Jean Hus, Gerson et le Concile de Constance

4.5. — Considérations générales sur le concile de Constance. — Résultats du concile et du schisme, relativement à l’Église gallicane et à la réformation.

Le concile avait été convoqué pour éteindre le schisme, pour extirper l’hérésie, pour unir l’Église et pour la réformer. Ces grands résultats furent, durant près de quatre années, l’objet des efforts des princes, des prélats, des docteurs de l’Europe réunis à Constance. Pour atteindre ce but, le concile contraignit un pape, Grégoire XII, à abdiquer ; il en déposa deux autres, Jean XXIII et Benoît XIII ; il élut un nouveau pontife, Martin V, qu’il fit reconnaître dans presque toute la chrétienté ; il employa contre ses adversaires les foudres spirituelles, les armées impériales et la flamme des bûchers ; il signala dans d’innombrables actes publics toutes les plaies de l’Église, toute l’urgence des réformes, et pourtant ses efforts avortèrent en grande partie ; il laissa incomplet et inachevé presque tout ce qu’il entreprit.

Le schisme, il est vrai, fut à peu près éteint, mais l’union de l’Église ne fut pas cimentée, et les nouveaux troubles qui survinrent presque aussitôt firent voir que le concile avait semé dans l’Église les germes d’une division plus profonde et plus durable que celle qu’il avait étouffée. Les hérésies ne furent point extirpées ; celles qui portaient la plus sérieuse atteinte à la morale et au repos des empires ne furent qu’imparfaitement condamnées ; leurs auteurs échappèrent aux censures du concile. Jamais la France, dont les représentants le dirigèrent dans tout ce qu’il fit de bien, ne put obtenir, par l’organe de Gerson, la condamnation de Jean Petit, apologiste du meurtre du duc d’Orléansa ; jamais on n’obtint du pape celle de Jean de Falkenberg, qui, dans son affreux libelle, avait dévoué à la mort le roi de Pologne en promettant la gloire céleste à l’assassin. Les doctrines réputées hérétiques, et qui blessaient directement le clergé dans sa fortune et dans sa puissance, attirèrent au contraire sur leurs auteurs toutes les rigueurs du concile ; mais elles grandirent par l’effet même de la violence employée pour les anéantir, elles mirent en feu la Bohême et l’Allemagne.

a – Le concile condamna cependant la proposition générale de l’apologie.

Quant aux réformes la plupart avortèrent. Les vices reconnus par tous dans la discipline et dans les mœurs furent faiblement réprimés, et les pouvoirs dont l’abus avait causé tant de scandales et excité tant de plaintes reçurent presque tous, des actes du concile, une consécration nouvelle : aucune restriction ne fut apportée à l’emploi des indulgences, des excommunications, des interdits ; le clergé conservait le droit de guerroyer pour son compte, d’employer les censures de l’Église à l’appui de sa puissance terrestre, et d’appeler le bras séculier en aide à ses décisions spirituelles ; il n’acceptait aucun frein pour son autorité, aucune limite pour ses richesses.

Le concile, auquel tant d’espérances se rattachaient, ne répondit donc point à l’attente générale ; cependant il est fameux dans l’histoire, car il a fait les décrets de la quatrième et de la cinquième session, et il a allumé les bûchers de Jean Hus et de Jérôme de Prague : ces deux choses sont impérissables.

Les décrets promulgués dans ces deux sessions et dont les docteurs gallicans furent les principaux auteurs, ont établi et consacré d’une manière solennelle cette maxime déjà reconnue au concile de Pise, que tout pape est soumis au jugement de tout concile universel en ce qui regarde la foi, l’extinction du schisme et la réformation générale : maxime enseignée de temps immémorial en Franceb, dit Fleury, mais qui n’avait point jusqu’alors été formulée par l’autorité de l’Église réunie : les actes de Pise, et surtout les décrets de Constance, confirmés à Bâle, l’élevèrent à la hauteur du dogme ; ils donnèrent ainsi l’autorité la plus imposante au principe fondamental de l’Église gallicane. Ce grand principe fut admis comme règle en France dans les rapports avec Rome, et peu d’années séparent le concile de Constance de l’assemblée de Bourges, où fut décrétée la pragmatique célèbre qui adopta les décisions de Constance et de Bâle pour la réformation de l’Église dans son chef et dans ses membres, admit la supériorité du concile général sur le pontife romain, et maintint la liberté de l’élection des évêques et l’abolition des appels au pape.

b – Discours X sur l’histoire ecclésiastique, tit. xv.

Les décrets de ces fameux conciles devinrent plus importants encore lorsqu’ils furent contestés, puis en quelque sorte annulés par d’autres décrets. Ils n’ébranlaient point par eux-mêmes l’autorité de l’Église catholique universelle ; ils affaiblissaient seulement la puissance du Saint-Siège et refusaient d’exorbitantes prérogatives à la cour romaine. Celle-ci avait toujours combattu et rejeté le principe de la supériorité du concile général ; il était à prévoir qu’elle ferait les plus grands efforts pour les révoquer, ou du moins pour les rendre nulsc. On en eut la preuve aussitôt qu’on eut un pape : Martin V se mit, comme le dit Gerson, au-dessus du concile par sa bulle contre l’appel des jugements du pape, et son successeur, Eugène IV, suivit son exemple. Le concile de Florence et le cinquième concile général de Latran rendirent, touchant le pouvoir du souverain pontife, des décrets qui furent avec raison considérés comme subversifs de ceux de Constance ; le concile de Trente confirma ces décrets sous l’influence immédiate du pape Paul III, et celui-ci, en publiant de nouveau la fameuse bulle In cœna Domini, excommunia tous ceux qui croiraient le concile général supérieur au souverain pontife et qui oseraient appeler du pape au concile.

c – « A vrai dire, ceux qui étaient habitués en cour de Rome ne pouvaient bonnement prendre cette médecine. » (Pasquier, Recherches de la France, p. 154.)

[Le concile de Florence définit nettement que le pape a un pouvoir absolu et souverain sur toute l’Église. Les termes dans lesquels la définition est conçue ne sont point susceptibles d’un autre sens : Ipsi (Romano Pontifici) in beato Petro, pascendi, regendi ac gubernandi universalem Ecclesiam, a Domino nostro Jesu-Christo plenam potestatem traditam esse, quemadmodum etiam in gestis œcumenicorum conciliorum et in sacris canonibus continetur. Au concile de Trente, personne ne s’avisa de leur en donner un autre ; c’est ce qui fit que les prélats français refusèrent constamment d’exprimer l’autorité du pape en ces termes. (Fleury, Disc. X, sect xvi), note de l’édition de 1763.) Il faut dire qu’une ardente controverse s’est engagée depuis, entre les ultramontains et quelques gallicans, sur le véritable sens à donner au mot quemadmodum, qui est susceptible de deux acceptions très différentes. Dans un sens il exprime que ce pouvoir absolu sur toute l’Église résulte des décrets des conciles et des canons ; dans un autre sens, il veut dire que ce pouvoir ne doit être entendu que conformément à ces canons et à ces décrets. La preuve que le premier sens est le seul véritable, c’est la conduite des prélats français au concile de Trente, ce sont toutes les bulles des papes qui ont élevé leur puissance au-dessus de celle des conciles généraux, et en particulier celle de Léon X, confirmée par le cinquième concile général de Latran, où la pragmatique fut condamnée.

La bulle excommuniait, en outre, tous les hérétiques, leurs défenseurs et leurs hôtes, les pirates, les violateurs des immunités de l’Église, les laïques qui jugeaient des causes ecclésiastiques ou celles des clercs, ceux qui faisaient contribuer en la moindre chose les membres du clergé aux charges de l’État ou qui acceptaient leurs dons volontaires, ceux qui faisaient ces dons, les princes qui traitaient avec les hérétiques, enfin ceux qui imposaient de nouveaux tributs dans leurs États sans l’agrément du Saint-Siège. Tous ceux-là ne pouvaient être absous que par le pape.]

Cette bulle fut publiée régulièrement et durant deux siècles dans les États pontificaux ; mais ces actes imprudents ne fortifiaient ainsi l’autorité du Saint-Siège, du chef visible de l’Église catholique, qu’aux dépens de l’autorité même du catholicisme.

Une Église exclusive qui se dit infaillible a, sur un point essentiel, un désavantage marqué auprès des communions qui ne revendiquent pas le même privilège. Dans la doctrine de celles-ci, une contradiction, si elle est légère, n’a aucune conséquence sérieuse ; une erreur sur un principe ne compromet pas l’autorité des autres ; mais dans l’Église qui donne toutes ses décisions dogmatiques pour inspirées de Dieu même, pour infaillibles, toute erreur, toute contradiction reconnue témoigne contre son infaillibilité et ruine son autorité même. C’est pourquoi les conciles et les papes, qui attribuèrent au siège de Rome l’autorité supérieure et absolue que les actes de Constance n’accordaient qu’au concile général ; portèrent, au point de vue logique, une atteinte profonde à la doctrine de leur Église, à son infaillibilité ; ils firent plus : ils brisèrent du même coup son unité.

[Personne ne le comprit plus que Bossuet… « Où en sommes-nous, écrit-il à M. Dirois, si le pape va condamner ce que condamne Bellarmin ? Jusqu’ici on n’a osé le faire ; on n’a osé donner cette atteinte au concile de Constance, ni aux papes qui l’ont approuvé. Que répondrons-nous aux hérétiques quand ils nous objecteront ce concile et ses décrets répétés à Bâle avec l’expresse approbation d’Eugène IV, et toutes les autres choses que Rome a faites en confirmation ? Si Eugène IV a bien fait en approuvant authentiquement ces décrets, comment peut-on les attaquer ? Et s’il a mal fait, où en était, diront-ils, cette infaillibilité prétendue ? etc., etc. » ( Œuvres de Bossuet, t. IX, lettre à M. Dirois).]

Les maximes solennellement sanctionnées à Constance, et qui étaient, de temps immémorial, enseignées dans plusieurs contrées, surtout en France, y pénétraient trop avant dans les doctrines et dans les mœurs pour qu’il fût possible de les rejeter lorsque Rome les condamna ; la France ne reçut donc point les décrets contraires, et l’Église gallicane, eut dans ceux de Constance, un nouveau point d’appui contre les papes : elle fit bouclier, comme le disait Pasquier, de deux grands principes, contre les assauts de la cour de Rome ; à l’ancien principe du droit d’appel au roid, elle ajouta le principe dogmatiquement formulé de la supériorité du concile général sur le pape ; et, lorsqu’en 1682, après bien des vicissitudes, le clergé français fit de nouveau, vis-à-vis de Rome, un acte célèbre d’indépendance en promulguant les quatre articles de sa déclaration célèbree, ce furent encore ces mêmes décrets de Constance qui lui fournirent ses armes.

d – L’appel au roi ne fut nommé appel comme d’abus que sous Louis XII ; nous avions depuis deux siècles la chose sans le nom.

e – Sur la prétendue rétractation de ces quatre articles par les évêques, voyez la Note S.

[On a prétendu que le concile de Constance, en rendant les décrets de la cinquième session, n’avait nullement l’intention d’en faire des articles de foi ; on a dit aussi qu’ils n’étaient point considérés comme tels par les auteurs de la Déclaration de 1682. Nous répondrons par les propres paroles du plus ardent défenseur des prérogatives de la cour de Rome ; M. de Maistre s’exprime ainsi : « A qui fera-t-on croire qu’on ne décide rien qui ait rapport à la foi en posant des bornes arbitraires à l’autorité pontificale, en statuant sur le véritable siège de la souveraineté spirituelle, en déclarant que le concile est au-dessus du pape, proposition qui renverse le catholicisme, » (De l’Église gallicane, livre II, chap. viii ? »]

Longtemps avant le concile de Constance, il y avait eu deux opinions sur l’autorité suprême en laquelle l’infaillibilité résidait. La question demeurait indécise, et le concile, en cherchant à la résoudre, fit tout ce qu’on pouvait attendre de lui pour rétablir dans l’Église l’unité. Ce ne fut pas dans ses décrets, mais dans des décisions postérieures et opposées que les réformateurs du xvie siècle trouvèrent des arguments dangereux pour l’Église romaine, et ils lui demandèrent comment elle accordait l’existence nécessaire et non interrompue d’un pouvoir extérieur infaillible avec l’absence d’une manifestation évidente, l’obligation pour tous de le reconnaître avec l’impossibilité de le discerner.

Mais, parmi les actes du concile de Constance, celui qui, tout d’abord, eut le retentissement le plus redoutable, et qui amena une réaction soudaine et terrible, fut la sentence de Jean Hus et de Jérôme de Prague.

Dans l’histoire religieuse des peuples, selon qu’un culte généralement établi est en progrès ou en déclin, les rigueurs décrétées contre ses adversaires l’affermissent ou l’ébranlent, excitent dans la multitude l’effroi ou la compassion, infligent à ses yeux le châtiment ou le martyre. Cette vérité ne fut jamais plus évidente qu’après l’exécution de Jean Hus et de son disciple : dans les contrées les plus catholiques de l’Europe on applaudit à leur mort ; mais la flamme de leur bûcher alluma en Bohême un incendie que toutes les forces réunies de l’empire ne purent éteindre en vingt ans, et un siècle s’était à peine écoulé que déjà, pour la moitié de l’Europe, Hus et Jérôme étaient des martyrs et des saints.

Plusieurs circonstances concoururent à donner une immense portée à la double sentence portée par le concile. Avant les bûchers de Constance, beaucoup d’autres avaient été allumés : des papes, des rois, des tribunaux ecclésiastiques et laïques avaient livré à la mort, pour dissidence d’opinion, d’innombrables victimes ; mais ici, pour accomplir des actes atroces, il y eut un concert, un accord effrayant de tous les représentants du monde chrétien ; ici le crime s’agrandit de toute la grandeur du tribunal et de l’infaillibilité qu’il s’arrogeait. Jamais autorité plus imposante n’ordonna un sacrifice humain ; jamais assemblée réputée infaillible ne se rendit davantage coupable de cette grande hérésie qui transforme une religion de paix et d’amour en un culte sanguinaire, qui fait de la sincérité, un crime et du prêtre un bourreau.

Les mêmes faits qui concoururent à rendre la persécution si éclatante ont immortalisé la résistance. Spectacle grand et terrible, par lequel le monde a pu connaître qu’il y a dans le for intime de l’homme quelque chose contre quoi échoue et se brise tout ce que peut déployer la puissance extérieure et la force matérielle. Peut-être fallait-il que l’on vît une fois, concentré sur un point, dans un même but, tout l’effort des pouvoirs humains, du sacerdoce et de l’empire, de l’autorité spirituelle et temporelle, afin que l’on sût que ce qu’il y a de plus grand, de plus fort sur la terre, est la conviction de l’homme juste, et que l’asile le plus inviolable est la conscience du croyant.

Maintenant, si nous embrassons d’un coup d’œil cette période de près d’un demi-siècle à laquelle le grand schisme a donné son nom, nous reconnaîtrons que ce qui caractérise ses tendances et ses résultats c’est l’ébranlement du principe monarchique de Grégoire VII et d’Innocent III.

Le schisme fit, en ce qui concerne l’autorité des papes, ce qui en tout temps est funeste à tout pouvoir, et particulièrement à celui qui a ses racines et son point d’appui dans l’opinion des hommes, dans la croyance des peuples : il leur apprit à juger cette autorité et à la vaincre ; il fit plus, il leur apprit à s’en passer. Il donna fatalement, c’est-à-dire nécessairement, une force nouvelle et sans contre-poids aux grands corps ecclésiastiques des grands États, aux assemblées particulières de l’Église de France, aux assemblées générales de l’Église universelle. Là, en présence du trône pontifical avili, divisé ou vacant, la haute aristocratie du clergé, l’épiscopat, fut amenée, par la force même des choses, prononcer des paroles de mépris, d’examen, d’indépendance et d’autorité, qui trouvèrent plus tard de puissants échos dans les rangs du clergé inférieur et qui eurent de profonds et redoutables retentissements au sein des populations opprimées et souffrantes. Ainsi le clergé, qui, durant ce long schisme, n’avait point accompli les réformes qu’il entreprit, en prépara d’autres plus grandes auxquelles il n’avait point songé et fut réformateur sans le vouloir. La révolution ne fut pas immédiate, et, à la veille même de la secousse qui ébranla si fortement la monarchie théocratique, celle-ci parut se raffermir sur ses bases. Mais, en religion comme en politique, les réformes demandent plusieurs générations ayant de passer de l’intelligence qui les conçoit à l’acte qui les accomplit ; les idées, comme les eaux souterraines, font lentement leur œuvre, et leur progrès est d’autant plus formidable qu’il est plus longtemps secret. Les prétentions des rois de France sur l’Italie leur rendirent, au xve siècle, l’appui des papes nécessaire ; ceux-ci tirèrent habilement avantage du besoin qu’on avait d’eux, et reprirent un langage dont le Saint-Siège, durant le schisme, avait perdu l’habitude plutôt que la mémoire. Mais les actes qui semblèrent annoncer une recrudescence de despotisme théocratique furent des signes trompeurs de l’esprit du temps : cette autorité pontificale, qui jadis s’était élevée contre les rois parce qu’elle prenait sa force en elle-même, se soutenait à présent avec leur concours, parce que ses empiétements n’étaient plus à craindre pour eux, et l’on peut dire que sa faiblesse faisait sa force.

Les papes ne résistaient plus aux rois sans se voir aussitôt menacés dans leur double puissance ; au milieu des contestations pour le duché de Milan, Machiavel, député en France par sa république, écrivait : « On ne parle que d’assembler un concile, de ruiner le pape dans son temporel et dans son spirituel, et c’est Louis XII, un prince catholique et pieux qui fit frapper ce fameux exergue : Perdam Babylonis nomen.

Le prestige était détruit ; on s’en aperçut lorsque de grands scandales eurent de nouveau soulevé contre Rome une partie de l’Europe et lorsque des opinions tant de fois condamnées reparurent éclairées du double jour de l’imprimerie et de la renaissance des lettres. Déjà, pour la plupart des princes, l’intérêt religieux était descendu au second rang ; la religion à leurs yeux n’était plus un but, mais un moyen ; l’unité de l’Église les préoccupait moins que la balance politique, et ils se montrèrent en général favorables ou contraires aux doctrines des nouveaux réformateurs, non suivant qu’elles leur parurent conformes ou opposées aux principes du christianisme, mais selon qu’elles étaient avantageuses ou nuisibles à leurs intérêts temporels. Il fallait qu’il en fût ainsi pour que la réforme s’affermît et ne fût point étouffée dans son germe au milieu des orages.

Ainsi donc, le grand schisme eut pour principaux résultats, d’abord l’affaiblissement du principe d’autorité dans l’Église ; et par suite une forte impulsion donnée à deux tendances d’affranchissement très diverses : l’une conduisait, comme on l’a vu, à la réforme du clergé par le clergé, à la substitution du principe d’une monarchie aristocratique au principe de la monarchie absolue ; ses grands actes furent les décrets de Constance et de Bâle, la Pragmatique de Charles VII et la déclaration de 1682 ; elle eut, pour principale sphère d’action, la France, et pour ses plus illustres représentants, au xve siècle, Gerson et d’Ailly, au xviie, Bossuet.

La seconde tendance fut celle qui substitua l’autorité de la Bible, interprétée par le sens individuel, par la conscience, à l’autorité du sacerdoce ; elle amena la grande guerre de Bohême, au xve siècle, et la réforme du xvie, dont les principaux foyers furent l’Allemagne et l’Angleterre, révolution jusqu’alors sans exemple, qui eut Wycliffe pour père, Jean Hus pour précurseur, et à laquelle Luther attacha son nom après l’avoir accomplie.

Note R.

Profession de foi de Boniface VIII.

Moi, Benoît Cajetan, etc., je professe devant vous, saint Pierre, prince des apôtres, etc., et devant votre sainte Église, dont je prends aujourd’hui le gouvernement sous votre autorité ; je promets, dis-je, que, tant que je demeurerai dans cette misérable vie, je n’abandonnerai point l’Église, ni la renoncerai, ni l’abdiquerai en aucune façon, et ne m’en séparerai jamais pour quelque cause ce soit, ni par la crainte d’aucun péril ; qu’au contraire je conserverai de toutes mes forces jusqu’à la mort, et jusqu’à l’effusion de mon sang, la pureté de la vraie foi de Jésus-Christ qui est parvenue à ce peu que je suis par vous et par votre compagnon dans l’apostolat, le bienheureux saint Paul, par vos disciples et par vos successeurs ; tant à l’égard du mystère de la très-sainte et indivisible Trinité, qui n’est qu’un seul Dieu, et de l’Incarnation de Notre-Seigneur Jésus-Christ, Fils unique de Dieu, qu’à l’égard des autres dogmes de l’Église de Dieu, comme ils sont contenus dans les conciles généraux, dans les constitutions des pontifes apostoliques et des docteurs de l’Église les plus approuvés. C’est-à-dire que je garderai tout ce que j’ai reçu de vous par la tradition, touchant la pureté et l’orthodoxie de la foi ; qu’outre cela je maintiendrai invariablement, et avec le même respect, les huit sacrés conciles œcuméniques, comme celui de Nicée, jusqu’à la moindre syllabe ; que je prêcherai et que j’enseignerai tout ce qu’ils ont prêché et statué ; que je condamnerai de cœur et de bouche tout ce qu’ils ont condamné ; tout de même que j’observerai ponctuellement et maintiendrai dans leur vigueur tous les décrets canoniques de nos prédécesseurs les pontifes apostoliques, et tout ce qu’ils ont statué et approuvé dans les conciles (synodaliter) ; que je garderai inviolablement toute ma vie la discipline et le rite comme je les ai trouvés ; que je conserverai les biens de l’Église sans en rien diminuer, aliéner, inféoder en quelque manière que ce soit ; promettant de ne rien diminuer non plus ni changer dans la tradition que j’ai trouvée transmise et reçue par mes prédécesseurs, et de n’admettre aucune nouveauté ; mais, au contraire, de la maintenir avec ferveur et de toutes mes forces comme leur vrai disciple et leur ministre. Que si l’on entreprenait quelque chose contre la discipline canonique, je le corrigerai avec le conseil de mes fils, les cardinaux de la sainte Église romaine, par le conseil, consentement et avis desquels j’exercerai mon ministère, ou je tolérerai patiemment tout ce qui ne donnera pas une trop grande atteinte à la religion chrétienne, par votre intercession, etc.

Note S.

Sur la prétendue rétractation des quatre articles de la déclaration de 1682.

Ces quatre articles n’ont jamais été révoqués, ni, comme on l’a dit, par Louis XIV, ni par les évêques nommés qui avaient assisté à l’assemblée de 1682, et auxquels le Saint-Siège refusait leurs bulles.

[Ces nouveaux prélats n’avaient assisté à l’assemblée de 1682 que comme députés du second ordre et n’y avaient point eu voix délibérative. « Peut-on dire, écrit Bossuet, qu’Innocent XII, ce pontife plein de bonté et d’inclination pour la paix, ait exigé de nos prélats qu’ils rétractassent leur doctrine, comme étant erronée, ou schismatique ou fausse ; non, puisque nos évêques lui écrivirent simplement en ces termes : Nous n’avons pas eu dessein de faire une décision. Voilà tout ce qu’ils condamnent, tout ce que le Pape leur ordonne de détester. (Dissertation préliminaire de la Défense de la déclaration du Clergé, chap. 10.)]

Alexandre VIII n’ayant pu obtenir cette rétractation, Innocent XII demanda à ces prélats une lettre que l’on pût considérer à Rome comme une satisfaction, et qui contînt au moins des assurances qu’ils n’avaient pas eu intention de rien définir ni régler dans cette assemblée qui pût déplaire au Saint-Siège. C’est dans ce but qu’il faut entendre la lettre écrite par les évêques à Innocent XII, successeur d’Alexandre VIII. Le roi, de son côté, par amour de la paix, se borna à suspendre les ordres qu’il avait donnés, par son édit de 1682, de n’enseigner dans les écoles, sur la puissance spirituelle et temporelle des papes, que la doctrine contenue dans les quatre articles, et il écrivait de sa main au nouveau pape le 14 septembre 1693 pour le lui annoncer. On a vu à tort dans la lettre du roi un désaveu de cette doctrine ; nous en avons la preuve la plus formelle dans une autre lettre écrite vingt ans plus tard, le 7 juillet 1713, par Louis XIV au cardinal de La Trémoille, chargé de ses affaires à Rome, et que le chancelier d’Aguesseau a conservée dans ses mémoires. « Le pape Innocent XII, dit le roi dans cette lettre, ne me demande pas d’abandonner les maximes que suit l’Église de France : il savait que cette demande serait inutile, et le pape actuel, qui était alors un de ses principaux ministres, sait mieux que personne que l’engagement que j’ai pris se bornait à ne pas faire exécuter l’edit de 1682, » c’est-à-dire à n’obliger personne à soutenir contre son opinion les quatre propositions contenues dans les déclarations du clergé de France. (V. Mem. du chancelier d’Aguesseau, t. XIII, p. 424.)

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