Quelques femmes de la Réforme

Anne Zwingle

1487-1538

Anna était fille d’Oswald Reinhard et d’Elisabeth Wynzürn. Elle naquit en 1487, quelques années après Zwingle. Renommée par sa beauté, elle l’était plus encore pour les charmes de son esprit, pour sa douceur, sa piété et sa bienveillance, lorsque le fils du noble Gérold Meyer de Knonau, violemment épris de la jeune fille, brava le courroux paternel et s’unit secrètement avec Anna dans une chapelle du canton de Zurich. Lorsque Gérold Meyer, alors inspecteur de l’Arsenal et l’un des hommes les plus considérés par sa position à Zurich, apprit la désobéissance de l’héritier de ses biens, sa fureur ne connut plus de bornes ; il déshérita son fils Jean et lui défendit de reparaître devant lui.

Anna n’eut pas d’enfants pendant les premières années de son mariage. Son fils aîné, Gérold, vint au monde en 1509 seulement. Deux filles, Marguerite et Agathe, le suivirent de près. — Le chagrin d’être à jamais séparé de sa famille répandit un voile de tristesse sur le bonheur de Jean. Il s’enrôla comme porte-étendard et prit part à la grande victoire des alliés à Novare ; ses compagnons d’armes le virent la nuit suivante dormant « au milieu des canons. »

Revenu peu d’années après dans sa patrie, il prit une maladie de langueur ; il mourut entre les bras de sa jeune femme le 26 novembre 1516. Anna vécut dès lors fort retirée et dans la crainte de Dieu, ainsi que doit le faire une veuve chrétienne.

Le courroux, de son beau-père semblait s’être apaisé. Peu de semaines après avoir vendu sa terre de Knonau, qu’il céda au gouvernement pour le modeste prix de 1650 florins du Rhin, le vieux Gérold se trouvait en compagnie de quelques amis à la croisée de l’auberge de l’Escargot, voisine alors de l’hôtel de ville, sur le marché au poisson. Alors, dit la chronique, la cuisinière d’Anna vint au marché, ayant avec elle le petit Gérold, âgé de trois ans. La bonne mine et l’air de gentillesse de cet enfant frappèrent le vieillard, et lorsqu’on lui eut dit que c’était son petit-fils, il ordonna qu’on le lui amenât sur-le-champ. Il le prit dans ses bras, et pleurant, il s’écria : « Mon enfant, mon enfant ! » Dès lors il voulut le garder chez lui, et après sa mort, qui survint un an plus tard, sa veuveb en prit les plus grands soins.

b – Une seconde femme, qui n’était pas la mère de Jean.

Anna voyait chaque jour son fils ; elle conserva sur lui son autorité de mère et le fit élever, ainsi que ses autres enfants, dans la discipline et dans la crainte du Seigneur. Gérold fréquentait les cours publics et les écoles de la ville, qui prenaient toujours plus d’extension. Il le fit avec succès, et lorsque le souffle d’une nouvelle vie vint réveiller la contrée par le moyen de Zwingle, Anna et ses enfants furent des premiers qui ouvrirent leur cœur aux doctrines réformées.

Zwingle, ainsi que Luther, attendait beaucoup de l’éducation de la jeunesse.

Il remarqua bientôt la grande assiduité et les heureuses dispositions de Gérold, qui attirait déjà par un extérieur plein de bonté et de distinction. En 1520, Zwingle crut le jeune homme en état de suivre les cours de l’université de Bâle, alors le point central des lumières en Suisse. Lorsque, trois ans plus tard, Gérold fut obligé de se rendre aux bains de Baden en Argovie, Zwingle lui écrivit une épître en latin, « sur la foi, la connaissance et la vie d’un vrai chrétien. »

Zwingle travaillait depuis cinq ans à sa grande œuvre. La doctrine du mariage des prêtres avait été reconnue par l’Église évangélique suisse, et Wilhelm Rübli, pasteur à Wytikon, précédemment à Bâle, venait de se marier (1523) ; Diakonus Schmied, suivant son exemple, épousait peu après une religieuse, Véréna Schildknecht. La vue des nombreux désordres qui régnaient au milieu du clergé catholique engageait fortement les pasteurs à prêcher le mariage ; Zwingle crut le moment venu d’accomplir aussi cet acte pour lui-même.

Un de ses premiers auditeurs avait été Anna, soit lorsqu’il avait prêché dans la ville, soit lorsqu’il avait annoncé le règne de Dieu aux nonnes d’Oetenbach. La piété, la modestie, l’amour maternel de cette femme ne pouvaient rester cachés aux yeux du réformateur. La tendresse de Gérold pour son instituteur fut le fil qui réunit le protecteur et la veuve. Anna n’était plus de la première jeunesse ; de dures expériences avaient donné un cachet de gravité à toute sa personne, et par là ses vertus tranquilles se laissaient mieux voir encore. Toute sa fortune consistait en 400 florins ; de la succession du grand-père Meyer il ne restait aux enfants qu’un capital dont la rente n’excédait pas 30 florins. Anna devait sentir le besoin d’un protecteur sur lequel elle pût s’appuyer en toute confiance ; qui mieux que Zwingle pouvait la soutenir, lui qui avait reconnu l’importance d’une union chrétienne, que dans ses écrits il appelle une très sainte alliance ?

Zwingle avait été témoin de l’admirable conduite d’Anna comme fille, épouse et mère, au milieu des plus grandes difficultés domestiques : il avait vu les fruits de l’éducation chrétienne dans ses enfants ; il ne pouvait douter qu’uni à elle il n’eût une maison qui serait en exemple à son troupeau. Comme son ami Henry Bullinger le fit, pour s’unir à Anna Adlischweiler, il se prépara pendant quelques années à sa nouvelle vocation ; après quoi il épousa Anna, le 2 avril 1524. « Il y eut bien des honnêtes gens à ce mariage. » Ses amis lui envoyaient leurs meilleurs souhaits. Entre autres Capiton : « Je désire vivement que ton épouse croisse abondamment dans la connaissance. Par son mariage avec toi elle est entrée dans une nouvelle union avec Christ. Elle est devenue servante de la Parole. »

La calomnie attaqua le mariage de Zwingle. Ses ennemis et antagonistes, surtout dans le Toggenburg, l’accusèrent hautement d’avoir épousé une veuve riche, avec laquelle il vivait dans la volupté et le libertinage, au grand scandale de tous les honnêtes gens. Il se défendit dans une brochure, où il avoue avec une certaine naïveté « que sa femme possède en effet quelques bijoux et quelques beaux habits, mais qu’elle ne les a point portés depuis le jour de son mariage ; qu’elle s’habille comme il convient à une honnête femme de bourgeois, sans chercher à vouloir paraître plus que sa position ne le demande ; que toute sa fortune consiste en un capital de 400 florins ; qu’elle n’a jamais pris sur le bien de ses enfants que ce qui était nécessaire pour leur nourriture ; qu’il considère tout ce qu’elle a comme un bien qui ne lui est que prêté. »

Il répondit dans le même sens à Jean Fabre, vicaire à Constance, dont le puritanisme rigoureux se scandalisait fort mal à propos du goût de Zwingle pour la musique. Il termine sa réplique par cette parole d’Horace :

Odi profanum vulgus et arceoc.

c – Je hais le vulgaire profane et je l’écarte.

En se mariant, Zwingle entra dans une nouvelle existence : dès lors il travaillait avec plus de courage ; un second moi partageait ses joies et ses chagrins. Anna se considérait comme l’aide de son mari et lui facilitait autant que possible les devoirs de sa vocation ; elle ramenait le sourire sur ses lèvres lorsqu’il s’abandonnait à la tristesse ; elle donnait parfois d’utiles et sages conseils ; elle calmait, consolait et trouvait toujours l’occasion de faire sentir les heureux effets de sa bienveillance et de sa charité. Les sénateurs de Zurich, les prédicateurs, les savants qui étaient en rapports fréquents avec Zwingle, admiraient tous le caractère vraiment remarquable d’Anna. Bonne maîtresse de maison et charmante femme de salon, elle pouvait soutenir une conversation avec esprit et intelligence, même avec les gens les plus instruits ; lorsque les circonstances l’exigeaient. Bien des questions s’agitaient alors, qui excitaient au plus haut point son intérêt ; ce qu’elle lisait avec le plus de plaisir, c’étaient les épigrammes contre le pape et la vie monacale. Zwingle lui traduisait des pages entières de la Louange de la folie d’Erasme ; il mit aussi entre ses mains les œuvres d’Ulrich de Hütten et lui recommanda particulièrement tout ce qui sortait de la plume de Nicolas Manuel, le Bernois poète, peintre et homme d’état.

Anna lisait avec avidité tous ces écrits, et les prêtait volontiers à ses amies. Ses visites au cloître d’Oetenbach furent d’un grand secours pour la réforme ; grâce à son influence, plusieurs nonnes épousèrent des pasteurs, « car, disait-elle. les prêtres et les nonnes sont faits les uns pour les autres, ils peuvent se féliciter en commun d’être sortis du paradis qu’ils s’étaient créé. Comme ils n’ont pas été gâtés par le monde, ils ne font pas tant de bruit. Qui, mieux que ces gens-là, peut comprendre en quoi consiste la sanctification ? »

De toutes les lectures, la plus importante aux yeux d’Anna était sans contredit celle de la sainte Écriture : Zwingle lisait chaque soir avec elle les premiers feuillets de la traduction de Zurich, qui parut en automne 1525. Elle peut être considérée comme étant son œuvre, et celle de Léon Juda. Le réformateur eut en 1529 la joie de remettre à sa femme le premier exemplaire de la Bible de poche ; cet exemplaire devint le compagnon habituel d’Anna. Sur sa recommandation même les bourgeois ne tardèrent pas à en faire tous l’emplette. Zwingle écrivait à son ami Vadian de Saint-Gall, en se plaignant de la besogne qui ne lui laissait ni trêve ni repos : « Ma fidèle épouse vient bien de temps en temps me secouer les épaules, lorsqu’elle pense que je le supporterai avec patience et que je suis de bonne humeur : — Donne-toi donc un peu plus de repos, mon cher ! me dit-elle. — Mais quel repos ? tu le vois, c’est impossible : voici un ami, voilà un solliciteur, et puis un évangéliste, un maître d’école, et, au moment où je les crois partis, apparaît encore M. le sénateur. — Puis on vient me chercher pour un malade, pour M. Froschauer, l’imprimeur etc. ; et, quand je reviens enfin harassé au logis, il y a là devant moi une telle masse de lettres que j’en ai bien encore jusqu’à l’aurore. »

Anna faisait des visites assidues aux malades, aux femmes en couches, et distribuait de la nourriture, des remèdes et des vêtements. Les pauvres trouvaient un accès facile auprès de l’épouse de Zwingle, qui prêchait et agissait en faveur des établissements de charité. Bonne envers tous les malheureux, Anna ouvrait sa maison à ceux qui, persécutés, cherchaient un refuge à Zurich. Chacun admirait comme elle savait trouver les moyens d’égayer et de réjouir les hôtes qui prenaient successivement place à sa table de famille ; aussi longtemps que son mari n’avait pas trouvé une position assurée pour les pauvres bannis, elle pourvoyait à leur nourriture et à leurs vêtements, autant de sa propre bourse que par des sollicitations auprès de ses amis.

Les femmes des autres pasteurs de la ville se réunissaient volontiers autour d’elle dans l’après-midi du dimanche, pour s’entretenir de choses religieuses. Il n’était pas rare que, dans un but de bienfaisance aussi, Léon Juda organisât quelque petit concert domestique à Saint Pierre.

Lorsque ses occupations et celles de ses confrères le permettaient, Zwingle et son ami composaient des chants ; ce réformateur, ainsi que Luther, appréciait autant la sociabilité que la musique.

La maison de Zwingle devenait ainsi le point de réunion des chrétiens et des savants de Zurich. Nicolaus Arator écrivait bien des années après « qu’il n’oublierait jamais ce ménage chrétien, qu’il pouvait donner en exemple à chacun. » Si quelque diacre était sans famille, il trouvait toujours un accueil hospitalier à la table du réformateur, et de tels hôtes lui furent souvent d’un grand secours.

Le 28 août 1525, deux hommes, en passant devant sa maison, lancèrent de grosses pierres contre ses fenêtres, qui volèrent en éclats. Un autre jour deux moines demandèrent à parler à Zwingle dans la soirée. Les diacres l’ayant supplié de ne point descendre, l’un d’eux se rendit pour lui à la porte de la maison. A peine fut-il dehors qu’on le saisit et le garrotta ; les malfaiteurs, croyant avoir affaire à Zwingle, s’aperçurent bientôt de leur méprise, et le laissèrent. Les ennemis ne manquaient pas ; « il fallait, disait-on, agir avec lui comme l’évêque de Constance avec Jean Hüglin de Meersburg ou avec Pierre Spengler, c’est-à-dire le brûler ou le noyer. » A Lucerne on brûla ses livres et l’on promit une récompense à celui qui se rendrait maître de sa personne.

Au milieu de circonstances aussi angoissantes, Anna ne manquait pas d’occasions propices pour exercer sa mission de consolation : lorsque son propre cœur avait besoin de calme, elle le cherchait dans la Parole de Dieu, qui était pour elle une forteresse assurée.

Pendant que Zwingle était à Berne, Anna mit au monde un petit garçon. Son mari lui écrivit alors : « La grâce et la paix te soient données de la part de notre Seigneur Jésus-Christ. Je loue et remercie Dieu, mon cher cœur, de ce qu’il t’a accordé une heureuse délivrance. Qu’il nous fasse la grâce d’élever selon sa volonté ce précieux don et de le lui consacrer. Qu’il te garde, te fortifie, t’affermisse, te bénisse et te rétablisse bientôt pour tes enfants, pour tes amis, pour l’Église et pour moi. Sois tranquille à mon sujet ; je suis, Dieu soit loué, sous la protection du Seigneur et près de gens amis. Tout va selon nos souhaits. Les amis de la maison s’informent de toi, et te saluent ainsi que les tiens et les miens. Envoie donc à la cousine un ou deux petits mouchoirs de tête comme ceux que tu portes, tu lui feras un grand plaisir. Elle s’habille selon sa position, presque comme les femmes du clergé, cependant sans affectation de bigoterie. Elle désirerait beaucoup un mouchoir comme les tiens. Elle est entrée dans sa quarantième année et fait tout son possible pour nous être agréable. Là-dessus je te recommande à Dieu. Salue tous ceux que tu aimes, je les aime aussi. Prie Dieu pour moi et pour nous tous. Embrasse et bénis tous les enfants. Il ne faut pas qu’ils donnent du chagrin à leur mère. Entends-tu ? Le Seigneur soit avec toi. Au revoir, à bientôt, âme de mon âme ! Ton maître, Ulrich Zwingle. »

Cette lettre, datée du 17 janvier 1528, est la seule qui soit restée de sa correspondance avec sa femme ; on n’a rien conservé d’Anna.

Une année après la naissance de son petit Ulrich, Zwingle partit secrètement pendant la nuit pour aller assister aux conférences de Luther à Marburg (1529). Le 19 octobre de la même année, il rentrait à Zurich pour être témoin des contestations religieuses entre les confédérés. Bientôt réunis sur les frontières de Zug et de Zurich, ceux-ci allaient vider le différend les armes à la main. Zwingle se chargea du rôle de médiateur. Les partis se réconcilièrent, le sang fut épargné et l’époux et père rentra heureusement près des siens angoissés. Mais en décembre déjà il partait pour le synode de Frauenfeld. Dès lors il ne sortit plus de Zurich, que pour marcher au combat.

La paix momentanée, entre les différents partis religieux, ne semblait pas devoir être durable. Plusieurs même, excités par leur égoïsme, prirent en haine l’œuvre de la Réformation à Zurich. Deux fois Zwingle eut l’idée de donner sa démission ; il en fut empêché par les instances de ses amis. Mais c’en était fait de la paix.

La jalousie, l’inimitié, l’aigreur se mirent dans les rangs du parti réformé. Lucerne, Uri, Schwitz, Unterwald et Zug exaspérés par le renchérissement des denrées, qui du reste se faisait aussi sentir à Zurich, se préparaient au combat tandis qu’à Zurich on dépensait un temps précieux en vaines disputes, sans penser à se mettre en état de défense. Courriers sur courriers arrivèrent dans la soirée du 9 octobre 1531 pour annoncer l’approche de l’ennemi. Le lendemain matin seulement on avait réuni une centaine d’hommes sous la direction d’un chef inhabile. Le 11 octobre enfin, 700 hommes environ étaient sous les armes, prêts à marcher sur Cappel. Sur l’ordre du conseil de la ville, Zwingle prit son épée et suivit la bannière. Ferme, mais ému et préoccupé, le réformateur monta sur son cheval qui se cabra, fâcheux augure pour les siens, dont il se séparait avec un profond chagrin.

Le canon grondait déjà sur l’Albis lorsque Anna fit ses adieux à son mari ; elle les faisait aussi à son fils Gérold et à d’autres membres de sa famille, mais elle se remettait à la volonté de Dieu. Silencieux et recueilli, en marchant à côté de la troupe, Zwingle recommandait son église, sa patrie, sa femme et ses enfants, et lui-même au Seigneur ; après quoi il se sentit plus calme et rassuré. Arrivée sur le lieu du combat, la petite troupe fit de vains efforts pour faire pencher la balance en faveur des réformés. La défaite de Cappel fut décisive. Vingt-cinq ecclésiastiques tombèrent avec Zwingle. Trente-six hommes de Küssnacht périrent avec leur pasteur Schmied. Zwingle s’efforça d’adresser quelques paroles de consolation à un bourgeois de Zurich, blessé près de lui, lorsqu’il fut atteint d’un coup de fronde. Il voulut se relever, mais tomba de nouveau sans connaissance. On l’entendit s’écrier : « Qu’est-ce que cela ? Ils peuvent tuer le corps, non pas l’âme ! » Percé de coups, il restait couché sur le dos, les mains jointes et les yeux dirigés vers le ciel. Ce fut en cet état que le trouvèrent ceux qui visitèrent le champ de bataille, couvert de morts et de blessés. Peut-être eût-il été sauvé, s’il eût voulu renier ses convictions. Mais il résista à toutes les sommations de ses ennemis, en faisant un signe négatif de la tête ; furieux d’une telle obstination, le capitaine Bockinger d’Unterwald lui donna le coup de mort. Il n’avait pas encore été reconnu, mais le lendemain on livra son corps aux flammes. A la vue de son cadavre, Jean Schönbrouner, qui était avec les catholiques, s’écria avec émotion : « Quelles que fussent tes conviction, je sais que tu étais un brave confédéré. Que Dieu ait pitié de ton âme ! »

Le beau-fils de Zwingle, Gérold Meyer de Knonau, avait aussi combattu avec toute l’énergie de la jeunesse. Fidèle à son drapeau et à sa foi, il refusa de se rendre et mourut en héros, laissant dans le deuil une épouse bien-aimée, trois jeunes enfants et sa tendre mère. — « Il s’est montré grandement brave dans la bataille et il ne voulut pas se rendre, disant qu’il était mieux de mourir honorablement que de vivre avec honte. » — Anna pouvait entendre de sa demeure les coups lointains de la fusillade. Elle voyait à chaque instant des courriers qui venaient réclamer du renfort ; bientôt elle apprit la terrible nouvelle. Son mari, son fils, son frère, son gendre et le mari de sa sœur étaient morts ! Tous les objets de ses plus chères affections avaient rendu le dernier soupir, sans un mot de consolation, sans un regard d’elle. A cette nouvelle, ses enfants poussèrent les plus déchirantes lamentations ; la maison retentissait de gémissements douloureux. Les amis se pressèrent auprès de la veuve pour lui donner des consolations. Limpert Schenk, précédemment moine chartreux et plus tard réformateur de Memmingen, lui écrivit : « Noble et vertueuse dame, et mon amie en Dieu notre Sauveur, le père de toute consolation fasse luire sa face sur vous, car sur toute la surface du globe je chercherais en vain quelqu’un qui pût vous consoler, hors lui seul. Oh ! quel jour malheureux, que celui où ce cher homme, mon bien-aimé Zwingle, est tombé avec tant de gens de bien ! Mais je suis certain que, comme personne ne peut rendre la vie, personne non plus ne peut l’ôter sans la volonté du Seigneur, et que personne ne doit contester avec lui. Je dois aussi me soumettre à cette volonté et louer le Seigneur dans tout ce qu’il fait ; car ses œuvres sont jugement et justice, sans fausseté, ni tromperie, mais par-dessus tout miséricorde et bonté. O pieuse et chère femme, soyez fidèle ; ni vous, ni nous, ni d’autres n’ont perdu Zwingle, car celui qui croit en Christ a la vie éternelle. C’est ici mon exhortation, que lorsque vous ne trouverez plus votre Zwingle près des enfants, à la maison, près de vous, à la chaire, aux leçons, près des savants, vous ne vous effrayiez point, et ne soyez point trop triste ; mais rappelez-vous qu’il est dans la maison de Dieu, près des enfants du Seigneur et qu’il écoute la voix de la sagesse et l’entretien des anges. — Le Seigneur ne négligera pas son Église, il ne l’abandonnera point. Elle n’avancera pas moins victorieusement, sinon en nombre, du moins en force. Que le bon Dieu vous garde et vous console avec vos enfants, et vous fortifie par son Saint-Esprit ; qu’il vous accorde de surmonter les épreuves dans le Seigneur. Amen. Je me recommande, ainsi que mon église de Memmingen, à vos prières. Datée de Memmingen, le 19 novembre 1531. » — Depuis longtemps déjà, Anna avait concentré toutes ses joies sur ses devoirs d’épouse, de mère et de sœur. Cette terrible épreuve mit fin pour ainsi dire à toute espèce de rapport entre elle et le monde extérieur. Elle consacrait tout son temps à ses enfants, aux filles de son premier mariage, et aux trois orphelins laissés par son Gérold. Dieu, son Dieu, lui conserva jusqu’à son dernier jour la précieuse affection d’un ami dévoué ; Bullinger pourvut à l’avenir de la veuve et des orphelins. Comme Anna n’avait pour toute fortune que ce qu’elle avait apporté en se mariant, comme Zwingle n’avait rien laissé que ses écrits et des enfants, Bullinger parla en sa faveur au Sénat, la soutint de ses conseils et la prit sous son toit et à sa table. Il se chargea de même de l’éducation des enfants comme des siens propres. Guillaume mourut à l’université de Strasbourg, en 1541 ; Anna était morte en bas âge. Le jeune Ulrich fut élevé aux frais de son protecteur, qui pourvut à son établissement et lui donna sa fille Anna en mariage. La fille aînée de Zwingle, la belle et pieuse Régula, image vivante de sa mère, avait épousé Rodolphe Gwalter (1541), fils adoptif de Bullinger, et plus tard son successeur. Cette jeune femme fut enlevée par la peste de 1565.

Le peu de détails que nous possédons sur la fin de la vie d’Anna ne parlent que de son amour pour Dieu et pour son prochain.

Saisie en novembre 1558 par une maladie violente, elle mourut au bout de quelques semaines, sans avoir rien perdu de sa sérénité. Bullinger écrivit à Vadian : « Je ne pourrais désirer une fin meilleure que celle de cette noble femme. Elle s’éteignit doucement comme une faible lueur, et, tout en priant et nous recommandant au Seigneur, elle s’envola vers lui. »

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