Étude pratique sur l’épître de Jacques

10. Du penchant à se poser en Docteur

3.1-12

1 Ne soyez pas une foule de docteurs, mes frères, sachant que nous en serons plus sévèrement condamnés ; 2 car nous bronchons tous en plusieurs choses ; si quelqu’un ne bronche pas en paroles, c’est un homme parfait, capable de tenir aussi en bride tout son corps. 3 Voici, les freins des chevaux, nous les leur mettons à la bouche, afin qu’ils nous obéissent, et par là nous dirigeons tout leur corps. 4 Voici, les navires aussi qui sont si grands et poussés par des vents violents, on les conduit avec un très petit gouvernail dans toutes les directions, selon la volonté du pilote. 5 De même aussi la langue est un petit membre qui néanmoins est fière de ce qu’elle peut. Voici, un petit feu, quelle forêt n’allume-t-il pas ! 6 La langue aussi est un feu ; c’est le monde de l’iniquité ; c’est ainsi (comme un feu) qu’est posée, au milieu de nos membres, la langue qui souille le corps entier et enflamme tout le cours de la vie, étant enflammée elle-même par la géhenne. 7 Des animaux de toute nature, oiseaux, reptiles, poissons, sont domptés et ont été domptés par l’homme ; 8 mais la langue, il n’est pas un seul homme qui puisse la dompter ; c’est un mal irrésistible ; elle est pleine d’un poison mortel. 9 Par elle, nous bénissons Dieu notre père, et par elle, nous maudissons les hommes créés à l’image de Dieu. 10 De la même bouche sort la bénédiction et la malédiction ; il ne faut pas, mes frères, qu’il en soit ainsi. 11 Une fontaine verse-t-elle, par la même ouverture, le doux et l’amer ? 12 Un figuier peut-il, mes frères, produire des olives, ou une vigne des figues ? De même une source salée ne peut produire de l’eau douce.

Jacques passe à un sujet nouveau, dont on ne remarque pas d’abord le lien avec celui qui précède, mais une lecture attentive le fait bientôt apercevoir. En effet, le penchant à se poser en docteur et à parler à tout propos dans les assemblées religieuses, sans y être poussé par l’esprit de Dieu, découlait de la même source que les péchés qu’il vient de combattre, savoir de la haute estime accordée à une connaissance purement intellectuelle et raisonneuse de la loi, ainsi qu’à une foi d’apparat avec laquelle la conduite n’était point d’accord. C’est contre cette intempérance de paroles que s’élève Jacques maintenant : Ne soyez pas une foule de docteurs, mes frères. Il appuie son exhortation sur ce motif, qu’en s’érigeant en docteur on assume sur soi une plus grande responsabilité : Sachant que nous en serons plus sévèrement condamnés.

Le défaut principal des chrétiens auxquels s’adresse l’écrivain sacré, celui duquel provenaient tous les autres péchés qu’il attaque tour à tour, c’est qu’ils négligeaient de s’examiner et d’apprendre à se connaître eux-mêmes ; telle était aussi la véritable cause de la déplorable légèreté avec laquelle, dans ces églises, chacun se mêlait d’enseigner. Cette négligence, ce regard superficiel jeté dans le monde moral, cette habitude funeste de s’attacher à l’extérieur, à ce qui frappe les yeux, les empêchait entre autres d’estimer les paroles à leur juste valeur ; ils n’avaient pas encore compris que la parole est un acte moral qui doit être apprécié, comme tout autre acte, d’après la loi morale, en sorte que l’on peut pécher par ses paroles autant que par ses actions. C’est ce danger nouveau que Jacques signale ; il montre combien il est difficile de garder dans les paroles une juste mesure, combien il importe d’être maître de soi-même, et tout le mal que peut faire une seule parole ; considérations frappantes dont le but principal était d’exhorter ses lecteurs à ne parler qu’avec une réserve scrupuleuse. Il devait leur suffire, en effet, d’envisager sérieusement la responsabilité et le danger attachés à la parole, pour en user avec plus de sobriété dans leurs assemblées. Nous bronchons tous en plusieurs choses, dit Jacques ; si quelqu’un ne bronche pas en paroles, c’est un homme parfait, capable de tenir en bride tout son corps, c’est-à-dire : celui qui sait, en toute occasion, gouverner ses paroles saura aussi se gouverner pour tout le reste.

Puis, par plusieurs exemples familiers, il montre que les objets les plus insignifiants en apparence, exercent souvent une incalculable puissance, d’où il tire la conclusion qu’il est d’une importance suprême de maîtriser la langue : Voici, les freins des chevaux, nous les leur mettons à la bouche afin qu’ils nous obéissent, et par là nous dirigeons tout leur corps. Voici, les navires aussi qui sont si grands et poussés par des vents violents, on les conduit avec un très petit gouvernail dans toutes les directions, selon la volonté du pilote. De même aussi la langue est un petit membre qui néanmoins est fière de ce qu’elle peut. Voici, un petit feu, quelle forêt n’allume-t-il pas ! La langue aussi est un feu, c’est-à-dire : de même qu’une étincelle peut incendier toute une forêt, de même une seule parole qu’articule la langue, peut causer le plus grand mal : c’est le monde de l’iniquité ; c’est ainsi qu’est posée, au milieu de nos membres, la langue qui souille le corps entier et enflamme tout le cours de la vie, étant enflammée elle-même par la géhennea. » La pensée de Jacques est celle-ci : comme le feu des mauvaises passions embrase la langue ; ainsi celle-ci, à son tour, embrase toute la vie. Il montre combien il est illusoire et absurde que l’homme se dise le maître du monde, lorsque ses passions l’asservissent lui-même à ce monde qu’il prétend dominer ; il est honteux pour celui qui aspire à réduire sous sa puissance tous les animaux de la terre, de ne pas savoir même gouverner sa langue. Des animaux de toute nature, oiseaux, reptiles, poissons, sont domptés et ont été domptés par l’homme ; mais la langue, il n’est pas un seul homme qui puisse la dompter ; c’est un mal irrésistible ; elle est pleine d’un poison mortel. C’est ainsi que Jacques attaque et bat en brèche de tous les côtés, la piété formaliste. Il en indique encore une autre manifestation : c’est cette religiosité de paroles qui nous fait louer et bénir Dieu de notre langue, tandis qu’en même temps nous nous permettons des jugements amers, des paroles de condamnation contre le prochain en qui nous devrions respecter l’image de Dieu. C’est cette contradiction, ce mensonge véritable (voyez verset 14) qu’il met en lumière : Par la langue, nous bénissons Dieu notre père, et par elle, nous maudissons les hommes créés à l’image de Dieu. De la même bouche sort la bénédiction et la malédiction ; il ne faut pas, mes frères, qu’il en soit ainsi ; une fontaine verse-t-elle, par la même ouverture, le doux et l’amer ? Un figuier peut-il, mes frères, produire des olives, ou une vigne des figues ? De même, une source salée ne peut produire de l’eau douce. Jacques rappelle ici cette grande maxime qui est la pensée fondamentale de toute l’Épître, savoir, que tout revient à la disposition intérieure, puisque celle-ci imprime à toute la vie sa direction et en inspire tous les détails ; vérité souverainement méconnue par ces chrétiens formalistes qui ne considéraient guère que l’extérieur, l’apparence, les actes isolés.

a – « La langue est un monde, c’est-à-dire une source abondante d’iniquité, » rend faiblement la valeur de l’expression originale. Le sens est que la langue est le vrai monde, le véritable siège de l’iniquité, son milieu, sa sphère ; c’est là qu’elle réside ; de la langue comme centre, le mal se répand sur tout le cercle de la vie.

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