Quelques femmes de la Réforme

Perrette Curtet

1569

Elle était la femme d’un M. Chanorrier Des Mesrenges, qui, d’abord pasteur de l’église réformée à Berne, avait été appelé ensuite pas les chrétiens de Blois. Effrayés de l’approche du roi, en 1559, les protestants de Blois le supplièrent de s’éloigner. Dès lors pasteur à Orléans, il demeura à la tête des Huguenots de plus en plus puissants de cette ville, jusqu’en 1568. Les catholiques avaient alors acquis une prépondérance décidée, ils n’attendaient qu’une occasion de se venger des excès commis par les protestants sur les églises, les croix et les images. Chanorrier crut prudent de s’éloigner et se retira à Montargisb.

b – Voir la France protestante, deuxième partie, pag. 336.

Sa femme n’avait pu le suivre. Déguisée en paysanne et protégée par un certain Gonge, vigneron de Baule-les-Orléans, elle sortit de la ville pour échapper à la rage des ennemis. Gonge la mena loger au village de Mardye, chez un Julien Goron, dont la maison était écartée du village et près de la Loire. Se confiant trop à la droiture et aux bonnes intentions de Gonge, madame Chanorrier avait consenti à ne point se faire suivre de sa domestique. Gonge feignit d’aller chercher une voiture pour la conduire à Montargis et alla la dénoncer. Le sergent du lieu et un nommé Colin, « maître de l’Ecu du Pont aux moines, » et son beau-frère, vinrent pendant la soirée et s’emparèrent de la fugitive ; « sur ce, ils la despouillèrent en chemise, volèrent son argent et ses anneaux et la menèrent à la rivière. Estant sur le bord, ils lui dirent avec grands blasphèmes : Confesse-toi. La povre femme respondit : Je vous prie, puisqu’il faut que je meure, que me laissiez prier Dieu. Eux se moquant dirent : Prie donc, que nous oyons comme tu pries. Et faisant sa prière et se recommandant à Dieu, en langage français, l’un d’eux dit : Mort Dieu, ne veux-tu, dire autre chose ? Lors il dit aux autres : Jettons, jettons-la en la rivière, ce qu’ils firent, les uns la prenant par les bras, les autres par les pieds, et ainsi la précipitèrent en la rivière, puis jettèrent à force pièces de glace sur elle pour l’assommer et s’en allèrent. Mais, entendant que la povre femme s’estait jettée sur un gros glaçon pour se sauver, Gonge retourna et acheva de la tuer. »

Les détails de cette horrible scène furent connus plus tard par les révélations d’un des meurtriers, détenu dans les prisons de la duchesse de Ferrare.

Chanorrier Des Mesrenges se retira à Genève, où il fut nommé régent de l’hôpital en 1574.

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