Histoire de la restauration du protestantisme en France

20. Relation du martyre d’Alexandre Roussel (1728)

Monsieur et tres cher amy,

Je viens de recevoir une lettre de Mr Court qui est un des pasteurs que la Prouidence a suscitté depuis plusieurs années en France pour rallumer le chandelier de sa parole dans le Languedoc ; il me fait un détail asses long et circonstance de la prise et de la mort glorieuse de Mr Roussel. Quoy que le bruit de cette mort ait fait beaucoup d’éclat et qu’on en ait mesme rependû certaines relations, vous ne seres pas faché de recevoir celle icy qui ma paru la plus fidele aussi bien que la plus longue.

Notre glorieux martyr sappelloit Alexandre Roussel. Il etoit natif d’Uzez en Languedoc. Ses Parens sont Protestans et il pouvoit avoir environ 26 a 27 ans, lorsqu’il a fini sa course. Son pere qui etoit boulenger n’avoit rien épargné au commencement pour lui donner une bonne éducation selon son etat ; Mais comme les Catholiques Romains se sont empares de touttes les écoles pour pouvoir inspirer leurs sentimens avec plus de facilité a la jeunesse Protestante, il se contenta de le faire bien apprendre à lire, à écrire, et a chiffrer. Son pere etant mort, sa mere l’envoja à Nismes dans une boutique de marchand. Cest la quil apprit qu’on fesoit des assemblées de piété et quon lui procura le mojen d’y assister ; c’est là que son zele pour Dieu et son amour pour la verité s’alluma. Il sapplica ensuitte à lire les Saintes Écritures et dautres bons livres de notre Religion qui avec la grace de Dieu le mirent dans peu de temps en etat daler dans plusieurs maisons de Protestans faire des prieres aux malades et ensuite des exhortations aux assistans. Dieu bénissant de plus en plus son etude dans la piété et les soins qu’il se donnoit en faveur de ses frères malades, affligez et privez de la liberté de conscience, il n’attendit, sinon que son temps fut fini pour quitter la boutique de marchand où sa mère l’auoit mis, pour aller joindre ceux qui prêchoient dans le désert et auec qui il avoit déja fait connoissance. Comme on connoissoit ses lumieres et sa piété, on l’aggrégea bientot au nombre de ceux qu’on appelle proposans qui font des prédications et des prieres, mais qui n’administrent pas les Sacremens. Il s’aquitta exactement et fidelement de son ministere pendant deux ans et demy. Il étoit aimé et estimé de tous ses frères, et par tout où il passoit il repandoit la bonne odeur de l’Évangile ; mais son heure de glorifier Dieu par sa mort étant venue, il falut quil subit son destin. Mr Roussel venoit de quitter le quartier du Vigan, petitte ville dans le Cevennes, on lui en avoit donné un autre, selon que cela se pratique dans tous les Sinodes de faire rouler les prédicateurs dans tous les lieux où on a formé des Églises ; il ne laissa pas que de vouloir encore aller faire une tournée dans le quartier qu’il auoit quitté. On s’y opposa, mais ce fut en vain. Il se sentoit comme lié et entrainé dans un lieu où Dieu avoit permis qu’il se rencontrat un autre Judas qui avoit promis pour un salaire d’iniquité de le liurer entre les mains des méchans. Il partit un samedy matin, le 9 octobre 1728, malgré les nouvelles oppositions de Mr Court. Il arriua le Dimanche au Vigan et il conuoqua une assemblée pour le lundy. L’assemblée se forma à la campagne. Tous les fidèles s’y étoient déjà rendus sans trouble. Mr Roussel partit le dernier, accompagné d’un seul homme de confidence ; a un quart de lieue du Vigan, il tomba dans une ambuscade qui étoit postée dans un lieu couvert, à coté du grand chemin. Il ne parut dabord que quatre cavaliers, mais il y en avoit plusieurs autres cachez a une certaine distance pour les soutenir en cas de besoin. Le traître qui l’avoit vendu étoit caché derrière un arbre ; d’abord qu’il le reconnut, il cria : Le voilà ! Un des quatre cavaliers qui étoit religionnaire, cria aussi dans le moment : A gauche, sauve de ce coté là ou il n’est personne pour vous arrêter ! Mais soit qu’on crut que ces cris vinsent de mauvaise part, ou qu’on fut surpris de telle sorte qu’on ne fut pas en état d’en profitter, Mr Roussel et celui qui l’accompagnoit se laisserent arrêter par les trois cavaliers. Il étoit déja plus de huit heures du soir lorsqu’on les conduisit à Aulas, qui est un vilage de ces quartiers où on met touttes les années des cavaliers et des dragons en quartiers d’hiver à cause des paturages. On enferma Mr Roussel dans une Église hien gardée par une grosse troupe de cavaliers, jusqu’à ce qu’il fut jour pour le conduire dans un autre lieu.

Cependant les fidèles qui étoient assemblez, ignoraient ce triste evenement, et, apres avoir longtemps et inutilement attendu le predicateur, en lisant la parole de Dieu et en chantant des Pseaumes, comme c’est la coutume, quelqu’un étant venu les avertir qu’il y avoit un detachement en campagne, l’assemblée se dispersa, et chacun en usant de prudence regagna le plutôt qu’il put sa maison. Mr Roussel fut mené le lendemaiu au Vigan, où le Sr Baudé subdélégué de l’intendant de la Province linterogea juridiquement. Il sembloit que ce subdélégué avoit envie de favoriser Mr Roussel lui laissant une porte ouverte pour cacher sa profession. Mais Mr Roussel confessa hardiment tout ce qui le regardoit et ne garda d’autres mesures que celles qu’il convenoit pour ne pas mettre en peine ses freres qui l’avoient logé et assisté. Le subdelegué ne put point sempecher dinformer l’intendent de la prise et des reponses de Mr Roussel. Mr Diverny qui commandoit la Province en l’absence de Mr le Marquis de la Farre, qui étoit alors en cour, en fut aussi informé. Ils ordonnèrent tous deux quil fut conduit a Montpelier. On assembla pour cela toutte la garnison de St-Hypolite, de Ganges, du Sumene, du Vigan et d’Aulas pour prevenir un enlevement. Mr Roussel fut lié sur un cheval et conduit par cette puissante escorte à Montpelier où on le mit dans un cul de basse fosse. Avant que cette escorte partit, la nouvelle de la prise de Mr Roussel setoit repandue dans tout le païs. Les Papistes sen rejouirent et les Protestans sen affligerent beaucoup. Ces derniers consultèrent sil ni auroit pas de moyen pour arracher le prisonnier d’entre les mains de ses ennemis, plusieurs pretendoient que comme le Pasteur donne sa vie pour ses brebis, les Brebis doivent aussi donner la leur pour leur Pasteur, et par consequent l’exposer pour l’enlever par force de ceux qui le gardoient, ou qui devoient le conduire. Il y en eut plus de deux cens qui se trouverent de ce sentiment et qui s’assemblerent bien resolus dexecuter leur dessein. Mais, comme il y a des reglemens qui ne permettent pas que des particuliers executent rien qui regarde la Religion. sans lapprobation des pasteurs et des Anciens, et qu’ils setoient flattez avec trop de facilité quon la leur accorderoit d’abord, leur projet s’en alla en fumée. Ils eurent ordre de se retirer chacun dans leur maison, parce que les Pasteurs que Dieu a suscitté dans le païs aiment mieux donner des martyrs à l’Église que de causer des troubles dans les Provinces et attirer des blames sur la Religion qui n’a d’autres armes que la foy, la prière et la patience. Il y eut d’autres Protestans qui, vojant que ce projet n’avoit pas été approuvé, crurent en auoir decouuert un plus facile et moins dangereux. Ils auoient dessein de se saisir d’un Evêque qui se divertissoit dans une campagne : rien n’etoit plus aisé que d’exécuter ce projet. Il ni avoit pas la du sang a repandre. On ne vouloit pas faire du mal au prelat. On vouloit seulement lobliger d’ecrire aux commandans de la Province ou a la Cour, sil le faloit, qu’on deliurat au plutot le prisonnier, car sans cela, il etoit lui mesme dans un extreme danger. Ceux qui avoient invente ce projet, disoint que les sollicitations du prelat produiroint leffet quon souhaittoit ou seroint inutiles si elles avoint produit leffet quon souhaittoit. Voila un homme sauvé de la mort et un predicateur redonné à l’eglise et a des troupeaux qui en avoint un si grand besoin ; que, si elles etoint inutiles, on nauroit pas repandu du sang pour cela : on auroit delivré le prelat et on aurait eu la consolation davoir fait des demarches pour delivrer Mr Roussel et de donner des preuves a nos ennemis que nous ne sommes ni sanguinaires ni vaindicatifs. Ceux qui vouloint executer ce projet ne doutoint point que les pasteurs et les Anciens ne l’approuvassent. Ils se felicitoint deja de linvention et de l’execution ; mais ajant envojé un exprès pour avoir lapprobation, ils furent bien surpris quon ne la leur voulut pas donner ; par conséquent leur projet sen alla aussi en fumée. Il ne restoit plus de ressource aux Protestans pour la delivrance de Mr Roussel, après la prière qu’on ne manque pas de faire à Dieu dans touttes les Églises dans pareille occasion, que d’emplojer les sollicitations aupres des Grands ; ce moyen n’avoit rien d’odieux ni qui pût tirer à des mauvaises consequences ; il auroit été mesme presque infaillible, sil se fut agi de vol ou de quelque autre crime, parce que la famille de Mr le Duc d’Uzez s’interessa beaucoup à l’elargissement de notre prisonnier, non seulement parce quil etoit natif d’Uzez, mais encore parce que ce jeune homme avoit écrit longtemps dans les Archives de cette maison, et qu’une de ses sœurs auoit servi de nourrice a un fils de Mr le Duc, appellé le Comte Daché. La sœur de Mr Roussel seroit allée jetter aux pieds de Messieurs les Ducs d’Usez et de Crussol et de Madme la Duchesse pour les engager a s’interesser plus vivement en faveur de son frere. Mr le Duc de Crussol ecrivit fortement a Mr Diverny qui commandoit alors dans la Province et à Mr le Marquis de La Farre et à Madme son épouse qui étoit à la Cour ; Madme la Duchesse écriuit aussi à Mr l’intendant ; mais tout cela fut en vain parce quil s’agissoit de délivrer un jeune homme qui avoit preché le pur Évangile qui découvre les erreurs et les abus de l’Église Romaine qui ne se soutient que par les richesses et les dignitez d’un coté, par les violences et les persécutions d’un autre.

Madame la Duchesse de Crussol donnoit cependant de grandes esperances, parce que par politesse ou par honnêteté on lui promettait beaucoup, mais lexpérience a fait voir que tout cela netoit que des complimens de cour. Mr De la Farre et Mr Diverny, bien informez de tout ce qui devoit arriver, parlèrent plus clairement à Mr le Duc de Crussol. Ils lui dirent quils avoient reçu les lettres quil leur avoit ecrittes au sujet du nommé Roussel, que linstruction de son procez ne les regardoit pas, que cetoit Mr l’intendant qui le devoit juger, et que, suivant ce qui leur en etoit revenû, jusqua present il sen faloit bien que le Sr Roussel fut taxé d’aliénation desprit. (Il faut remarquer qu’un certain Genouillac qui avoit soin de faire passer en Languedoc quelques balots de livres de piété, ajant eu le malheur detre arreté en Vivarais, contrefit si bien le fol, que cela joint a des sollicitations quon fit en sa faveur le garantit de la corde ou du moins de la galère. Cet homme se trouve a présent a Geneve bien resolu de ne retourner jamais en France, portant encore des marques sur son corps de la cruauté de ses ennemis.) Pour revenir à Mr Roussel, Messrs les Ducs d’Usez et de Crussol setoint flattez de pouvoir obtenir la delivrance de ce jeune homme ne doutant pas quil ne contrefit le fol, selon le conseil quon lui avoit fait donner ; mais Mr Roussel crut qu’il se feroit tort à lui-même et à la Religion sil contrefaisoit le fol. C’est pourquoy, l’on dit que, lorsque Mr le Duc d’Usez s’en fut à la prison pour le presser à cela, il repondit avec modestie et avec fermeté : « Monseigneur, je vous suis tres obligé de vos bonnes intentions en ma faveur, mais permettez moy de dire a votre Grandeur que je n’ai jamais été de meilleur sens que je suis presentement et que ma conscience ne me permet pas de contrefaire le fol. » Mr Diverny écrivant à Mr le Duc d’Usez ajoutoit que laffaire du nommé Roussel lui paroissoit fort mauvaise, parce quil étoit reconnu pour un veritable prédicant et que la cour étoit informée de cette capture ; pour engager Mr le Duc à ne sintéresser plus dans cette affaire, il disoit encore qu’il seroit fort à souhaitter, pour linteret du Roy et pour la tranquilité de la Province, que tous ceux qui font de pareilles manœuvres fussent arretés. Il finissoit sa lettre on lassurant quil étoit bien mortifié de ne pouvoir pas dans cette occasion lui faire connoître lattention sincere pour tout ce qui venoit de sa part. Voila tout ce que des Ducs et premiers Pairs du Royaume peuvent, lorsqu’il s’agit de Religion ! Le Clergé Romain a si bien sçu ennyvrer les grands de la terre du vin empoisonné de ses superstitions, quils ne vojent point les veritez les plus evidentes et ce qui seroit le plus utile pour le salut et pour la prosperité des Etats. Vous vous trompez, o Diverny, lorsque vous croyez quil seroit à souhaitter que tous ceux qui prechent notre Religion en France fussent arretez ! Il conviendroit infiniment mieux quon chassat ou quon fit travailler un infinité d’ecclésiastiques ou de moines qui vivent dans le luxe ou dans la fénéantise et qui sous prétexte de Religion consument inutilement la meilleure partie du revenû des Etats, ou ils ont etabli leur empire sur les consciences. — Comme on se flatte toujours que ce quon desire avec ardeur arrivera, les parens de Mr Roussel ne se lassèrent point de continuer leurs sollicitations, quoy quon leur eut declaré quil ni avoit point desperance ; Ils crurent que Mr le Marquis de la Farre, venant de la cour et devant passer à Usez ou il devoit prendre un rafraîchissement dans le Palais ducal, et Mr Lintendant aussi bien que Mr Diverny sy devant trouver, on pourroit par des prieres réitérées toucher le cœur de ces Seigneurs pour obtenir la delivrance du prisonnier ou du moins un adoucissement à ses peines. Mais Mr l’intendant, qui savoit parfaitement par quel acte devoit finir la scene, pressoit toujours le procez, et, pour mieux jouer son rolle, il fut joindre Mr De la Farre au St. Esprit, ou ils delibererent sans doute que Mr De la Farre s’excuseroit toujours sur ce que cetoit à Mr l’intendant a juger cette affaire. Celui-cy sen retourna à Montpellier, assembla quelques juges vendus au Papisme et à la Cour prevenûe contre notre Religion, et quoy que Mr Roussel neut pas eté dénoncé, quoy quil ni eut aucun temoignage qui deposat contre lui, sur la simple confrontatipn des cavaliers qui larretèrent et sur sa deposition, il fut condamné à être pendu.

Et pourquoy ? pour auoir preché l’Evangile et pour avoir assisté a quelque synode, où on ne parle que de ce qui regarde lavancement du règne de notre Seigneur J.-C. La sentence rendue, on ne pense plus qu’a lexecution ; mais le jour du jugement, le bourreau ne se trouvant pas en ville, on fut obligé dattendre au lendemain. L’heure de l’exécution étant venue, notre fidele martyr vit entrer dans sa prison le bourreau et un archer ; ce dernier connoissant Mr Roussel l’embrassa et pleura ; mais Mr Roussel ne paru pas émù ; il se contenta de temoigner sa reconnoissance a cet archer attendri et il se mit ensuite à genoux pour prier Dieu. Il le fit à haute voix, et sa prière fut accompagnée de tant d’onction et de zele quelle ravit en admiration l’archer et le bourreau qui n’etoient pas accoutumez d’en entendre de pareilles. Après cela ; on vit entrer trois ou quatre moines qui étoint venus a la citadele, soit pour disposer Mr Roussel à la mort, soit pour le séduire à changer de Religion par les motifs les plus capables d’ebranler un fidèle qui n’auroit pas posé sa foy sur un solide fondement. Mais ce fut en vain què les moines deplojerent leur éloquence ; Mr Roussel leur repondit toujours avec beaucoup de douceur, de sagesse, et de fermeté touchant sa Religion et son esperance. Il leur temoigna que, bien loing de craindre la mort, il la regardoit comme la fin de ses peines et son entrée dans le séjour des bienheureux ; c’est pourquoy il les prioit instamment de le laisser en repos, n’ajant aucun besoin de leur ministere. Mr le Major de la place qui étoit près de là, ayant entendu ces dernières paroles, entra dans la prison, et dit à Mr Roussel quil ne faloit pas mepriser ces Reverends Peres, puis quils etoint la pour le disposer à bien mourir. Mr Roussel lui repondit quil ne meprisoit ni navoit jamais meprisé personne ; mais que n’ajant aucun besoin du secours de ces Reverends Peres, il les prioit instamment de le laisser en repos. Apres ces paroles, notre Martyr tira en particulier Mr le Major, Il le chargea de quelque chose qui regardent sa famille, et après auoir reçu la promesse qu’il souhaittoit, il le remercia, et ensuitte il se dépouilla et se remit entre les mains du bourreau. On sortit ensuitte de la citadele. On avoit eu soin de ranger depuis la porte de la place jusque au gibet deux fortes hayes de soldats, le fusil monté et la bajonnete au bout. Notre martyr étoit accompagné par le bourreau, une trouppe d’archers, une autre de soldats, et une autre de tambours qui battoint la caisse, et par les moynes qui ne le voulurent pas quitter, quoy qu’il les eut pries instamment de le laisser en repos et quil les rebuttat ensuitte avec les bras lorsqu’ils s’approchoint trop de ses oreilles dans un temps ou il étoit uniquement occupé de Dieu. Mais notre martyr, en allant offrir à Dieu le sacrifice de son corps, auoit affaire à des oiseaux plus opiniatres et plus mauvais que le patriarche Abraam lorsqu’il offrit le sien, comme il est raconté en la Genèse. Malgré le bruit des tambours, il y eut des personnes qui s’etant approchées, soit par faveur ou par quelque argent qu’on donne aux soldats pour pouvoir rendre temoignage de tout ce qui se passe dans les derniers momens de ceux qui scélent la verité de leur sang, entendirent que notre martyr chanta une partie du Pseaume 51 et la fin du 34, qui finit le dernier acte de sa devotion. On ne remarqua point dans sa route quil eut un visage triste ou effrajé, au contraire on remarqua un air tranquile, doux et modeste ; il sembloit quil alloit plutot à une feste qu’a un suplice ; ses yeux etoint souvent fixez vers le Ciel qu’il regardoit comme sa patrie et le lieu de son repos, après avoir soutenû les combats et les épreuves qui sont attachées à la profession de L’Évangile. Il se mit à genoux où il fit encore une prière ; après quoy, il monta l’echelle avec beaucoup de courage et de fermeté. Le bourreau attendri, voulut encore le solliciter de sauver sa vie en changeant de Religion ; mais comme c’etoit une aveugle tendresse, ce furent aussi des paroles fort inutiles. Le bourreau fit son office. L’âme de notre martyr fut bientôt séparée de son corps ; elle s’envola dans le Ciel accompagnée des anges qui sont les administrateurs de la miséricorde de Dieu. Le corps fut inhumé dans une fosse qui n’étoit pas éloignée du lieu du supplice. Quatre filles setoint presentées avec des suaires pour l’enveloper, pendant qu’on vojoit un très grand nombre de personnes fondre en larmes ; plusieurs Catholiques Romains qui n’ont pas perdu les idées de l’equité naturelle et les sentimens de l’humanité furent attendris aussi.

Touttes les Églises de ce païs ont été édifiées du zèle, de la patience et de la fidélité de Mr Roussel, qui a glorifié Dieu jusqu’au dernier soupir de sa vie. Tous ses collegues dans l’œuvre du Seigneur, bien loing detre intimidez parce supplice, ont pris un nouveau courage et aspirent avec ardeur a la mesme couronne de martyr, si la Divine Providence les y appelle. Ce fut un mardy, le dernier de novembre de l’année 1728, que Mr Roussel finit ses glorieux combats pour entendre de la bouche de son Divin Maitre ces douces et ravissantes paroles : « Viens, bon et fidele serviteur entre dans la joye de ton Seigneur ; viens prendre part à la gloire que je possede et que je t’avois preparée avant la fondation du monde. » Il faut notter que les ennemis de notre Religion, jusqu’aux moines, aux archers et au bourreau, ont rendû de fort bons temoignages à notre martyr ; Dieu l’a permis ainsi pour confirmer notre foy, comme il voulut que le centenier et un brigand qui étoit attaché à une Croix aupres de notre Divin Sauveur lui rendissent un temoignage digne de lui.

Lors que la mère de Mr Roussel apprit la nouvelle comme on avoit exécuté son fils, et de quelle manière son fils avoit souffert la mort, bien loin d’être affligée, elle temoigna de la joye de ce que Dieu lui avoit fait la grace de triompher de tous ses ennemis visibles et invisibles. Mr Court fut la voir pour la consoler, mais elle lui répondit avec une fermeté chretienne : « Si mon fils avoit témoigné quelque foiblesse : je ne m’en serois jamais consolée, mais puisqu’il est mort constamment, que de graces n’ai-je pas à rendre à Dieu qui la fortifié. « 

Il ne sera pas hors de propos de faire attention à une circonstance qui arriva le mesme jour qu’on executa Mr Roussel. Le dessein de nos ennemis est d’abolir entièrement notre Religion. C’est pour cela qu’ils font mourir les pasteurs et predicateurs qu’ils peuvent attraper, et qu’ils ont mis encore leur teste à prix, mais cest en vain qu’ils font tous leurs efforts. Comme cest ici une œuvre de Dieu, ils ne sauroint la detruire. On void accomplir dans notre pais ce qu’un ancien Pere disait autrefois, que le sang des martyrs devenoit la semence de l’Église.

Le jour mesme que les Ministres de la superstition immoloint une de ces innocentes victimes a leur zele aveugle ou a leurs passions criminelles, une autre de ces victimes, qui s’est dévouée au service du Dieu de vérité et a ledification de ces Églises, convoqua une assemblée dans un lieu qui netoit pas loing de celui où on avoit fait lexecution. Une de ces personnes qui avoit assisté a l’ensevelissement de Mr Roussel raconta a Mr Court, qui devoit precher ce soir la, de quelle manière tout setoit passé ; il en loua le Seigneur, et au lieu detre intimidé il sentit que son courage et son zele senflammoint, quoy que sa teste ait eté mise au plus haut prix que celle des autres (on dit jusqu’à dix mille livres), parce qu’on croit quil a dressé et quil dresse tous les jours des esleves pour repandre à ce que disent nos ennemis une heresie damnable. La dernière accusation est une calomnie, mais la première est assez bien fondée. C’est pourquoy on se donne des grands mouvemens pour attraper ce serviteur de Dieu. La veille des Rois, cent soldats et cinq officiers a la teste se donnerent la peine de partir à onze du soir de Nisme et de laller chercher a une campagne ou l’on avoit dit sans doute quil etoit. L’avis étoit faux et bien lui en valut, Car on fouilla fort exactement la maison. On y alla avec tant de feu que quelques officiers en ont eté malades ou du froid ou de la fatigue, et ceux de la maison en penserent mourir de frayeur. Ces recherches qui arrivent assez frequemment donnent beaucoup dinquietude aux Brebis de ce Pasteur ; elles craignent toujours quelque catastrophe facheuse ; ce qui redouble ces craintes, cest que les ennemis et les Protestans l’ont toujours à la bouche ; les ennemis pour le depeindre, et pour promettre tant à qui l’aura, ou pour dire à quelque Protestant : Nous l’aurons votre Mr Court ; les Protestants pour dire : il a passé là ; il a risqué en tel endroit ; il a echapé un tel peril ; un tel la voulu livrer, et la dessus il se debite quelquefois des fables qui passent pour les histoires les plus certaines. Celle d’un certain Minot qui a été soupçonné davoir vendu autrefois un certain Moyse qui fesoit des assemblées, est de cette espèce. Je ne ferai point un détail de ce que Mr Court me dit sur ce sujet et que l’on debitte comme vray. Il suffit de dire que Mr Court justifie parfaitement le susdit Minot de la derniere accusation qu’on a dressée contre lui ; mais la chose est si répandue dans le pays que ce miserable, qui est devenu en quelque manière l’horreur de tout le monde, aura bien de la peine à s’en lauer. Les hommes sont souvent injustes et temeraires dans leurs jugements. Mais Dieu qui connoît les cœurs rend à chacun selon ses œuvres ou selon ses dispositions intérieures ; c’est à nous a adorer les voyes incomprehensibles de la Providence. La maison de Minot a été autrefois une retraitte de predicateurs ; mais depuis qu’il a eté accuse d’avoir vendu Moyse, il a eté fort suspect. C’est en vain qu’il a taché de retablir sa reputation et d’attirer chez lui des predicateurs, on la toujours craint, et la fausse histoire qu’on a repandu nouvellement sur son sujet a achevé de le faire regarder comme un autre Judas. C’est (encore une fois) à Dieu qui seul connoit les cœurs à decider de linnocence ou de linfidélité de ce Minot dont Dieu n’a pas beni les affaires temporelles depuis plusieurs années. Ce que le commun peuple regarde à son esgard comme un jugement de Dieu et un signe de reprobation. Pour revenir à M. Court, la pluspart de ses amys, vojant les soins extraordinaires que nos ennemis se donnent pour latrapper, la grandeur de la recompense quon a promis à celui qui le livrera, et l’ecès de la misère qui règne dans le païs, ce qui est une grande tentation pour des miserables en qui la verité n’a pas jetté de proffondes racines dans le cœur, lui conseillent de s’absenter pour quelque temps et de sortir hors du Royaume, jusqu’à ce que l’orage, qui semble le menacer encore plus que tous les autres, fut un peu passé. Qu’en pense-t-il lui-mesme ? Il croit qu’avec un peu plus de precaution, il n’en doit rien faire. Il a reçu tant de marques de la protection Divine, il sent son Ministere si necessaire à L’Église, il fait tant d’attention à ces paroles Evangéliques : Le Berger qui voit le loup et qui s’enfuit est un mercenaire, qu’il croiroit pecher et contre la bonté Divine qui la protegé si souvent et en tant d’occasions differentes et contre L’Église à laquelle son ministere paroit si utile, et se rendre coupable d’une extrême lacheté, s’il abandonnoit aujourd’huy son troupeau. Il croit qu’un pasteur n’en doit venir là, que lorsque le danger est extrême et quil paroit moralement innévitable, sil ne prend ce parti ; que lorsqu’il y a lieu de presumer que lorage ne sera pas long et que son absence le calmera ; que lorsque lexercice de son ministère feroit plus de mal à son troupeau, en lexposant au danger de perdre un pasteur utile, qu’il n’en recuilliroit davantage pour sa sanctification, et qu’en se conservant, il se réseruera pour de plus grands biens. Si les choses en viennent jamais la, ce qua Dieu ne plaise ! il est apparent quil se resoudroit a prendre ce parti. Mais il s’en faut encore quelque chose que les affaires sojent sur ce pied la quil faille deserter le pais. Depuis la prise et la mort de Mr Roussel, il a fait un tour dans touttes les Églises de son departement. Il a trouvé par tout autant ou plus de zèle ; les assemblées ont été pour le moins aussi nombreuses qu’auparavant. Il a passé par tout avec la mesme tranquilité, la Providance ajant detourné les orages qui le menaçoint dans des lieux ou il netoit pas, et ce qui fait encore plus de plaisir que tout, Dieu a beni son ministere par tout il a passé. Il s’est caché pendant quelque temps, a cause du grand froid plutot que par la crainte de ses ennemis, et il se prepare pour le beau temps, pendant lequel il espere de faire une abondante moisson pour son Divin Maître. Voila la situation des affaires de notre religion en Languedoc, selon la relation de Mr Court que jai copiée presque mot à mot. Mr Cortez travaille dans les Cevennes avec le mesme succez, et ces Messieurs sont secondez par quelques proposants qui aspirent à la mesme gloire. Nous devons prier pour leur conservation et pour la benediction de leurs travaux. J’aurai soin de vous informer de tout ce qui se passera de considerable dans ce païs.

Je suis cependant toujours, Monsieur et cher amy, votre F. H.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant