraire, mais il n’y a pas en eux la moindre conviction morale ; c’est une croyance qu’ils sont condamnés à recevoir, mais qu’ils n’ont jamais acceptée, à laquelle leur esprit ne s’est jamais ouvert ; foi d’intelligence seulement, non de cœur, qui n’enseigne à voir en Dieu que l’implacable ennemi de ceux qui se détournent de lui et fait de l’Etre infini et tout puissant un objet de terreur pour l’âme qui mettait tous ses soins à l’éviter. Tu crois que Dieu est un ; tu fais bien ; les démons aussi croient et tremblent.

Abraham étant tenu en très grand honneur par ces anciens Juifs, comme le représentant de la foi au Dieu un, parmi les peuples idolâtres, et cette croyance spéciale du patriarche étant pour eux son plus beau titre de gloire, comme sa circoncision l’était pour d’autres, Jacques montre maintenant à ses lecteurs qu’il y a une différence immense entre la foi d’Abraham et cette adhésion inerte de l’esprit au dogme d’un Dieu unique, de laquelle il vient de parler ; sa foi se manifestait par la consécration de toute sa vie à Dieu et était accompagnée d’un complet renoncement qui en prouvait la réalité, tellement que par amour pour Dieu et dans une absolue confiance en lui, il était prêt à sacrifier tous ses sentiments naturels, à immoler même ce qu’il avait de glus cher, afin d’obéir à la volonté divine. Quiconque veut imiter la foi d’Abraham et être reconnu juste, comme lui, devant Dieu, par elle, doit donc à son exemple prouver sa foi par des œuvres de renoncement semblables aux siennes. Veux-tu reconnaître, ô homme frivole, que la foi sans les œuvres est morte ? Abraham notre père, n’est-ce point par les œuvres qu’il fut justifié, lorsqu’il offrit Isaac son fils sur l’autel ? La foi et les œuvres doivent donc par leur concours mutuel coopérer à la justification. Mais dans quel sens faut-il entendre cette coopération ? Jacques veut-il dire qu’elle soit nécessaire pour justifier l’homme devant Dieu ? Dieu n’a-t-il considéré Abraham comme juste qu’après que celui-ci eut manifesté sa piété par ses œuvres ? Ce serait déclarer que Dieu ne peut connaître de l’homme que les manifestations extérieures ; ce serait nier la toute-science d’un Dieu dont le regard scrutateur plonge au fond de l’âme et y découvre la pensée avant qu’elle se révèle. Or, comme il est impossible d’admettre chez Jacques une pareille doctrine, il faut reconnaître que pour lui la foi dont l’efficacité sera plus tard démontrée par des œuvres de renoncement, comme dans l’exemple d’Abraham, est néanmoins déjà en elle-même et indépendamment de toute manifestation, une foi réelle et justifiante au regard de Dieu. Mais il parle au point de vue de l’appréciation humaine, et s’occupe de l’impression produite sur l’esprit de l’homme qui ne peut juger que d’après les manifestations extérieures ; or il est certain qu’à ce point de vue la foi et les œuvres doivent coopérer à la justification. De même, quand il dit que par les œuvres la foi d’Abraham fut rendue parfaite, le sens n’est pas que l’acte extérieur, l’œuvre proprement dite ait complété la foi, mais que par les œuvres la foi s’est montrée réelle, complète ; la pratique a été la confirmation de la foi. Tu vois que la foi coopérait avec ses œuvres, et que c’est par les œuvres que sa foi fut rendue parfaite, et l’Ecriture a été accomplie qui dit : Abraham crut Dieu et cela lui fut compté comme justice, et il fut « appelé ami de Dieu ». C’est dans le même sens qu’il ajoute : Vous voyez donc que c’est par les œuvres que l’homme est justifié, et non par la foi seulement.

A l’exemple d’Abraham, il joint celui de Rahab. Ici encore à l’opinion erronée des Juifs, qui faisaient dépendre la justification que cette femme païenne obtint devant Dieu de ce qu’elle croyait théoriquement à l’existence d’un Dieu unique, Jacques oppose la remarque que sa foi se montra par ses œuvres, savoir par un noble mépris de toutes les considérations terrestres, dans le but d’honorer l’Eternel. De même aussi Rahab, la prostituée, n’est-ce pas par des œuvres quelle fut justifiée, lorsqu’elle accueillit les messagers et qu’elle les fit repartir par un autre chemin ? Il termine tout ce développement par ces mots : En effet, comme le corps sans âme est mort, de même aussi une foi sans œuvres est morte. Cette comparaison qui met en présence d’une part le corps et l’âme, de l’autre la foi et les œuvres, n’est pas rigoureuse ; la foi qui n’est pas suivie d’œuvres répond bien à un corps sans âme ; mais il est évident que les œuvres ne sauraient répondre à l’âme, puisque l’âme est précisément le mobile intérieur d’où émane la vie, tandis que les œuvres sont des manifestations extérieures qui tombent sous les sens et qui témoignent d’une puissance active déjà existante. Elles répondraient plus exactement à l’activité du corps vivant. La pensée de Jacques est celle-ci : l’absence d’œuvres est une preuve que la foi est morte, qu’elle manque du principe de vie ; c’est pourquoi elle peut être assimilée à un corps mort.

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