Quelques femmes de la Réforme

Valéria Anshelm

1522

Pendant que les arts et les sciences florissaient à Bâle et à Zurich, les progrès de la Réforme ne se bornaient pas à ces deux cités. Berne, leur rivale, comptait dans ses murs bon nombre de femmes aussi zélées pour défendre la gloire de Dieu que l’honneur de leur ville.

Valérius Anshelm, communément appelé Rud, natif de Rothweil et demeurant à Berne depuis 1510, était médecin, chanoine de l’église collégiale et professeur. Son grand savoir, sa noblesse et la bienveillance de son caractère lui avaient acquis l’affection et les égards des gens les mieux placés sur l’échelle sociale. Chacun respectait celui qui, fidèle à sa vocation, ne rougissait point de montrer en public son amour pour la Parole de Dieu. On se confiait d’autant plus volontiers à lui, qu’il était un médecin chrétien. Nicolas Manuel fut son ami. Lorsque la Réforme s’introduisit à Berne en 1522, Anshelm se déclara ouvertement pour elle. On l’appelait blasphémateur, ennemi de l’Église. La femme de Valérius était aussi zélée que lui pour la cause de l’Évangile. Dans un séjour qu’elle fit aux eaux de Baden, Valéria ne craignit point de discuter à table d’hôte avec un prêtre dont les opinions étaient fort exagérées. Il assurait entre autres choses « qu’il ne pouvait y avoir de salut que par Marie la Vierge bienheureuse, seule dispensatrice de toutes grâces, la reine du ciel ; que c’était à elle que l’on devait élever les temples et les autels ; que tout genou devait se plier devant elle ; que c’était en son honneur que les prêtres gardaient le célibat, etc… » A l’ouïe de telles erreurs, Madame Anshelm se leva : « Tout cela, s’écria-t-elle, est difficile à prouver, car nous n’en trouvons pas un seul mot dans la Parole de Dieu. Marie, la mère du Sauveur, fut une femme comme une autre, et, bien loin d’être dispensatrice de la grâce, elle eut besoin de la grâce du Fils. Son Fils seul peut sauver ; en lui seul est le salut, comme nous le dit la Parole de Dieu. Marie, il est vrai, fut un modèle de pureté, de foi et d’humilité, une vraie servante du Seigneur ; mais l’adorer comme une sainte, c’est un acte antibiblique. Si vous lui accordez un tel honneur comme à la mère de Dieu, quel honneur rendrez-vous à sa grand’mère, continue Valéria ? En remontant ainsi en ligne directe, vous arriverez à Adam, duquel il est écrit : Il fut de Dieu. L’Évangile de Jésus-Christ annonce ce Dieu inconnu manifesté en Christ, je ne connais point d’Évangile de la Vierge Marie. Ce qui prouve que le mariage du prêtre est saint entre tous, c’est que précisément Marie descend d’une famille de sacrificateurs. D’ailleurs ne voyons-nous pas Zacharie marié, et bien d’autres encore ?… »

Le prêtre s’éloigna, tout en colère et ne respirant plus que la vengeance.

Tout à coup le bruit se répandit à Berne que le docteur Anshelm était un hérétique, et que sa femme semblait encore plus enragée que lui, qu’elle avait blasphémé contre la Vierge Marie ! — Comment ! s’écriait-on, une femme parle ainsi et en public encore ? On la forcerait bien à se rétracter ! Un tel péché méritait le carcan et la mort !! — D’autres, plus modérés, disaient entre eux : « C’est bien dommage que madame la docteuse se mêle de telles choses, car c’est une belle femme ; mais certes elle mérite le bannissement, car il faut être insensée pour se comporter de cette manière. » — Les amis d’Anshelm obtinrent à grand’peine qu’il en fût quitte pour une amende de 20 livres. On condamna sa femme à faire amende honorable devant l’évêque de Lausanne ; elle s’y refusa.

Mais le parti prêtre ne se contentait pas de si peu ; il fit tant, que le docteur fut privé de la moitié de ses revenus. Le séjour de Berne lui devint insupportable. « Le diable vous guette à tous les coins, disait Anshelm, ses espions ont tout pouvoir, le dévouement ne rencontre que de l’ingratitude ; la superstition trouve de vaillants défenseurs dans une ville où pas un honnête homme ne se lève pour briser la tête du serpent. Les bons esprits semblent avoir disparu ou être devenus muets ! » — Triste et découragé, il vendit sa maison et sa bourgeoisie et partit avec sa famille pour aller vivre à Rothweil. Ses malades et ses amis étaient au désespoir. Mais plus tard, lorsque la lumière de l’Évangile pénétra dans la ville de Berne, Anshelm fut rappelé. Il revint avec bonheur et le cœur plein de pardon pour ses ennemis. Sa femme resta ce qu’elle avait toujours été, la consolation des âmes souffrantes. L’aide et l’affection d’une telle femme furent doublement précieuses à Valérius Anshelm, car, devenu membre du Petit Conseil de Berne, il put dès lors d’autant mieux agir dans l’intérêt spirituel et corporel de ses concitoyens.

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