Quelques femmes de la Réforme

Élisabeth
duchesse de Brunswick-Lunebourg

1510-1558



Élisabeth

Joachim Ier n’avait que seize ans lorsque l’électorat de Brandebourg lui échut en partage. Admirablement doué au physique comme au moral, plus instruit que la plupart des princes de l’empire, favorable aux arts et aux sciences, en rapport immédiat avec les hommes illustres de l’époque, parlant également le latin, le français et l’italien, partisan fidèle du pape et de l’empereur, Joachim devait être un dangereux antagoniste de la réforme. Il se préparait à assembler un concile pour remédier aux maux extérieurs de l’Église, lorsque le pauvre moine de Wittemberg fit connaître la cause des désordres qui s’étaient introduits dans le clergé et dans les troupeaux. Cette audace irrita si fort l’Electeur, qu’il défendit absolument la lecture de la Bible traduite par Luther, et fit jeter en prison les prédicateurs évangéliques.

La duchesse Elisabeth, sa femme, était parvenue à la connaissance de la vérité pendant le séjour que le roi de Danemark, Christian II, fit à Berlin, lorsqu’il se vit obligé de quitter ses états en fugitif. De peur d’encourir la disgrâce de son mari, qu’elle savait si opposé à la réforme, la princesse prit secrètement la sainte cène. Cette démarche ayant été révélée à Joachim par une de ses filles, la colère de l’Electeur fut telle, qu’il menaça sa femme de la faire ensevelir vivante. Protégée par son frère Christian, Elisabeth de Brandebourg parvint à s’enfuir sur une charrette, avec deux fidèles serviteurs de sa maison. Son oncle, l’électeur Jean de Saxe, la reçut le 24 mars 1528. Ce protecteur bienveillant mit à sa disposition le château de Lichtenberg, où elle vécut dans la retraite, s’occupant de la lecture de la Bible, de la prière et d’une correspondance suivie avec Luther, dans la maison duquel elle passa trois mois, afin de mieux s’instruire dans la Parole de Dieu. Dès lors, et sans en témoigner le moindre regret, Joachim Ier la traita en étrangère et se montra l’ennemi le plus acharné des protestants, contre lesquels il excita l’empereur à prendre les armes. Cependant il autorisa ses enfants à faire de temps en temps une visite à leur mère. Joachim Ier mourut en 1535, après avoir obtenu de ses fils une promesse écrite, de ne jamais renoncer à l’Église romaine. Ce ne fut qu’en 1546 qu’Elisabeth de Brandebourg put retourner dans ses foyers et cacher sa douleur dans la solitude de Spandau. Sa fille Elisabeth, dont nous allons nous occuper, et son fils Joachim II unirent leurs efforts pour adoucir les rigueurs de sa position. Elle mourut en 1555.

Quoique élevé dans les principes du catholicisme le plus rigoureux, Joachim II avait été sérieusement préoccupé des malheurs de sa mère et des motifs qui l’avaient poussée à embrasser la réforme. La lecture et la méditation, puis aussi les sollicitations du landgrave de Hesse, qui ne se lassait pas de le prémunir contre les flatteries de l’empereur, le firent si bien pencher en faveur du protestantisme, que, peu de temps après son avènement à l’électorat de Brandebourg, les prédicateurs évangéliques prêchèrent en toute liberté dans le pays. En 1538 déjà, son frère, le margrave Jean de Kustrin, adopta la confession de foi luthérienne à Wittemberg. Enfin, le 1er novembre 1539, l’Electeur, avec toute sa famille, la cour et la noblesse, reçurent la Cène sous les deux espèces, des mains de Matthias de Jagom, évêque de Brandebourg.

Elisabeth, la plus jeune des filles de Joachim Ier, née en 1510, s’était unie en 1525 à Erich-le-Vieux, duc de Calenberg-Göttingue. Guerrier intrépide, Erich avait visité le saint Sépulcre, et s’était battu contre les Osmanlis. Il ne comprit guère mieux les besoins religieux de son siècle, que ne le fit son ami l’empereur Maximilien, dans les domaines duquel il séjournait plus fréquemment que dans son propre duché. Cependant ce fut lui qui tendit à Luther sa coupe d’argent pleine de bière de Eimbecker, lorsque le réformateur s’en alla comparaître devant l’empereur à Worms. Après avoir bu, Luther s’était écrié : « Comme le duc Erich s’est souvenu de moi à cette heure, que le Seigneur Jésus-Christ se souvienne de lui dans le dernier combat. »

Erich s’était marié en 1497 avec Catherine, veuve du duc Sigismond d’Autriche. Mais cette princesse était morte en 1524. Erich avait 55 ans lorsqu’il avait conduit à l’autel la jeune marquise de Brandebourg.

Elisabeth était douée d’une sagesse et d’une promptitude de coup d’œil remarquables dans une femme de son âge. Elle vit que les détails d’une sage administration ne convenaient point au caractère guerroyant du vieux duc ; aussi prit-elle en main non-seulement la direction du palais, mais encore des affaires du gouvernement qui avaient grand besoin d’être menées par un maître habile et ferme. Le duc ne demandait pas mieux : confiant en la prudence d’Elisabeth, il lui abandonna donc toute la partie administrative des affaires. Devenue son premier ministre, la jeune duchesse fut aussi la confidente de tous ses soucis ; il ne lui cachait rien et ne cessait de correspondre avec elle, lorsque la guerre venait à les séparer. Dans ses moments de solitude au camp, Erich préparait quelque douce surprise pour sa femme et lui envoyait tantôt de belles toiles, tantôt des vêtements de soie, ou même une somme d’argent.

Pendant qu’il était en campagne contre les anabaptistes de Munster, il reçut des nouvelles inquiétantes de la santé d’Elisabeth. Sans tarder il monte à cheval et court jour et nuit pour se rendre auprès de sa chère malade ; une lettre d’Elisabeth l’arrêta en chemin. Elle le suppliait seulement de ne pas trop s’éloigner et de lui envoyer quelques oranges ; elle terminait par ces mots : « Cher seigneur, ne vous tourmentez pas trop de mon indisposition, le bon Dieu le veut ainsi ; il est meilleur pour nous de souffrir de corps que d’esprit. Lorsque Dieu est pour nous, tout est bien. Je lui rends grâces de pouvoir accepter cette épreuve avec résignation. Après cette vie nous n’aurons plus à souffrir. Que Dieu nous soit en aide. Amen ! »

A cette époque déjà, Elisabeth témoignait une grande confiance en Dieu, et, forte du secours d’en-haut qu’elle réclamait constamment, elle déployait une activité surprenante comme maîtresse de maison et comme souveraine. Toutes ses dépenses étaient soigneusement inscrites sur un livre. Nous y voyons que les gages d’une domestique n’allaient pas au delà de 3, 4 ou 7 florins par an. La duchesse faisait venir des épices et des meubles de Francfort, d’Anvers, d’Augsbourg et de Berlin. Chaque jour, selon l’usage de ce temps-là, elle employait quelques heures à la broderie, dans laquelle elle était fort habile ; toute sa correspondance indique une âme élevée, une force de volonté et une pénétration qui doublaient ses capacités pour les affaires.

Les princes de l’empire avaient souvent à traiter avec elle et réclamaient parfois son intervention. Philippe de Hesse lui demanda son bon vouloir dans un différend survenu entre le duc et la ville de Hanovre, qui s’était prononcée en faveur du libre exercice du culte évangélique.

Depuis 1524 la doctrine réformée avait trouvé de puissants adhérents parmi les bourgeois de cette ville. Les autorités et les membres du clergé surtout étant très opposés aux idées nouvelles, il se forma bientôt une espèce de persécution en règle contre tous ceux qui pouvaient être convaincus de posséder les saintes Écritures en allemand, ou quelque autre livre de Luther. Le peuple, d’un autre côté, demandait à grands cris la réforme. La révolte s’accrut si fort, que le duc se vit obligé d’autoriser l’arrivée de prédicateurs évangéliques, la lecture de la Bible et le chant des Psaumes en langue vulgaire, sous réserve cependant de ne rien changer aux formes du culte. Mais le clergé s’opposa si formellement aux intentions pacifiques du duc, que la révolte ne connut plus de bornes. Le conseil de la ville dut abdiquer, les prêtres prirent la fuite et le peuple se choisit un autre gouvernement. Le duc Ernest de Lunebourg, ami de Luther, protégea la ville contre la colère d’Erich, qui venait de couper les convois d’approvisionnements. Il fallut toute l’influence médiatrice d’Elisabeth pour apaiser le duc irrité contre les maudits hérétiques.

Dans la nuit du 10 août 1528, un messager accourut en toute hâte pour annoncer au duc qu’un fils lui était né. Plein de joie, il monte en selle et court à franc étrier pour serrer sa femme et son enfant dans ses bras ; puis il envoie une députation au roi Ferdinand de Bohême, pour le prier de tenir son fils sur les fonts de baptême. Quelques jours avant la cérémonie, Elisabeth, suivant l’impulsion de son cœur généreux, sollicita de son mari la grâce de quelques-uns des prisonniers de Hanovre. Parmi ceux-ci était un ecclésiastique, nommé Georges de Stenneberg, qui, parce qu’il avait offert la Cène sous les deux espèces à Ellierode, avait été saisi pendant la nuit et jeté dans un étroit cachot, où il gémissait depuis cinq mois. Erich accorda la grâce de tous les prisonniers.

Les clartés de l’Évangile commençaient à luire aussi dans l’âme d’Elisabeth. Les villes de Hanovre, de Göttingue et de Brunswick avaient ôté déjà le boisseau de dessus le chandelier. Une visite de Jean de Kustrin donna le dernier coup aux irrésolutions de la jeune duchesse. Un dimanche de l’année 1538, alors que le duc Erich était en campagne, Elisabeth se fit donner la Cène par Conrad Brecht, pasteur de Gross-Schnecken. A son retour, le bon Erich parut surpris, mais non fâché. Las de dissensions et de luttes, se confiant pleinement d’ailleurs au jugement d’Elisabeth, le vieux duc, quoique bien déterminé à garder son serment de fidélité envers l’empereur et l’Église romaine, ne jugea point nécessaire de combattre violemment la nouvelle doctrine religieuse. Cédant aux sollicitations d’Elisabeth, le landgrave Philippe de Hesse lui envoya son pasteur Antoine Corvinus, afin qu’il lui donnât une instruction plus approfondie de cette vérité à laquelle elle voulait rester fidèle désormais.

Erich, prêt à partir pour la diète de Haguenau, en Alsace, allait franchir les portes du château, lorsqu’on vint en toute hâte lui annoncer l’arrivée du pasteur hérétique. — « Comme notre épouse ne nous empêche point dans l’exercice de notre culte, dit-il, nous ne l’empêcherons point non plus ; qu’elle fasse comme elle le trouvera bon ! » — A ces mots le vieux prince enfourcha son coursier, piqua des deux et disparut.

Le caractère ardent d’Elisabeth la portait à embrasser les croyances de la Réforme, avec le même zèle qu’elle avait déployé dans sa jeunesse pour obéir aux traditions de ses ancêtres. Dévouée tout entière à l’œuvre de la Réformation dans son pays, elle comprit cependant que cette œuvre ne pouvait s’accomplir qu’avec prudence et douceur. Le landgrave de Hesse et l’électeur Jean-Frédéric de Saxe lui promirent leur appui.

Le 26 juillet 1540, Erich mourut à Haguenau, à l’âge de soixante-dix ans. Par son testament, il plaçait le jeune Erich II sous la tutelle d’Elisabeth, du landgrave Philippe et du brave chancelier Jacob Reinhard. Henri-le-Jeune de Brunswick-Wolfenbuttel, en sa qualité de plus proche parent, réclama la tutelle. Chacun connaissait les passions haineuses de cet antagoniste acharné de la Réforme. Aussi, effrayée des conséquences déplorables que l’influence d’un pareil despote pouvait avoir pour l’Évangile dans le duché, et encouragée par ses amis, Elisabeth mit tout en œuvre pour essayer d’apaiser Henri et de lui faire renoncer à ses prétendus droits à la régence.

Ce n’était pas là le seul de ses soucis. En mourant, le bon Erich avait laissé des dettes considérables, qu’il était fort difficile de liquider. Elisabeth se mit à l’œuvre avec énergie, et pour cela fit de sages réformes dans le palais et dans l’administration. Il lui fallait d’un côté apaiser les murmures de ceux qui ne voulaient rien comprendre à ces changements, et de l’autre chercher à calmer l’impatience des créanciers. De toutes parts pleuvaient les réclamations. La dignité et la douceur d’Elisabeth lui suffisaient à peine pour faire face à l’orage. En se voyant dans l’impossibilité de racheter les restes de son époux déposés dans une hôtellerie de Haguenau et demeurant sans sépulture, Elisabeth frappa le peuple d’un nouvel impôt, qui obligeait chaque individu à payer le 16e de son revenu. La révolte éclata alors de telle sorte, qu’Elisabeth fut obligée de s’enfuir. Le corps d’Erich ne put être apporté à Münden qu’au mois de septembre 1541.

Dans ces circonstances, Elisabeth ne perdait point de vue l’intérêt de l’Évangile dans son duché. La plus grande partie des villes partageaient ses vues, la noblesse était gagnée ; seule, l’opposition des moines et du clergé demandait des ménagements. Pleins de joie et d’espérance, Mélanchthon et Corvinus ne tarissaient pas dans leurs éloges sur le zèle de la jeune veuve. Mélanchthon écrivait à son ami Burkhard Mithob : — « La princesse Elisabeth peut être comptée comme l’une des femmes les plus remarquables de l’Église évangélique allemande. Elle est comme la mère du pays soumis à son gouvernement, puisqu’elle lui témoigne les sentiments d’un cœur maternel et le fait vivre du lait de la Parole. De telles femmes sont vraiment des instruments bénis pour l’avancement du règne de Dieu. »

Pour achever l’édifice qu’elle avait pris tant de peine à édifier, Elisabeth chargea Corvinus et ses amis de travailler à la liturgie de Münden, dont la première édition a été ornée du portrait d’Elisabeth avec sa légende : « Alles in Ehren, kann Niemand verwehren. » Elisabeth y confesse naïvement qu’elle sait fort bien en quoi consiste le vrai christianisme, mais que, par égard pour les faibles, elle a cru nécessaire de conserver quelques pratiques du culte de l’Église romaine, entre autres les chants latins, le costume des prêtres, les cierges et les jours de maigre. Elle visitait elle-même les cloîtres où l’opposition à la Réforme semblait la plus prononcée ; elle fit, en 1543, un examen général de tous les livres dogmatiques employés dans les couvents, afin d’en exclure ceux qui lui paraissaient contraires à la saine doctrine. Cependant Elisabeth cherchait plus à gagner les consciences par la voie de la persuasion, que par l’emploi despotique de son autorité de souveraine.

Elle écrivait en 1545 à ses sujets : « Nous sommes dans une grande angoisse pour vous dans ce moment-ci. Il semblerait que Dieu va visiter l’Allemagne en permettant une guerre dévastatrice ; si l’on a Dieu contre soi, à quoi servent les murailles, les cuirasses et les forteresses ? Occupons-nous de nos péchés avec un sentiment de profonde humiliation. Ne méprisez point les faibles exhortations d’une misérable créature comme moi ! » — « Nous reconnaissons que votre charge est lourde, » dit-elle en s’adressant aux petites villes et à la bourgeoisie. « Au jour du jugement Dieu pourra nous rendre le témoignage que nous avons porté vos fardeaux avec sollicitude. J’espère qu’avec le secours de Dieu, mon fils empêchera qu’on ne vous impose davantage. »

Ces temps d’épreuves, déjà si rudes pour la pauvre femme, étaient encore compliqués par Henri de Wolfenbuttel, qui ne cessait de l’abreuver d’amertume. C’était avec larmes qu’Elisabeth avait accepté sa tutelle ; la foi seule la soutenait au milieu de ses soucis, qui, bien loin d’être allégés, se multipliaient par le mauvais vouloir des états du duché.

Lorsque la peste vint à éclater au château de Münden, chacun s’enfuit. Après avoir mis ses enfants en sûreté, Elisabeth revint courageusement au milieu des malades. Elle écrivait au landgrave de liesse : « Soyez bien persuadé que, dans les angoisses que j’ai endurées, si je n’avais pas été soutenue par la Parole de Dieu, tout m’aurait été plus difficile. Mais comme le Seigneur ne châtie que ceux qu’il aime, nous crierons à Lui afin qu’il nous donne la patience. »

Le jeune Erich n’avait que douze ans lorsque son père mourut. Depuis lors ce fut Elisabeth qui dirigea son éducation. Elle veillait sur le caractère du jeune homme et priait pour lui. Tous ses vœux tendaient à le voir un jour un prince pieux, aimant Dieu et son peuple. Mûrie prématurément par des expériences douloureuses, Elisabeth jugeait sainement des hommes et des choses. En mesurant la protection que Dieu avait accordée à l’œuvre de la Réforme, elle apprit à s’en remettre complètement à lui pour l’avenir de son fils.

Quelques passages d’une exhortation chrétienne qu’elle écrivit pour Erich en 1545, nous feront pénétrer dans les profondeurs de cette âme.

« Je t’écris ceci, » dit-elle en commençant, « pour te faire souvenir de ne point t’appuyer sur les hommes, mais sur Dieu seul. Si tu obéis à ses commandements et si tu crains sa Parole, il t’assistera. Pense à ces choses, afin que je puisse espérer de te voir sauvé pour l’éternité. C’est dans cette espérance que j’ai entrepris ce petit livre, écrit de ma main depuis le commencement jusqu’à la fin ; ne le méprise point et tâche de méditer sur son contenu. — Je te demande et te supplie, avant toutes choses, de te laisser enseigner par la Parole de Dieu, car le service de Dieu consiste à connaître sa volonté et à la faire. Mais on ne peut la connaître si on ne l’entend. Il faut qu’elle soit notre conseillère en toutes choses, que nous la saisissions parla foi et l’accomplissions dans nos œuvres. Sois reconnaissant envers Dieu de ce qu’il t’a donné le soin de veiller à l’intérêt spirituel de beaucoup d’âmes en protégeant l’enseignement de la vérité et en punissant les blasphémateurs. Que ton cœur soit brûlant de zèle dans cette œuvre. Rappelle-toi que le cœur de l’homme sans l’Esprit de Dieu est incapable de comprendre la fidélité du Seigneur. »

Après être entrée dans quelques détails sur l’administration, elle continue : « Ton devoir est aussi de veiller à ce que les tribunaux soient composés d’hommes sages et éprouvés, qui fassent justice au pauvre comme au riche, car c’est une triste chose qu’un pays où le droit est méconnu. Tout ce que les princes de ce monde négligent sous ce rapport, leur sera redemandé par Dieu, en qui réside toute justice. Prête l’oreille au cri de l’affligé ; fais de la Parole de Dieu ton conseil, car la suprême sagesse est en Dieu. Mon cher fils, honore le Seigneur et invoque-le, afin qu’il te communique son Saint-Esprit dans l’accomplissement de tes devoirs. Ne te tiens pas pour sage et ne méprise point la piété, mais écoute les conseils de l’homme juste. Avant toutes choses, garde-toi de la flatterie. Si tu te tiens auprès de Dieu, tu peux défier le diable et les hommes. Qu’il soit ta forteresse et tes ennemis s’enfuiront. Je t’exhorte et te supplie de marcher dans la voie de la sanctification ; communique la Parole de Dieu à tes sujets ; ne sois pas orgueilleux ; écoute la requête du pauvre, non point comme un prince, mais comme un père, afin qu’il s’approche avec confiance. Fais-lui justice lorsqu’il a raison, reprends-le avec affection lorsqu’il a tort. Honore les serviteurs de Dieu, aie soin des vieux serviteurs de ta maison et veille au bien du royaume. »

Ces pieux désirs ne devaient point se réaliser. En 1544 déjà, Luther, ayant accepté l’hospitalité de la princesse, avait les plus fâcheux pressentiments sur l’avenir du jeune Erich. Il supplia Corvinus de redoubler de surveillance.

Erich s’unit en 1545 avec Sidonie, fille du duc Henri de Saxe et sœur de l’électeur Maurice. Il fut déclaré majeur la même année. Un an plus tard. Elisabeth, alors âgée de 36 ans, épousait en secondes noces le comte protestant Poppo de Henneberg.

A peine sorti de tutelle, Erich II s’abandonna sans réserve à toute la fougue de ses passions. Il résista aux larmes de sa mère, aux sollicitations des états et suivit le parti de l’empereur. Avant son départ cependant, il prit encore la Cène avec toute sa famille et jura devant l’autel qu’il sacrifierait tout pour la cause de l’Évangile. Mais il arriva précisément ce que les états avaient prévu. L’empereur changea les dispositions d’Erich, et celui-ci marcha contre les villes alliées. Battu, Erich s’enfuit à Halle. Il passa sans y entrer devant le château de Münden, où s’était écoulée sa jeunesse, et se contenta d’écrire quelques lignes à sa mère affligée, dont il allait être séparé pour toujours par la différence de leurs convictions. Tout ce qu’Elisabeth avait pris tant de soin d’établir dans le duché, fut bientôt mis à néant par la main sacrilège d’Erich. Les pasteurs évangéliques furent chassés, les prêtres rétablis ; les cloîtres retentirent de nouveau du chant des litanies ; son instituteur Corvinus même fut jeté dans les fers. L’influence d’Elisabeth seule pouvait apporter quelque adoucissement à ces calamités. Erich, de plus en plus égaré, s’unit avec l’ennemi mortel de sa mère, le comte Henri de Wolfenbuttel. Constamment éloigné de son duché, qu’il surveillait à peine, oublieux de ses devoirs et de ses serments, il courait en pays étrangers sans se soucier de sa jeune femme. Révoltée d’un pareil abandon, désolée de voir l’œuvre de la Réforme arrêtée par son fils, accablée aussi par les mauvais procédés d’Henri de Wolfenbuttel, Elisabeth réclama les secours de son parent Albert de Brandeburg-Culmbach. Elle compta sur l’influence d’Albert pour ramener son fils. Le succès dépassa ses espérances. Erich II s’unit avec Albert dans une guerre contre Henri de Wolfenbuttel, retira tous les décrets contre la religion réformée et abandonna le gouvernement aux mains de sa mère.

L’ancienne activité d’Elisabeth se réveilla. Elle rétablit aussitôt les pasteurs dans leurs anciennes paroisses, et pourvut les églises de prédicateurs éprouvés. Ses bijoux et tout ce qu’elle avait de plus précieux furent consacrés à payer les frais de la guerre contre Henri. Le 9 juillet 1553, le margrave de Brandebourg fut complètement battu, près de Sievershausen, par Henri et l’électeur Maurice de Saxe. Les dernières espérances d’Elisabeth s’évanouissaient avec cette défaite. Le duc Henri avait à déplorer la mort de deux fils adorés, laissés sur le champ de bataille. Il brûlait de se venger de l’infidèle Erich et ne respirait plus que haine contre Elisabeth. Il prit donc à l’un son pays et ses gens, tandis qu’il privait l’autre de tous ses biens. Elisabeth se vit contrainte de se réfugier avec son mari à Hanovre, où ils vécurent dans une profonde misère. L’intervention de Sidonie réussit à rétablir la bonne harmonie entre Erich II et Henri, mais Elisabeth resta privée de ses droits et vécut dans l’exil. Jadis l’heureuse épouse d’un prince généralement estimé, l’âme d’une cour où elle était adorée, elle vivait en mendiante où elle avait régné. Elle écrivit à l’évêque de Wurzbourg et de Bamberg, puis au conseil de la ville de Nuremberg, pour réclamer leur secours. Mais Henri fit la sourde oreille. Il la pria « de le laisser tranquille avec ses plaintes, et ses excuses, qui ne sont, disait-il, que des mots sans raisonnements, comme les prononcent les personnes de votre sexe. » Il ne parut pas plus accessible aux supplications des frères d’Elisabeth. « Elle aurait dû, dit-il, se rappeler la vocation de son sexe ; si elle ne s’était pas mêlée de faire la guerre, elle n’aurait point à en souffrir maintenant. » Il n’avouait pas que son principal motif de plainte contre la pauvre Elisabeth, était le rétablissement du culte évangélique dans les états d’Erich. Unis de nouveau, Henri et Erich II firent invasion sur le territoire d’Albert de Culmbach et le dévastèrent. C’était avec joie que le loup de Wolfenbuttel saccageait et réduisait en flammes les villages et les châteaux du brave comte de Henneberg, qui avait toujours témoigné les intentions les plus bienveillantes à l’égard d’Henri. Mais il était le père de l’époux d’Elisabeth, cela suffisait pour allumer sa rage.

Peu de temps après cependant, Erich sembla revenir à des sentiments meilleurs envers sa mère, qui lui avait écrit une lettre sérieuse. Henri aussi commençait à pencher vers le repentir et l’indulgence. Il parut enfin touché de la profonde misère dans laquelle gémissait Elisabeth. Celle-ci écrivait en automne 1554 : « Depuis trois semaines nous n’avons pas mangé de viande et nous sommes sans provision de bois. » Il lui céda enfin quelques-uns de ses revenus, mais ne lui restitua point le capital. Elle put liquider les dettes les plus pressantes et quitter Hanovre sans honte. Au dernier synode qui fut tenu dans cette ville avant son départ, elle exhorta les pasteurs assemblés à se rappeler les devoirs de leur charge et à prier pour elle. Ses adieux à cette ville, témoin de sa douleur, furent déchirants. Comme souvenir de la bonne hospitalité qu’elle avait reçue des bourgeois, elle fit don d’une coupe et d’un plat d’argent à l’église Saint-George.

Depuis le milieu de l’année 1555, elle vécut avec son mari dans leurs propriétés d’Henneberg. Sa vie était empoisonnée par la pensée de l’ingratitude de son fils. Le vieux comte Wilhelm l’entourait d’affection et de soins ; il lui céda même son château d’Ilmenau comme douaire, mais toute sa sollicitude ne put faire oublier à Elisabeth l’enfant qu’elle avait perdu. Erich II mit le comble à cette épreuve en accordant la main de sa sœur Catherine à Wilhelm de Rosenberg, burgrave de Bohême, sans avoir demandé le consentement de sa mère. Jamais Elisabeth ne put se relever de ce dernier coup. Elle mourut le 25 mai 1558, dans son château d’Ilmenau. Son corps fut déposé dans l’Abbaye de Vessre.

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