Jean Hus, Gerson et le Concile de Constance

4.4. — Affaire des Polonais et de Falkenberg. — Actes et bulles de Martin V. — Fin du concile.

Au nombre des causes importantes qui furent soumises au concile était, comme on la vu, celle des Polonais et des chevaliers teutoniques. Depuis environ deux siècles les Polonais soutenaient une guerre continuelle contre les Prussiens, peuple à cette époque encore sauvage et païen ; ils avaient appelé à leur aide les chevaliers teutoniques, en cédant à ceux-ci tout le territoire qu’ils pourraient conquérir. Cette donation fut confirmée par l’empereur Frédéric II et par les papes Honoré III et Grégoire IX, qui accordèrent en même temps aux chevaliers des bulles d’indulgences pour la conversion des infidèles. Mais pour les hommes de guerre, à cette époque, convertir c’était massacrer. Ceux-ci choisissaient particulièrement, chaque année, pour leurs excursions chez les Prussiens, deux jours consacrés à la Vierge, la Purification et l’Assomption. Ces jours-là ils croyaient faire acte de dévotion à l’égard de la Mère du Sauveur en mettant chez les Prussiens tout à feu et à sang. Ils se jetèrent sur les Polonais mêmes qui les avaient appelés, et il s’ensuivit une guerre effroyable dans laquelle les chevaliers éprouvèrent de sanglantes défaites ; mais leur ambition était toujours plus grande que leurs désastres, et chaque revers les remplissait d’une fureur nouvelle.

Le roi de Pologne Ladislas Jagellon et le grand-duc de Lithuanie Alexandre Withold dénoncèrent les violences des chevaliers à toute la chrétienté ; enfin, d’un commun accord, le concile fut pris pour arbitre, et deux questions lui furent soumises, l’une de droit : Est-il permis de convertir les infidèles par la force des armes, et les terres des infidèles appartiennent-elles aux chrétiens ? l’autre de fait, et relative à la conduite même des chevaliers.

Le plus remarquable avocat des Polonais au concile fut Paul Voladimir, docteur en droit canon, recteur de l’Université de Cracovie et l’un des ambassadeurs du roi de Pologne. Il publia un mémoire où se rencontrent des arguments supérieurs aux opinions reçues à cette époque, et leur supériorité même contribua sans doute à les faire échouer. Voladimir s’élève contre cette doctrine des canonistes qui déclarent que, depuis l’avènement de Jésus-Christ, toute juridiction a passé aux fidèles. Il oppose, sur ce point, le droit des gens aux bulles des papes et aux ordonnances des empereurs… « Quoique les infidèles ne soient point de la bergerie de l’Église, ils sont cependant au nombre des brebis du Christ, et le successeur de Pierre est aussi tenu de les protéger et de les défendre… Le droit ne ressort ni des injustices ni des violences… La loi naturelle nous dit : Ce qu’un homme occupe ne saurait être justement occupé par un autre ; et la loi divine : N’empiète point sur les terres de ton voisin. Il n’est pas permis d’enlever aux infidèles leurs biens et leur juridiction, car ils les tiennent de Dieu. Les lettres des empereurs, les bulles des papes qui donnent les terres des infidèles aux chrétiens ne leur confèrent aucun droit, mais les abusent, car nul ne peut donner ce qu’il n’a pas… C’est par la douceur, et non par la violence, que l’on convertit les âmes… et sous prétexte de faire une œuvre sainte, il ne faut pas commettre d’impiétés : ceux qui agissent ainsi travaillent beaucoup plus pour eux-mêmes que pour Dieu… » Voladimir dénonce enfin comme un sacrilège abominable le choix que faisaient les chevaliers des jours du sabbat et des fêtes de la Vierge pour mettre tout à feu et à sang chez les infidèles. « Il est absurde et impie, dit-il, d’affirmer que les infidèles sont incapables de juridiction, d’honneur et de domination ; une pareille doctrine fraye la voie aux rapines et aux homicides… Il excepte toutefois des guerres impies celles des Espagnols contre les Maures, parce que les premiers n’ont fait que reprendre sur les Maures ce que ceux-ci leur avaient enlevé ; il excepte aussi les croisades en terre sainte, parce que la Palestine a été d’abord possédée par les chrétiens, et qu’il ne faut pas que Mahomet soit servi dans un lieu où Jésus-Christ a été adoré.

Ce mémoire de Paul Voladimir, recommandable au point de vue de la raison et de la morale, heurtait les préjugés du temps et blessait les prétentions de la cour romaine ; ses conclusions étaient beaucoup plus favorables aux droits de l’humanité qu’à ceux de la puissance ecclésiastique, et il fut lu pour la première fois dans l’assemblée des nations le 15 juillet 1415, le jour même où le concile venait de prouver, par le supplice de Jean Hus, que tout autre intérêt disparaissait à ses yeux devant celui des privilèges et du pouvoir du clergé. Les Polonais d’ailleurs avaient peu de crédit dans l’assemblée ; les chevaliers en avaient obtenu beaucoup par leurs intrigues, et ils s’étaient rendus redoutables par leur audace. Le mémoire de Voladimir n’eut donc aucun résultat. L’affaire fut reprise sans plus de succès le 13 février suivant, et on eut recours, pour l’ajourner, à des prétextes plutôt qu’à des raisons. Cependant les chevaliers aiguisèrent contre les Polonais et leur roi la plume effrontée d’un moine dominicain, nommé Jean de Falkenberg. Ce malheureux adressa un affreux libelle à tous les rois, princes et prélats de la chrétienté. « Ladislas, dit-il, est une idole, et le servir est une idolâtrie. Les Polonais et leur roi sont des hérétiques et des chiens impudents ; il est plus méritoire de les tuer que de tuer des païens ; les princes séculiers qui les feront pendre mériteront la gloire céleste, et ceux qui les tolèrent seront damnésa. »

a – Dugloss, Hist. Polon., lib. xi, p. 377, 487.

Les députés des nations condamnèrent cet infâme pamphlet, et les Polonais furent en cette occasion chaleureusement secondés par les ambassadeurs du roi de France, et surtout par d’Ailly et Gerson, qui reproduisirent contre l’auteur les mêmes arguments qu’ils avaient fait valoir contre l’apologiste du duc de Bourgogne. Jean Petit et Jean de Falkenberg étaient en effet les champions d’une seule et même cause, celle du meurtre : l’un justifiait le crime et l’autre y exhortait.

La sentence, signée des députés des nations et de tous les cardinaux, portait que le livre de Falkenberg serait brûlé comme séditieux, impie, cruel et hérétique ; et il fut dit que cette décision, prise par les nations assemblées, serait confirmée en plein concile.

Othon de Colonne l’avait signée comme les autres cardinaux ; devenu pape, chacun pensait qu’il confirmerait la sentence qu’il avait rendue étant cardinal ; il n’en fut rien : les chevaliers le gagnèrent ou l’effrayèrent, et Martin V ne ratifia point la signature d’Othon de Colonne ; aucun argument, aucune prière n’obtint de lui la condamnation soit du libelle de Falkenberg, soit de l’apologie du duc de Bourgogne par Jean Petit.

Ce double déni de justice remplit l’âme de Gerson d’une poignante douleur. Il donna carrière à son indignation et signala en ces termes les conséquences dangereuses d’une telle conduite. « Après s’être tant de fois engagé, dit-il, à extirper les hérésies, ne point condamner de semblables maximes, c’est donner lieu de penser qu’on a cédé à la terreur ; c’est provoquer les justes reproches des Bohémiens contre lesquels on a procédé avec rigueur ; c’est inviter à la justification des homicides, des trahisons, des parjures ; c’est apprêter à rire aux fidèles comme aux païens, et surtout à Pierre de Lune et à ses fauteurs, qui diront qu’on a toléré l’erreur, en plein concile, sur des matières de la plus haute importance, et qu’après l’élection d’un pape élu surtout pour l’extirpation des erreurs on les a moins ouvertement combattues qu’auparavant. D’autres y verront l’abandon de la vérité catholique et un assentiment donné à l’hérésie ; car ne point s’opposer à une erreur, c’est y adhérer. »

Non seulement le concile et le pape n’approuvèrent point la doctrine de Voladimir contre l’extermination des infidèles ou leur conversion par les armes ; le pape publia une bulle de croisade qui sanctionnait la doctrine opposée. Elle exhortait, par le conseil des cardinauxb, toute la chrétienté à seconder en Afrique les conquêtes du roi Jean de Portugal sur les Maures. Martin V invite, par l’aspersion du sang de Jésus-Christ, empereurs, rois, ducs, princes, marquis, barons et autres, à s’armer vigoureusement pour secourir ce monarque dans son dessein d’exterminer les infidèles, avec promesse de leur accorder pour une œuvre si excellente des magnificences spirituelles, c’est-à-dire des indulgences et la rémission de leurs péchés.

b – De fratrum nostrorum consilio. La bulle, datée du mois d’avril, ne porte point l’approbation du concile. (Lenfant. Hist. du Conc. de Const., liv, vi.)

Cette bulle, qui ordonnait une croisade contre les infidèles, fut suivie d’un décret terrible du concile, en vingt-quatre articles, et d’une nouvelle bulle du pape contre un peuple chrétien. Le supplice de Jean Hus, loin d’abattre l’hérésie en Bohême, avait doublé ses forces ; la mort de Jérôme de Prague porta l’irritation au comble. Après avoir vainement tenté d’étouffer l’indépendance des esprits dans le sang de deux hommes, il fallut bientôt éteindre leur révolte dans le sang d’un peuple. Le décret du concile, formulé dans ce but, ordonne, entre autres choses, ce qui suit :

« Le clergé de Bohême sera rétabli dans ses charges et dans ses biens ; les principaux disciples de Hus, désignés par leurs noms, seront cités en cour de Rome ; tous les livres condamnés de Wycliffe, de Jean Hus, et de Jacobel seront livrés aux légats ; on observera toutes les pratiques de la religion touchant le culte divin, les images et la vénération des reliques. Quiconque, prêtre ou laïc, prêchera ou défendra les hérésies condamnées, ou rendra à Jean Hus et à Jérôme le culte que l’on rend aux saints, sera traité en hérétique relaps et puni par le feu. Tout séculier dûment averti sera tenu de prêter assistance à l’exécution de ce décret ou sera puni comme fauteur de l’hérésie. »

Cet ordre du concile fut accompagné d’une bulle du pape adressée aux archevêques, évêques et inquisiteurs de la foi : elle est un modèle de procédure inquisitoriale. Martin V prescrit d’interroger les suspects et de les contraindre à répondre la main sur l’évangile, sur le crucifix ou sur les reliques des saints, et à jurer de cette manière s’ils ne tiennent aucune des erreurs consignées dans les quarante-cinq articles condamnés de Wycliffe et dans les trente articles attribués à Hus.

[Parmi les erreurs attribuées à Hus se trouve l’article suivant, qui paraît orthodoxe et dont nous ne voyons point qu’il ait été fait mention dans son procès : Les deux natures, la divinité et l’humanité sont un seul Christ.]

A ces soixante-quinze questions le pape en ajouta trente-neuf, dont quelques-unes seulement seront ici rappelées.

On demandera à tout suspect :

c – Cette question que le pape Martin V ordonna de faire à tout homme suspect d’hérésie, a toujours été regardée comme une nouvelle confirmation des actes du concile.

Cette bulle était conçue dans les termes les plus irritants. Elle obligeait à jurer qu’un parjure sciemment commis pour sauver sa propre vie ou celle d’autrui est un péché mortel, tandis qu’elle mettait elle-même tout le monde entre le parjure et le martyre, et, pour un converti, faisait cent hypocrites ou cent rebelles.

Cependant de toutes parts arrivaient à Constance les ambassadeurs des républiques et des princes pour adresser au pape des félicitations et des requêtes. Ceux dont la venue excita au plus haut point l’attention étaient les envoyés grecs de l’empereur Manuel Paléologue et de Joseph, patriarche de Constantinople. Le chef de l’ambassade, George, archevêque de Kiovie, était accompagné de plusieurs princes turcs et tartares et de dix-neuf évêques de l’Église grecque.

Depuis longtemps un concile général avait été indiqué comme l’unique remède au schisme qui séparait les deux Églises, et Gerson surtout en avait fait sentir, dans ce but, toute l’importance.

Les députés grecs furent accueillis avec de grands honneurs, dans l’attente de la réunion si désirée. L’empereur, les princes, le clergé allèrent au-devant d’eux, et durant leur séjour à Constance toute liberté leur fut laissée pour l’exercice de leur culte. L’opinion générale, dit un auteur contemporain, était que la réunion aurait eu lieu si la réforme n’eût point avorté. Cette opinion est au moins problématique. Il est difficile, d’autre part, d’accorder ces honneurs rendus à des schismatiques, cette tolérance pour leur culte, avec les traitements barbares infligés à d’autres hommes réputés schismatiques ou hérétiques, à Hus et à Jérôme. La raison de ce double fait est celle de tant d’événements humains ; c’est le privilège de la force. Les Bohémiens étaient faibles, ils furent frappés ; les Grecs étaient puissants, on les combla d’honneurs.

Au milieu des hommages qu’il recevait de toutes parts, Martin V avait un motif sérieux d’inquiétude. Benoît XIII se disait toujours pape et continuait à braver la chrétienté du haut de son rocher de Péniscole. Le concile députa vers lui encore une fois, et le pape lui envoya un légat pour le sommer de se démettre ; mais Benoît, retranché dans sa forteresse, tergiversa de nouveau ; il agit avec Martin V comme jadis avec Grégoire XII ; il voulait, disait-il, conférer touchant l’union de l’Église avec l’élu du concile, et, puisque celui-ci était un homme raisonnable, il se flattait de lui faire entendre raison.

Benoît se sentait appuyé lorsqu’il tint ce langage. Le roi d’Aragon aurait seul pu le réduire, mais Ferdinand IV était mort et son fils Alphonse V ne put résister à la tentation de garder sous sa main le pontife déchu, mais non soumis, comme un utile instrument. Aussitôt après l’élection du pape, Alphonse fit valoir ses services et ceux de Ferdinand, son père. Tous deux, dirent ses ambassadeurs, avaient beaucoup dépensé pour la paix de l’Église ; Alphonse priait le pape, sous ce prétexte, de lui accorder la disposition perpétuelle des bénéfices de la Sicile et de la Sardaigne, avec dispense de toute redevance au siège apostolique ; il demandait, en outre, une grande partie des biens ecclésiastiques qui appartenaient au siège de Rome dans l’Aragon, et quelques places du domaine des chevaliers de Rhodes, entre autres Péniscole.

Ces demandes passaient toute mesure ; le pape en accorda quelques-unes et rejeta les autres. Alphonse irrité se vengea en couvrant Benoît XIII de sa protection, d’abord secrète, puis avouée. L’Espagne s’agita, mécontente du concile et du pape, partagée entre la lassitude du schisme et l’attrait de l’indépendance ; et Pierre de Lune vécut pour être à Martin V une menace et un frein.

Le concile touchait à son terme, et le pape, qui avait si peu fait pour répondre à l’attente de la chrétienté, supprima d’importunes réclamations en s’attachant par des grâces les plus puissants de ceux qui auraient pu les faire. Il accorda, par condescendance pour Sigismond, à Jean de Bavière, évêque de Liège et sous-diacre, une dispense afin d’épouser la duchesse de Luxembourg, nièce de l’empereur. Vers le même temps, néanmoins, il en vendit une autre moyennant vingt mille écus, et, malgré Sigismond, à Jean, duc de Brabant, pour épouser sa cousine germaine. La colère rappela en cette occasion à l’empereur ce qu’il avait oublié lorsqu’il s’intéressait au mariage de l’évêque de Liège. « Saint-Père, demanda-t-il au pape, pourquoi sommes-nous à Constance ? Pour réformer l’Église, dit froidement le pontife. — On ne le croirait pas, reprit l’empereur ; vous pouvez pardonner les péchés, mais non les permettre. »

Le mécontentement de Sigismond dura peu ; Martin V avait trouvé le plus sûr moyen de l’apaiser : il lui accorda une année de décimes sur les églises d’Allemagne, quoiqu’il eût formellement promis de n’en plus imposer sans leur aveu. Le pape enfin renouvela en faveur de Sigismond la vaine cérémonie de la rose d’or, qu’il consacra en grande pompe, et que Sigismond reçut publiquement de ses mains comme il l’avait auparavant acceptée de celles de Jean XXIII, avec respect et grande dévotion.

Au milieu de tels soins l’assemblée acheva ses travaux. Le pape, dans la quarante-quatrième session, désigna la ville de Pavie comme le lieu de réunion du prochain concile, et le 18 avril 1418 il ouvrit, en présence de l’empereur la session quarante-cinquième et dernière, qui fut marquée par un grave incident. La messe était dite ; le pape avait prononcé une exhortation, et, par son ordre, le cardinal Raymond Brancaccio congédiait l’assemblée, lorsque Gaspard de Pérouse, avocat du sacré consistoire, se leva et prit la parole au nom des ambassadeurs du roi de Pologne et du grand-duc de Lithuanie. Il exposa humblement au concile les propositions funestes, injurieuses, et les hérésies cruelles renfermées dans le libelle de Jean de Falkenberg, condamné d’abord par les commissaires nommés pour les matières de la foi, puis par les cinq nations et par les cardinaux ; il suppliait le pape de le faire également condamner par tout le concile ayant que celui-ci fût dissous. Le concile, dit l’orateur, avait été réuni pour extirper les hérésies, il ne pouvait donc refuser de condamner une doctrine infâme, qui tendait au massacre des rois et à la destruction des royaumes. Cependant, si, contre toute justice, cette demande est rejetée, les ambassadeurs de Pologne et de Lithuanie en appelleront au prochain concile.

A ces paroles hardies un grand tumulte s’éleva dans l’assemblée. Les patriarches de Constantinople et d’Antioche, se disant de la nation française, et un dominicain espagnol prirent parti pour le libelle, et déclarèrent qu’il n’avait point été condamné par leurs nations ; deux procureurs leur en donnèrent publiquement le démenti. Alors, l’ambassadeur polonais, Paul Voladimir, se leva, et demanda audience pour achever, dit-il, d’exposer ce qui ne l’avait été qu’incomplètement par l’avocat Gaspard de Pérouse : et comme il lisait une protestation énergique au milieu des clameurs et du bruit, le pape imposa silence à tous. « J’observerai inviolablement, dit-il, tout ce qui dans le présent concile a été déterminé et conclu, touchant les matières de foi, synodalement (conciliariter), mais non d’une autre manière. »

Le pape donnait à entendre, par ces paroles, que le libelle de Falkenberg n’ayant pas été condamné dans une session générale par le concile, il ne le condamnerait pas non plus. Voladimir ne perdit point courage et poursuivit sa lecture, répétant hautement avec l’apôtre qu’il valait mieux obéir à Dieu qu’aux hommes. Le pape l’interrompit de nouveau, lui ordonnant de se taire sous peine d’excommunication. « J’en appelle au prochain concile, s’écria Voladimir, et je demande acte de mon appel. »

Mais le pape y avait pourvu d’avance dans le consistoire secret où il formula une constitution perpétuelle, qui défendait d’appeler du souverain juge, du pontife romain, qui est le vicaire de Jésus-Christ sur la terre, à aucune autre puissance.

« Cette constitution, cette bulle du pape, dit Gerson avec douleur, renverse de fond en comble ce qui s’est fait dans les conciles de Pise et de Constance, surtout relativement à l’élection du souverain pontife et au rejet des intrus. »

Lorsque le calme fut rétabli dans l’assemblée, l’évêque d’Ancône, général des Dominicains, prononça le sermon sur ce texte : Vous avez maintenant de la tristesse, mais je vous reverrai encore et votre cœur se réjouira. L’évêque, par ces paroles, faisait allusion à la séparation du présent concile et à la réunion du suivant, pour achever l’œuvre de la réformation. Il était cependant difficile de comprendre comment cette grande entreprise, ayant avorté deux fois au milieu des circonstances les plus favorables, serait mise à fin par un concile en tout autre lieu ou en tout autre temps.

Le pape prit ensuite congé de l’illustre assemblée, dont l’Europe avait attendu de si grandes choses, et publia une bulle ainsi conçue : « Martin, évêque, serviteur des serviteurs de Dieu, à la mémoire perpétuelle de ce grand événement et à la requête du sacré concile, nous le congédions, donnant à chacun la liberté de retourner chez soi. Par l’autorité du Dieu tout-puissant et des bienheureux apôtres saint Pierre et saint Paul, et par la nôtre, nous accordons à tous ceux qui ont assisté à ce concile une pleine et entière rémission de leurs péchés une fois pendant leur vie, de telle sorte que chacun d’eux jouisse de cette absolution pendant deux mois après qu’elle lui aura été connue. Nous leur faisons la même concession à l’article de la mort, tant à eux qu’à leurs domestiques (familiaribus), toutefois à cette condition qu’ils jeûneront tous les vendredis pendant un an pour l’absolution pendant la vie, et durant une une autre année pour l’absolution à l’article de la mort, à moins qu’ils n’en soient légitimement empêchés ; auquel cas ils feront d’autres œuvres de piété. Après la seconde année, ils jeûneront le vendredi durant toute leur vie… S’il est quelqu’un qui s’oppose témérairement à cette absolution et à cette concession que nous donnons, qu’il sache qu’il aura encouru l’indignation du Dieu tout-puissant et des bienheureux apôtres Pierre et Paul. »

Le concile qui avait brûlé Wycliffe et Jean Hus, l’un mort, l’autre vivant, devait se regarder comme moralement tenu de présenter aux respects et à la foi du monde des doctrines et des actes supérieurs aux œuvres et aux opinions qu’il avait condamnées, et lorsqu’on lit cette bulle qui couronne ses travaux, on y chercherait vainement une œuvre de sérieuse piété ; on la croirait dictée par l’ennemi du concile plutôt que par le pape de son choix.

Le cardinal de Viviers prononça le placet et approuva la bulle au nom du concile ; puis l’empereur, par l’organe de son avocat, Arduin de Navarre, rappela tout ce qu’il avait fait pour l’union de l’Église, ses dépenses, ses voyages, ses travaux, ses dangers, et déclara qu’il ne les regrettait pas puisque cette union si désirée était enfin accomplie. Il remercia les cardinaux, les prélats, les ambassadeurs, les députés des académies de leur persévérance, et promit de demeurer inviolablement et jusqu’à son dernier soupir dans l’obéissance de l’Église romaine et du pape. Ainsi fut clos, le 22 avril 1418, le célèbre concile de Constance, après trois ans et demi de durée.

Peu de jours après, Sigismond et Martin V quittèrent la ville en grande pompe, projetant, le premier, de consolider tout ce qui s’y était fait, le second, d’annuler ou d’affaiblir les actes du concile et les siens.

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