Sermons inédits

— Ascension —
Le Ciel

Après cela, il fut élevé en leur présence, et une nuée le déroba à leurs yeux… Et voici, deux hommes vêtus de blanc leur apparurent et leur dirent : Hommes galiléens, pourquoi vous arrêtez-vous à regarder au ciel ?… Ce Jésus qui a été enlevé du milieu de vous dans le ciel, en reviendra de la même manière que vous l’avez vu y monter.

(Actes 1.9-12)

Je comprends ces apôtres du Christ, les yeux fixés sur la nuée qui leur dérobe déjà le Maître, et ne pouvant les en détacher. Ainsi, la mère cherche d’un regard ardent, jusqu’aux extrêmes limites de l’horizon, le vaisseau qui, emporte son fils vers des mers lointaines ; ainsi, pendant la période du siège, nous suivions d’un œil humide les aérostats qui s’élevaient lentement du sol et disparaissaient bientôt dans la brume glacée, chargés de fragiles messages pour nos chers absents. Tels les disciples sur la montagne des Oliviers. — Il part, celui qui était leur lumière, leur force et leur joie. Que vont-ils devenir sans lui ? Ils ne verront plus son visage ; ils n’entendront plus le doux son de sa voix : encore quelques instants, et la nuée se sera effacé dans l’espace infini. Mais le Fils de Dieu monte vers les pures régions du ciel : de là, leur consolation. Le triomphe de leur Maître, dans lequel ils entrevoient leur propre triomphe, finit par dominer leur tristesse et par la transformer en une muette extase, à laquelle deux anges viennent les arracher en les rappelant au sentiment d’eux-mêmes et de cette vie terrestre que, dans leur ineffable contemplation, ils semblent avoir oubliée.

I

Le ciel ! Que signifie ce mot, l’un des plus doux de la langue humaine ? Quelles impressions s’attachent pour les apôtres à cet azur limpide et profond où s’élance leur Maître ? Parmi les traits divers qui peuvent représenter, dans leur pensée comme dans la nôtre, le séjour où monte le Christ, il en est deux que je veux marquer : le repos et la gloire.

Le ciel, c’est d’abord le repos pour notre Sauveur. Qu’a été sa vie terrestre, si ce n’est une immense fatigue ? Habiter notre pauvre planète, revêtir notre chair mortelle, aux forces limitées et souvent défaillantes, livrer toutes ses journées à l’activité intense qu’impose une entière consécration à Dieu et aux hommes ; — lutter contre les oppositions ouvertes ou cachées de ses adversaires et contre les dispositions charnelles de ses disciples ; — porter dans une entière solitude morale le poids de la pensée la plus vaste, de l’œuvre la plus laborieuse qui fut jamais ; et, à mesure qu’il avance vers le terme, voir augmenter son fardeau de douleurs jusqu’à cette croix sous le faix de laquelle il a un moment plié, — n’est-ce pas avoir supporté toutes les lassitudes du corps et de l’âme ? Mais aujourd’hui, jour de l’Ascension, plus de combats à livrer, plus de croix à porter ! Le fardeau de Jésus tombe pour toujours. Le voilà revêtu d’un corps glorifié qui perd graduellement ses propriétés grossières ; le voilà élevé au-dessus de la lourde atmosphère de la vie terrestre ; le voilà dans les régions supérieures de la paix et du bonheur… Ah ! ne vous semble-t-il pas entendre les apôtres, quelle que soit la tristesse des derniers adieux, lui dire à l’envi : Pars, Maître glorieux, nous ne voulons pas te retenir après ta rude journée terrestre ; pars pour les bienheureuses demeures du ciel ; va te reposer de ton tragique labeur dans le sein de ce Père dont tu n’as consenti à te séparer que pour sauver nos âmes.

Le ciel est aussi la gloire pour Jésus-Christ. Si l’on peut appeler sa vie une fatigue incessante, on peut l’appeler aussi une insondable humiliation. Quel abaissement du Fils de Dieu dans cette abdication des attributs divins, dans cette acceptation volontaire de l’infime condition humaine ! Quel opprobre pour celui qui fut sans péché de voir Satan s’approcher de lui et lui faire des offres indignes ! Quel opprobre d’être appelé tantôt « un homme possédé du démon », tantôt « un ami des péagers et des gens de mauvaise vie » ! Quel opprobre d’avoir contre soi les savants et les ignorants, les puissants et le peuple, de se voir abandonné par ses disciples, renié par l’un, trahi par l’autre, arrêté comme un malfaiteur, insulté, conspué, condamné, mis en croix comme le plus vil des esclaves !… Quel opprobre surtout que la réalité intérieure de sa passion, que son identification avec les pécheurs ! Lui, juste, il consent à porter l’iniquité des coupables ; lui, saint, il accepte d’être comme submergé par les flots de cette malédiction divine que nos péchés avaient méritée… Mais aujourd’hui, jour de l’Ascension, plus d’abaissement, plus d’opprobre ! Elle est exaucée, cette prière du Fils : « Et maintenant, toi, Père, glorifie-moi auprès de toi-même de la gloire que j’avais auprès de toi avant que le monde fût fait. » (Jean 17.5). N’entendez-vous pas retentir là-haut l’hymne sublime de bienvenue par lequel les chérubins, les séraphins, les anges et les archanges saluent le retour du Fils dans sa demeure ? — Magnifique antithèse opposée aux insultes du Calvaire : « Portes, élevez vos linteaux : laissez entrer le Roi de gloire ! »

Le repos, la gloire, — n’est-ce pas aussi la double aspiration de nos âmes ? Quel rude labeur que celui de la vie, et comme elle se réalise, l’antique sentence : « Tu gagneras ton pain à la sueur de ton visage. » Le travail est sans doute une loi primitive et un joug salutaire, mais combien aggravés par la chute de notre race ! Depuis le mineur enfermé dans sa prison de houille, depuis l’enfant du pauvre s’étiolant dans nos manufactures, depuis l’homme d’affaires subissant la tyrannie du travail quotidien et les fiévreuses émotions des jours de crise, jusqu’à l’homme d’étude qui n’arrache quelques secrets à la nature, à l’histoire, à la science qu’au prix d’un effort de son cerveau plus douloureux que celui des bras du travailleur, combien l’homme se fatigue sur la terre ! Fatigue pour amasser des biens, fatigue pour les conserver ! Etreintes de la maladie, des souffrances morales, des chagrins du cœur, des séparations après lesquelles on ne traîne qu’une existence brisée ; — déception amère d’une œuvre avortée, impuissance à propager nos convictions, à façonner l’âme de ceux qui nous sont le plus chers… La vie, à elle seule, est une fatigue avec sa tâche journalière souvent au-dessus de nos forces, avec sa marche ininterrompue, ses soucis renaissants, ses préoccupations grandes ou misérables, — surtout la vie de notre siècle, la vie de nos grandes villes, particulièrement chargée, haletante, dévorante … Ah ! combien de fois nous avons dit : Quand pourrai-je me reposer ?… Je me souviens d’avoir vu à Delft, en Hollande, dans l’église où sont conservés les restes de Guillaume le Taciturne, un écusson du XVIe siècle représentant un navire battu par les flots avec cette devise : « Repos ailleurs. » — Oui, repos ailleurs, repos au ciel. Repos, mais non point inertie ! Car, dans ce monde supraterrestre, nous aurons des activités sans lassitude ; comme le papillon transmué, nous posséderons des ailes morales pour propager toutes les belles et saintes choses de la vie, avec des aspects nouveaux, imprévus et magnifiques ! — Un jour, mon frère ou ma sœur, vous avez déposé sur son lit funèbre le mort bien-aimé auquel vous veniez de fermer les yeux. Là, immobile, il était beau, d’une beauté venue de l’au-delà. Quelle paix respirait son visage ! Après les épreuves de la vie, après le combat de la mort qui avait torturé votre pauvre cœur, c’était comme une transfiguration… Alors vous lui avez dit comme les apôtres à leur Maître : Toi que j’ai tant aimé, non, je ne saurais te retenir : va te reposer, après ta rude journée terrestre, dans les demeures du Père où « l’Homme de la douleur » t’a préparé une place.

Nous aspirons aussi à la gloire. Monter est la noble ambition de la nature humaine. Eh bien, notre vie terrestre est presque toujours une humiliation. Esclavage du corps, limites de l’esprit contre lesquelles nous nous heurtons, disproportion entre notre idéal si beau et la réalité si misérable, entre ce que nous avons désiré et ce que nous possédons, mais surtout, servitude du péché, ce patrimoine humiliant de notre race dont nous avons tous une si large part ; constatation douloureuse du mal qui est en nous et dans les autres ; défauts des meilleurs, lacunes de la piété la plus solide, taches du vieil homme apparaissant sur la blanche robe de l’homme nouveau, — quand cesseront toutes nos misères ? Quand serons-nous faits semblables à notre Sauveur et verrons-nous briller sur nos fronts quelque chose de sa divine image ?… Telle est votre gloire, ô nos bien-aimés qui êtes déjà dans le ciel. Et si vous pouviez nous entretenir de la maison du Père, vous nous diriez que la joie des joies est pour vous d’avoir vu tomber, comme un vieux vêtement hors d’usage, toutes les souillures de la chair et de l’esprit, et se réaliser le vœu de Wesley mourant : « Un séjour où nous ne pécherons plus et où nous ne verrons plus pécher… »

C’est un beau jour, mes frères, que celui de l’Ascension, puisqu’il prophétise à tous les enfants de Dieu, au delà de toutes les souffrances et de toutes les humiliations de la vie, le repos et la gloire.

Tête d’une colonne immense, le Christ est déjà dans le ciel. Des milliers et des centaines de milliers de rachetés sont parvenus avec lui jusqu’à la radieuse lumière éternelle. Nous, nous sommes encore dans l’ombre des régions inférieures, dans l’imperfection, dans le combat, dans les larmes. Mais, si nous faisons partie de la colonne sacrée, nous montons, nous montons chaque jour, et bientôt nous serons réunis aux multitudes de l’Eglise triomphante. Convoqués aujourd’hui sur la colline de Béthanie, il faut que de toutes nos âmes, s’échappent les paroles naïves et ferventes de notre vieux cantique :

Suivons-le tous, animés d’un saint zèle,
N’arrêtons plus nos cœurs dans ces bas lieux.
Ce doux Sauveur lui-même nous appelle,
Et nos vrais biens sont cachés dans les cieux.

II

A ces élans d’une piété ardente, le monde sourit et s’étonne. Les esprits raisonnables nous accusent de sacrifier les choses d’ici-bas aux choses d’en haut, et les autres, les esprits dominés par les doctrines du jour, déclarent que ce sont là des chimères bonnes pour l’enfance des peuples, mais inutiles et même dangereuses à l’heure de leur virilité.

Notre texte répond à la première de ces objections, puisque des anges, au moment où les apôtres se perdent dans la contemplation du ciel, viennent les arracher à cette extase et les renvoyer à Jérusalem, c’est-à-dire au travail et à l’action. Non, le christianisme n’a pas provoqué une rupture entre l’homme du ciel et l’homme de la terre ; au contraire, il les a unis dans une synthèse supérieure où la foi au ciel devint l’inspiration la plus puissante des activités de la terre. Je n’ignore pas, cependant, qu’il fut des époques où les hommes pieux, égarés par les sublimes folies de l’ascétisme, cherchèrent à fuir la société humaine, pour vivre dans les déserts et à l’ombre des cloîtres. Toutefois, même alors, tant la puissance d’action de l’Evangile est incontestable, ces ascètes furent les savants et les civilisateurs de leur siècle. Pourrait-on oublier sans injustice tout ce que nous devons aux moines du moyen âge : le défrichement des terres, le soin des pauvres, la protection des faibles, et ces travaux de bénédictins, — le mot est resté — qui nous conservèrent, avant la découverte de l’imprimerie, dans des manuscrits admirables, les Saintes Ecritures et les chefs-d’œuvre de l’antiquité ? D’ailleurs, aujourd’hui, le christianisme a fait ses preuves comme agent de civilisation. Quand on a vu les nations les plus pénétrées de la sève de l’Evangile être aussi les plus puissantes et les plus ouvertes au progrès, quand on a vu les Eglises les plus ferventes se mettre à la tête des institutions les plus charitables ; quand on a vu les chrétiens de toutes les communions s’efforcer d’établir la justice ici-bas, avant de la voir, régner là-haut, prendre en main toutes les causes généreuses, être partout, eux, les hommes de la foi, les héros de l’action — un Oberlin, un Garfield, un Livingstone, un Montalembert, un Pasteur, un Jauréguiberry, et cet apôtre féminin, Mme Beecher Stove, dont le livre enflammé fut le coup de clairon de l’émancipation de quatre millions d’esclaves — alors, elle est tombée cette vieille objection que le christianisme nuit à la vie pratique, car elle a été glorieusement réfutée par les faits.

Mais il nous faut aussi répondre à ceux qui prétendent que l’humanité, sur le seuil du vingtième siècle, n’a plus besoin des chimères de l’autre vie. Ah ! je sais bien ce que j’ai à leur dire. Puisqu’il n’y a pas de ciel, vous avez donc le pouvoir de faire une terre qui soit un paradis ? Voulez-vous, je vous prie, nous montrer cette terre ? Avec toute votre science, ferez-vous pour tous un sol « qui distille le lait et le miel », qui soit à l’abri des accidents, des épidémies, des fléaux de toutes sortes ? Avec vos chartes et vos institutions, parviendrez-vous à établir l’égalité entre les hommes et à supprimer entièrement la pauvreté, ainsi que les vices qu’elle engendre ? Avec les progrès de cette civilisation dont vous êtes si fiers, trouverez-vous le secret de guérir les misères morales et les infirmités physiques, le plus souvent rançon douloureuse du péché ? N’y aura-t-il plus d’égoïsme, plus de jalousie, plus de haine d’homme à homme, plus de guerres de classe à classe et de peuple à peuple ? Réussirez-vous à effacer du vocabulaire humain les noms d’orphelins et de veuves, à bannir de notre planète cet hôte funèbre — inexorable à tous — qui s’y promène depuis six mille ans ? Supprimerez-vous la mort ? Eh bien, si vous ne le pouvez, respectez donc la loi providentielle qui nous assigne la terre comme préparation, le ciel comme but, la terre comme demeure d’un jour, le ciel comme patrie éternelle. Que penseriez-vous des insensés qui prétendraient voiler le dôme d’azur dont notre monde est couronné et le radieux soleil qui l’illumine ? Plus insensés, plus criminels, ceux qui voudraient ravir à l’humanité la divine poésie, ou plutôt, la divine réalité de l’au-delà, sans laquelle la vie ne serait qu’un non-sens, une cruelle ironie et comme un défi jeté à nos misères… Oh ! par pitié, que personne ne commette cette forfaiture !… Et toi, peuple des pauvres et des petits, défends ton patrimoine : repousse les sophismes de ceux qui cherchent à t’arracher, lambeau après lambeau, l’antique foi de tes pères. Sans Dieu, sans espérance, ni du côté de la terre, ni du côté du ciel, où trouveras-tu la force de souffrir et de vivre ? Ah ! je comprends parfois que, du sein de ton désespoir, tu échappes à ta destinée par la porte de sortie du suicide, — cette fatale issue des époques de décadence et d’amer scepticisme… Et pourtant, ce ne peut être là qu’une épidémie passagère. Toujours l’âme humaine proteste contre l’obsession du néant. A l’étroit dans sa prison, elle rêve de l’avenir et veut en soulever le voile. L’homme fait à l’image de Dieu est le seul être de la création qui ne se sente pas chez lui ici-bas et qui ait la nostalgie de la maison paternelle. Aussi, malgré les sophismes qui le troublent, il retournera aux vieilles croyances de l’au-delà, dût-il y revenir par le chemin de la superstition. Ainsi s’explique l’étrange fortune des sciences occultes, du spiritisme, et de toutes les chiromancies de bas étage ! Mais il est une issue meilleure à ces aspirations : c’est l’Evangile éternel avec ses belles certitudes. J’ai vu, parfois, au cimetière, l’incrédule s’attendrir et pleurer lorsque, jetant la première pelletée de cette terre qui va recouvrir pour toujours le cercueil de son enfant, j’ai prononcé, selon l’usage de notre Eglise, cette antique parole biblique : « Le corps retourne dans la poudre d’où il a été tiré ; mais l’esprit retourne à Dieu qui l’a donné. O mort, où est ton aiguillon, ô sépulcre, où est ta victoire ? » Cette larme n’était-elle pas une sorte de protestation muette contre l’idée du néant ? Et nos enfants des écoles du dimanche, quels sont les cantiques qui font éclater la joie sur leurs visages ? N’est-ce pas ceux qui glorifient les beautés de la Sion éternelle ? Et les ouvriers des réunions populaires fondées par un apôtre moderne, M. Mac-All ? Tous les éducateurs de ces humbles ne vous diront-ils pas que les récits qui les subjuguent et les hymnes qui les enflamment sont ceux qui les entretiennent de la patrie retrouvée ? Allez les surprendre, dans leurs réunions du soir, ces hommes au teint basané, aux mains noircies, par le travail, assis à côté de leurs femmes et de leurs enfants. Quand ils se lèveront pour chanter, de leurs voix mâles et incultes, les cantiques qui résument leurs aspirations et leurs royales espérances : « De Canaan quand verrons-nous les célestes rivages ? » ou encore : « Les chants après les larmes, le trône après la croix ! » vous vous sentirez tressaillir d’émotion ; et, à ces vibrations de l’âme populaire, vous resterez convaincus qu’il y a, dans tous les cœurs naïfs ou désolés, le rêve de l’infini, une sollicitation passionnée de l’au-delà et comme une ardente prophétie du ciel…

III

Nous sommes de ceux qui croient au ciel, et c’est bien là que se réfugient nos plus chères espérances. Mais avons-nous pensé que le ciel ne saurait être une sorte de rendez-vous banal où tous les hommes sont admis après l’existence terrestre, quel que soit leur état intérieur ? La vie éternelle, dit Jésus dans sa Parole, c’est de te connaître, toi, seul vrai Dieu, et Celui que tu as envoyé (Jean 17.3). Eh bien, connaissons-nous le Dieu de Jésus-Christ de cette connaissance qui est une vie ? Pouvons-nous dire que nous vivons par Lui et pour Lui ? Si la nouvelle créature est encore bien faible au dedans de nous, du moins est-elle née et aspire-t-elle à grandir ? A supposer que nous fussions appelés à mourir dans quelques instants, pourrions-nous nous dire citoyens du ciel et prêts à partir pour notre patrie ? Car enfin, il faut qu’il y ait des affinités entre un pays et ses habitants. Cela est si vrai, que, dans la sphère humaine, la loi de l’adaptation des milieux ne fut jamais plus affirmée qu’à notre époque. Que serait le ciel, avec ses nobles pensées, ses activités généreuses, ses joies toutes pénétrées de sainteté, pour l’égoïste ou l’impur qui se serait plongé dans toutes les satisfactions de la chair ? Je me souviens d’avoir lu, à ce sujet, un récit d’une haute portée morale, malgré sa naïve simplicité. C’était le rêve d’une jeune fille. Transportée dans l’éternité avec un cœur attaché à une vie mondaine, elle ne s’y sentait pas à sa place. Il y avait là un Fils de Dieu, d’une douceur, d’une beauté morale saisissante, qu’elle ne connaissait pas et que tous adoraient : le bonheur, c’était Lui et son ineffable présence ! Tout était étranger à la jeune fille dans cette terre nouvelle ; le paysage, les harmonies mystiques, les habitants, et jusqu’à la langue qu’ils parlaient entre eux… Son malaise augmentait de minute en minute, en sorte qu’elle eût voulu s’enfuir de ce lieu, béni pour tous, maudit pour elle… Allégorie pleine de profondeur ! Tel serait le ciel pour les cœurs irrégénérés qui n’y apporteraient que les convoitises d’ici-bas, ou qui seraient dévorés par des passions charnelles. Alors le ciel ne serait pas le ciel ; il leur apparaîtrait comme un lieu d’exil, comme une bastille détestée…

Je l’avoue, cette pensée me trouble singulièrement aujourd’hui. Je crains que l’Eglise contemporaine, s’endormant dans un commode repos, ne cherche à s’épargner les renoncements de la vie chrétienne, sous prétexte de salut gratuit et de pardon acquis par le sacrifice de notre Rédempteur, comme s’il était possible de séparer le salut de la pratique de la sainteté ! Et je crains que, par cela même, l’Eglise de nos, jours ne se rende impuissante à propager la foi en la vie éternelle. Donnez-moi des exemplaires authentiques de Jésus-Christ, et je vous donnerai des croyants au ciel ! Mais sans des vies austères, détachées des biens terrestres, entièrement consacrées à Dieu et aux hommes, vous ne convaincrez personne… Quand les pauvres verront les riches, qui se disent chrétiens, prendre si peu le souci de leur pauvreté et les humilier de leur morgue ; quand ils verront ces élus de la fortune, peu scrupuleux dans leurs façons de s’enrichir, pactiser avec toutes les cupidités de notre époque et faire de leur argent la seule idole encensée ; quand ils les verront étaler leur luxe, s’accorder toutes les jouissances terrestres et s’établir fastueusement, non dans des tentes d’un jour comme des « étrangers et des voyageurs », mais dans des palais de marbre et d’or, comme si « toute leur portion était ici-bas », alors, je vous le dis, les pauvres ne pourront prendre au sérieux ceux qui parlent avec tant de componction du ciel et qui s’accommodent si bien de la terre ! Le ciel de certains riches, ils n’en voudront pas… O vous qui avez reçu une part considérable dans l’héritage du Père de famille, soyez accablés par vos responsabilités, et prenez en ce jour des résolutions viriles !… Au reste, cet avertissement du Maître, d’une psychologie si profonde, nous concerne tous : « Où est votre trésor, là sera votre cœur. » Où est notre trésor ? Question solennelle que je pose devant toutes vos consciences, à commencer par la mienne ! — Si des anges descendaient au milieu de nous, comme au temps des apôtres, croyez-vous qu’ils nous diraient, ainsi qu’à ces humbles Galiléens : Hommes du vingtième siècle, pourquoi regardez-vous au ciel ? Ne châtieraient-ils pas nos infidélités et nos hypocrisies en nous adressant ce sanglant reproche : Théoriciens du ciel, pourquoi, dans la pratique, passez-vous, les yeux fixés à terre, comme un vil troupeau ?

Qu’il nous soit donné, en ce beau jour de l’Ascension, de « jeter notre ancre au delà du voile, selon l’expression hardie de saint Paul. Alors, le passage sombre franchi, le voile déchiré, nous aborderons aux rivages bénis de la patrie éternelle. O joie, ô gloire ! Nous vous verrons, vous, nos bien-aimés, vers lesquels montent en ce moment nos regrets, nos soupirs, mais aussi, nos espérances ! O mon Dieu, une place à côté d’eux, fût-elle la dernière !… Nous vous verrons aussi, Jérusalem céleste aux milliers d’anges, peuple des prophètes, des martyrs, des rachetés, vaillantes cohortes qui livrâtes, à travers les siècles, toutes les nobles batailles de la vérité, et qui fûtes victorieuses par votre Maître et pour votre Maître ! Au-dessus de tous, nous te verrons, ô mon Sauveur, ô Jésus, homme de la douleur et Roi de gloire, toi que l’Ecriture appelle l’Etoile brillante du matin, l’Agneau immolé avant la fondation du monde, l’Alpha et l’Oméga, le premier et le dernier, le commencement et la fin… Et, en te contemplant, nous serons faits à ton image. Et tu seras le ciel de notre ciel… O la belle, ô la divine certitude !

Viens, Seigneur Jésus ! :

Amen.

J’entendis une grande voix qui disait : Voici le tabernacle de Dieu au milieu des hommes. Il habitera avec eux et ils seront son peuple, et Dieu lui-même sera leur Dieu, et il sera avec eux. Il essuiera toute larme de leurs yeux ; il n’y aura plus ni deuil, ni cri, ni labeur, car les premières choses auront disparu. A celui qui a soif, je donnerai gratuitement de la source d’eau vive. Celui qui vaincra possédera toute chose ; je serai son Dieu et il sera mon fils. Le trône de Dieu et de l’Agneau sera dans la cité sainte ; les serviteurs de Dieu le serviront ; ils verront sa face ; son nom sera sur leurs fronts. La nuit ne sera plus, et ils n’auront besoin, ni de lampe, ni de lumière, parce que le Seigneur Dieu les illuminera. Ils régneront aux siècles des siècles. (Apocalypse 21.2-7 et 22.3-5)

Les rachetés de l’Eternel iront à Sion avec des chants de triomphe, et une joie éternelle couronnera leur tête ; l’allégresse et la joie s’approcheront ; la douleur et les gémissements s’enfuiront. (Esaïe 51.11)

Ceux qui semaient avec larmes moissonneront avec chants d’allégresse ; celui qui marchait en pleurant, quand il portait la semence, reviendra avec un cri de joie en portant ses gerbes. (Psaumes 126.5-6).

Ceux qui auront été intelligents brilleront comme la splendeur du ciel, et ceux qui auront enseigné la justice à la multitude brilleront comme les étoiles à toujours et à perpétuité. (Daniel 12.3).

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