Quelques femmes de la Réforme

Catherine Mélanchthon

1497-1557

L’homme délicat, humble et modeste, accablé de préoccupations graves, réclamé de l’Allemagne entière, enseveli jour et nuit au milieu de ses livres et de ses parchemins, le savant selon Dieu, dévoué à la cause de l’Évangile et s’oubliant lui-même pour les autres, Mélanchthon devait sentir le besoin d’une compagne capable de réjouir le foyer domestique par un esprit sympathique, par la douceur et par une active piété.

Philippe Mélanchthon (Schwarzerde, terre noire) était parti de Tubingue au mois d’août 1518 pour Wittemberg, où l’électeur venait de lui donner la chaire de grec. Après avoir passé par Augsbourg, Nordlingen, Nuremberg, Leipzig, il atteignit heureusement Wittemberg, où le 29 août il débutait par un discours si remarquable, que Luther en conçut le meilleur augure pour l’avenir du professeur, à peine âgé de vingt ans. Mais il craignait à bon droit que ce corps frêle et délicat ne pût résister longtemps aux fatigues d’un travail consciencieux, aux rigueurs du climat de Wittemberg, et aux privations nécessitées par des appointements qui suffisaient à peine à sa dépense. Le 9 février 1520, Luther écrivait à Spalatin qu’il désirait ardemment que Mélanchthon se mariât, parce qu’il ne prenait nul souci de son corps ni de ses affaires, mais qu’il ne semblait guère disposé à chercher une femme. En réponse à cette lettre, Spalatin indiqua une jeune personne qui devait répondre aux vœux du réformateur, mais Luther n’osa pas la proposer à Mélanchthon. Ses sollicitations cependant ne restèrent pas sans effet, puisque, le 15 août 1520, Philippe écrivait : « On me marie à Catherine Crapp, fille du bourgmestre Crapp, de Wittembarg ; je n’ose dire combien cela m’étonne et combien je me sens froid ; cependant la jeune fille est précisément comme je l’aurais désirée. J’obéis en cela aux vœux de mes amis… Elle est digne d’un meilleur mari, mais que la volonté de Dieu se fasse. Je me sacrifie pour l’amour de mes études, et pour mon agrément particulier… » Le bruit public accusa Luther d’avoir été l’instigateur de ce mariage. Il ne s’en inquiéta guère, puisqu’il l’avait fait dans l’intérêt de l’Évangile. 1l espérait qu’une fois marié, Philippe prendrait soin de sa santé. Le jour de la célébration du mariage fut fixé au 6 novembre. Mélanchthon essayait de le retarder ; mais, comme il l’écrit lui-même à Spalatin, « Mes amis pensant autrement, je me suis soumis à leur décision. » — Ce jour, tant désiré par d’autres, était une véritable corvée pour le jeune professeur. Il lui fallait quitter ses livres, ses études et tout cela pour se marier ! Quelle épreuve ! Les hommes les plus distingués et la famille de Luther assistèrent à la cérémonie.

Les appréhensions que pouvaient faire naître de tels commencements ne se réalisèrent pas. Epoux tendre et dévoué, Mélanchthon se montra bientôt le plus fidèle défenseur du lien conjugal. Il trouvait dans sa Catherine tant de pureté, de fidélité, une foi si vivante, une charité si active, que leur union fut réellement bénie. Ils passèrent bien souvent dans le creuset de l’épreuve, mais ces communes afflictions ne firent que fortifier leur affection mutuelle. Catherine eut quatre enfants : Anna, Philippe, George et Madeleine.

Anna, la fille aînée, vint au monde en 1524. Gracieuse et bonne, elle fut l’enfant préférée de Mélanchthon. Un jour elle trouva son père fondant en larmes ; fort jeune alors, elle prit le coin de son tablier et fit tous ses efforts pour essuyer les yeux de son père. « Cette preuve de sympathie, écrivit-il à Camérarius, me pénétra jusqu’au fond du cœur. »

Qui mieux que la femme de Mélanchthon pouvait partager avec lui des jouissances aussi pures ? Sur qui aurait-il pu s’appuyer avec plus de confiance que sur cette épouse énergique, infatigable, toujours prête à s’oublier elle-même ? Camérarius nous la dépeint « comme une femme très pieuse et sincèrement attachée à son mari, accomplissant fidèlement ses devoirs domestiques, de mœurs irréprochables, s’inquiétant des besoins des autres et sachant discerner le nécessaire du superflu. » Privée de biens terrestres, elle avait apporté à son mari une dot inaliénable, la piété et le contentement d’esprit.

Le désir de se rendre utile, bien plus que l’ambition d’augmenter ses revenus, décida Mélanchthon à donner des leçons privées. Les temps étaient difficiles, et le paiement de sa pension s’effectuait très irrégulièrement : ses ressources étaient souvent épuisées et cependant il refusa une pension de 200 florins qu’on lui offrait. Mélanchthon avait horreur de toute spéculation sur ses écrits. Ne pouvant espérer de laisser aucune fortune à ses enfants, il s’estimait heureux encore de leur léguer les fruits d’une bonne éducation.

Loin d’influencer son mari pour qu’il fît de sa gloire et de sa science une source de richesses, loin de se plaindre d’une vie de privations ou de le gronder pour ses aumônes et son hospitalité, Catherine supporta en silence bien des choses qui paraîtraient de véritables épreuves à une femme de nos jours. Elle avouait en riant qu’elle n’avait pu se faire une seule robe pendant les quatre premières années de son mariage.

Un des grands plaisirs de Catherine était parfois de surprendre son mari par quelque plat ordinairement réservé pour les jours de fête. Pendant son séjour à Tubingue, Mélanchthon s’était habitué à la plus grande frugalité ; bien souvent il avait échangé sa viande et son légume contre la soupe de son voisin. Mais à Wittemberg cette simplicité ne fut plus aussi facile, et Mélanchthon s’en plaignait amèrement. Aussi Catherine ne faisait exception à la règle établie, que lorsqu’elle le croyait nécessaire pour réconforter le professeur accablé de soucis. Elle savait mieux que personne que celui qui ne veut pas économiser dans les petites choses ne peut le faire dans les grandes. Donner et partager avec les autres était son bonheur ; en cela comme en beaucoup d’autres points, elle ne faisait qu’un cœur et qu’une âme avec l’ami de Luther.

Comme Mélanchthon, Catherine était faible de tempérament. Elle souffrait de douleurs au foie et d’accès de fièvre souvent répétés. La santé de Mélanchthon et ses travaux exigeaient une rigoureuse régularité dans les habitudes de la maison ; il se levait à 3 heures du matin, travaillait et donnait des cours jusqu’au moment du souper. Il tenait beaucoup à ce que le dîner fût toujours servi à la même heure. Avant et après le repas, Mélanchthon faisait une prière en famille. Il se couchait habituellement à 9 heures, ne faisait qu’un ou deux repas par jour et se contentait des mets les plus simples. Catherine s’accommoda complètement à ses goûts. L’un et l’autre retirèrent de véritables bénédictions de cette discipline domestique. Le plus grand bienfait de la réformation fut précisément de mettre le livre de Dieu à la portée de toutes les consiences, de le placer entre les mains de l’épouse, de la mère, de la jeune fille, afin que chacune pût puiser à la source de toute sagesse et de toute consolation.

En janvier 1525, lors de la naissance de Philippe, Catherine courut un grand danger. Elle était occupée à l’office, lorsque, glissant tout à coup, elle tomba tout de son long sur le plancher. Une conséquence de cette chute fut la naissance prématurée de son second enfant, dont la complexion débile donna longtemps de sérieuses inquiétudes à ses parents. Les soins et la tendresse maternelle ne furent pas sans effets ; Dieu raffermit la santé de Philippe, qui atteignit l’âge de 80 ans. Converti à l’Évangile, il mourut en s’écriant, comme St. Paul : « Mon désir tend à déloger pour être auprès de Christ. »

L’effroi, le chagrin et les veilles avaient détruit les forces de Mélanchthon. Catherine avait donc à soigner son enfant et son mari malade. Angoissée, faible elle-même, obligée de fuir à Jena la peste qui venait de faire invasion à Wittemberg, elle était à une école de patience. La mort du petit George, âgé de neuf mois, fut un coup également douloureux pour les deux époux ; aussi Mélanchthon passa cette année-là dans l’abattement et dans les larmes. Les soucis pour l’Église, ses épreuves domestiques l’accablaient à un tel point, que la tendresse de ses amis et de sa femme suffisait à peine à le soutenir. Pendant qu’il était occupé à son Apologie de la confession d’Augsbourg, Catherine lui donna une seconde fille, le 10 juillet 1831. Avec la naissance de cette enfant commença pour le ménage de Mélanchthon une courte période de paix et de bien-être. Dans le courant de l’année 1535, l’électeur Jean-Frédéric leur écrivait que, vu l’augmentation de la famille, il voulait faire agrandir leur maison, ainsi que les dépendances ; à cette époque aussi le roi d’Angleterre leur envoyait un présent de 200 ducats. Les honneurs pleuvaient sur Mélanchthon : on le chargeait de missions de la plus grande importance, en Angleterre, en France, etc. Catherine le suivit à Jena avec ses enfants lors de ses conférences avec les ambassadeurs de François Ier et d’Henri VIII, puis toute la famille revint à Wittemberg en 1536, pour s’y fixer définitivement. Les travaux multipliés de Mélanchthon, ses voyages incessants, ses vains efforts pour rétablir la paix entre les différents partis religieux qui divisaient l’Église, étaient tout autant de sujets d’agitations suffisants pour apporter le trouble sous son toit. Ces tribulations touchaient de trop près au bonheur domestique et aux principes religieux de Catherine pour que sa part de souffrances n’en fût encore augmentée. La vie des femmes de nos réformateurs n’était rien moins qu’une vie de cabinet et de repos. Il leur fallait lutter avec eux, souffrir avec eux, prier avec eux.

Une épreuve douloureuse surprit alors Catherine. Sa fille Anna, à peine âgée de seize ans, s’était mariée, avec le consentement de ses parents, à un étudiant de Wittemberg, nommé George Sabinus. Mélanchthon s’était vivement attaché à ce jeune homme, dans lequel il avait reconnu d’heureuses dispositions et surtout un grand talent pour la poésie. Mais Sabinus montra bientôt son caractère vain, égoïste, ambitieux, qui fit craindre pour le bonheur d’Anna. Il avait été appelé, en 1558, comme professeur de belles-lettres, à l’université de Francfort sur l’Oder. Poursuivi par ses rêves de gloire, il commençait à trouver sa position trop modeste. Dur, impitoyable, emporté, il traitait sa jeune femme avec la dernière brutalité. Ce chagrin, ajouté au remords d’avoir donné, en quelque sorte, son approbation à l’union illégitime du landgrave de Hesse avec Marguerite de Saala, attaqua vivement la santé déjà si chancelante de Mélanchthon. Il tomba si gravement malade que sa femme put craindre pour sa vie. A peine fut-il rétabli et animé d’un nouveau courage pour ses travaux, qu’elle se rendit en toute hâte auprès de sa fille Anna pour, l’assister dans ses couches. Après quelque temps d’absence, tranquille sur la santé de cette enfant bien-aimée, elle revint chez elle, où elle trouva son mari malade de nouveau, et accablé par la mort de sa sœur et de sa belle-sœur. Le calme revint, mais à peine était-il entré sous ce toit qu’un nouvel orage vint y éclater. Philippe, le second des enfants de Mélanchthon, s’était fiancé sans le consentement de ses parents, à Marguerite Kuffner de Leipzig. Catherine fit de vains efforts pour faire rompre cet engagement, et tandis que ce nouveau chagrin venait ajouter à tant d’autres soucis, l’ambitieux Sabinus obtenait la place de recteur à l’université de Koenigsberg, fondée par le duc Albert de Prusse en 1544. Cette nomination nourrissait ses espérances de gloire et lui facilitait les moyens d’éloigner sa femme du foyer paternel, où, dans ses chagrins, elle cherchait constamment un refuge. Anna souffrait de plus en plus d’une union si mal assortie ; elle se plaignait de la prodigalité de son mari, dont elle prétendait que les dettes portaient atteinte à sa propre réputation. Sabinus, de son côté, attribuait ses querelles domestiques à l’influence de Mélanchthon sur sa fille, et demandait le divorce. Anna et ses enfants étaient à Wittemberg lorsque Sabinus fut appelé à l’université de Koenigsberg : il leur écrivit aussitôt de venir le rejoindre. Sur les instances de Catherine, une des petites filles lui fut laissée.

a – Situation de bigamie que Luther avait cautionnée, et Mélanchthon aussi, s’il faut en croire ce récit. (ThéoTEX)

Mélanchthon fut alors si malade qu’on le fit passer pour mort. Camérarius accourut en toute hâte et trouva son ami déjà convalescent. Quatre mois plus tard, la peste éclatait à Wittemberg : la crainte du fléau et quelque orage survenu entre Philippe et Luther firent prendre au premier la décision de partir. Toutefois il n’en fit rien. La terrible année 1546 arriva. Le concile de Trente, la mort de Luther, la guerre de Smalkalde, tous les coups les plus terribles étaient frappés à la fois. Nommé tuteur des enfants de Luther, Mélanchthon se vit obligé de fuir avec femme et enfants, d’abord à Zerbst, ensuite à Magdebourg. Le 29 décembre, Catherine parvint à rentrer dans Wittemberg délivré ; au mois de janvier, son mari fit une courte apparition auprès d’elle et repartit pour errer de lieux en lieux. Privée de la présence de Mélanchthon, Catherine fut bientôt obligée de veiller au chevet de sa petite-fille malade, et, peu de jours après, elle reçut la nouvelle que sa fille Anna s’était endormie au Seigneur. Mélanchthon était à Zerbst, Catherine à Wittemberg. L’un et l’autre se sentaient brisés. A la requête de son beau-père, Sabinus consentit à lui confier ses enfants, qui devaient être la consolation de ses vieux jours.

La santé de Catherine était violemment ébranlée : les symptômes les plus alarmants se manifestèrent bientôt, et les secours de l’art semblaient impuissants pour apaiser des douleurs qui arrachaient des cris à la malade.

Tout était à feu et à sang en Allemagne, et la funeste bataille de Muhlberg venait de porter un coup fatal à la cause des évangéliques.

Mélanchthon, contraint de fuir avec sa femme, toujours malade, avec la veuve et les enfants de Luther, partit pour Nordhausen. Trois mois après, Catherine, se sentant mieux, retourna à Wittemberg, mais elle n’y put séjourner que peu de temps et revint en toute hâte auprès de sa famille. Mélanchthon était resté à Wittemberg. Son gendre Sabinus vint l’y rejoindre avec ses enfants. La séparation des petits-fils et de la grand’mère fut douloureuse. Celle-ci retomba dangereusement malade ; son fils Philippe, et bientôt Mélanchthon, ainsi que Sabinus, accoururent auprès d’elle. Momentanément soulagée, Catherine put retourner à Wittemberg, au commencement de l’automne, mais son mari la quittait de nouveau au mois de février 1548. Le jugement porté sur l’Intérim d’Augsbourg par le savant professeur avait irrité l’empereur Charles Quint, au point qu’il demandait qu’on lui livrât Mélanchthon. Celui-ci, par prudence, s’était enfui dans le monastère de Celle. C’est de là qu’il écrivait à Camérarius : « Aussi longtemps que je vivrai, j’agirai comme j’ai agi ; j’ai cette consolation que ce qui est de Dieu ne périra point. Si nos opinions ne sont pas selon Dieu, je ne voudrais pas qu’elles passassent à la postérité. »

Mais il ne resta pas longtemps dans ce monastère et il put enfin jouir de la vie de famille. Le ciel semblait s’éclaircir au-dessus de son toit ; de joyeuses espérances lui aidaient à supporter les différentes crises auxquelles son pauvre corps était sujet, et la santé de Catherine n’inspirait plus aucune inquiétude. Elle faisait alors les préparatifs nécessaires pour le mariage de sa fille Madeleine avec le docteur Gaspard Peucer. Ce mariage la comblait de joie. De plus, son fils Philippe allait s’unir avec une jeune veuve de bonne famille, car l’union projetée avec Marguerite Kuffner n’avait pas eu lieu, on ne sait pourquoi. Dans l’espace de deux mois, Catherine et son mari assistèrent au mariage de Philippe, à celui de Madeleine et enfin à celui de Sabinus, qui prit une femme fort agréée de Mélanchthon parce qu’il lui trouvait une grande ressemblance avec sa fille Anna. L’horizon s’obscurcit de nouveau. Le 18 juillet l552, la peste, qui venait d’éclater à Wittemberg, obligeait la famille à se réfugier à Torgau. Au mois de décembre de la même année, Catherine Luther mourut. Ce fut une perte douloureuse pour Catherine Mélanchthon. Il était naturel qu’un lien de sympathie unît ces deux femmes, qui avaient goûté les mêmes joies et souffert des mêmes souffrances.

Une épreuve était encore réservée à la famille de Mélanchthon, la mort de Jean Koch, leur domestique, qui remplit pendant l’espace de 34 ans les fonctions d’économe dans la maison.

Né à Heilbron en 1519, ce Souabe avait été recommandé à Mélanchthon par Jérôme Baumgartner de Nuremberg. Il avait élevé et instruit les enfants : son rôle était absolument celui du bon Eliézer dans la famille d’Abraham. Lorsque Jean mourut, son maître lui rendit ce témoignage : « Il a glorifié Dieu par une vraie piété et s’est montré juste, véridique et serviable envers les hommes. Il était chaste et ami de la chasteté. Il consacrait chaque matin un moment à la lecture de l’Écriture sainte et à la prière, puis à l’éducation et à l’instruction de mes fils et filles en bas âge ; il vaquait ensuite au service de la maison. Il nous a toujours accompagnés dans l’exil, pendant la guerre et la peste ; il a été témoin de ma vie, de mes travaux et de mes chagrins. » (Vie de Mélanchthon par Ledderhose, traduite par A. Meylan.)

Ce témoignage est aussi honorable pour le maître que pour le serviteur. Catherine souffrit tellement de cette perte qu’elle en prit une fièvre tierce ; la gravité du mal la retint au lit pendant plusieurs semaines. Son mari écrivait à l’un de ses amis, le 22 mai : « Ma femme maigrit de plus en plus : une seule chose adoucit mon chagrin, c’est que son âme est libre, calme, et qu’elle s’entretient par des psaumes et prie souvent. » La fièvre céda dans le courant de juillet, mais pour faire place à un commencement d’hydropisie.

Depuis le mariage de sa fille Madeleine et celui de Philippe, depuis la mort de son fidèle Jean, Catherine se sentait fort isolée. Aussi l’arrivée de ses deux petites-filles, que Sabinus amena pour rompre sa solitude, lui causa une grande joie. Dans une lettre à Camérarius, du printemps de 1557, Mélanchthon écrit : « Ma femme dit qu’elle préférerait quitter cette vie que d’avoir à lutter longtemps encore contre ses maladies incessantes ; la douleur et la compassion me saisissent à sa vue, mais j’ai au moins cette consolation de voir que son âme est paisible. Lorsqu’elle a recouru à la prière et à la Parole, elle s’exprime de telle façon qu’on peut être persuadé de sa connaissance du Fils de Dieu et de ses espérances pour l’éternité. »

Catherine survécut à cette crise. Dieu l’épargnait encore pour la mieux préparer aux joies du ciel. Douce et patiente, elle recourait toujours au livre des Psaumes : « Aide-moi mon Dieu ! tu m’as enseigné dès ma jeunesse et jusqu’ici j’ai annoncé tes merveilles : je le ferai jusqu’à la vieillesse la plus blanche, » s’écriait-elle sur son lit de douleur. — Et Dieu ne l’abandonna point lorsque ses amis, ses enfants se virent obligés de la quitter. Mélanchthon même était constamment appelé au dehors. Sur l’invitation de l’électeur Otton, il lui fallut se rendre à Heidelberg pour travailler avec Micyllus à la réorganisation de l’université. Depuis son départ l’état de Catherine avait empiré. Aussitôt qu’elle vit sa fin prochaine, elle se fit donner la sainte-cène et pria Dieu de lui accorder la patience nécessaire.

La malade ne prononça plus un seul mot qui trahît l’impatience, et elle s’endormit si paisiblement dans les bras de son Sauveur, que les assistants s’en aperçurent à peine. Elle avait alors 60 ans. (11 octobre 1557.) La nouvelle de sa mort devait frapper Mélanchthon au cœur. Camérarius s’était chargé du terrible message. Mélanchthon resta calme d’abord ; il leva les yeux au ciel et s’écria : « Adieu ! je te suivrai dans peu de jours. » Mais, bientôt après, sa douleur éclata avec force. Il écrivit à son neveu Sigismond pour le prier de le remplacer en son absence ; dans cette lettre, il montre à cœur ouvert l’accablement dans lequel l’avait plongé la mort de sa compagne.

Avant de rentrer sous son toit désert, Mélanchthon avait encore à retourner à Worms. Il revint à Wittemberg le 6 décembre seulement, le cœur brisé, et plus que jamais impatient d’aller goûter le repos des enfants de Dieu. Trois ans après, le 18 avril 1560, ses vœux étaient exaucés.

Il avait 63 ans et 63 jours.

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