Jean Hus, Gerson et le Concile de Constance

5.4. — Les Hussites après Ziska.

Le plus bel éloge funèbre d’un général est le deuil de son armée, et rien n’honore davantage la mémoire de Jean Ziska que le nom dont une grande partie de ses soldats voulurent être appelés lorsqu’ils l’eurent perdu : ils se nommèrent les Orphelins et refusèrent d’abord d’élire un autre chef, nul n’étant digne de les commander après Ziska. Lorsque l’ennemi eut reparu, l’armée bohémienne se partagea en trois corps, les Thaborites, les Orébites et les Orphelins, dont les principaux chefs furent deux hommes devenus fameux sous le nom de Procope le grand et de Procope le petit. Le premier de ces chefs, surnommé aussi Procope le Rasé, parce qu’il avait été tonsuré, quitta le froc pour la cuirasse au commencement de la guerre des Hussites : il avait été le compagnon de Ziska dans tous ses périls, dans toutes ses batailles ; Ziska le nommait l’Hercule de la patrie : il le désigna, dit-on, pour son successeur, et Procope le devint en effet par ses talents et par ses victoires.

Cet aperçu rapide des guerres de la Bohême après Jean Hus ne comporte aucun détail ; il suffit de dire que la mort de Ziska ranima, dans ce malheureux royaume, les discordes intestines un moment étouffées ou contenues, et rendit de nouveau l’espérance à Sigismond. Le pape Martin V fit alors prêcher une seconde croisade contre les Hussites, et ceux-ci, sous Bozko de Podiebrad et Procope le grand, mirent en fuite une première fois cent mille impériaux dans une effroyable bataille livrée, en 1426, près de la ville d’Austa. L’année suivante, une seconde armée, plus formidable encore, et tirée de tous les pays de l’Allemagne, marcha sur la Bohême, sous les ordres du cardinal de Winchester, à qui le pape avait confié le commandement suprême de la croisade. Cette armée rencontra les Hussites devant Mise, et fut encore taillée en pièces ; dix mille hommes tombèrent, dans les bois, sous le fléaux de fer des Orébites.

a – Cette ville est aussi nommée Aussig.

Les Bohémiens, à cette époque, emprisonnèrent Coribut, qu’une partie d’entre eux avaient proclamé roi et qu’ils accusèrent de complicité avec l’empereur et le pape. Ils le chassèrent ensuite honteusement, et, après son départ, ils se divisèrent de nouveau. Des combats furieux se livrèrent dans les deux villes de Prague, toujours partagées entre les Calixtins, les Orphelins et les Thaborites. On retrouve dans ces sanglantes scènes un homme dont le nom est inséparable des noms de Hus et de Jérôme ; c’est le pieux notaire Pierre Maldoniewitz, qui, après s’être opposé d’abord aux excès des Thaborites, se prononça plus tard contre les Calixtins de la vieille Prague, qui penchaient pour Sigismond. Il le firent prisonnier avec le célèbre docteur Przibram, et tous deux, rendus à la liberté, rejoignirent les Orphelins dans leur camp.

[Maldoniewitz devint ensuite prêtre et prédicateur de l’église Saint-Michel, à Prague ; il avait succédé dans cette charge à un autre ami de Hus, Christian de Praschatitz, qui mourut de la peste en 1439. Maldoniewitz vécut jusqu’en 1451. Il est l’auteur d’une Vie de Jean Hus qui se lisait dans les églises de Prague.]

Ces funestes désordres agitèrent la Bohême, comme il était à prévoir, surtout dans les années où elle n’eut point d’invasion étrangère à repousser ; au retour des ennemis tous les partis se réunissaient : les Thaborites, si redoutés des Calixtins de Prague, étaient appelés par ceux-ci, dans les jours de péril, comme les anges gardiens de la patrie, et ces invasions, qui faisaient la désolation du royaume, faisaient aussi sa force.

Nul ne mit plus d’ardeur à concilier les partis que le grand Procope, qui, selon l’occasion, se montrait tour à tour théologien, négociateur et général. Il crut que Sigismond pouvait mieux que tout autre rétablir la paix en Bohême ; mais il comprit en même temps que cette paix ne serait durable qu’avec le maintien des doctrines évangéliques qui étaient devenues celles de la nation. Il fallait, pour l’assurer, que l’empereur donnât des gages en souscrivant au vœu des états du royaume et en communiant lui-même sous les deux espèces. Procope proposa, dans une assemblées des états, tenue à Prague en 1482, de recevoir l’empereur à ces conditions, soit qu’il ait eu l’espoir de réussir, soit qu’il ait voulu seulement gagner du temps. Il obtint l’assentiment des états et désigna plusieurs seigneurs pour aller conférer en Moravie avec Sigismond, tandis que lui-même se rendrait à Presbourg, où siégeait la diète. Il y parut avec d’autres députés, choisis entre les plus grands du royaumeb, mais il négocia sans succès et revint à Prague convaincu que les Bohémiens ne devaient compter que sur eux-mêmes.

b – Les négociations échouèrent parce que l’empereur prétendit que, se séparer de l’Église romaine, c’était renoncer au christianisme. (Théobald, Bell. Hussit, p. 138.)

Ses efforts réunirent encore une fois tous les partis, une solennelle réconciliation eut lieu à Prague, à la face des autels, dans l’église de Saint-Ambroise ; une amende énorme fut le châtiment prononcé contre les infracteurs, et Procope, principal auteur de ce pacte, fut élu généralissime. Il savait, après la paix jurée, que le moyen de l’assurer à l’intérieur était de tenir en haleine au dehors une armée habituée aux émotions de la guerre et de la victoire ; adressant donc la parole à ses Thaborites : « Mes frères, dit-il, vous n’avez point oublié comment les Misniensc se sont jetés sur nos villes et nous auraient exterminés tous s’ils l’avaient pu. Grâce à notre valeur, la fleur de cette nation est ensevelie dans les champs de la Bohême ; ils ont maintenant un prince jeune et sans expérience ; ils tremblent de tomber dans nos mains ; voici le moment d’agir : l’heure des grandes choses est venue. » Des acclamations accueillirent ces paroles. Procope entraîna l’armée ; il passa l’Elbe et fondit sur la Misnie, tandis que d’autres corps pénétraient dans la Silésie, le Brandebourg et la Saxe. D’affreux ravages marquèrent les traces des Hussites ; partout les églises et les monastères furent renversés ; beaucoup de villes furent réduites en cendres avec leurs défenseurs, et les vainqueurs s’écriaient sur leurs ruines fumantes : « Ce sont-là les funérailles de Jean Hus ! »

c – Habitants de la Misnie, province de Saxe voisine de la Bohême.

Telles étaient les sinistres progrès des Hussites en Allemagne lorsque mourut Martin V, qui avait résolu de les exterminer ; il expira en 1431, après avoir inutilement publié contre eux deux croisades. Ce pontife ouvrit sans résultat les conciles de Pavie et de Sienne, et convoqua celui de Bâle, qui ne s’assembla qu’après sa mort. Son successeur, Gabriel Condulmer, prit le nom d’Eugène IV, et de tous les décrets de Martin V il n’en exécuta aucun avec plus d’ardeur que celui qui frappait l’hérésie. Une troisième croisade, avec promesse d’indulgences, fut prêchée, en 1431, contre les Hussites.

Au bruit du nouveau péril qui menace la Bohême, Procope y ramène son armée pour faire face à l’orage ; l’Allemagne entière s’était soulevée à l’appel du pape ; tous ses États avaient fourni leur contingent ; le commandement suprême fut donné au cardinal-légat Julien Cesarini : quatre-vingt mille hommes de pied, quarante mille cavaliers et une artillerie formidable marchèrent sous ses ordres ; les chefs des divers corps étaient : le légat en personne, l’archiduc Albert d’Autriche, l’électeur Frédéric de Brandebourg, l’électeur de Saxe, Frédéric le Belliqueux, et le duc de Bavière.

Cette immense armée se partage : l’archiduc Albert soumet la Moravie ; l’électeur de Saxe investit Tachau ; les autres corps se dirigent sur la Bohême par Ratisbonne. Parvenus à l’entrée de la Forêt Noire, les impériaux font halte ; ils tiennent conseil et envoient à la découverte. Trompés par de fausses rumeurs que Procope fait répandre, ils prennent confiance ; ils tiennent déjà les Hussites pour vaincus, parce qu’ils les croient divisés, et s’engagent dans la forêt entre Tausch et Frawenberg. Tout à coup ils apprennent que les Hussites sont en armes, qu’ils sont unis et qu’ils approchent. Une soudaine terreur s’empare des chefs et de l’armée ; le duc de Bavière déserte le premier et lève son camp durant la nuit ; l’avant-garde, commandée par l’électeur de Brandebourg, déchire ses étendards et se disperse. Le cardinal Julien s’élance au-devant des fuyards et les rallie. « Vos ancêtres païens, dit-il, ont mieux combattu pour de muettes idoles que vous pour la gloire du Christ. Soyez des hommes et souvenez-vous de vos serments. » Ces paroles rendent courage à l’armée ; elle s’enfonce dans les défilés de la forêt, et assoit son camp sur les mont des Géants, aux environs de Tausch : là se montrent Procope et ses Thaborites. A leur aspect, un nouvel effroi saisit les Impériaux ; ils fuient sans combattre et se rejettent épouvantés dans les profondeurs des bois et des rochers. On vit alors un spectacle d’horreur dans cette antique forêtd, si souvent témoin des désastres de la Germanie ; on vit cent mille hommes renversés les uns sur les autres, fuyant pêle-mêle avec huit mille chariots et cent cinquante gros canons devant Procope et ses Hussites exterminateurs. On entendit au loin, toute la nuit, des bruits confus, épouvantables, d’affreux hurlements mêlés au choc du fer, au bruit des chars qui se brisent et des caissons embrasés qui éclatent. Onze mille hommes furent égorgés ; les approvisionnements, la caisse de l’armée impériale, toute l’artillerie furent la proie des Hussites ; les insignes du cardinal-légat et la bulle du pape tombèrent dans leurs mains. Cette bulle, qui avait soulevé toute l’Allemagne contre les Bohémiens, fut longtemps conservée à Tausch comme le plus glorieux trophée de leur victoire. Les Hussites franchirent leurs frontières ; ils fondirent sur les peuples qui s’étaient ligués contre eux, chassèrent les chevaliers Teutoniques de la marche de Brandebourg, et rendirent à la Hongrie, à l’Autriche et à la Silésie ravages pour ravages.

d – La Forêt Noire (Hercynia sylva).

Tant d’incroyables succès des Bohémiens firent changer de langage à leurs ennemis. Ils furent conviés par le cardinal-légat à venir librement discuter leurs doctrines au concile de Bâle, qui s’ouvrit, au mois de décembre 1431, sous sa présidence. Le concile les invita lui-même, et ils reçurent un sauf-conduit, dont les principaux articles portaient qu’ils auraient sûreté entière pour séjourner à Bâle, agir, juger décider, traiter et composer avec le concile ; qu’ils célébreraient, en toute liberté, le culte divin dans leurs maisons, selon leur coutume ; qu’il leur serait permis, soit en particulier, soit en public, d’établir et de prouver leurs quatre articles par le témoignage des Écritures et des saints docteurs ; que le concile ferait bonne justice de tout ce qui pourrait être tenté en violation dudit sauf-conduit ; qu’il ne serait point permis aux catholiques de prêcher contre les quatre articles pendant le séjour des Bohémiens à Bâle, et qu’il serait donné à ceux-ci bonne escorte, au retour, jusqu’à la frontière.

Malgré des conditions si favorables et les promesses réitérées du pape, de l’empereur et du concile, les Bohémiens hésitent, retenus par le souvenir de Jean Hus et de Jérôme de Prague, et tandis qu’ils délibèrent un nouveau schisme se prépare.

Eugène IV, comme auparavant Jean XXIII, avait vu avec inquiétude la convocation du concile dans une cité qui n’était pas de sa dépendance, et celui-ci fut à peine réuni que le pape en prononça la dissolution, malgré l’empereur, et le convoqua de nouveau à Bologne. Les Pères de Bâle s’opposèrent à cette translation, et prirent contre Eugène des décisions vigoureuses. Les décrets des quatrième et cinquième sessions de Constance touchant la supériorité des conciles généraux furent confirmés, on déclara nulle toute décision d’Eugène contre les droits de l’Assemblée ; on décida, qu’en cas de vacance du Saint-Siège, l’élection se ferait à Bâle et non ailleurs ; on interdit toute nomination de cardinaux durant la tenue du concile, et le pape lui-même fut cité à comparaître dans trois mois.

Le concile, à la demande de l’empereur, accorda plusieurs délais successifs au pape, mais ses actes d’ailleurs, à l’égard d’Eugène, ne furent ni moins fermes ni moins rigoureux. Dans sa onzième session, tenue le 27 avril 1432, il confirma les décrets de Constance touchant la convocation périodique des conciles généraux ; il décréta que le pape était tenu de paraître au concile en personne ou par ses légats ; que s’il ne comparaissait pas dans l’espace de quatre mois il serait déposé du pontificat ; que les conciles généraux ne seraient point dissous sans le consentement des deux tiers de leurs membres, et que l’observation de cette ordonnance serait jurée par le souverain pontife.

Sigismond s’interposa encore entre le pape et le concile, et il obtint d’Eugène la confirmation positive des décrets de Bâle. Le pontife promit, en outre, de se rendre au concile ou d’y paraître par ses légats, aussitôt que les résolutions déjà prises contre lui seraient annulées. Au mois de novembre, l’empereur vint donner au concile, par sa présence à Bâle, une nouvelle force. Ce prince se souvenait des maux du grand schisme et des peines infinies qu’il avait dû prendre pour l’éteindre, et, déjà trop faible contre les Turcs en Hongrie et contre les Hussites en Bohême, il n’épargna rien pour prévenir, entre le concile et le pape, une rupture dont il avait appris, par expérience, à redouter les suites. Il parvint à suspendre toute démonstration hostile, et les deux grands pouvoirs de l’Église achevèrent l’année 1432 dans une réconciliation apparente, qui des deux parts couvrait une irritation profonde et des projets violents.

[Après de nouveaux démêlés, le pape adhéra encore une fois solennellement au concile de Bâle par une bulle publiée en avril 1434, et déclara que ce concile avait été légitimement ouvert et continué jusqu’alors ; mais bientôt après la division recommença. L’empereur et le patriarche de Constantinople demandèrent d’être ouïs dans une assemblée générale pour réunir l’Église d’Orient avec la latine, et les Grecs voulaient un concile en Italie. Le pape l’indiqua à Ferrare et y invita les Pères de Bâle, qui regardèrent cette translation comme un prétexte pour dissoudre leur concile. Celui-ci fut ensuite, en l’année 1439, transféré, par Eugène IV, de Ferrare à Florence. Une partie des Pères s’y rendit, mais plusieurs demeurèrent à Bâle, où ils prétendirent toujours être le concile universel. Là, s’autorisant de l’exemple donné à Pise et à Constance, ils déposèrent Eugène IV, et ils élurent à sa place, pour souverain pontife, Amédée VIII, duc de Savoie, qui accepta ce dangereux honneur et prit le nom de Félix V. Le concile de Bâle tint encore vingt sessions jusqu’en 1443 ; la France y présenta en 1438 et y fit autoriser l’édit rendu par le clergé assemblé à Bourges et célèbre sous le nom de Pragmatique Sanction. Cependant le concile, selon Fleury, ne doit plus être reconnu depuis sa session vingt-cinquième, tenue le 7 mai 1437. Félix V abdiqua, en 1448, à la sollicitation du roi de France, Charles VII, et l’Église catholique fut de nouveau réunie sous un seul pontife, quoique divisée sur le principe même qui constitue dans son sein l’autorité souveraine.]

Les Bohémiens cependant s’étaient décidés à accepter le sauf-conduit du concile ; ils s’étaient mis en marche, et Bâle vit, dans les premiers jours de l’année 1433, un spectacle saisissant et nouveau : les Hussites firent leur entrée dans cette ville au nombre de trois cents, choisis parmi les plus notables. Leur fière attitude offrait un curieux contraste avec l’humble situation de leur maître à Constance. Jean Hus était venu, fort seulement de la droiture de son âme, de sa piété sincère, de sa foi ardente dont on lui faisait un crime, dédaigné d’ailleurs d’une assemblée superbe, et de toutes parts en butte à l’outrage et à la violence. Ses disciples arrivaient maintenant, précédés de la réputation d’invincibles, après avoir fait trembler l’Allemagne et l’empire ; ils avaient vengé leur maître, et venaient hardiment soutenir ses doctrines, en traitant de puissance à puissance avec beaucoup de ceux qui l’avaient condamné.

Le concile envoya au-devant d’eux et les reçut avec honneur. Parmi les chefs de la députation était le Calixtin Jean de Rockizane, qui administrait l’archevêché de Prague, et Procope le Grand, général des Thaborites. La foule, et avec elle une grande partie des membres du concile, dit Æneas Sylvius, témoin oculaire, s’étaient répandus hors des murs, attendant l’arrivée de ces hommes si intrépides et si fameux. Les places publiques étaient encombrées sur leur passage ; les femmes, les enfants, les jeunes filles remplissaient les fenêtres, chargeaient les toits : on se montrait les uns aux autres ces costumes étrangers qu’on n’avait point vus encore ; on remarquait avec surprise ces visages sillonnés, ces yeux terribles, et en voyant des hommes d’une telle apparence, on s’étonnait moins des choses que la renommée racontait d’euxe. Procope surtout attirait les regards. C’est lui, disait-on, qui a battu tant d’armées, renversé tant de villes, égorgé tant de milliers d’hommes ; aussi redoutable à son peuple qu’à l’ennemi, le voilà, ce chef invincible qui n’a jamais cédé ni à la fatigue ni à la peur.

e – C’était un proverbe en Allemagne que dans le corps d’un soldat Bohémien Il y a avait cent démons.

[Procope, dont ont vit longtemps la statue sur le pont de Bâle, avait une grande ressemblance avec Ziska, son maître. Sa stature était médiocre, ses formes osseuses et très robustes, sa tête forte et rasée à la manière des prêtres ; il avait le nez aquilin, le teint très noir ; ses yeux, d’une grande vivacité, lançaient des regards terribles. (Balbinus. p. 481.)]

Les Hussites furent entendus dans plusieurs conférences publiques et particulières, et se bornèrent à soutenir leurs quatre fameux articles par la bouche éloquente de Jean de Rockizane. Ils déclarèrent ne pouvoir se prêter à aucun accommodement avant d’avoir obtenu pour la Bohême le maintien de ces articles. Rien ne fut conclu dans ces conférences, et les Hussites quittèrent Bâle, suivis d’une députation du concile ; celle-ci avait pour chef Philibert, évêque de Coutances, et elle était chargée de porter les propositions des Pères de Bâle au peuple de Bohême.

Ces propositions étaient relatives aux quatre articles du symbole bohémien, savoir : la libre prédication de l’Évangile, la punition des péchés publics sans privilège du clergé, l’administration séculière des biens de l’Église, et la communion sous les deux espèces. Le concile admettait les trois premiers articles, mais en les interprétant et en les modifiant d’une manière qui les rendait presque illusoires. Quant au quatrième, il accordait, pour un temps, au clergé bohémien la permission de communier le peuple sous les deux espèces ; toutefois on avertirait les communiants qu’il faut croire que la chair de Jésus-Christ n’est pas seulement sous l’espèce du pain, et que son sang n’est pas seulement sous l’espèce du vin, mais que Jésus-Christ est tout entier sous l’une et sous l’autre espèce.

Le formulaire proposé par le concile était rédigé avec beaucoup d’art, et de manière à contenter ceux qui ne cherchaient qu’un prétexte pour finir la guerre et mettre un terme à l’état violent du pays. De ce nombre était Rockizane, dont les députés flattaient l’ambition en lui faisant espérer la conservation de l’archevêché de Prague. Le parti de la paix l’emporta dans cette ville, et députa au concile pour en rédiger les clauses définitives, qui furent signées l’année suivante, et qui sont célèbres dans l’histoire sous le nom de Compactata.

A l’occasion de ce pacte projeté, la guerre civile éclata plus furieuse que jamais dans le royaume. Les catholiques, unis aux grands et à l’ancien parti utraquiste ou calixtinf, dirigé par Rockizane et par les seigneurs de Neuhauss et de Rosemberg, voulaient la paix ; les Thaborites, les Orphelins, les Orébites, sous les deux Procopes, opinaient pour la guerre, et montraient combien les concessions du concile étaient insuffisantes pour garantir l’observation des quatre articles. Ils n’avaient point tort en cela, mais le souvenir d’innombrables violences s’élevait contre eux leur sauvage fureur, si redoutable aux ennemis, n’avait pas été moins terrible à la Bohême, et celle-ci s’insurgeait enfin contre de si dangereux défenseurs.

f – On nommait les calixtins utraquistes parce qu’ils communiaient sous l’une et l’autre espèce.

La vieille Prague, où dominait toujours le parti calixtin, se soulève enfin contre la nouvelle, qui est au pouvoir des Orphelins et des Thaborites sous Procope le Petit ; une sanglante bataille s’engage : les Thaborites sont vaincus ; ils laissent vingt mille hommes sur la place, et les survivants rejoignent le grand Procope devant Pilsen qu’il assiège.

Le siège est levé ; Procope se dirige sur Prague comme autrefois Ziska ; mais toute la noblesse de Bohême est unie aux catholiques et aux calixtins contre les Thaborites ; une armée formidable sort de la ville et marche au-devant d’eux sous Rosemberg, Neuhauss et Koska. Les deux armées se rencontrent dans une vaste plaine à quatre milles et demi de Prague, entre Broda et Kursin.

Procope avait défendu de livrer combat à moins qu’il ne s’offrît une occasion de vaincre ; son intention était de se présenter devant Prague, convaincu que la nouvelle ville lui ouvrirait ses portes. L’action s’engagea fortuitement par des chariots de guerre lancés les uns contre les autres avec des défis insultants ; les nobles, par une fuite simulée, entraînèrent après eux les Thaborites, dont un grand nombre quittent leurs chars et s’élancent sur leurs chevaux pour rendre la poursuite plus vive ; mais les nobles s’arrêtent : ralliés sous la bannière de Rosemberg, ils se retournent et fondent sur les Thaborites avant que ceux-ci aient pu reformer le redoutable retranchement des chariots. La cavalerie se précipite dans les vides ; elle enfonce pour la première fois et enlève au galop ces lignes jusque-là impénétrables. Procope voit le péril, et il appelle à grands cris ses Thaborites dans la plaine. Ses ordres sont mal entendus ; la prise imprévue des chars a jeté la terreur parmi les siens, et le chef de sa cavalerie, Czapeck, abandonne le champ de batailleg. Alors, avec ses plus braves, qu’il nommait sa cohorte fraternelle, le grand Procope se jette dans le gros des escadrons ennemis qu’il enfonce ; mais, entouré de toutes parts, accablé d’une grêle de traits et frappé à mort par une main inconnue, il tombe, las de vaincre plutôt que vaincu. L’autre Procope périt également dans cette journée fameuse où l’on vit s’accomplir cette parole de l’empereur : « Les Bohémiens ne seront vaincus que par eux-mêmes. »

g – L’opinion des catholiques eux-mêmes est que, sans la fuite de Czapeck, Procope aurait triomphé.

Les Thaborites ne se relevèrent jamais de cette défaite : le foyer des discordes civiles fut étouffé dans leur sang ; mais ces hommes redoutables, qui avaient agité tant de fois la Bohême étaient aussi ceux qui, pendant vingt ans, l’avaient mise en état de résister au concile, au pape et à l’empereur. Depuis cette journée fatale, où la Bohême se déchira de ses propres mains, elle n’a cessé de décroître en puissance et en liberté.

Les Compactata, ou articles du concordat, entre le concile et les états de Bohême, furent approuvés de l’empereur et signés à Iglaw le 12 juillet 1436, et, de plus, des concessions particulières furent faites par Sigismond aux Bohémiens. La terre de Bohême jetait encore des flammes et s’agitait sous ses pas. Impatient de régner, Sigismond traita plutôt par nécessité que de bon gré ; il voulait à tout prix, dit Æneas Sylvius, rentrer en possession de son royaume, puis ramener ses sujets à la vraie religion de Jésus-Christ. Il accorda donc de grands privilèges à la ville de Thabor, laissant aux Thaborites, pour cinq ans, pleine et entière liberté de conscienceh. Il promit de ne pas rappeler dans leurs monastères les religieux exilés, de laisser en paix les possesseurs des biens ecclésiastiques, et de confirmer le don de l’archevêché de Prague à Rockizane ; mais ensuite il viola la plupart des articles ou en éluda l’observation : il interpréta les Compactata comme le pape l’aurait pu faire, et rétablit de tout son pouvoir le culte romain dans le royaume ; il enleva les Églises aux Hussites pour les rendre aux catholiques, rouvrit les monastères, rappela les moines, et refusa de tenir parole à Rockizane, à moins qu’il n’abjurât. Des menaces échappèrent à l’archevêque, et, lorsqu’elles furent rapportées à Sigismond, il s’écria : « Je répandrais avec joie sur l’autel le sang de Rockizane. L’empereur fut puni de sa déférence au vœu du Saint-Siège.

h – Voyez, Note H, la confession de foi des Taborites, peu différente de celle des églises vaudoises et de la plupart des églises protestantes du siècle suivant.

[Sigismond avait récemment donné à l’Église un nouveau témoignage de sa soumission : il possédait depuis vingt ans, comme roi des Romains, le rang et l’autorité d’empereur, lorsqu’il voulut que le pape lui en conférât le titre ; il subit à Rome, dans ce but, les humiliations du couronnement (année 1433), et souffrit, prosterné, que le pied du pontife redressât la couronne sur son front.]

Il faillit perdre encore une fois ce trône héréditaire, si chèrement racheté, sur lequel il était à peine affermi. Il vieillissait, et, n’ayant pas de fils, il destinait sa riche succession à l’archiduc d’Autriche, Albert, son gendre, dont il s’était longtemps appuyé dans ses entreprises contre la Bohême. Ses projets furent combattus et entravés par les coupables intrigues de sa seconde femme, Barbara de Cilly. Cette princesse, fameuse par ses adultères, médite, dans l’attente d’un prochain veuvage, d’enflammer l’ambition du roi de Pologne, Wladislas, en lui offrant, avec sa main, la succession de l’empereur ; elle tire en même temps avantage du juste ressentiment des Bohémiens ; elle leur montre, dans Albert d’Autriche, un catholique fervent qui achèvera d’étouffer toute liberté religieuse. Beaucoup s’engagent à seconder ses vues, à proclamer Wladislas roi de Bohême, après la mort de Sigismond.

L’empereur était à Prague, dangereusement malade, et presque seul au milieu d’un peuple irrité, lorsqu’il apprend que l’on conspire et que l’impératrice est au nombre des conjurés. Il voit le péril, et mande aussitôt, près de sa personne, quelques nobles Hongrois qui sont à Prague, ceux dont il a éprouvé la fidélité, et qui, pour cette cause, sont en butte comme lui à la haine populaire. « Le terme de mes jours approche, leur dit-il ; si je meurs, les Bohémiens irrités vous arracheront la vie ; ils ont soif de votre sang, et je veux vous soustraire à leur fureur avec moi. » Il fait alors répandre le bruit qu’il part pour rejoindre sa fille, et qu’il veut l’embrasser avant de mourir. Rappelant ensuite toute sa dignité, il ceint son front de lauriers comme aux jours solennels, il revêt les insignes impériaux, et décoré plus encore de ses longs cheveux blancs qui flottent sur ses épaules, de sa barbe majestueuse et de la noblesse empreinte sur son pâle visage, il se fait porter à travers la ville, à la vue de tous, dans une litière découverte, suivi de sa femme et escorté de quelques nobles Bohémiens et de ses Hongrois fidèles. On dit qu’il versa des larmes en regardant cette cité où ses ancêtres avaient régné avec gloire, et qu’il voyait pour la dernière fois ; le peuple, ému lui-même à ce spectacle imposant et inattendu, oublia sa vengeance et salua de ses adieux son vieil empereur.

Sigismond se dirigeait vers la Hongrie ; mais, accablé par la maladie et par la fatigue, il parvint avec peine jusqu’à Znoïma, en Moravie, et n’alla pas plus avant. Là, il fit arrêter l’impératrice, qu’il retint prisonnière, et il eut un long entretien secret avec l’archiduc son gendre. Puis, sentant venir la mort, il fit entrer les seigneurs moraves, bohémiens et hongrois qui étaient accourus à Znoïma auprès de lui ; il leur représenta qu’il importait à la Hongrie comme à la Bohême de demeurer unies sous un prince habile, et leur désigna l’archiduc Albert comme plus en état que personne, par ses ressources personnelles et par ses lumières, de défendre ces deux royaumes. « Il serait le plus digne de me succéder, leur dit-il, lors même qu’il ne serait pas mon gendre. » Ayant obtenu l’assentiment de tous, Sigismond nomma des députés qu’il chargea de faire reconnaître à Prague l’archiduc d’Autriche comme son successeur au trône ; il leur adjoignit Gaspard Schleick, son habile chancelier, et aussitôt après il expirai. Avec lui s’éteignit la maison de Luxembourg, que Henri VII avait assise en 1308 sur le trône impérial, et qui avait donné quatre rois à la Bohême.

i – Sigismond mourut le 9 décembre 1437, dans sa soixante-dixième année.

Sigismond eut plusieurs nobles qualités, et il était doué d’une certaine grandeur qui trop souvent fut étouffée par une étroite et aveugle dévotion. Il expia sévèrement toutes les infractions qu’il fit à la foi jurée, à la loi gravée dans sa conscience par Dieu même, pour obéir servilement à la voix des prêtres. La première violation de sa parole, en causant la mort de Jean Hus, provoqua une révolte de vingt ans et alluma une guerre effroyable. Pour l’éteindre, il épuisa ses finances, aliéna de nombreux domaines, abandonna des provinces entières ; il fut contraint d’élever cette maison d’Autriche, que ses ancêtres avaient abaissée, et il usa sa vie dans les travaux guerriers sans connaître jamais ni les joies de la victoire ni les douceurs du repos. Ses efforts furent impuissants ; il ne dompta la rébellion qu’en jurant de maintenir et de respecter ce qu’il n’avait pu détruire par les armes, et en violant ses nouveaux serments il prépara d’autres disgrâces à sa vieillesse. Son aïeul Henri VII avait porté haut la grandeur de sa maison et de la puissance impériale, en opposant un frein aux prétentions du Saint-Siège ; Sigismond, au contraire, subordonnant toutes ses volontés à celles de l’Église, sacrifiant tout intérêt, tout devoir à la destruction des hérétiques, à l’extirpation de l’hérésie, manqua lui-même à sa fortune, fit un tort irréparable à sa réputation, et relâcha tous les liens qui unissaient le vaste corps de l’empire à son chef. Il ne rencontra dans sa vie que traverses et périls ; mais il échappa du moins à une mort tragique et prématurée.

[La mort de l’empereur Henri VIl fut causée, selon les historiens allemands, par un poison qu’un religieux dominicain, Bernard de Monte-Pulciano, lui administra pendant son souper. Voy. les contemp. Volemar, Joh. Vitoduramus, et surtout Gest. Balduini, dont l’auteur tenait ses renseignements des frères de l’empereur. Deux Dominicains avouèrent l’empoisonnement : Æneas Sylvius, qui devint pape sous le nom de Pie II, dit aussi dans son Hist. de Bohême (p. 89) : Henricus VII hostili fraude veneno extinctus fertur. Des bruits semblables, quoique moins fondés, se répandirent touchant la mort des empereurs Frédéric II et Conrad IV. — Pfister, Hist d’Allem., liv. iii.]

L’archiduc Albert, qui devint roi de Hongrie et empereur, rencontra beaucoup d’obstacles à Prague, où les Hussites lui opposèrent le jeune Casimir, frère du roi de Pologne Wladislas. Albert n’était pas encore paisiblement établi en Bohême lorsqu’il mourut, laissant enceinte sa veuve Élisabeth, fille de Sigismond. Cette princesse mit au monde un fils, nommé Ladislas, qui devint roi de Bohême ; mais il régna de nom seulement, n’ayant vécu que seize ans. Durant ce règne, qui ne fut qu’une orageuse minorité, les Calixtins reprirent l’ascendant, et les véritables maîtres de la Bohême furent pour le spirituel, Rockizane, et, pour le temporel, deux seigneurs du pays, Ptaczek et George de Podiebrad : celui-ci, après la mort de Ladislas, fut élu roi.

Podiebrad unissait aux talents de l’administrateur ceux du capitaine ; il se fit respecter et rétablit la tranquillité dans le royaume : chef du parti calixtin, il maintint par honneur et par conviction les concordats d’Iglaw ; mais en même temps ses rigueurs s’appesantirent sur les débris du parti picard et thaborite. Il s’était formé des plus purs restes de ce parti vaincu plusieurs églises dont les membres prirent le nom de Frères de l’Unité, et dont la doctrine différait peu de celle des Vaudois.

[Les frères de l’Unité eurent, comme les Vaudois, des évêques qui furent préposés, sous le nom d’anciens, au-dessus des prêtres de leurs églises réunies ; ils élurent, dans ce but, trois de leurs pasteurs, qui allèrent demander leurs pouvoirs spirituels à l’évêque vaudois Etienne. « Celui-ci exposa aux envoyés, en la présence de ses collègues, l’origine, l’histoire et les rudes persécutions qu’avait endurées l’église à laquelle il appartenait, de même que la succession non interrompue de leurs évêques, et, assisté de son coévêque et des autres ecclésiastiques, il conféra aux trois pasteurs de Bohême la consécration désirée. » (Bost. Histoire de l’église des Frères de Bohême et de Moravie, liv. iii, ann. 1147.)]

L’esprit farouche et sanguinaire des guerriers thaborites ne reparut pas au milieu de cette société choisie et vraiment chrétienne. Distingués entre tous par la pureté de leurs mœurs, par leur vie simple et pieuse, les Frères de l’Unité se virent en butte à la haine des catholiques et des calixtins ; mais les seules armes qu’ils opposèrent alors à leurs ennemis furent la résignation, la foi et l’espérance.

Georges de Podiebrad, zélé calixtin, crut apaiser les catholiques et le pape en sacrifiant les Frères, et, de concert avec Rockizane, il ordonna contre eux une cruelle persécution ; mais ce coupable sacrifice ne le sauva pas lui-même, et le persécuteur fut à son tour persécuté. En maintenant les concordats d’Iglaw, il attira sur lui toute la colère du pape Pie IIj. Ce pontife ranima la guerre civile en Bohême. Il exigea que les Compactata ou concordats fussent abolis, sous prétexte qu’aucun pape ne les avait signés ; il arma les catholiques contre les calixtins, et il excommunia Podiebrad. Son successeur Paul II, fit davantage : à la guerre civile qu’il entretint en Bohême, il ajouta la guerre étrangère, et publia une croisade contre ce royaume et contre son roi. Mathias Corvin, roi de Hongrie, devint le ministre de la colère pontificale ; il attaqua Podiebrad, qui avait été son ami et son bienfaiteur, et couvrit de nouveau la malheureuse Bohême de sang et de ruines.

j – Æneas Sylvius, pape sous le nom de Pie II, fit et décréta comme pontife le contraire de ce qu’il avait fait et voté à Bâle.

Podiebrad mourut détrôné, laissant pour héritage à son successeur Wladislas, fils du roi de Pologne Casimir IV, le double fardeau d’une couronne mutilée et de l’inimitié du Saint-Siège. Le règne de Wladislas et celui de Louis son fils furent les derniers temps de l’indépendance politique et religieuse de la Bohême. La princesse Anne, sœur du roi Louis, héritière des couronnes de Bohême et de Hongrie, les fit passer dans la maison d’Habsbourg par son mariage avec Ferdinand d’Autriche, petit-fils de l’empereur Maximilien. Depuis lors la Bohême ne compte presque plus, dans l’histoire de l’Europe, que par ses malheurs, et ce royaume, dans lequel l’Autriche avait été jadis plusieurs fois enclavée, fit désormais partie des États autrichiens.

Le fer et le feu n’avaient pu extirper dans cette contrée malheureuse les opinions condamnées à Rome. Les Calixtins y formaient une partie considérable de la population, et les Frères de l’Unité comptaient encore environ deux cents églises en Bohême et en Moravie à la fin du xve siècle. Ceux-ci manifestèrent toujours un ardent désir de se joindre à tous les chrétiens qui reconnaissaient pour loi suprême la Parole révélée, et deux fois ils envoyèrent quelques-uns des leurs à la découverte dans les diverses contrées de l’Europe pour y chercher un peuple semblable à eux ; mais leurs envoyés ne trouvèrent, sauf un petit nombre de Vaudois opprimés, que quelques fidèles isolés dont plusieurs périrent, sous leurs yeux, dans les flammes. Les Frères attendirent alors avec résignation que Dieu vînt au secours de son Église et de son peuple, et, dans un mémorable synode qu’ils tinrent en 1489, il décidèrent que, si Dieu suscitait quelque part des docteurs fidèles et des réformateurs de l’Église, ils feraient cause commune avec eux. Lorsque enfin Luther eut paru, un siècle après la mort de Jean Hus, les Bohémiens se souvinrent de ces paroles prononcées par le glorieux martyr en présence de ses juges et de ses bourreaux : « Dans cent ans vous répondrez devant Dieu et devant moi. » Ce peuple, que l’on pouvait croire dompté par tant de persécutions et de souffrances, se leva pour la cause de la liberté religieuse, et s’unit aux confédérés de Smalkade contre l’empereur Ferdinand Ier, chef de la ligue catholique.

En 1547, après la désastreuse journée de Muhlberg, un tribunal sinistre, la Diète de sang, renouvela contre les vaincus les rigueurs décrétées à Constance contre leurs pères. Une fois encore, en 1619, au début de la guerre de Trente-Ans, et à l’avènement du fanatique Ferdinand II, la Bohême fit un acte d’indépendance ; elle osa se dérober au joug de la maison d’Autriche en décernant la couronne à l’infortuné Frédéric, électeur palatin, gendre du roi de la Grande-Bretagne, Jacques Ier. L’issue de la grande bataille donnée, en 1620, sur la montagne Blanche, livra sans retour les Bohémiens à leurs vainqueurs. Ferdinand eut à châtier en eux tout ensemble des rebelles à l’empire et des rebelles à l’Église ; ses rigueurs furent atroces ; un nouveau tribunal de sang fut établi, et ses arrêts firent plus de victimes que n’en avaient fait un siècle de discordes civiles et de guerre étrangère.

Ferdinand II se glorifia d’avoir ramené la Bohême, unie et pacifiée, sous l’autorité du Saint-Siège. Avec lui l’Église romaine triompha dans ce royaume, mais à quel prix ! Trente mille familles furent proscrites, une immense multitude émigra en masse pour conserver une foi plus chère que les joies de la patrie ; le nombre des cités diminua de moitié ; et, d’une population de trois millions d’âmes, un million seulement demeura dans ses villes en ruines et dans ses campagnes dévastées. Gloire exécrable, et qui permet d’appliquer aux deux Ferdinand ce mot terrible du grand historien de l’ancienne Rome : Ils font un désert et disent : La paix est làk.

k – « Ubi solitudinem faciunt pacem appellant. » Tacite.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant