Histoire des réfugiés protestants de France

4.2 – De l’influence des réfugiés sur les progrès de l’agriculture, du commerce et de l’industrie

Défrichements en Virginie, dans le Massachusets et dans l’Etat de New-York. — Cultures nouvelles introduites dans la Caroline. — Prospérité de la colonie agricole du Santee. — Témoignage de Lawson. — Développement du commerce de Charlestown. — Manufactures de soie et de laine.

Les colonies américaines furent largement rémunérées de leur hospitalité sagement généreuse par les services que leur rendirent les exilés. Les terres incultes des rives du fleuve Saint-James furent transformées par eux en champs couverts de riches moissons. Dans toute la Virginie on vantait l’état florissant de leurs fermes modèles des alentours de Mannikin. Aussi la législation provinciale les combla-t-elle de privilèges pour les empêcher d’émigrer vers le Sud où pouvaient les attirer un climat plus doux et le nombre croissant de leurs concitoyens proscrits. Dans le Massachusets, ils défrichèrent en grande partie les forêts qui entouraient encore les colonies naissantes de Boston et d’Oxford. Dans l’État de New-York, les fondateurs de New-La-Rochelle ne reculèrent devant aucune fatigue pour rendre productives les terres vierges des bords de la rivière de l’Est. Hommes, femmes, enfants travaillèrent sans relâche et parvinrent à conquérir des campagnes riantes sur une nature sauvage. Dans la Caroline du Sud, ils élevèrent de magnifiques plantations sur les rives du Cooper. Ils y apportèrent la vigne, l’olivier, le mûrier et la plupart des autres productions agricoles du midi de la France. Lorsqu’en 1680, Charles II envoya dans la Caroline une première troupe de huguenots, ce fut principalement dans l’espoir de doter cette colonie de ces belles cultures que les protestants français avaient tant perfectionnées dans leur patrie. Dans une Description de l’état présent de la Caroline, publiée en 1682, par Thomas Ash, greffier à bord du Richemond qui conduisit ces émigrés dans la Caroline, l’écrivain anglais, après avoir énuméré les principales productions de cette province, et insisté sur la possibilité d’y établir des manufactures de soie et d’y acclimater l’olivier et la vigne, ajoute expressément. « Sa Majesté, pour appuyer un si beau dessein, a donné à ces Français, que nous avons transportés, leur passage libre pour eux-mêmes, leurs femmes, leurs enfants, leurs biens et leurs domestiques, parce que beaucoup d’entre eux sont très expérimentés dans l’art de cultiver la vigne et l’olivier… et aussi pour essayer si une manufacture de soie pourrait réussir dans cette contrée. » Ce fait est confirmé par un acte de la législature de la Caroline du Sud, qui fut rendu onze ans après en faveur des réfugiés, et dont les considérants étaient conçus en ces termes : « D’autant que le roi Charles II, d’heureuse mémoire, voulut bien dans l’année 1680, pour contribuer à l’établissement d’une manufacture de soie et pour hâter l’introduction de la vigne et de l’olivier, envoyer plusieurs protestants français dans ce pays sur un de ses propres vaisseaux, afin qu’ils y habitassent et que leur postérité y vécût après eux … » La colonie agricole des bords du Santee surpassa toutes celles que les Anglais formèrent dans cette même contrée, quoiqu’ils y apportassent tout d’abord des fortunes considérables et tout ce qui était nécessaire pour le succès de leurs plantations. Les Français fugitifs possédaient à peine les choses indispensables à la vie ; la plupart n’étaient pas même accoutumés à ce genre de travail, et ils avaient en outre à lutter contre un climat d’une insalubrité proverbiale. Mais, stimulés par le besoin, sobres, industrieux, empressés de se soutenir les uns les autres, ils réussirent plus rapidement et d’une manière plus complète. Le voyageur anglais Lawson, qui visita leurs établissements en 1701, admira la propreté et la décence de leur mise, l’heureux aménagement de leurs maisons solidement construites et tous les signes extérieurs d’une aisance qui l’emportait de beaucoup sur celle des autres colons. Il vit avec étonnement un pays naguère couvert de marécages formés par les débordements du fleuve, se changer à vue d’œil et prendre l’aspect des parties les mieux cultivées de la France et de l’Angleterre. Une très bonne route qui conduisait à Charlestown ajouta encore à l’impression favorable qu’il reçut de cette colonie naissante et entièrement française. Lawson attribua la supériorité des Français sur les Anglais à l’esprit d’union qui régnait parmi eux. « Ils vivent, dit-il, comme une tribu, comme une famille. Chacun se fait une loi d’assister son compatriote dans ses besoins et de veiller à sa fortune et à sa réputation avec le même intérêt qu’à la sienne. Les malheurs qui frappent l’un d’eux sont partagés par tous les autres, et chacun se réjouit des progrès et de l’élévation de ses frères. »

Les marchands et les ouvriers qui cherchèrent un asile dans la Caroline choisirent de préférence pour demeure la ville de Charlestown. L’arrivée de ces hommes honnêtes et laborieux fut une heureuse acquisition pour cette colonie nouvellement fondée. Les uns se livrèrent au commerce avec les Indiens et arrivèrent à une aisance qui leur permit de donner insensiblement un plus grand développement à leur négoce. Les maisons des Laurens, des Manigault, des Mazycq, comptèrent bientôt parmi les plus actives et les plus riches de la province. D’autres établirent des manufactures de soie et de laine, et fabriquèrent ces étoffes renommées que l’on appelait des droguets. Ils créèrent aussi une grande manufacture de ces toiles si recherchées en Amérique que l’on désignait sous le nom de romallsa. De même qu’en Angleterre, les traditions d’élégance et de bon goût apportées par les ouvriers émigrés en 1685 furent sans cesse ravivées par l’arrivée de nouveaux fugitifs. Encore dans la seconde moitié du dix-huitième siècle, la Caroline du Sud vit créer à New-Bordeaux des manufactures que l’industrie des réfugiés rendit florissantes. Ce furent surtout les fabriques de soie qu’ils établirent dans cette ville, qui parvinrent à un haut degré de prospérité, et ajoutèrent véritablement à la richesse nationale des Etats-Unis.

aHistorical collections of south Carolina, by Carroll, t. II, p. 458. New-York, 1836.

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