Histoire des réfugiés protestants de France

3.5 – De l’influence exercée par les descendants des réfugiés

Desaguliers. — La famille Romilly. — Ligonier, Prévost, de Blaquières, Labouchère. — Thélusson.

Ainsi, sous le rapport de la diplomatie et de la guerre, de l’industrie et du commerce, des sciences et des lettres, les réfugiés méritèrent bien du peuple anglais. Il en fut de même de leurs fils et de leurs petits-fils. Un des plus célèbres, le physicien Desaguliers, était né à La Rochelle en 1683. Son père, ministre protestant du seigneur d’Aitré, ayant été obligé de se retirer en Angleterre, y fut placé à la tête de l’école d’Islington, près de Londres. Il éleva lui-même son fils, qui entra dans les ordres, et fut successivement chapelain du duc de Chandos et du prince de Galles. Mais un penchant irrésistible entraînait le jeune homme vers l’étude des sciences exactes. Disciple de Newton qui reconnut son talent, il fut chargé par lui de répéter quelques-unes des grandes expériences sur lesquelles reposait sa nouvelle doctrine. Il ne négligea rien pour justifier une si haute confiance. Il inventa et construisit de nouveaux instruments, perfectionna ceux qui étaient connus, et fit un cours public de physique expérimentale newtonienne, auquel accoururent et les savants et les hommes d’État les plus illustres de l’Angleterre. Il eut la gloire de compter au nombre de ses auditeurs le roi George Ier et le prince de Galles, qui voulut apprendre de lui les découvertes de Newton. De retour à Londres, après un voyage scientifique en Hollande, il reçut de la Société royale la place de démonstrateur que le célèbre Robert Hook avait remplie pendant plusieurs années. La foule se porta de nouveau à son cours, et son enseignement forma plusieurs disciples qui parvinrent à leur tour à la réputation, entre autres St Gravesend.

La famille Romilly, originaire de Montpellier, a fourni des hommes distingués aux lettres, au barreau, à la diplomatie et à l’armée. L’un d’eux, né à Londres en 1739, reçu ministre en 1763, et pasteur dans une des Églises françaises de cette ville en 1766, fit admirer longtemps son imagination vive et colorée, son sens droit et sa grande pénétration. Un critique genevois regarde ses sermons comme les meilleurs publiés par les prédicateurs protestants après ceux de Saurin. Romilly s’était lié avec Diderot, d’Alembert et Voltaire. Il était l’ami de Rousseau ; mais il fait toujours, dans ses entretiens avec ces libres penseurs, l’apologiste de la religion chrétiennea.

aVoir Memoirs of the life of Samuel Romilly. London, 1740. Senebier, Histoire littéraire de Genève, t. III, p. 52.

Samuel Romilly, avocat célèbre de Londres, qui, par l’éclat de son talent et par ses tendances libérales, devint l’un des chefs du parti whig, fut le créateur de la grande fortune de sa famille. Plusieurs de ses fils, encore vivants, occupent des positions élevées dans la magistrature et dans le gouvernement. John Romilly, avocat d’un rare mérite, se trouvait à la tête du barreau de la Cour de chancellerie, quand il fut nommé solicitor general, et, plus tard, attorney général. Il est maintenant membre du conseil privé de la reine, et après avoir représenté longtemps la ville de Devonport à la chambre des communes, il a remplacé lord Langdale dans les fonctions de Master of the rollsb. Charles Romilly occupa d’abord la place de secrétaire particulier du président de la chambre des communes, qu’il quitta au bout de quelques années pour remplir les mêmes fonctions auprès du lord chancelier. En 1851, il fut nommé avocat de la couronne à la Cour de chancellerie. Henri Romilly dirige une des premières maisons de commerce de Liverpool. Frédéric Romilly, ancien colonel dans l’armée anglaise, a rempli la place d’aide de camp de lord Fortescue, vice-roi d’Irlande ; plus tard il fut secrétaire de lord Normanby, vice-roi de la même province. Depuis il a quitté l’armée, et il représente aujourd’hui (en 1851) la ville de Cantorbéry à la chambre des communes.

b – En Angleterre, le solicitor et l’attorney general représentent la couronne dans les cours de justice. Le master of the rolls est le second officier de la Cour de chancellerie. Cette dignité est conférée à vie.

La famille Thellusson, originaire de Lyon, établie longtemps à Genève, puis transportée en Angleterre, a donné deux membres distingués au parlement britannique : Isaac Thellusson, qui fut créé lord Rendlesham en 1806, et son frère Charles. Tous deux étaient fils de Pierre Thellusson, un des plus riches négociants de Londres.

Ajoutons que l’attorney general de Dublin, Saurin, était petit-fils d’un frère du célèbre prédicateur de La Haye, que Guillaume III avait amené avec lui en Irlande ; que le savant voyageur moderne, Henri Layard, l’explorateur des ruines de Ninive, descend d’une famille française émigrée ; que son père a rempli pendant dix ans de hautes fonctions judiciaires à Ceylan, et qu’il a contribué puissamment à la propagation du christianisme dans cette contrée lointaine ; que son grand-père, le docteur Thomas Layard, doyen de Bristol, fut un des plus éminents philologues de l’Angleterre ; que l’évêque de Chester, Magendie, l’un des précepteurs de la reine Charlotte, était petit-fils du réfugié Magendie, pasteur de l’Église d’Exeter.

Le général Ligonier qui commanda l’armée anglaise à la bataille de Lawfeld, le général Prévost qui se distingua dans la guerre d’Amérique, le général de Blaquières qui vient de mourir, après s’être longtemps signalé par ses talents militaires et par son courage personnel, et qui a légué à son fils le titre de pair d’Irlande, appartenaient à des familles réfugiées. Labouchère, qui a fait récemment partie du ministère anglais, est également, issu d’une famille protestante des environs de Toulouse.

Enfin, dans le commerce et l’industrie, les descendants des réformés proscrits n’ont pas cessé de déployer l’intelligente activité de leurs ancêtres. Mentionnons seulement Pierre Thellusson, qui laissa en mourant une fortune de 600 000 livres sterling, et testa, par un caprice bizarre, en faveur de l’héritier de droit qui survivrait à tous les membres de sa famille nés ou pouvant naître dans les neuf mois qui suivraient son décès. On sait que ce testament étrange a été l’occasion d’une nouvelle loi votée par le parlement sur l’hérédité.

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