Jean Hus, Gerson et le Concile de Constance

3.2. — Abdication de Grégoire XII.

Des trois pontifes entre lesquels la chrétienté s’était partagée et que le concile avait résolu de réduire ou de déposer, un seul s’était soumis, vaincu surtout par la crainte des châtiments dus à ses crimes. La déchéance de Jean XXIII écartait un obstacle à l’abdication de Grégoire XII. Peut-être ce vieillard presque nonagénaire se reconnut-il désormais trop faible contre l’assemblée redoutable qui disposait des forces de l’empereur et des rois ; peut-être aussi, touchant au tombeau, voulut-il, par un tardif mais grand sacrifice offert à la paix du monde, expier les scandales et les malheurs que son obstination avait causés, et, après avoir lutté huit ans d’orgueil et d’ambition aux yeux du monde avec Benoît XIII, il est permis de croire qu’il essaya de l’emporter une fois sur son rival en abnégation devant Dieu.

Le 16 juin 1415, Charles Malatesta, seigneur de Rimini, capitaine général et procureur de Grégoire XII, entra dans Constance avec une brillante escorte. On lui fit une réception magnifique ; il n’était pas cependant député au concile : Grégoire ne reconnaissait pas cette assemblée, qu’il n’avait pas convoquée ; il n’adressait son envoyé qu’à l’empereur. Il posait deux conditions à la résignation de son pontificat : il demandait que le concile se soumît à être convoqué par lui, et il défendait à son procureur de s’y présenter si l’assemblée n’était présidée par un cardinal de son obédience.

Le concile accepta la première clause et rejeta la seconde, il aima mieux offrir, pour cette fois seulement, la présidence à l’empereur. Mais en éludant une difficulté il tombait dans une autre : d’une part, il n’entendait nullement que ses actes antérieurs à cette dernière convocation fussent invalidés, et, d’autre part, il ne voulait pas qu’il fût dit que l’empereur eût présidé une session d’un concile œcuménique. On convint donc d’enlever à celle-ci le caractère sacré des précédentes, en supprimant à son début la plupart des offices religieux célébrés à l’ouverture des autres.

Les choses étant ainsi réglées des deux parts avec une extrême circonspection pour les droits de tous, la séance s’ouvrit sous la présidence de Sigismond. L’empereur, assis en face de l’autel, avait à sa droite Charles Malatesta, procureur de Grégoire, et à sa gauche le cardinal de Raguse, l’un de ses légats. On chanta quelques hymnes, puis on lut deux bulles de Grégoire XII. L’une autorisait les prélats et grands officiers à reconnaître l’assemblée de Constance pour un concile général, lorsqu’elle aurait été de nouveau convoquée par lui ; la seconde donnait plein pouvoir à Malatesta de faire et de conclure ce qu’il jugerait le plus à propos pour ses intérêts et pour ceux de l’Église.

Les bulles étant lues, le légat de Grégoire se leva et dit : « Moi, Jean, cardinal de Raguse, par l’autorité de mon dit seigneur le pape, autant que cela le regarde, je convoque le sacré concile général ; j’autorise et je confirme tout ce qu’il fera pour l’union et la réformation de l’Église, et pour l’extirpation de l’hérésie. »

L’archevêque de Milan prit alors la parole, et approuva, au nom du concile, cette nouvelle convocation en ces termes : « Le principe et le motif étant le point capital en toutes choses, le sacré concile de Constance, assemblé légitimement au nom du Saint-Esprit, et représentant l’Église catholique, ayant pour principe de faire tout ce qui se peut pour l’union de l’Église, afin que les deux obédiences, savoir celle qui reconnaît que Jean XXIII a été pape, et celle qui reconnaît que Grégoire XII l’est actuellement, puissent être unies ensemble sous Jésus-Christ, qui est leur chef, il admet en tout la convocation qui vient d’être faite au nom de celui qui s’appelle Grégoire XII, dans son obédience, autant que cela peut le regarder, et ordonne que ces deux obédiences soient et demeurent réunies. »

Le concile étant ainsi convoqué de nouveau, le cardinal de Pise célébra la messe, et l’on fit toutes les cérémonies d’usage au début de chaque session ; l’empereur reprit sa place habituelle, le cardinal de Viviers présida l’assemblée, et la quatorzième session commença.

Lecture fut donnée de plusieurs décrets : par eux le concile défendait à qui que ce fût de procéder à l’élection d’un nouveau pape sans son aveu ; il suspendait, pour cette fois, tous les usages, droits et privilèges autorisés par les conciles précédents touchant l’élection des papes. Le concile se réservait de régler le temps, la forme et le lieu de cette élection ; il décidait qu’il ne serait point dissous qu’il n’y eût un pape élu, et priait l’empereur de s’employer efficacement à le maintenir et à le défendre.

L’empereur déclara qu’il obéirait au vœu du concile, et fit publier un édit qui menaçait des peines les plus sévères quiconque attenterait à la sûreté du concile ou à la liberté de l’élection du pape. On ratifia ensuite ce que Grégoire avait fait canoniquement dans les lieux de son obédience réelle ; on déclara que ce n’était point pour fait d’incapacité, mais pour le bien de la paix générale, que Grégoire avait été exclu, dans la session douzième, du droit d’être élu de nouveau. Le concile le reconnut lui-même pour cardinal, et confirma dans leurs dignités les six cardinaux de son obédience.

Alors Charles Malatesta, s’étant levé, harangua l’assemblée, et, faisant allusion au nom d’Angelo, qui était celui de Grégoire XII, il prit pour texte de son discours ces paroles de saint Luc : Avec l’ange il s’éleva une grande multitude de l’armée céleste. Puis, prenant place sur un siège élevé, disposé comme pour Grégoire lui-même, il déclara solennellement que son maître renonçait au souverain pontificat, sans y être porté par aucun autre motif que celui de procurer la paix et l’union de l’Église.

Le concile termina sa quatorzième session par la lecture d’un décret qui sommait Pierre de Lune, dit Benoît XIII, de tenir sa promesse en renonçant au pontificat dans dix jours, sous peine d’être poursuivi comme schismatique, incorrigible, dévoyé de la foi et parjure, auquel cas le concile ordonne de le poursuivre, et l’empereur est requis d’exécuter la sentence.

Grégoire, après avoir résigné la tiare, parut soulagé d’un grand fardeau : la couronne, en effet, pesait plus sur sa conscience que sur son front. Lorsqu’il apprit ce qui s’était passé à Constance, il assembla ses cardinaux, ses prêtres, sa maison, et, déposant devant eux sa mitre et ses ornements pontificaux, il jura qu’il ne les reprendrait jamais. Il fut fait cardinal-évêque de Porto, et, deux ans plus tard, il mourut nonagénaire à Recanati, dans la marche d’Ancône, dont il était légat.

Les théologiens d’Italie se sont appuyés de la concession faite par le concile à Grégoire pour déclarer nuls tous ses actes antérieurs, et en particulier les décrets de la cinquième session, qui établissent la supériorité du concile général sur le pape. Une semblable prétention de leur part est comprise, mais elle n’est pas justifiée.

Pour que les actes des sessions antérieures fussent invalidés, le concile aurait dû les déclarer tels dans la quatorzième session ou dans les suivantes ; il aurait dû surtout ne compter celles-ci qu’à partir de la convocation nouvelle. Il fit le contraire ; il continua à compter les sessions dans le même ordre qu’auparavant ; il fit, dans la suite, confirmer tous ses actes par la bouche d’un nouveau pape, et, pour ôter tout prétexte à l’équivoque ou au doute, il exigea que cette clause : Pour autant que cela regarde Grégoire XII, fût maintenue dans le décret de convocation par ce pontife.

Nous ne voyons pas que Grégoire lui-même ait regardé, depuis son abdication, tout ce qui s’était fait avant elle comme nulc, et qu’il ait cru, par exemple, que, pour valider la déposition de Jean XXIII, il fallût le déposer de nouveau. Grégoire voulut sans doute ménager ce qu’il se devait à lui-même pour justifier sa longue résistance ; il voulut aussi, autant que cela dépendait de lui, maintenir intactes les prérogatives de son rang suprême, abandonnées par son ancien compétiteur. Vaincu, il sut se faire honneur de sa défaite. Sa chute étant forcée, ce fut une gloire pour lui de la présenter comme volontaire, de couvrir d’une apparence de liberté une contrainte réelle. Balthazar Cossa avait été honteusement précipité et résigna sa couronne en lâche ; Angelo Corrario céda la sienne en pape, et l’on peut dire qu’il descendit du trône plutôt qu’il n’en tomba.

c – Voyez une lettre curieuse de Grégoire XII, citée dans les anecdotes de Martène.

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