Histoire des réfugiés protestants de France

6. — Concessions accordées aux émigrés par le landgrave de Hesse

Concessions et privilèges qui seront accordés par le sérénissime Charles Ier, landgrave de Hesse, prince de Hersfeld, comte de Catzenellenbogen, Dietz, Zingenhain, Nidda et Schaumbourg, à tous ceux qui voudront s’habituer dans ses États pour y exercer ou faire faire des manufactures qui ne s’y font point encore, et autres arts, ouvrages et métiers utiles et nécessaires, quels qu’ils puissent être. 12 décembre 1685.

Art. 1er. Tous ceux qui font profession de la religion protestante et qui auront dessein de s’établir dans les États de S. A. S. seront assurés de sa protection du moment qu’ils auront prêté le serment de fidélité, et nul n’aura le droit de les molester en façon quelconque, pourvu qu’ils observent religieusement les mandements de S. A. S. et qu’ils se conforment aux lois du pays.

Art. 2. Ceux qui viendront s’établir dans les États de S. A. S., après le serment de fidélité seront libres de choisir pour leurs négoces les villes et lieux les plus commodes à leurs trafics, où elle leur donnera des places pour bâtir et leur permettra de prendre du bois dans ses forêts et des pierres et du sable aux lieux qui seront les plus commodes.

Art. 3. Ceux qui voudront établir quelques manufactures jouiront à cet égard de dix ou douze années de franchise, à savoir : de tailles, impôts, taxes, logements de gens de guerre, guets, gardes, corvées et autres charges, eux et les associés et ouvriers qu’ils pourraient avoir pour leur besoin, et généralement tous ceux qui feront bâtir jouiront pendant quinze années de la franchise des maisons qu’ils auront fait bâtir. — Mais à l’égard des marchands, artisans et gens de métier qui ne feront ni manufactures ni bâtiments, et qui simplement exerceront leurs professions ou métiers qui sont usités dans les États de S. A. S., elle leur accordera un temps raisonnable de franchise comme elle le jugera à propos, pendant lequel ils jouiront des privilèges susdits, et comme les autres ne reconnaîtront point les magistratures des villes, mais seulement les commissaires de la Régence de S. A. S.

Art. 4. On leur donnera gratis des places pour bâtir dans les lieux absolument dépendants de S. A. S. dont le fond passera en propriété à leurs héritiers et successeurs sans qu’on puisse leur faire abandonner, sous quelque prétexte que ce puisse être. Cependant le désir de S. A. S. est que la plupart veuille s’établir dans sa résidence de Cassel.

Art. 5. Dans les villes de S. A. S., elle leur fera laisser à juste prix les places qui ne sont point bâties pour y faire des maisons, qui pour leur utilité seront faites de briques ou de pierres, et à ceux qui voudront acheter des maisons ou des terres, S. A. S. leur en accordera la franchise personnelle pour le temps susdit ; mais si les dites terres ou maisons étaient sujettes à des charges réelles, ils y seront obligés comme ses autres sujets.

Art. 6. Les privilèges des pères passeront aux enfants en cas de décès, lesquels en jouiront et accompliront le reste des années de franchise qui auront été accordées à leurs pères, et il sera permis à un chacun de vendre et débiter ses marchandises et denrées dans le pays à un prix raisonnable et de les transporter en d’autres, après les avoir exposées publiquement en vente. Ainsi, un chacun aura lieu de négocier et trafiquer honnêtement comme les autres sujets de S. A. S. auxquels ils seront égaux en toutes choses.

Art. 7. Quand le temps des franchises sera écoulé, S. A. S. en étant humblement suppliée, aura toujours des dispositions favorables pour en proroger le terme, et ce pour le bien d’un chacun, ce qui cependant dépendra absolument de sa volonté, et pour l’intérêt des manufactures d’importance nul ne pourra leur porter préjudice pendant leur franchise, et en cas qu’il s’en rencontrât d’autres qui voulussent faire les mêmes manufactures, S. A. S. contribuera ses soins pour les accommoder avec les premiers, afin que les uns et les autres puissent avec satisfaction y trouver leur profit et utilité.

Art. 8. Chaque manufacturier pourra faire venir tels associés et ouvriers qui lui seront nécessaires, lesquels seront francs autant que leur chef ; les marchands, artisans et gens de métier jouiront du droit de maîtrise du moment qu’ils auront prêté le serment de fidélité, sans qu’il leur coûte rien. Il leur sera permis d’avoir des apprentis et compagnons, lesquels ne pourront jouir d’aucun des susdits privilèges ni s’établir en qualité de maîtres qu’ils n’aient produit les attestations du temps du service auquel ils étaient engagés à leurs maîtres.

Art. 9. Il leur sera permis, à la pluralité des voix, d’élire des inspecteurs habiles pour visiter les ouvrages et corriger les abus. Cependant ils devront être confirmés par la Régence de S. A. S. et y faire un fidèle rapport de toutes choses.

Art. 10. Ceux qui transporteront leurs marchandises hors des États de S. A. S. paieront le péage de sortie, qui est très peu de chose. — S’il se rencontrait quelques personnes qui voulussent établir quelques manufactures d’une nouvelle invention et que ces privilèges ne leur suffisent pas, S. A. S. écoutera leurs demandes et y répondra suivant l’importance de l’affaire.

Art. 11. Les meubles et outils de tous ceux qui viendront s’établir dans le pays de S. A. S., tant pour la fabrique que le débit, seront francs et exempts de tous péages dès lors qu’ils entreront dans ses États.

Art. 12. S. A. S. entretient dans sa ville de Cassel des ministres venus de France, où ils ont exercé leur ministère avec zèle et approbation générale ; un chantre lecteur et maître d’école, en attendant que l’Assemblée soit en état de le faire. S’il se rencontrait des personnes de piété de la Religion réformée qui voulussent en d’autres lieux faire bâtir des temples et y entretenir à leurs dépens des personnes publiques pour l’exercice, S. A. S. y consentira, pourvu que son Consistoire ait été exactement informé, que l’examen en ait été fait, et que l’on y ait observé toutes les formalités requises.

Art. 13. Les personnes de qualité qui voudront se retirer sous la protection de S. A. S. pourront acheter des terres seigneuriales dans tous les droits et privilèges desquelles ils seront conservés (sic) et protégés, et jouiront des droits qui y seront annexés, sans qu’ils puissent y être troublés aucunement.

Art. 14. Au sujet des différents qui pourraient naître entre ceux qui viendront s’établir dans les États de S. A. S., tant ecclésiastiques, séculiers que civils, les commissaires de la Régence ou le Consistoire en prendront connaissance, et après avoir exhorté les parties à un accommodement à l’amiable, s’ils ne s’accordent pas, la loi du Pays ou la coutume de chaque lieu régleront le différent.

Art. 15. Ceux aussi qui voudront vivre de leurs revenus et qui ne feront aucune vacation, si leur argent est à intérêt dans les États de S. A. S., ils jouiront pendant six années de franchise et exemption de toutes charges, après lequel temps ils paieront les droits ordinaires, qui sont très peu de chose. Mais si les revenus leur viennent d’ailleurs, avec l’agrément de S. A. S., ils pourront vivre dans ses États, et ne paieront aucun droit.

Art. 16. Les bons ouvriers, de quelque profession que ce soit et qui n’auront pas de quoi subvenir à leur établissement, pourvu qu’ils soient honnêtes gens, S. A. S. leur fera faire des avances raisonnables.

Finalement S. A. S. les maintiendra tous dans les susdits privilèges, les en fera jouir en paix et en tranquillité, les prendra sous sa protection spéciale, et ne permettra pas qu’il leur soit fait aucun tort, mais plutôt leur accordera toute sorte d’assistance et faveur.

Donné à Cassel, le 12 Décembre 1685.

Signé : Charles.

Briève Relation du Pays de Hesse Cassel.

Son Altesse Sérénissime est de la Religion réformée, et n’est en cette année 1685 qu’en la 31e année de son âge. Il a quatre Princes et une Princesse pour enfants. Le prince, son frère, a une fille, étant aussi de la Religion réformée.

Cassel est la ville capitale et la résidence de ce Prince ; elle est grande, forte, bien bâtie ; les rues belles, les maisons commodes et à bon marché. Il y a plusieurs belles fontaines qui répandent leurs eaux dans toutes les rues. La rivière de Fulda, qui porte bateau, traverse la ville. On peut négocier par terre et par eau à Hambourg, Brème, Brunswick, Hanovre, Zell, Dresde, Berlin, Leipsick, Nuremberg, Cologne, Lubeck, Franckfort, Marbourg et autres villes d’Allemagne, dont elle est placée comme au milieu. — Le pays est agréable et très beau, l’air est bon et sain, et le peuple fort traitable et naturellement bienfaisant aux étrangers.

Les terres labourables y sont fructueuses ; le pays en général est composé des dites terres, prés, bois, ruisseaux et rivières poissonneuses, les eaux admirables pour toutes sortes de manufactures. Le pays est très abondant en bestiaux.

La charretée de bois de muron (une corde, mesure de Paris), n’y vaut que 25 sols ; la livre de pain, 6 deniers ; la livre de viande, veau et mouton, 2 sols ; celle de bœuf, 2 sols 6 deniers ; la livre de sel, 12 deniers ; la livre de beurre, en été, 4 sols, en hiver, 6 ; la livre de chandelle, 5 sols ; la douzaine d’œufs, 1 sol.

La pinte de vin du Rhin, mesure de Paris, coûte 10 sols ; la bière et le brinhand coûtent, aux cabarets, 2 sols le pot, et ceux qui la font brasser ont meilleur marché de la moitié.

L’argent de France y vaut 10 et 12 pour cent de plus qu’en France.

Il y a dans les États de S. A. S. des Universités fort en réputation, comme sont celles de Marbourg et Rinteln, et en plusieurs villes des collèges pour apprendre la langue latine.

S. A. S. est bienfaisante et affectionnée aux étrangers.

Les bourgeois et les paysans y vivent en paix ; — les impôts et les charges y sont beaucoup moindres qu’en France et ailleurs.

Il y a en beaucoup d’endroits de grandes prairies où chacun pourra envoyer paître des bestiaux, en payant peu de chose, comme les autres habitants du pays.

A Cassel, le 12 Décembre 1685.

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