Histoire des réfugiés protestants de France

12. — Rapports sur la colonie du Cap

La Société protestante des Missions reçut en 1828 et 1829 les rapports suivants qui lui furent adressés sur la colonie du Cap par les missionnaires chargés de prêcher l’Évangile en Afrique.

« Nous sommes enfin chez les descendants des réfugiés français. Notre arrivée chez eux a véritablement été comme la rencontre de Jacob et d’Esaü. Ils nous ont reçus avec les démonstrations de la joie la plus vive, nous considérant comme des envoyés qui viennent du pays de leurs ancêtres pour ranimer leur foi…

Nous partîmes le 3 novembre 1828 de la ville du Cap, avec M. le docteur Philip et quelques missionnaires. C’était la première fois que nous voyagions en waggona dans les déserts de l’Afrique. Après douze heures de chemin, pendant lesquelles nous ne vîmes que du sable, des bruyères, et de temps en temps quelques fermes, qui formaient de véritables oasis au milieu des déserts, nous arrivâmes à la Perle… Le docteur Philip nous présenta à l’assemblée, composée, pour la plus grande partie, des descendants des réfugiés français, et nous fûmes obligés de parler en anglais ; un missionnaire nous servait d’interprète. La séance était des plus touchantes. Après qu’on eut fait la lecture à l’assemblée des lettres dont nous étions chargés, nous leur fîmes un petit discours, dans lequel nous leur parlâmes des grâces que Dieu a répandues sur notre patrie, de la liberté religieuse dont y jouissent nos frères, du nombre des protestants qu’il y a aujourd’hui en France. En nous entendant, les vieillards versaient des larmes, et il leur paraissait impossible que leurs frères pussent jouir de tant de priviléges dans un pays où leurs ancêtres avaient été si cruellement persécutés. Les jours suivants ont presque uniquement été employés à faire des visites… Il n’y a pas de maison où nous n’ayons trouvé de grandes Bibles in-folio, dans lesquelles la date de la naissance et le nom de tous les membres de la famille sont inscrits. La généalogie était toujours le sujet qui servait d’introduction à nos entretiens. De degrés en degrés, ils remontaient à leurs ancêtres, et finalement ils étaient Français.

a – Char recouvert d’une toile ou de peaux, en usage chez les colons du sud de l’Afrique.

La Perle est le village le plus considérable de la vallée des Français. Cet endroit est situé au pied d’une montagne qui porte le même nom. Vis-à-vis est une autre chaîne de montagnes d’une grande hauteur, qui fait partie des monts de la Hollande hottentote. C’est dans cette vallée, qui peut avoir environ quatorze lieues de longueur sur trois de largeur, que se trouvent quantité de petits villages bâtis par les réfugiés français. Le premier que nous avons visité est Drachenstein, à trois ou quatre lieues de distance de la Perle. Ce village est un des plus anciens de la vallée … On nous y fit voir l’emplacement de la première église protestante bâtie par les réfugiés. On n’y voit plus aucune trace de l’édifice, dont il ne reste pas une seule pierre … Pendant longtemps il n’y eut dans toute la colonie que cette seule église française ; les réfugiés étaient obligés de s’y rendre de distances considérables … Le premier pasteur de Drachenstein s’appelait Simon. C’était un homme fort pieux et qui a exercé une grande influence sur la colonie. Sa mémoire est aussi en grande vénération, et à une petite distance de Drachenstein, à l’une des extrémités de la vallée, il y a une montagne qui porte son nom.

De Drachenstein, nous sommes allés à French-hoek (le Coin français) ; c’est le pays des antiquités. On nous y a fait voir une maison bâtie en 1694 par les réfugiés eux-mêmes, et des chênes, d’une énorme grosseur, plantés la même année. Nous y avons aussi trouvé quelques livres français, entre autres, les Psaumes mis en vers par Clément Marot, les seuls que nous ayons vus jusqu’ici.

Mais un des endroits qui nous a le plus intéressés et où nous avons trouvé le christianisme le plus vivant, c’est la vallée de Charron. Ses habitants descendent presque tous de la même famille. Ils se distinguent de tous les autres par certaines coutumes vraiment remarquables. Depuis qu’ils sont établis dans cet endroit, qui est un des plus riches et des plus beaux du pays, ils ont toujours eu à leur tète un vieillard, sans l’avis duquel ils n’entreprennent rien d’important. Cet homme est toujours choisi parmi les anciens de l’Église, et l’on a pour lui une grande vénération ; et soit qu’il s’agisse d’une acquisition, d’un mariage … on consulte le vieillard. Cette espèce de gouvernement patriarcal a été très favorable à l’industrie, car il n’y a point d’endroit plus prospère dans la colonie ; mais on peut dire aussi que ce patriarcat a été très utile quant à la piété, car la foi de leurs pères s’est conservée intacte parmi eux. Nous avons remarqué, avec beaucoup de plaisir, qu’ils avaient à cœur l’instruction de leurs esclaves … En arrivant chez eux, nous avons été surpris de l’ordre, de la propreté et de l’élégance de leurs maisons …

Je ne vous parlerai pas des autres endroits que nous avons visités. Partout nous avons reçu le même accueil. En quittant un village les habitants nous accompagnaient en grand nombre jusqu’au village voisin. Les chevaux et voitures qui nous suivaient formaient une espèce de caravane dans le désert, et le nuage de poussière qu’ils soulevaient, annonçait de loin notre arrivée … La première fois que nous célébrâmes le service divin en français à la Perle, la foule était si grande que la moitié fut obligée de rester hors de la chapelle, faute de place. Beaucoup de fermiers des villages voisins étaient venus de plusieurs lieues de distance pour entendre un sermon dans la langue de leurs maîtres. On n’avait pas prêché en français dans la colonie, depuis l’année 1739, époque à laquelle le gouvernement hollandais défendit injustement aux réfugiés français de célébrer leur culte dans leur propre langue. Ils n’avaient pas oublié cette circonstance, et la date de cette année était encore présente à leur mémoire.

La population entière de la vallée est à peu près de dix mille âmes, dont quatre mille libres, ou descendants des réfugiés, et six mille esclaves. Tous ces villages ne forment qu’une seule paroisse. Plusieurs évêchés en Orient ne sont pas plus considérables. Le pasteur est fixé à la Perle, qui est comme le chef-lieu de la vallée, et le missionnaire qui est principalement occupé de l’instruction des esclaves y réside également. A l’exception de la chapelle du missionnaire de la Perle et de la petite église de la vallée de Charron, il n’y a qu’un seul temple pour toute la population. Tous les dimanches les fermiers des environs partent au point du jour en voiture pour venir à l’église. Le soir, ils s’en retournent paisiblement avec leurs familles ; ce sont là tous leurs amusements ; je ne crois pas qu’on connaisse le jeu dans ce pays-ci. En général, cette vallée est dans un état de grande prospérité. L’on n’y connaît pas la disette. C’est même la partie la plus florissante de la colonie …

(V. Journal des missions évangéliques, cinquième année, page 105-110. )

Le missionnaire Bisseux écrivit de la Perle, le 24 décembre 1829.

« Il y a en général beaucoup de piété chez les descendants des réfugiés. Quand on entre dans leurs maisons, les premiers objets qui frappent la vue sont la Bible, un psaume et quelques livres de piété posés sur une table, près de la fenêtre. Plusieurs d’entre eux font le culte en famille le matin et le soir, et prient de l’abondance de leur cœur, sans avoir besoin de formulaires …

L’église de Drachenstein a eu quatre pasteurs français. Simon, Daillé, Beck et Camper. Du vivant de ce dernier pasteur, le gouvernement hollandais a fait une ordonnance, par laquelle il défendit de se servir désormais de la langue française pour annoncer la parole de Dieu. Les Français ont été dès lors obligés d’apprendre le hollandais, et de voir, à leur grand regret, la langue française s’éteindre au milieu d’eux. »

M. Delettre, consul de France au Cap, a eu la bonté de remettre à nos frères les pièces suivantes :

1° Noms des diverses familles des réfugiés français qui se sont établies au Cap de Bonne-Espérance, à l’époque de la révocation de l’édit de Nantes :

Avis. Barret, Bachet, Basson, Bastions, Beaumons, Beck, Bénéret, Bruet, Bota. Camper, Cellier, Cordier, Corprenant, Couteau, Couvert, Crognet. Daillé, Debuze, Debeurieux, Decabrière, Delporte, Déporté, Deruel, Dumont, Duplessis, Duprés, Dutoit, Durant, Dubuisson, Desavoye. Entreix. Fracha, Fauche, Floret, Foury. Gauche, Gordiol, Gounay, Grellon. Jacob, Joubert, Jourdain. La Grange, Lanoy, Laporte, Lapretois, Leclair, Lecrivant, Lefebvre, Le Grand, Le Riche, Le Roux, Lombard, Longue. Malan, Malherbe, Maniet, Marucène, Marais, Martinet, Ménard. Niel, Norman, Nortic. Passeman, Peron, Pinards, Prévôt. Rassemus, Rétif, Richard, Rousseau, Roux. Sabatier, Sellier, Sénécal, Seuquette, Simon. Tabordeux, Taillefer, Tenaumant, Terre-Blanche, Terrier, Terrout. Valleti, Vanas, Vattré, Vaudray, Verbal, Villious, de Villiers, Vyot, Viton, Vitroux.

En tout, 97 familles.

2° Règlement de l’assemblée des dix-sept qui représentent la Compagnie des Indes orientales des Pays-Bas, suivant lequel les chambres de ladite Compagnie auront pouvoir de transporter au Cap de Bonne-Espérance des personnes de tout sexe de la religion réformée, entre autres les réfugiés de France et des vallées du Piémont.

Celui qui voudra seul, ou avec sa famille, aller au Cap de Bonne-Espérance, y sera transporté sur un des vaisseaux de la Compagnie, sans qu’il lui en coûte rien, et ne sera obligé, pour cela, qu’à prêter le serment de fidélité à la Compagnie.

Il ne sera permis à personne de porter avec soi que les hardes qui lui seront nécessaires pour le trajet …

Chacun sera obligé de s’établir au Cap de Bonne-Espérance et de s’y fixer pour y gagner sa vie et s’y entretenir, soit par le labourage, soit par quelque art ou métier que ce soit.

On donnera, à celui qui s’appliquera au labourage autant de terre qu’il en pourra cultiver, et, en cas de besoin, on lui fournira tout l’attirail nécessaire pour cela, et même la semence, à condition qu’il remboursera la Compagnie des avances qui lui auront été faites en blé, vin ou autres choses.

Celui qui passera au Cap sera obligé d’y demeurer cinq années entières, mais s’il ne peut s’accommoder d’un si long séjour dans ce pays, il pourra, en présentant requête à l’assemblée, obtenir quelque relâche du terme, selon que sa remontrance paraîtra juste. »

(V. Journal des Missions évangéliques, cinquième année, page 132-135. )

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