Histoire de la restauration du protestantisme en France

IV
Les assemblées au Désert
(1715-1723)

Antoine Court organise les assemblées du Désert. — Ses vues et son but. — Les Anciens sont chargés du soin de convoquer les assemblées. — Le départ ; longueur du trajet. — Fatigues et souffrances. — Intempéries. — Contre-temps. — Sentinelles et paniques. — Le culte. — Le sermon ; dans les commencements, les prédicants récitent les sermons de pasteurs célèbres. — La sainte Cène ; sévérité des prédicants pour y admettre les fidèles ; — Dangers des assemblées ; les espions, les faux frères, les soldats. — Défenses formelles du Roi. — Surprises d’assemblées. — Les châtiments. — Courage inébranlable des religionnaires. — Attaques dirigées par les protestants de l’étranger contre les assemblées ; leur argumentation. — Troubles dans le Poitou (1719). — Emoi qu’ils excitent en Suisse et en Hollande. — Lettre de Basnage et de Pictet ; réponse d’Antoine Court. — Nouvelles attaques ; nouvelles lettres de Pictet et de Vial ; réponse d’Antoine Court. — Les attaques continuent pendant le dix-huitième siècle. — Leur injustice et leur peu de fondement. — Elles n’arrêtent pas l’élan général. — Succès croissant des assemblées. — Joie qu’en éprouve Antoine Court.

Dans un espace de temps relativement court, et autant qu’il était possible, le protestantisme avait été « réveillé » et l’ancien ordre de choses rétabli. C’était un grand résultat. Mais que voulait-on ? Conquérir la liberté de conscience. Il fallait donc montrer à la cour qu’il restait, en dépit de l’ordonnance de 1715, des protestants en France, et que ces protestants étaient fermement décidés, dussent-ils payer leur résolution de leur vie, à revendiquer jusqu’à leur dernier souffle les droits primordiaux qu’on leur avait ravis.

C’est ce qui explique les efforts et la persévérance d’Antoine Court pour organiser régulièrement les assemblées au Déserta. Il y voyait un moyen, non d’intimidation, mais en quelque sorte de parade. « Le but de ces assemblées, dit-il quelque part, était, ainsi que je l’ai rapporté, de faire connaître aux Puissances que le nombre des protestants était plus considérable qu’on le pensait, et d’obtenir par ce moyen, s’il était possible, quelque tolérance en leur faveur (N° 46, cah. II). » Les protestants montraient par là en effet qu’ils n’étaient point une poignée d’hommes, mais presqu’un peuple ; ils montraient en même temps de quels sentiments ils étaient désormais animés, leur amour pour le roi et leur éloignement pour les luttes civiles.

a – V. sur ce même sujet, tome II, chap. vi, p. 158. — Il n’est pas sans une certaine importance, pour voir les choses sous leur vrai jour de préciser les dates et de distinguer les époques.

Il fallait toutefois que ce résultat s’obtînt sans trop de souffrances. Le moyen proposé était très périlleux, car les édits étaient inexorables. On devait donc user de prudence, si l’on ne voulait point s’exposer à des dangers trop certains.

C’est aux Anciens que revenait la charge de convoquer les assemblées. Le matin, ou dans la journée, un homme passait. Il trouvait un frère, lui annonçait qu’un prêche devait avoir lieu, à telle heure et en tel lieu, puis disparaissait. Cependant, portes closes, à l’oreille, on se communiquait la bonne nouvelle. Les préparatifs se faisaient. Peu de chose, puisqu’on partait sans armes. Mais encore fallait-il tromper par de faux avis les voisins, calmer les inquiétudes des vieillards, exhumer de la cachette un feuillet des Écritures ou des psaumes ; tout cela demandait des soins. Enfin la nuit venait. Alors mille craintes. Quelque espion ou quelque faux frère n’avait-il pas appris la convocation de l’assemblée ? Le gouverneur n’était-il pas informé ? Les troupes n’étaient-elles pas sur pied ? Mais la foi triomphait de la crainte, et, vers dix heures, on partait de la ville ou du village, non par bande, — cela eût pu donner des soupçons, — mais séparément, sauf à se réunir plus loin, en quelque endroit isolé. On se rencontrait, on parlait des premiers dangers surmontés, et, pleine d’espérance, la petite troupe composée de cinq à dix personnes se dirigeait vers le lieu convenu.

La course était longue : une lieue, deux lieues. Les femmes étaient harassées et les enfants avaient peine à arriver. Chose grave ! car les abandonner en route ou les renvoyer à la maison, c’était les exposer à être surpris par les troupes, les livrer aux interrogatoires, partant faire surprendre l’assemblée. Il fallait alors que les hommes robustes de la troupe les portassent sur leurs épaules.

En hiver, dans ces contrées, les nuits sont froides, en été, elles sont parfois pluvieuses ; mais vents, orages, rien n’arrêtait ces intrépides confesseurs. A Nîmes, en 1715, Antoine Court avait convoqué dans les environs une assemblée. Un orage violent éclata tout à coup. Ses amis le retenaient, mais lui, quoique à pied et qu’il eût une lieue de chemin à faire, se mit immédiatement en route, songeant à ceux qui avaient probablement affronté le même orage pour venir écouter sa parole. Sur la lisière d’un bois, toutes tremblantes, seules, il rencontra trois jeunes filles qui avaient perdu leur chemin dans l’obscurité et qui le prièrent de les conduire à l’endroit où, sous la pluie battante, l’assemblée était déjà réunie.

« Cinq dimanches de suite, raconte Corteiz, nous fûmes exposés à souffrir la pluie ; mais, le premier dimanche, il plut très fort pendant le temps de la dévotion. Nous n’avions d’autre couvert que le ciel. Jugez de quelle façon nous fûmes mouillés ! Au moins je puis dire que je sentais couler l’eau le long de l’épine du dos et de ma chemise. Qui ne voit la peine qu’il faut souffrir pour trouver la Parole de Dieu ; et heureux encore si l’on était au Désert en sûreté ! Cependant je n’aperçois la dévotion plus vive ni plus ardente que quand on se trouve dans ces extrémités. »

Et ailleurs :

« Le samedi au soir, la veille de l’assemblée, il se leva un vent si fort et si froid que l’eau glaçait sous les pieds. Ce qui fit que dans cette haute montagne où il se fait des assemblées considérables, il ne se rendit qu’environ mille âmes qui forcèrent contre le vent impétueux. Je leur exposai la prédication que j’avais méditée ; mais, hélas ! à tous moments le vent me fermait la bouche et me coupait la parole. Ah ! qu’on est malheureux de se trouver dans un lieu où l’on ne peut prier Dieu qu’au risque des galères et de la mort même. » (N° 17, vol. H. Relation historique, etc.)

Parfois la date était fausse, l’heure était mal indiquée, le rendez-vous mal pris, et l’on ne trouvait pas le lieu de l’assemblée ; parfois encore celle-ci était contremandée et, au risque de tomber dans une embuscade des troupes, on courait à la recherche d’un prêche qui ne pouvait avoir lieu. « Ceux qui devaient assister à l’assemblée étaient déjà mandés pour cela, lorsque quelques fidèles étaient venus rapporter qu’elle ne pouvait pas se tenir sans danger, à cause que les vignes qui étaient autour se trouvaient gardées par les catholiques (N° 46, cah. I). » Mais ceux qui n’avaient pas été prévenus avaient battu le pays toute la nuit. C’étaient de nouveaux dangers à affronter pour le prêche suivant.

Plus de temples : ils avaient été démolis ou brûlés ; leurs matériaux avaient servi à construire des églises. On se réunissait donc dans les endroits écartés. Une caverne, l’enfoncement d’un bois, un ravin ignoré, une ferme abandonnée étaient les sanctuaires habituels. C’est ce qu’on appelait le Désert.

L’assemblée était lente à se réunir. Peu à peu cependant, les groupes se formaient. Au temps passé, entre la soumission des Camisards et la venue de Court, il n’y avait guère qu’une centaine de personnes, parfois plus, souvent moins. Avec Antoine Court on vit des assemblées qui comptèrent jusqu’à deux mille auditeurs. « Il me souvient, dit-il, il n’y a que quatre jours que nos plus nombreuses assemblées n’excédaient pas le nombre de deux à trois cents, et quand nous en voyions une qui allait à ce nombre, peu s’en fallait que nous ne criassions au miracle. » Dès l’année 1718, on compta les assistants par milliers, et il est parlé quelque part d’une assemblée où il n’y avait pas moins de quatre mille fidèles.

Il s’y trouvait beaucoup d’hommes et de jeunes gens ; les femmes pourtant dominaient, intrépides, courageuses, exaltées.

Cependant, on disposait les sentinelles, choisissant les plus agiles et les plus forts.

[N° cah. II, p. 44. — Un Synode, tenu en 1720, revint sur ce point. « Les circonstances fâcheuses demandant que l’on prenne de plus grandes précautions pour la conservation des assemblées, il a été décidé que les anciens auront soin de fournir de sentinelles les lieux où il y a garnison. » Recueil des actes synodaux, etc.]

Si l’assemblée se tenait non loin d’une ville, on les échelonnait de poste en poste jusqu’aux murailles pour donner l’alarme, au cas qu’un détachement sortît ; si elle se tenait en rase campagne ou dans une caverne, on les établissait dans les alentours en leur ordonnant de se replier à la première apparence de péril. C’était parfois la source d’épouvantables paniques. Un jour, Court était sur le point de donner la bénédiction ; les sentinelles les plus voisines s’en étant aperçues coururent en hâte pour avoir part à ce dernier acte du culte. Malheureusement elles avaient des boutons de cuivre sur leur justaucorps et s’avançaient rapidement. Quelques-uns les prirent pour des soldats. L’alarme fut donnée. Les derniers voulant prendre la fuite renversèrent les premiers, et dans un moment la confusion fut portée à son comble. Enfin on reconnut l’erreur et le service interrompu fut continué avec une nouvelle joie.

« Le 25 novembre, dit Corteiz, l’assemblée fut formée la nuit, dans une maisonnette de laquelle on se sert pour sécher les châtaignes, dans un bois proche de nos formidables ennemis. L’assemblée était formée en faveur des paroisses de Saint-Martial, de la Mialouze et du Collet de Dèze. Comme la maison était petite, on pria les Anciens de ne mener que des communiants ; mais bien qu’on eût enjoint à ceux qui faisaient la fonction de cloches de n’en mener qu’un petit nombre, il en vint beaucoup plus que la maison ne pouvait contenir ; mais la peur y pourvut. Les deux sentinelles virent quatre hommes avec chacun un flambeau à la main pour s’éclairer. A la vérité, c’étaient des ennemis, mais qui ne pensaient point à nous. Nos sentinelles se donnèrent peur. Il leur parut que ces flambeaux venaient à nous, bien qu’il ne fut pas vrai ; ils vinrent donner l’alarme à l’assemblée. Je sortis promptement pour voir de quoi il s’agissait, j’aperçus ces quatre flambeaux et je dis aux Anciens : « Ces flambeaux suivent le ruisseau, et ne croyez pas que l’ennemi vienne avec de la lumière pour nous surprendre ; calmez-vous et ne faites pas de bruit. » Cependant une partie de l’assemblée s’enfuit, et la maison qui était trop petite fut assez grande. Le restant, nous achevâmes heureusement notre dévotion ; le lendemain les fuyards se reprochèrent leur lâcheté. » (N° 17, vol. H. Relation historique, etc.)

Dès que le prédicant était arrivé, le service commençait. C’était vers minuit. Les assemblées de jour furent toujours très rares et ne se tinrent que beaucoup plus tard, vers 1743. La lecture de la Bible, le chant des psaumes, les prières et les exhortations du prédicateur composaient les éléments du culte. Les fidèles priaient d’abord en particulier. Quand le ministre se faisait attendre, on lisait quelques passages de la Bible. Un des assistants, en général un Ancien, faisait l’office de lecteur.

[« Sur ce qu’il a été dit que plusieurs profanes et libertins s’ingéraient à faire la lecture et lisaient le chant des psaumes aux saintes assemblées, et qu’à cause de cela les fidèles étaient scandalisés. — C’est pourquoi il a été délibéré qu’à l’avenir, personne ne fera la lecture de la Parole de Dieu ni le chant des psaumes, qu’il n’ait été élu Ancien, et là où il n’y aura pas des Anciens capables, ils seront obligés de faire l’élection de leur lecteur et de leur chantre. » Synode de 1720. Recueil des actes synodaux, etc.]

« Avant que le ministre n’arrivât, dit une relation du temps, on a fait la lecture de quelques chapitres de l’Écriture sainte, et chanté les psaumes 70 et 80 ; ensuite le ministre étant arrivé, il a commencé par la confession des péchés et a fait chanter le psaume 137 à genoux et il a pris pour texte dans ledit psaume le verset 7. » (N° 17, vol. O. Juin 1719.)

Le prédicant, debout sur une éminence commençait enfin son exhortation. Très probablement, dans cette circonstance, il avait un costume particulierb. Qu’étaient ces sermons ? On ne sait guère ; il n’en reste aucun fragment. La plupart cependant n’étaient autres que des discours imprimés à l’étranger et laborieusement appris par cœur. Pour soutenir le zèle de leurs coreligionnaires, les réfugiés leur faisaient en effet passer des livres, des traités religieux, des sermons. De Hollande, de Genève surtout, on expédiait « aux défenseurs de la foi » des paquets de livres qu’un correspondant courageux se chargeait de faire parvenir à leur destination. Corteiz reçut ainsi huit douzaines de catéchismes et dix sermons (N° 17, vol. G). Ce fut l’origine d’une curieuse habitude. Quelques prédicants incapables de composer eux-mêmes leurs sermons apprenaient ceux des orateurs célèbres, et les déclamaient ensuite aux assemblées. Bombonnoux récita ainsi un discours de Pierre Dumoulin, et « la faim pour la parole faisait trouver bonne cette manière de prêcher. » Habitude cependant fâcheuse, et qu’on abandonna. Les prédicants se mirent bientôt à composer et à réciter leurs propres sermons. Un professeur de Genève, l’illustre Pictet, loua même le talent d’Antoine Court et déclara que ce jeune homme avait « des dons considérables » pour la chaire. Point de théologie d’ailleurs dans ces exhortations, ni de longs raisonnements, point d’ornements ni de fleurs de rhétorique. Un des plus instruits et des plus intrépides, Claude Brousson s’en était déjà glorifié. « Je rejette tous les vains ornements de l’éloquence et de la sagesse du siècle qui consiste à mêler dans la prédication de l’Évangile quelque trait de l’histoire profane ou quelque point de philosophie et des autres sciences humaines, afin de paraître savant, ce qui me paraît un pur abus du saint ministère ; car cet impur mélange, d’un côté fait juger que celui qui parle cherche plutôt la vaine gloire que la gloire de son maître et le salut de ses élus, et de l’autre corrompt la parole de Dieu… » Que fallait-il attendre des autres ? Ils avaient composé leurs discours sur quelque route, en marchant, dans une grange, sous un arbre, et n’avaient eu pour toute bibliothèque « qu’une Bible, et pour table qu’une pierre reposant sur leurs genoux (N° 46, cah. III). » Parlant d’ordinaire à l’improviste, à la première occasion, prédicateurs ignorants s’adressant à des auditeurs plus ignorants encore, quelles qualités oratoires pouvait-on exiger d’eux ? — Soupçonnaient-ils eux-mêmes que l’art de la parole eût ses règles et ses lois ?

b – Cela parait ressortir d’une lettre de Duplan, en 1730, et d’une autre de Corteiz, en 1718. N° 1, t. II, p. 42.

Point de haine dans leurs discours : des paroles de charité… quelque chose de véhément et de doux, de ferme et d’affectueux, — le cœur s’adressant au cœur. Grands et sublimes accents comme on en entend chez le peuple, frivolités et naïvetés touchantes, répétition de mots et d’idées, citations diffuses de passages bibliques, solécismes et barbarismes continuels, et malgré cela, on ne sait quel parfum inconnu qui pénétrait les âmes des auditeurs. Court prêcha, un soir, à l’improviste. Il s’exprima avec onction et véhémence, d’une manière suivie et sans se « déférer nulle part. » « Parlai-je avec ordre, ajoute-t-il, suivis-je les règles de l’art oratoire ! Elles ne m’étaient seulement pas connues ; mais mon discours plût et édifia mon auditoire. » Le prédicant n’était que l’écho des sentiments qui agitaient les auditeurs pressés autour de lui. Agitée au souffle de ses paroles, l’assemblée, haletante et émue, écoutait. Au milieu de la nuit, il y avait des silences étranges que troublait seule la voix du ministre. Cette parole grave, enflammée, réchauffait les cœurs, remuait les âmes ; chacun croyait entendre la propre voix de sa conscience. De là, ces émotions poignantes qu’augmentaient les périls de l’heure, ces applaudissements arrachés par la naïve éloquence des orateurs, ces larmes qui coulaient au récit des infortunes subies, des persécutions à affronter, des souffrances de la primitive Église. « Pendant la prédication, est-il dit quelque part, tout le pauvre peuple fondait en larmes. »

Le sermon était long, trop long souvent. Il fallut remédier à cet abus. On décida que les pasteurs n’emploieraient pas plus d’une heure, ou tout au plus cinq quarts- d’heure, à leurs prédications suivant en cela l’exemple des prédicateurs de Genèvec. Lorsqu’il avait terminé, et que les applaudissements, — car souvent on applaudissait, — avaient cessé, il arrivait que le ministre baptisât un enfant, ou bénît un mariage. Ce cas toutefois, dans les premiers temps surtout, se présentait rarement. Plus fréquemment on donnait la communion. Cette cérémonie ne pouvait être célébrée que par les pasteurs, et Court dans ses récits s’étend longuement sur ce chapitre. Il paraît qu’aux jours de communion on formait avec des pièces de bois une sorte de parquet où se tenaient les Anciens pendant la prédication. Au moment où le pasteur se préparait à célébrer la sainte Cène, ceux-ci allaient se placer à l’entrée et empêchaient d’approcher de la table quiconque avait commis une action scandaleuse, et n’en avait pas encore fait pénitence publique.

c – V. Coquerel, t I, p. 34. Synode de 1717 — V. aussi n° 17, vol. G, p. 382. Synode de 1721.

« Les Anciens, écrit Corteiz, se tiennent à la porte du parquet qu’on fait avec des pièces de bois, dans lequel parquet ils se tiennent pendant la prédication jusqu’à la célébration de la sainte Cène. Ils se relèvent ensuite pour laisser passer les communiants les uns après les autres. Mais ils se tiennent à la porte pour prendre garde que personne de ceux qui ont fait quelque action scandaleuse ne s’approche qu’il n’ait fait premièrement réparation. »

Les fidèles qui étaient dans la paix de l’Église communiaient les premiers ; quand le dernier avait accompli cet acte, les Anciens faisaient approcher ensemble les coupables. On les voyait alors s’avancer vers la table sainte, tremblants et comme honteux ; ils écoutaient chacun selon leurs fautes les exhortations et les remontrances du prédicant, — puis ils communiaient. Il y avait en ce moment de touchantes scènes. Un jour, un homme entouré de respect, « dont le péché était caché au monde, mais découvert au grand créateur des cœurs, » se précipita tout à coup à genoux devant la table, pleurant et se lamentant. Il confessait à haute voix son péché de lâcheté et d’idolâtrie, et en demandait pardon à l’Église et à Dieu. C’était Corteiz qui présidait. Toute l’assemblée, — plus de deux mille personnes, — fondait en larmes, et lui-même à cette vue, contenait avec peine son émotion. (N° 17, vol. H, p. 523. Relation historique, etc.)

Pour courir à ces assemblées nocturnes, à quels dangers ne s’exposaient pas les fidèles ! Dangers multiples et qui font frémir. Il y avait d’abord les espions. Le duc de Roquelaure écrivant à un de ces personnages, lui disait en manière de conclusion :

« Enfin, je ne puis trop vous recommander de faire de fréquents détachements des troupes que vous commandez, et quo vous enverrez de jour ou de nuit… visiter les lieux suspects et où vous aurez lieu de croire qu’il se pourra tenir des assemblées suivant les avis qui vous en seront donnés par les personnes de confiance que vous devrez vous ménager dans chacun des lieux de votre commandement… » (V. Histoire de l’Église d’Anduze, etc., p. 688 et 735.)

Aussi les espions ne manquaient-ils pas. Un d’eux très bien intentionné et très propre à réussir s’offrait à veiller jour et nuit pour faire surprendre les prédicants dispersés dans le pays. Il ne demandait que deux pistolets pour se défendre, s’il était attaqué pour le service du roi (N° 17, vol. H. 1718). Puis il y avait les faux frères, gens bien pensants, bien vus du pouvoir, gens de toutes conditions, qui, pour peu de chose, — une place ou les dépouilles de la victime, — s’engageaient à dénoncer les assemblées. En 1720, le parlement de Bordeaux apprit que les religionnaires de la Rochelle se réunissaient au Désert. On chercha un commissaire pour s’informer de ce qui se passait ; on ne trouva personne. Mais un conseiller au parlement, qui avait changé de religion pour occuper cette charge, se présenta, se rendit au Désert, fit son rapport, et accusa deux femmes (N° 17, vol. U). — Enfin c’étaient les soldats, entre tous les moins odieux, qui, à toute heure du jour et de la nuit, aux approches surtout des grandes fêtes, battaient le pays, cherchaient les assemblées, traquaient les hérétiques, arrêtaient les suspects, et se vengeaient sur leurs captifs de toutes les courses vaines et de tous les dérangements nocturnes, dont ceux-ci avaient été les causes involontaires.

Les ordres du roi étaient formels. Il était interdit aux protestants « de faire aucun exercice de religion autre que de la catholique, et de s’assembler pour cet effet en aucun lieu et sous quelque prétexte que ce puisse être, à peine contre les hommes des galères perpétuelles, et contre les femmes d’être rasées et enfermées pour toujours, avec confiscation des biens des uns et des autres, même à peine de mort contre les pasteursd. » Ni repos ni tranquillité : alerte continuelle. Se rendre au Désert, c’était courir l’aventure d’en revenir au milieu d’une escorte de soldats pour aller ramer à Marseille, ou prier à la tour de Constance ; prêcher au Désert, c’était faire à l’avance le sacrifice de sa vie.

d – V. encore chap. v, p. 133, les ordonnances que publia le régent contre les assemblées.

Il y eut des châtiments terribles. Malgré tout, la foi eut toujours ses disciples, et dans ce duel inégal la faiblesse qui était le droit, finit par vaincre la force qui était l’injustice. Prison, galères, mort, on affrontait tout avec un sang-froid, une sérénité merveilleuse. L’assemblée est, un jour, réunie dans une caverne et « le prêche » commence, quand les sentinelles avertissent que les soldats approchent. On en doute d’abord, et on continue. Mais les troupes avancent. Alors on fait sortir les femmes, les enfants, ensuite les hommes ; cependant les ministres, se tenant à l’ouverture, donnent la bénédiction au peuple qui sort sans confusion, et malgré le danger restent les derniers à penser à leur sécurité (N° 46). Les femmes étaient admirables. Si grand que fût le péril, toujours ardentes, toujours les premières aux assemblées, elles lassaient la sévérité de leurs persécuteurs. Prisons terribles cependant que les hôpitaux, les couvents et les tours de Constance ! Le chevalier de Boufflers en fut effrayé. Mais elles bravaient tout, même jeunes, et presque encore dans l’enfance. La sœur d’un prédicant décapité à Montpellier fut prise et enfermée à Aigues-Mortes : elle avait quinze ans. Pour toutes, l’horreur d’une réclusion imminente s’évanouissait devant la joie d’assister à une assemblée.

Il y eut de 1715 à 1723, dans le Languedoc seulement et sans compter celles qui passèrent inaperçues, sept surprises d’assembléese. Chaque année, on entendit le bruit des fusillades, et l’on vit, en longs convois, passer les prisonniers.

e – En Languedoc seulement. En 1715, assemblée surprise à Vauvert ; en 1716, à Mandagout ; en 1717, à Anduze ; en 1720, à Nîmes, etc., etc.

« … Pendant mon séjour du côté d’Uzès, dit Court, je vis deux de mes parents, nommés Hugous, de qui l’on venait de raser la maison, par ordre de Dumolard, subdélégué de Bâville dans le Vivarais. Cette maison était située à la campagne, à une petite demi-lieue de Villeneuve-de-Berg. Un jour de dimanche, Joffre qui dans la suite épousa ma sœur cadette, Ladet, mon cousin germain, et Flavier, un de mes amis, se rendirent dans cette maison pour y faire quelques exercices religieux. Leur marche fut aperçue ; on vit dans le moment toute la bourgeoisie sous les armes, qui se mit en devoir d’aller fondre sur cette maison. La petite troupe, en étant avertie, démarra au plus vite, et comme elle n’était composée que de trois personnes, il fut facile de dérober à leur ennemi cette évasion. Aussi ne s’en aperçut-il point ; mais sur le simple soupçon qu’ils y avaient été, et parce que dans sa perquisition il trouva dans la maison une Bible et quelques autres livres de piété, il se saisit du maître qu’il amena prisonnier. Il (Dumolard) ordonna que la maison fut rasée, et que tous les effets mobiliaires fussent confisqués. L’exécution suivit de près l’ordonnance. La maison fut démolie et tous les effets portés à Villeneuve où ils furent vendus publiquement au plus enchérisseur. » (N° 46, cah. II.)

Voilà une exécution inconnue et dont on ne parla point. Combien d’autres de ce genre ! « La nuit du 6 au 7 du mois de mai, Court avait convoqué une assemblée dans un Désert appelé les Roques d’Aubay, proche de Sommières. Il n’avait pas manqué de précautions pour la garantir de toutes surprises. Aussi se tint-elle avec beaucoup de tranquillité. Mais malheureusement, les protestants du Grand-Gallargues, qui faisaient partie de ceux qui s’étaient rendus dans cette assemblée, furent aperçus par deux faux frères qui avaient quelque autorité dans le lieu, et qui, dans le dessein de les faire arrêter au retour, firent mettre la bourgeoisie sous les armes et garder les portes. La chose fut conduite avec tant de secret qu’on n’en fut informé que lorsque les fidèles de ce lieu donnèrent à leur retour dans l’embuscade. Un des bourgeois armés, touché sans doute du triste sort qui menaçait ses concitoyens s’ils étaient arrêtés, tira en l’air son fusil pour faire comprendre ce qu’il y avait à craindre pour eux, s’ils approchaient. A ce signal, ceux qui étaient encore éloignés de la porte prirent la fuite. » Mais quelques-uns furent pris. On fit grand bruit à Montpellier de l’affaire. Un captif fut condamné aux galères, sept à la même peine par contumace, et le bourreau vint inscrire à Gallargues leurs noms sur un poteau, au milieu de la place publique. (N° 46, cah. II.)

Telles étaient les assemblées qu’annonçait à ses frères l’homme qui, le matin, venait convoquer pour le Désert les survivants des dernières persécutions. Nul ne manquait à l’appel : tous y allaient, enfants, femmes et vieillards. Les temples démolis, le culte supprimé, la foi proscrite, on continuait ainsi la tradition interrompue, on affirmait l’existence de la Réforme. Non pas qu’on voulût former un Etat dans l’Etat, et qu’on méconnût l’obéissance due aux Puissances. Les Puissances, aux yeux de tous, étaient ordonnées de Dieu, et nul ne cherchait à le contester (V. plus loin, chap. v). La politique était exclue de ces assemblées, et, pour dire le vrai, songeant à Dieu, avait-on le temps de songer au Roi ? C’était beaucoup plus simple et beaucoup plus grand. Louis XIV avait exilé les protestants, rempli les galères, élevé les potences, et décidé sommairement qu’il ne pouvait désormais et qu’il ne devait plus y avoir de réformés en France ; on protestait contre cette dernière décision. Le lieu de la protestation, c’était le Désert.

Chose curieuse ! Ces assemblées où l’on n’entendait que des prières et le chant des psaumes furent appelées séditieuses et attaquées comme telles. Par qui ? Par les catholiques peut-être ? Non, par des protestants.

A peine le bruit de cette résurrection du protestantisme était-il parvenu à l’étranger, que les pasteurs s’en étaient profondément émus. Etait-ce la restauration de l’ancien ordre de choses ? Etaient-ce les préparatifs d’une nouvelle guerre de Camisards ? Ils ne savaient. Ils avaient peu de confiance dans la modération des religionnaires, ils se les représentaient volontiers toujours prêts au combat et n’attendant qu’un chef pour se jeter dans la révolte. Depuis 1710, malgré leur attachement aux églises françaises, ils les avaient un peu oubliées ; ils ignoraient ce qui s’y était passé, et les efforts d’Antoine Court pour rétablir l’ordre et ceux de ses collègues pour comprimer toute tentative d’insurrection.

Au surplus, si l’on en croit Corteiz, ils étaient mal informés ! Ils imaginaient que ces assemblées, où des prédicants inconnus convoquaient les fidèles, étaient semblables à celles où les Camisards avaient autrefois prêché la guerre sainte. Fanatiques alors, anabaptistes et inspirés s’y donnaient carrière. On jeûnait, on chantait, on faisait des miracles. Les enfants prophétisaient, les hommes tombaient en extase, le frère Clary faisait allumer des bûchers et les traversait à pas lents. Assemblées étranges, pleines de fantastiques visions, dont le résultat avait été une guerre meurtrière et l’écrasement des insurgés.

Les pasteurs étrangers se rappelaient ces événements récents encore, et la crainte de les voir se renouveler les avait immédiatement saisis. Dans cette situation d’esprit, ils écrivirent sans différer en France contre les assemblées du Désert.

Les religionnaires fort étonnés se défendirent. « Nous ne souffrons, disait Corteiz, ni fanatiques, ni piétistes, ni anabaptistes ; la Parole de Dieu est seule reconnue pour règle, et plût à Dieu que vous vissiez régner l’ordre et la règle que nous y tenons (N° 17, vol. G, p. 3. 1716.). » Vaines protestations. Corteiz plaidait une cause qu’il ne pouvait gagner encore.

Pourquoi, disaient-ils, des assemblées publiques ? Les protestants ne pouvaient-ils pas sortir à leur gré du royaume, s’ils voulaient prier Dieu en commun ? En admettant même que cette extrémité leur répugnât, ne pouvaient-ils pas se livrer en particulier à des exercices domestiques de piété ? Ils voulaient se réunir au Désert et en grand nombre. Or, pour chanter en commun les psaumes de Marot et écouter des sermons qui ne produisaient aucun effet, ils excitaient la cour à de nouvelles rigueurs, ils dépeuplaient les familles, ils exposaient aux galères une multitude d’hommes inoffensifs. Et de quel droit ? Les assemblées relevaient évidemment de la juridiction du souverain. Les convoquer malgré ses ordres, c’était se mettre hors la loi et mériter le nom de rebelles. Au surplus, non seulement les princes interdisaient ces sortes de réunions, mais encore la religion. Jésus et ses apôtres n’avaient jamais prêché au Désert qu’accidentellement ; ils allaient en général de maisons en maisons pour annoncer la bonne nouvelle ; et la plus grande de leurs assemblées se tint dans une chambre haute. Ainsi, il n’était pas certain que Dieu eût prescrit les assemblées, il était même probable qu’il ne les avait point commandées. Il était évident d’un autre côté que Dieu avait ordonné d’obéir aux souverains dans toutes les choses. qu’il n’avait pas défendues. Donc, dans le cas proposé, le plus sûr était d’obéir au roi, parce que dans la concurrence de deux devoirs dont l’un est obscur et l’autre clair, il faut préférer le certain au probable. — Tel était le thème ordinaire sur lequel, avec preuves à l’appui, arguments historiques et nombreuses citations bibliques, s’exerçait l’éloquence des adversaires.

[N° 13, t. III. Réflexions sur les assemblées que nos frères les réformés font en France contre les ordres du roi. — Il n’y a ni date ni nom d’auteur. Peut-être furent-elles imprimées en 1719, peut-être en 1726 ; car, à cette époque, parut un écrit dont Court se plaignit amèrement. Mais rien de moins sûr.]

Un événement vint augmenter les appréhensions. En 1719, il y eut des troubles dans le Poitou. Le bruit courut qu’ils avaient pour auteurs les religionnaires de ce pays, et qu’ils avaient été suscités par le brillant et remuant ministre d’Espagne, Albéroni. Cette nouvelle arriva en Suisse et dans les Pays-Bas. Personne n’osa en contester l’authenticité, la cour en ayant écrit à deux illustres pasteurs de ces pays, à Basnage, le célèbre réfugié, et à Pictet. Ce fut alors comme une explosion de reproches. Ne l’avaient-ils pas assuré ? Les assemblées avaient produit leur effet naturel ; les protestants de France allaient reprendre les armes ; non seulement le Poitou, mais encore le Dauphiné, le Languedoc étaient en armes. « J’ai appris, écrivait l’un d’eux, par une personne de considération et d’une fort grande piété, que le Roi d’Espagne ou le cardinal Albéroni fait prêcher, de nuit, dans le bas et haut Languedoc, de ces voleurs du saint nom de Jésus qu’on appelle Jésuites, pour tâcher par leurs représentations et leurs belles promesses de tourner le cœur des réformés du côté du Roi d’Espagne et trahir notre bon Roi (N° 1, t. II, p. 83. 1719). »

Basnage écrivit une première lettre à propos des assemblées et les condamna. Cette condamnation émanant d’un tel personnage pouvait avoir un fâcheux retentissement. Antoine Court le comprit et, encore ému par ces injustes attaques, il prit la plume et répondit. Dans un rapide abrégé des événements qui s’étaient succédé depuis la révocation de l’Edit de Nantes, il lui parlait de l’état misérable où cet édit avait jeté les protestants, des violences, des persécutions, de la guerre des Camisards et de la profonde détresse qui en avait été le résultat ; il lui parlait encore de ses efforts, de ceux de ses collègues, « lumignons fumants, » pour éclairer les cœurs, ranimer la foi, éveiller l’espérance ; il lui pariait de l’ordre qu’ils avaient établi, de la discipline, — et arrivant enfin aux assemblées :

« Nous ne nous arrêterons pas longtemps à réfuter ceux qui annoncent l’Évangile et qui cependant réprouvent nos assemblées. Supposons pour un moment que cinq ou six bergers eussent trente ou quarante mille brebis dispersées dans un vaste pays, séparées par des cloisons, serait-il possible que ces bergers pussent nourrir tant de brebis, s’ils ne formaient de petits troupeaux pour leur donner tour à tour les choses nécessaires ? Nous ne croyons pas même qu’il fût difficile de prouver que les chrétiens des premiers siècles et nos frères du temps de la réformation aient fait des assemblées, quoique les princes les eussent défendues. Nous n’ignorons pas qu’il ne faille de la prudence et des lieux à l’abri des persécuteurs, et nous avons si bien suivi cette méthode, que pour une assemblée qui est découverte, il s’en fait cent à l’insu des ennemis. Il est vrai que quelques maisons ou granges ont été dévastées, quelques personnes ont été condamnées aux galères, plusieurs mises en prison ; très peu ont souffert la mort. Mais ignore-t-on qu’il y a des croix attachées à la profession de l’Évangile ? On a remarqué quelquefois que lorsqu’une assemblée avait été vendue, les détachements roulaient autour du lieu où elle se faisait comme les habitants de Sodome et de Gomorrhe autour de la maison de Loth, et il est arrivé que des brebis qui venaient de paître ont servi de garde pour reconduire chez eux des loups qui étaient venus pour les dévorer. Nous protestons encore contre tous ceux à qui il appartiendra, que nous voulons rendre à notre prince ce qui lui est dû ; mais nous croyons qu’il ne nous est pas permis de négliger pour un peu de temps notre salut, ni celui de nos frères. »

Ailleurs, il ajoutait : « Nos assemblées ne sont point tumultueuses ; on n’y porte point d’armes. Nous n’avons rien à nous reprocher de ce côté-là, puisque nous blâmons tous ceux qui sont sortis de nos rangs pour suivre d’autres maximes que celles de l’Évangile. » (N° 46. Lettre pastorale à Basnage. 1719.)

Basnage se montra satisfait de ces déclarations. Mais d’autres lettres arrivaient de Genève ; il fallut encore y répondre. Court fit copier l’apologie qu’il venait d’adresser au pasteur de la Haye, et l’envoya. Le même résultat fut atteint ; il y eut quelque apaisement dans les colères. Le pasteur Vial écrivit que tous les gens de bien avaient appris avec joie les heureux résultats qu’obtenaient Antoine Court et ses collègues par les assemblées au Désert, qu’il déplorait l’envoi des lettres injurieuses adressées au jeune prédicant, et que, pour lui, son seul but avait été de montrer au Roi de France que la religion protestante n’autorisait pas la désobéissance aux princes légitimes, encore moins la rébellion.

On se tromperait cependant si l’on croyait que tous les esprits s’étaient rendus aux arguments du jeune pasteur ; il avait défendu la cause des assemblées, mais ne l’avait point encore gagnée. Quelque temps après ces événements, Pictet revenait sur ce sujet et accumulait les griefs (V. Pièces et documents, n° VI). Toutefois, après avoir déclaré qu’il n’était point le seul de ce sentiment, il avouait qu’il ne prétendait rien imposer, et que, si les pasteurs de France se trouvaient bien de leurs assemblées, il en bénirait Dieu avec ardeurf. Plus tard encore, lorsque l’édit de 1724 eut été promulgué, de nouvelles attaques, et non les moins violentes, furent dirigées contre ces inoffensives réunions du Désert. « Ah ! s’écriait Court, on fait plus de mal qu’on ne pense, quand on décrie nos assemblées ou qu’on ne les approuve pas. »

f – Il y eut encore, vers cette époque, la lettre d’un prosélyte « de réputation » contre les assemblées.

[N° 7, t. III, p. 25. (1726.) — Ce ne devaient pas être les dernières attaques. On verra, dans la suite de cette histoire, que les assemblées au Désert continuèrent d’avoir des détracteurs nombreux et d’autant plus violents qu’elles se tinrent avec plus d’éclat.]

Il était en effet convaincu qu’elles offraient le moyen le plus sûr pour affermir les courages et entretenir la piété, qu’elles étaient surtout la protestation la plus simple et la plus concluante contre la déclaration de 1715. Aussi quelle joie lorsqu’il annonce que les assemblées continuent avec régularité et que leur nombre est de jour en jour plus considérable ! Il est presque tenté de s’en attribuer l’honneur, et assurément il n’y est pas sans droit. Ce fut sa fermeté qui maintint les assemblées au Désert. — Quant aux avantages politiques qu’il prétendait en retirer, il ne s’en exagérait pas l’importance. La convocation des assemblées, le nombre des assistants, l’ordre qui y régnait, ne furent pas sans exercer une grande influence sur les conseils de la cour. Elles n’eurent d’abord, il est vrai, d’autre résultat que de faire multiplier les mesures de rigueur ; mais peu à peu les soldats se lassèrent de courir le pays pour les surprendre, et les intendants d’envoyer aux galères les prisonniers. Cette héroïque obstination à affirmer au grand jour l’existence du protestantisme sauva le protestantisme français.

Elle ne contribua pas peu en attendant à lui valoir son premier succès.

Jusqu’alors, l’ingénieux système mis à la mode par la déclaration de 1715 était resté en vigueur, et la cour, s’abritant derrière la loi, continuait de nier qu’il y eût encore des protestants en France. Elle dut rompre, sinon officiellement, officieusement du moins, avec ce système. Cela se passa en 1719, en pleine Régence, à propos d’une aventure curieuse qui se noua et se dénoua au moment même où les religionnaires commençaient à s’agiter, et où Albéroni conspirait contre la France.

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