Histoire de la restauration du protestantisme en France

21. Copie d’une lettre de M. Court, ministre du saint Évangile de France (1729)

Le 30 avril 1729.

Monsieur et cher amy.

Depuis ma lettre ecritte, il est arrivé d’autres événemens que j’ay cru (dignes de) meritter votre attention. Lanuit du ler mars 1729 et sur le matin du mercredy matin, le commandant d’une ville de cette province, à la teste de la garnison et accompagné d’un officier, fit comprendre que je n’étois pas encore oublié. Il fut me chercher exactement dans deux maisons de la ditte ville. Lallarme fut chaude pour bien des gens et la mienne, pendant un moment ne fut pas des plus petittes. Le mouvement que les troupes se donnoint ayant été apperçu par une des personnes qui me savoint en ville, et cette personne, ayant sçu qu’on en avoit déjà fouillé une maison et qu’on on auoit inuesti une autre, courut sur le champ pour m’en donner avis, et, comme elle me parloit encore, nous entendîmes heurter à coups redoublez la porte de la maison ou j’étois. Ce qui nous fit craindre dabord que ce ne fut le detachement ; mais mieux informez nous en fumes, graces au Seigneur, quittes pour la peur. Du depuis, dans le mois d’avril, le mesme commandant suivi d’une partie de sa garnison a été me chercher avec la mesme exactitude dans une autre maison. Cest ce qui arriva à deux heures après midy, le 2e du mesme mois. On voit par tous ces mouvemens qu’on ne manque pas d’espions, que je fais beaucoup de la peine à l’ennemi, et qu’on ne neglige rien pour me surprendre ; mais on voit en mesme temps que les soins de la Providence ne se lassent pas en ma faveur ; qu’elle veille pour ma conservation ; que les ennemis et les espions quelques rusez qu’ils puissent être sont souvent confondus dans leur maligne sagesse.

Mais un seul projet ne roule pas dans l’esprit de l’ennemi politique ; il n’est pas seulement attentif à la destruction du pasteur, il ne néglige rien de tout ce qui peut contribuer à la dissipation du troupeau. Vous avez sans doute ouï parler des arrondissemens qu’on a faits de tous les lieux ou on a fait des assemblées, par lesquels chaque quartier doit repondre de tout ce qui s’y fait et payer, quand mesme ils n’auroint pas assisté aux assemblées, des amendes arbitraires. Vous n’ignorez pas non plus l’ordonnance qu’on a surpris de nouveau à la Cour contre nos assemblées ; mais les peines afflictives, soit qu’elles regardent les corps ou les biens, ne sont pas asses efficaces pour détourner un peuple convaincu de l’excellence et de la necessité de ses devoirs envers Dieu et de la pratique de nos assemblées qui intriguent tant l’adversaire. C’est le grand article qui lui tient à cœur. Cest pourquoy sa politique embrasse avec avidité les mesmes occasions pour ruiner les protestants en confondant l’innocent avec le coupable. On vient aussi de renouveller les ordres qui condamnent à l’amende les pères et les mères, qui n’enuojeront pas leurs enfans à la messe et aux instructions catholiques, et on voit les prêtres, les officiers des troupes et ceux de justice, commencer avec beaucoup d’application, se donner des mouvemens pour que cet article soit observé.

Voicy un événement de fraîche datte, une ville, appellée Anduze, vient d’éprouver ce que peut la haine catholique. Depuis la contagion, Mr Diverny avoit conçu beaucoup de ressentiment contre cette ville, qui est presque toutte de protestans, et cela au sujet de quelque prétendu mepris ; mais il n’avoit pas trouvé jusques icy aucune occasion d’exercer sa vengeance, quelque attention quil se fut donné pour cela. Enfin il a cru l’auoir trouvée dans un événement que voicy. Quelques jeunes garçons, protestans de theorie ou de naissance, mais mal reformez de pratique et de réalité, se trouvant à une heure fort avancée dans la nuit sur le pavé, la veille de Noël, rencontrèrent sur leurs pas quelques bergers qui revenoint de la devotion que les catholiques celebrent cette nuit-là ; ils les insultèrent par des paroles peu conformes sans doute au respect que les catholiques apportent à ces devotions. Les bergers insultez se recrièrent, firent du bruit ; le bruit entendu par le corps de garde attira une troupe de soldats au secours des insultez, ce qui étant apparçu par ces jeunes garnemens, qui avoint apparemment bû, les obligea à faire voler des pierres en l’air pour les empecher daprocher. Une de ces pierres porta coup et blessa un soldat, ce qui irrita tellement les autres qu’ils poursuivirent avec ardeur la temeraire et criminelle troupe. On arreta un des coupables ; on le mit en prison ; les bergers portèrent leurs plaintes ; ces plaintes arrivèrent aux oreilles de Mr Diverny, qui se tenoit dans une autre ville ; ce commandant des Cévennes s’irrita si fort qu’il courut sur le champ vers la ville ou la scène s’etoit passée. Il fit arreter un autre des mutins, et denonça de severes chatimens contre tous les habitans reformez. L’action étoit particulière, il ni avoit tout au plus que trois ou quatre jeunes droles qui étoint coupables ; n’importe, la peine devoit rejaillir sur tous les reformez qui etoint renfermez dans le sein des mesmes murailles. Une chose manquoit pourtant, c’étoit une apparence de justice ; elle se presenta. Les droles, qui etoint prisonniers a loccasion de cette affaire s’étant apperçus qu’un tambour de la garnison, qui étoit prisonnier avec eux, descendoit touttes les nuits par le mojen de quelques draps de lict quil avoit attachez à la fenetre, voulurent proffiter un soir du même mojen ; ils se sauverent et emporterent en mesme temps les draps. Le tambour, qui auoit accoutumé de se remettre en prison par le mesme artifice quil en descendoit, ne trouvant plus sa commode machine, fut fort surpris et embarrassé ; mais la crainte du mauvais sort qui lattendoit lui ajant fait inventer un nouveau mojen pour se remettre en prison, il fit fracture de la serrure de la prison, et, des quil y fut rentré, il se mit à crier : Au secours, Au secours, les prisonniers se sauvent, ce quil soutint par leffronterie suiuante : Des protestans masquez ont forcé la prison et ont enlevé les prisonniers. Là dessus on verbalise, le juge et quelques autres donnèrent leur seing, le procez de mensonge fut envoyé à Mrs de la Farre, Lintendant, et Diverny ; voila tous les Reformez de cette ville coupables. Vous les allez voir aussi condamnez au mesme chatiment. A peine cet inique verbal eut été porté à Montpelier que Mr Diverny arriva dans Anduze à la teste de deux compagnies de soldats, le fusil monté et la bajonnette au bout, comme sil étoit entré dans une ville prise dassaut. il joignit les deux compagnies de la garnison quil mena auec les siennes dans une des places de la ville, c’est là quil les prepara à bien faire leur devoir, pendant que linfortuné habitant reformé se pamoit de frayeur ne sachant comment se termineroit un si terrible appareil. Mr Diverny ne les laissa pas longtemps en suspens. Il decoupla à chaque reformé deux soldats avec ordre de payer à chacun dix sols par jour avec les ustencilles ; et les officiers devoint avoir à proportion. Le croiriez-vous ? cette rongeante vermine a eu le bonheur de loger 22 jours chez ces infortunées victimes immolées à la passion du Sr Diverny. N’est-ce pas un homme bien vengé ? Il y a apparence quil l’auroit été encore

davantage si quelques catholiques plus pitojables, et d’une autre équité que ne l’est l’ennemi declaré, n’avoint secondé les protestans de cette ville qui travaillérent à faire de nouvelles informations par lesquelles il a eté averé que les prisonniers n’avoint eu d’autre secours que la machine du soldat tambour, ce qui a esté mesme declaré et confessé par ce dernier. L’injustice étoit donc grande et toutte visible. Mais vous vous tromperiez néanmoins, infortunés habitans ! Vous vous attendiez d’en recevoir quelque dédomagement ; on connoitra votre innocence ; on verra linjustice que vous avez soufferte ; on sera persuadé que ce n’est que l’effet d’un caprice violent et emporté, celui d’une vengeance qui se sent de la fureur ; mais vous n’en serez pas moins malheureux ; vous n’en perdrez pas moins les taxes ruineuses que vous avez été contrains de pajer, heureux encore d’en échaper à si bon marché et de n’avoir pas été passez au fil de l’épée. Je conte que, si la chose n’auoit tenû qu’à Mr Diverny, l’affaire étoit faite. Il falloit y passer.

Vous apprites par notre cher frère, Mr Betrines, comme nous auions tenu notre assemblée synodale du païs bas, le 8e du courant, et les délibérations qui y ont été prises ; c’est pourquoy je ne vous en parlerai pas. Depuis la tenue de cette assemblée 130 soldats, deux officiers à la teste, ont été me chercher dans une maison de Nismes avec la dernière exactitude. C’était le 24e Avril. Ces recherches fréquentes et inutiles servent à nous faire admirer la Providence, à ranimer notre zèle et à redoubler de precautions pour ne pas tomber entre les mains de l’ennemi.

Tous les vrais fideles qui s’interessent à l’avancement du règne de Notre Seigneur J. C., et qui prennent part à la froissure de Joseph, sont priez de se souvenir dans leurs oraisons de leurs frères qui gemissent sous la croix et de leur fournir les secours spirituels qui dépendront deux, afin de supléer en quelque manière à la rareté des pasteurs que Dieu a suscitté en France pour y ralumer la chandelier de sa Parole. Le Seigneur qui est la source de tout bien agréera leurs offrandes et leurs prières, et leur communiquera ses grâces les plus précieuses.

(Archives de l’Hérault, 2e division, paquet 90.)

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