Jean Hus, Gerson et le Concile de Constance

3. — Efforts de l’Université de Paris et de l’Église gallicane pour l’union.

Le roi de France, mieux qu’un autre souverain, aurait pu extirper l’ulcère qui rongeait l’Église ; mais seul peut-être, dans sa famille et dans sa cour, l’infortuné Charles VI aurait préféré l’intérêt général de la chrétienté à l’avantage particulier que pouvait retirer la couronne de la possession du pape à Avignon, et l’on peut dire que la force pour le bien lui manqua plus que la volonté. Sa fatale démence le fit retomber sous le joug funeste des princes de son sang : l’un d’eux, le duc d’Anjou, dont Clément était la créature, fit avorter tous les efforts qui tendaient à l’union ; il servait Clément VII et il usait de lui.

[Voyez dans la Chron. du Relig. de Saint-Denis, liv. ix, c. ii, le tableau des exactions de Clément VII et de ses cardinaux, ainsi que les violences inouïes au moyen desquelles le duc d’Anjou, régent, contraignait à la soumission le clergé de France et l’Université de Paris.]

Ce que la cour ne fit pas, un corps célèbre l’entreprit. Au milieu des profondes ténèbres où l’Europe était plongée, les Universités jetaient seules quelque éclat ; aucune n’était alors plus en renom que l’Université de Paris, qu’illustraient d’Ailly et Gerson, et qui sut, à l’époque de la plus grande humiliation de la France, lui conserver dans l’opinion une glorieuse primauté.

Ce grand corps et surtout la Sorbonnee, qui en faisait partie, prirent alors aux affaires une part immense, tantôt utile, tantôt funeste, rôle étrange et qu’on aurait de la peine à comprendre si les circonstances ne l’expliquaient pas. Dans un siècle où la théologie était presque l’unique science et où la plupart des questions de droit recevaient une solution théologique, les théologiens devaient être fort en crédit ; la Sorbonne était une haute puissance dont chacun s’efforçait de s’assurer le concours. Son importance redoubla lorsque l’affaire importante du siècle, le grand problème à résoudre, fut l’extinction du schisme. Toutes les autres questions étaient subordonnées, ou se rattachaient à celle-ci, qui était elle-même de la compétence des grands docteurs de l’époque, des Cramaud, des d’Ailly, des Gerson ; le schisme touchait à tout : l’Université se mêla donc de tout en cherchant à l’éteindre ; elle s’habitua ainsi à intervenir dans l’Église, dans la politique, dans l’administration ; elle prit la première place lorsque les premiers pouvoirs de l’État s’effaçaient ou périssaient. Elle ne sut point sans doute s’y maintenir indépendante ; en sortant de ses attributions elle sortit aussi de la modération dont elle devait donner l’exemple ; elle fut trop souvent le jouet de ceux qui s’appuyaient d’elle ; mais, à tout prendre, le rôle qu’elle remplit lui fut honorable, car elle chercha à faire prédominer l’idée du droit au milieu des plus brutales violences. Ce rôle fut illégal, mais alors toutes les lois étaient muettes, et, s’il est une preuve de l’extrême anarchie où la France était tombée, il atteste aussi le rang éminent auquel l’Université de Paris s’était élevée dans l’estime de l’Europe.

e – On sait que la Sorbonne était la faculté de théologie de l’Université de Paris.

Elle tint, en l’année 1394, une séance solennelle pour aviser à l’extinction du schisme, et conclut à l’obtenir par une de ces trois voies : la cession volontaire des deux concurrents, la décision d’arbitres acceptés des deux parts, ou enfin un concile général.

Clémangis présenta au roi, par écrit, le résultat de cette délibération. Charles VI l’accueillit avec faveur dans un moment lucide ; mais bientôt un nouvel accès de son mal rendit l’avantage au parti des princes, et défense fut faite à l’Université de s’entremettre dans l’affaire du schisme. Elle persista malgré l’injonction du conseil, et déclara que les cours seraient fermés, que les leçons publiques cesseraient jusqu’à ce qu’il eût été fait à ses demandes une réponse favorable ; elle écrivit en même temps à Clément VII une lettre vigoureuse, en l’invitant à choisir entre les trois voies d’accommodement. « Cette lettre est pernicieuse et empoisonnée, » répondit Clément VII ; la colère qu’il en eut lui fut, dit-on, mortelle ; peu de jours après l’avoir reçue il expira.

Alors rois, princes, Église, Universités, tout le monde s’entremit auprès des cardinaux d’Avignon pour empêcher une élection nouvelle ; mais l’empressement de ceux-ci à perpétuer le schisme fut plus grand que tous les efforts contraires. Chacun des dix-huit cardinaux jura qu’il emploierait, s’il était élu, tous les moyens, jusqu’à la cession du pontificat inclusivement, pour amener l’union de l’Église, ajoutant toutefois cette clause : Si les cardinaux qui sont à présent et qui seront à venir, ou la plus grande partie d’entre eux, le jugent expédient pour le bien de l’Église. L’ancien légat de Clément VII, Pierre de Lune, signa comme les autres et fut élu.

La clause restrictive du serment le rendait illusoire. Le pape élu n’était-il pas libre de nommer de nouveaux cardinaux disposés à juger le maintien du pontificat plus expédient à l’Église qu’une cession ? Ne pouvait-il se faire à lui-même un cas de conscience de déposer l’anneau de saint Pierre après l’avoir reçu ? C’est en effet ce qui arriva, et Pierre de Lune, pape sous le nom de Benoît XIII, après être monté sur le trône par la ruse la plus consommée, s’y maintint par une obstination indomptable.

Il était de la très illustre maison de Lune, qui tenait l’un des premiers rangs dans le royaume d’Aragon. Agé d’environ soixante ans, petit, grêle, chétif en apparence, mais en réalité très vigoureux, il avait l’esprit subtil, vif, pénétrant, d’une grande application à l’étude, et très instruit Surtout dans le droit-canon. A ces qualités il joignait les défauts d’un ambitieux qu’aucun scrupule ne retient. Il était trompeur et fourbe, sans nul souci de la foi jurée, pourvu qu’il pût sauver les apparences ; et pour conclure : « Il avait, dit Maimbourg, une furieuse opiniâtreté, au delà même de tout ce qu’un Aragonais est capable d’en avoir. » Grégoire XI, qui le nomma cardinal, le pénétra et lui dit, en lui remettant le chapeau : « Prenez garde, mon fils, que votre lune ne s’éclipse un jour. »

Personne, plus que Benoît, n’avait fait paraître un zèle ardent pour l’extinction du schisme ; c’est ainsi qu’il s’était élevé, et il eut recours au même moyen pour s’affermir. En notifiant son élection, par ses légats, au roi de France et à l’Université de Paris, il se montra prêt pour la session désirée ; ils n’avaient qu’à parler. « Choisissez, leur dit-il, la voie que vous jugerez la meilleure pour rendre la paix à l’Église ; je souscris à vos vœux. » Dans une lettre écrite à Jean, roi de Castille, Benoît fait du schisme et des maux de la chrétienté la plus affreuse peinture ; il se reconnaît indigne du pontificat, il s’est défendu avec larmes de l’accepter ; s’il a enfin consenti, c’est dans l’unique dessein de procurer sans plus de retard la paix et l’union de l’Église ; c’est pour la plus grande gloire de Dieu, qui a voulu employer à cette cause un si humble instrument, afin que sa divine sagesse éclatât davantage… Il faisait parade devant tous de ces beaux sentiments ; il aimerait mieux, disait-il, se confiner dans un cloître pour toute sa vie que de retenir la tiare aux dépens du repos de la chrétienté. Un jour qu’il s’entretenait avec les députés de l’Université de Paris, il mit sa chape sur la table et dit qu’il quitterait le pontificat avec la même facilité si l’union l’exigeait. Il blâmait fort son prédécesseur : Clément VII, au dire de Benoît, avait apporté trop de lenteur et trop de mollesse à l’accomplissement de cette sainte œuvre.

Qui ne se fût pris à de tels dehors ? qui aurait cru que cet homme serait en réalité le plus invincible adversaire de cette paix, de cette union qu’appelaient en apparence ses vœux les plus ardents ? Mais rien ne put fléchir ce cœur de fer, ni la soustraction d’obédience du royaume de France, résolue une première fois en 1398, et qui dura cinq ans, ni les ennuis d’un long siège, ni la désertion de ses cardinaux, ni la voix suppliante de la chrétienté, ni le cri de sa propre conscience. Apprenant la soustraction de la France, il dit froidement : « Qu’importe ? saint Pierre ne comptait pas ce royaume dans son obédience. » Assiégé par Boucicault, il l’excommunia ; il opposa cinq ans ses foudres aux armes des assiégeants. Manquant de bois durant un hiver rigoureux, il fit démolir une partie de son palais pour chauffer l’autre ; tous les jours il paraissait aux meurtrières du palais pontifical, tenant une clochette d’une main et un cierge de l’autre, et lançait l’anathème sur ses ennemisf. Enfin, à la faveur d’un déguisement il échappa ; il rentra ensuite en triomphe dans Avignon ; la France lui rendit son obéissance, et, de tant d’efforts tentés pour le contraindre à céder, l’unique résultat fut de le confirmer dans la volonté d’être inflexible.

f – Sismondi, Histoire des Français, tome XII, p. 113.

Ses concurrents mesuraient leur obstination sur la sienne. Boniface IX avait eu pour successeurs Innocent VII d’abord, puis Angelo Corario, cardinal-prêtre de Saint-Marc, pape sous le nom de Grégoire XII ; ils furent aussi tous deux, avant leur élévation, zélés partisans de l’union, à laquelle ils mirent ensuite d’invincibles obstacles. Ils agissaient ainsi peut-être en conscience ; ils avaient acquis le droit de délier tous les hommes de leurs serments, ils en usaient pour se dégager des leurs, et se parjuraient sans remords.

Le jour vint cependant où, se voyant près d’être abandonnés de tous, il fallut que les deux papes donnassent personnellement quelque gage à l’union si désirée. Une entrevue fut proposée et consentie, et ils répétèrent, à cette occasion, vis-à-vis l’un de l’autre, cette même comédie qu’ils avaient jouée à la face de l’Europe. Jamais ils ne purent tomber d’accord ni du jour, ni du lieu de l’entrevue. Celle-ci avait d’abord été fixée à Savone, et Benoît s’y était rendu, instruit d’avance que son concurrent n’y viendrait pas. « Grégoire, dit un contemporain célèbre, fit une nouvelle proposition qui fut acceptée : ce fut que Benoît irait à Porto-Venere et Grégoire à Lucques, pour être plus à portée de conférer ensemble. Grégoire partit donc de Vienne au mois de janvier et se rendit à Lucques ; de là il se fit diverses ambassades infructueuses de part et d’autre. Benoît déclara que tout lieu lui était indifférent, pourvu que ce fût sur le bord de la mer, afin d’être toujours à portée de sa flotte, mais Grégoire au contraire ne voulait entendre parler que de la terre ferme. Vous eussiez dit que l’un était un animal aquatique qui redoutait le sec, et l’autre un animal terrestre à qui l’eau faisait peur. Conduite qui irritait d’autant plus les esprits qu’on était persuadé que ce n’étaient que terreurs affectées, parce qu’ils auraient été également en sûreté soit sur terre, soit sur mer. Tout le monde murmurait hautement ; on ne pouvait voir, sans en frémir d’horreur, que deux hommes plus que septuagénaires, sacrifiassent la religion, l’Église et leur propre conscience à la seule ambition de régner encore quelques jours seulementg. »

g – Lettre de Léonard Aretin, secrétaire de Grégoire XII, à Petrello de Naples.

L’Église de France tint à cette époque un langage hardi et que les circonstances justifiaient. Le parlement, à la requête du roi, avait prononcé, l’année précédente, une seconde soustraction d’obédience à l’égard de Benoît XIII ; cette soustraction n’était que partielle et relative aux dîmes, aux annates et à la disposition des bénéfices ; cependant des voix puissantes la condamnèrent, et le royaume semblait partagé. La sanction de l’Église étant reconnue nécessaire, l’assemblée générale du clergé de France fut convoquée, en décembre 1406, à Paris, en la présence du roi, des princes et du parlement. « On y compta, dit Maimbourg, soixante-quatre archevêques ou évêques, environ cent quarante abbés, et un nombre infini de docteurs et de licenciés des Universités du royaume. »

Il y eut là comme un tournois théologique entre l’Université de Paris, qui demandait la soustraction absolue, et le parti de Benoît. Parmi les tenants pour l’Université on remarquait le cordelier Pierre-aux-Bœufs, le fameux docteur Jean Petit et Simon Cramaud, patriarche d’Alexandrie, archevêque de Reims et dans la suite cardinal. Pierre-aux-Bœufs parla le premier ; ce fut alors qu’il compara, comme on l’a déjà dit, le schisme à un cercle nommé halo, qui environne souvent les astres. « Cette ressemblance, dit-il, n’était pas seulement quant à la figure, mais aussi quant à l’origine. En effet, si l’un se forme des vapeurs de la terre, l’autre est venu des vapeurs de la gloire, de l’ambition et de la cupidité, ambition de présider, convoitise de posséder ; c’est le vent figuré en Job.1.19, d’où sortent tant de grièves tempêtes, conturbations de royaumes, haine entre nations, moqueries de notre foi, doutes en nos sacrements et mangeries de pauvres clercsh. »

h – Voyez le texte de ces discours extraits des manuscrits de Saint-Victor, dans les preuves de la nouvelle Histoire du concile de Constance, par Bourgeois de Chastenet.

Le prédicateur accuse les deux papes d’être les auteurs de tous ces maux, et il ajoute : « De même que les planètes ont deux mouvements, l’un qui les entraîne vers le firmament, l’autre qui leur est propre pour tempérer leur rapidité, tout de même les cardinaux, les patriarches et les prélats, qui sont les planètes du ciel de l’Église ou de son chef, se doivent laisser entraîner à ses volontés lorsqu’elles sont bien réglées ; mais quand par ses humeurs désordonnées le pape tient l’Église en trouble ou la met en ruine, on ne peut nier que les planètes susdites, les prélats susnommés ne doivent courir à l’encontre. Pierre-aux-Bœufs allègue entre autres preuves le concile tenu à Rome en 963, où Jean XII fut déposé, et il finit par demander, pour réduire Benoît XIII, des actes et non des paroles.

Jean Petit parla ensuite et dans le même sens ; puis ce fut le tour du patriarche d’Alexandrie, du célèbre Simon Cramaud, qui avait présidé plusieurs assemblées précédentes du clergé de Francei. Il crut donner un nouveau lustre à l’Université en lui accordant une étrange origine jusque-là inconnue, « Jules César, dit-il, quand il eut amené cette université d’Athènes à Rome, s’en tint pour très glorieux et volontiers suivait le conseil des maîtres et docteurs ; le roi Charlemagne, qui l’amena de Rome à Paris, la réputait un des grands joyaux de son royaume. » L’orateur peignit ensuite très vivement toutes les exactions de la cour romaine. « Quant aux dispensations, dit-il, ne sont-ce pas dissipations ? Un évêque ou un archevêque ne saura-t-il mieux les modérer que ne ferait un secrétaire en cour de Rome ? » En ce qui touche les biens de l’Église, Cramaud professe les opinions les plus hardies. « Le pape et les prélats, dit-il, ne sont pas seigneurs des biens de l’Église, ils n’en sont que les défenseurs et les procureurs ; mais les seigneurs temporels en sont les vrais seigneurs. » Revenant ensuite à Benoît, il fit ressortir avec force le contraste entre sa conduite avant son élection au pontificat et celle qu’il avait tenue plus tard, entre le désintéressement qu’il afficha d’abord, et l’ambition qu’il fit ensuite paraître. L’orateur termina en rappelant l’opinion des docteurs qui ont déclaré hérétique quiconque violerait son serment pour retenir la papauté.

i – Ce patriarche, réputé une des lumières de son temps, était un si grand personnage qu’au festin royal offert à Reims par le roi de France à l’empereur Wenceslas, Cramaud occupait la première place, Wenceslas la seconde, le roi de France la troisième. Voy. Froissart, ann. 1397, liv. iv, ch. 62.

Les conclusions de l’Université, toutes conformes à cet avis, furent qu’un pape qui a juré de céder, pour l’union de l’Église, quand il semblerait bon au collège des cardinaux ou à la majorité d’entre eux, est obligé de céder ; que s’il s’y refuse opiniâtrement il est parjure, infidèle envers Dieu et les hommes, et doit être déclaré hérétique par l’assemblée des prélats, poursuivi comme tel, et contraint à céder par les princes séculiers.

Le principal des tenants pour Benoît fut Guillaume Filastre, doyen de Reims. La présence du roi ne le rendit pas plus réservé dans ses paroles. « Charles VI, dit-il, s’était rendu coupable en prononçant, à l’égard de Benoît, la soustraction d’obédience ; il ressemblait à Osias entreprenant sur les droits du sacerdoce, ce pourquoi, dit-il, le roi eut la face couverte de lèpre. » Filastre d’ailleurs ne regardait pas la soustraction comme possible. « Je prends, ajoutait-il, un exemple familier : les bourgeois de Paris allèguent contre le prévost qu’il est de mauvaises mœurs, comme l’on prétend maintenant de notre Saint-Père, et disent qu’ils ne lui obéiront plus. Le prévost en fait pendre et justicier aucuns ; ils demeurent pendus. Ainsi notre Saint-Père peut nous excommunier, et, comme le larron demeure pendu, demeurons, nous aussi, excommuniés, car nous ne lui avons pas ôté la puissance des clefs. »

Mais la puissance réelle n’était alors ni à Rome, ni à Avignon. Le doyen de Reims avait mal pris son temps pour exalter son pape ; ses paroles parurent autant de blasphèmes contre la majesté royale, et il fallut qu’il fît au roi amende honorable. « Sire, dit-il, j’ai parlé de ma langue seulement, j’ai parlé imprudemment ; je ne le dis pour m’excuser, mais pour obtenir votre clémence. Je suis un pauvre homme qui ai été nourri aux champs : je suis rude de ma nature ; je n’ai pas demeuré avec les rois ni avec les seigneurs pour que je sache le style de parler en leur présence. Je serai au temps à venir plus avisé et plus fidèle à Votre Majesté, s’il vous plaist avoir pitié de moi. »

Pierre d’Ailly, évêque de Cambrai, prit en suite la parole ; il combattit la soustraction, et demanda un concile général formé des obédiences des deux papes, pour aviser à l’union de l’Église et à la réformation des mœurs.

L’avocat général, Jean Juvénal des Ursins, résuma les débats, et fit preuve de dévouement plus que d’érudition. Il tança vertement le doyen de Reims pour avoir dit que le pape est suzerain au temporel comme au spirituel. L’histoire et le droit-canon ne l’embarrassaient guère. « Ce ne fut point, dit-il, par l’autorité du pape que Pépin succéda à Childéric ; ce fut ce dernier qui se démit pour ce qu’il n’avait nuls enfants, et entra en religion. » Le droit d’assembler les conciles, quand il s’agit de juger les papes et de prononcer en matières de foi, appartient aux rois ; il le prouve par les exemples de Constantin et de Théodose, et par une décrétale de Nicolas. « Ce droit, dit-il, est acquis à la couronne, non à la personne de Pépin ou de Charles, mais au roi de France. L’élection de l’évêque romain se faisait autrefois par les ecclésiastiques et par les laïques, comme celle des autres évêques, qui sont frères. » Et sur ce qu’on allègue le droit de saint Pierre, il ajoute que le siège apostolique ou la céphalité fut premièrement à Jérusalem, puis à Antioche, puis à Rome ; « Et s’il se pouvait faire qu’il fût remis en son premier lieu, en Jérusalem, je crois que ce serait bien. »

Le concile, représentant l’Église gallicane, rendit un décret qui rétablit la soustraction d’obédience, comme en 1398, et qui fut confirmé par le roi. Benoît y répondit par une bulle foudroyante ; il excommuniait les auteurs et les fauteurs du décret de soustraction, quels qu’ils fussent, cardinaux, archevêques, princes, rois et empereurs.

Cette bulle parvint à Paris au milieu de l’horreur répandue par un affreux attentat. Le duc d’Orléans, frère du roi, et Jean sans Peur, duc de Bourgogne, longtemps ennemis, s’étaient réconciliés au pied de l’autel ; ils avaient communié ensemble, et, trois jours après, dans la nuit du 23 novembre 1407, Jean sans Peur fit massacrer le duc d’Orléans. Ce forfait trouva un apologiste effronté dans le célèbre docteur Jean Petit, et le roi pardonna au meurtrier de son frère. Il n’y avait plus en France ni autorité royale, ni autorité religieuse ; le royaume était dévolu à un triple fléau, à la guerre étrangère, à la guerre civile, à la guerre théologique ; on n’entendait plus, d’une extrémité à l’autre, que le choc des armes, les cris des combattants, les soupirs d’une nation à l’agonie ; et, par-dessus tous ces bruits sinistres, les voix de deux grands-prêtres qui maudissaient le roi, le clergé, le peuple, et se foudroyaient l’un l’autre.

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