Histoire de la restauration du protestantisme en France

22. Relation historique des principaux événements qui sont arrivés à la religion protestante depuis la révocation des Edits de Nantes, l’an 1685, jusques à l’an présent 1728, par Corteiz

Je ne rapporteray pas ici toutes les cruautés qu’on a exercées contre les Réformés, n’y le nom des personnes qui ont souffert le martire pour la déffence de la vraye foi ; je me propose seulement de rapporter icy, comme Dieu, justement irrité pour le mépris fait à sa parole, a voulû transporter son chandelier hors de la France, — mais pour la gloire de son grand nom, et pour le bonheur de ses élus, Dieu a conservé dans le cœur d’un nombre de fldelles, comme un feu caché sous les cendres ; et lorsque le temps précis a été accompli, Dieu a fait naître des moyens pour ralumer ce feu caché. — Je ne doute pas que quelques pieux Reformés n’ayent fait une narration exatte de toutes les choses qui se sont passées durant le cours de cette horrible persecution : mais en attendant que cette pièce soit mise aux yeux du public, les personnes qui sont touchées de la froissure de Joseph, liront avec quelque plaisir cette briève relation.

Tout le monde est assés informé que l’Église romaine est fort ingénieuse a engager les Roys a la persecution. Ayant malicieusement prevu que la lumiere de l’Évangile, qui éclaire la religion protestante, leur étoit nuisible, ils commencerent en l’an 1685 par un Edit de Louis XIV, Roy de France, d’interdire les ministres de l’Évangile, de demolir des temples, de bruler l’Écriture Ste et touttes sortes de livres de controverse et de pieté qui pouvoient servir aux Reformés ; ils firent en même temps des églises partout, et établirent a chaque paroisses des prêtres pour y chanter Messe, et des régents d’ecole qui leurs fussent favorables, pour enseigner à la jeunesse leurs dogmes et leurs principes. Voila les enfans de ce siècle plus prudents dans leurs generation que les enfans de lumiere ; voila de beaux maximes pour détruire entierement la religion reformée, et pour établir avantageusement le papisme. Mais Dieu, qui veille pour la conservation de ses élus et qui ne permet pas que leur foy manque et que ses voyes ne sont pas les voyes des hommes, Dieu donc ne permît pas que la plus part des protestants abandonnassent la vérité pour une abjuration que l’Église romaine exigeolt, laquelle abjuration fesoit même horreur a la plus part de ceux de leur communion. Et comme les émiçaires de la bête trouverent des conciences qui leurs resistaient, ils n’epargnèrent n’y le fer n’y le feu pour les faire sucomber, comme toute la terre en est imformée. Ce qui obligeat une quantité considérable de Reformés a former une constante résolution de tout abandonner, maisons, biens, parents, et amis, pour sauver la vie spirituelle de l’ame. Alors les émiçaires du fils de perdiction y formèrent de nouvelles précautions ; ils obtinrent un ordre du Roy d’empecher les Reformés de sortir du royaume, et bloquèrent, autant qu’il dépendit deux, toutes sortes de passages, pour empêcher les protestants de quitter leurs biens et de sortir l’argent de France.

Et comme Dieu ne se laisse jamais sans témoignage en nous bienfaisant, Dieu susçitât de fidelles témoins pour testifier de sa verité, car, environ ce temps la, se trouva les nommés Messrs Rey, Rrousson avocat au parlement, Vivent, Lapierre qui avoit fait des progrets considérables dans les études, Roman, les trois freres Plants, l’Aleman, Laporte, Dauphiné, Lajeunesse, Holivier et Guest, lesquels, après avoir convoqué pendant quelque temps des assemblées pour confirmer la foy des fidelles dans la verité, eux-mêmes ont signé cette vérité de leur propre sang. Excepté Mess. Lapierre, Roman et Lajeunesse, tous les autres ont souffert courageusement le martire a la gloire de Dieu et a l’honeur de la religion.

L’Église romaine ayant aperçu que la religion protestante se conservoit en France par le moyen des assemblées, elle redoubla la persécution pour éteindre la religion, en éloignant tous les moyens qui auroient put la soutenir ; elle prit même de nouvelles précautions, a savoir elle enleva les enfans d’entre les mains des pères et mères, les faisants conduire dans les couvants, pour y être instruits selon les preceptes de l’Église romaine. Les pères et mères étoient contraints de payer 4 écus le mois pour chacun de leurs enfants qui étoient dans les couvants ; et, lorsqu’on n’avait pas de quoy payer, on envoyoit un détachement de soldats pour emporter ce qu’on trouvoit de meilleur dans la maison.

Monsr l’abé Du Chailas, grand favoris de l’Antechrist, faisoit tous ses efforts dans le diocèse de Mande pour entraîner la jeunesse dans les couvents, et faire exatement payer les pensions. Ce fut alors que les pauvres pères et mères, se voyant privés de leurs biens et de leurs enfants, ne purent plus se retenir. Ce fut alors que la patience fit place à l’impatience et que la violence triompha du silence. Tous les Réformés ne pouvoient presque plus se soutenir, étoient comme dans le désespoir ; les choses se trouvant dans cette situation, quelques fidelles qui sortoient du royaume, pour pouvoir jouir librement de la religion, furent pris et enfermés dans une prison au Pont de Monvert, diocèse de Mande. Monsr l’abé Du Chailas qui leurs faisoit souffrir des peines dures et insupportables, les pauvres Réformés infortunés, qui étoient las de supporter la cruauté de ce Pharaon, crurent qu’ils feroient un acte de la dernière charité d’aller délivrer leur frères prisonniersa. Ils se rendirent à la prison de nuit. Ils enfoncerent la porte de la prison. Monsr l’abé Du Chailas crut qu’il devoit déffandre la porte de la prison, les Réformés qui étoient déjà las de supporter sa malignité se voulurent jette sur luy, mais Mr l’abé leurs fit feu dessus. Alors les questeurs des prisonniers ne garderent plus de mesures : ils mirent le feu à la maison ou étoit Mr l’abé ; Mr l’abé voyant que la maison allait être embrasée, sauta par une fenêtre, mais il fut pris, et, pour tout dire en un mot, il fut tué sur le pontb.

a – En marge, on lit : la naissance des Camisards.

b – En marge, on lit : le pont de Montvert.

Voilà cet inexorable persécuteur mort, voilà aussi les prisonniers mis en liberté ; mais pour cela les Reformés ne furent pas délivrés de leur maux, bien loin de la, ce malheur en attira un autre, même plusieurs autres maux. Car c’est événement irrita si fortement les éclésiastiques Romains, qu’ils crurent qu’il n’y avait point de peines suffisantes pour expiers le crime de ceux qui avoient tué Mr l’abé. Ceux qui avoient fait le meurtre, se voyant avec les prisonniers en quelque manière découverts, crurent quils se pouvoient deffendres contre leurs persécuteurs ; ils formerent une cabale, ils sacquirent deux prédiseurs qui leurs étoient favorables, savoir les nommés Mathieu, natif de Genolhaac, qui fut tué peu de jours après a Pierremalle d’un coup de fuzil, et Salomon Coudert, de la paroisse de St André de Lamsulcre : ce dernier, après avoir régné quelque temps, sortit de France environ l’an 1704, et ensuitte, s’en retournant en France environ l’an 1706, fut pris à Livron en Dauphiné, et puis conduit et brulé à Montpelier.

Consecutivement après la mort de Mr l’abé, Nicolas Jeanni Gony natif des Plos, proche de Genolhaac, s’erigeat en chef de cette troupe, qui tenoit la campagne, sagrossisoit tout les jours comme un pelotton de nége qui dessant d’une montagne ; ces personnes érantes cherchent a se munir des armes ; ils furent avec violence au chateau de la Devex, et étant repoussés avec perte, ils se ruèrent comme des lions, sans épargner ny hommes ny femmes. Le dit Salomon Coudert, qui faisoit déjà le prophète et le predicateur, sâmassa une troupe fort considerable de son côté animés tous de l’esprit de cruauté.

En ce même temps la, y parût un nommé Castagnet, de Massevague, paroisse de Fraissinet de Fourgues, proche la montagne de Legoual, qui fit aussy le prophète et le prédicateur ; il fut suivit d’un nombre considerable de personnes. Il se porta aussi de son côté a tuer les prêtres et a brûler les eglises. Il est bien vray que la jeunesse qui suivoit ce dernier ne le voulut pas suivre fort longtemps, mais se rendirent sous la conduitte d’un nomme La Rose, qui s’étoit aussy lui même établit capitaine. Il faut observer que ce dernier ne se disoit point prophète. Ceux cy, c’est adire ces attrouppés, se tenoient dans les hautes Cévenes ; mais ils furent en même temps secondés par de nouveaux attroupés, assavoir par Mr Cavaillé et par Mr Laporte dit Roland ; le premier de ces deux se tenoit du cote de Nisme avec sa bande, le second se tenoit dans les basses Cévenes, avec les Camisards qui le suivoit. Tous deux, recuts prophètes par les fols jugements du peuple, tous deux bruloient les églises, et tuoient les prêtres. Monsr Cavaillé et les siens, poussés par leurs prétendues inspirations, firent tuer des femmes et des petits enfans a Sansceries et a Solororgues, proche Lunel. Nicolas Gony en fit de même a Chambourigeau par lavis et conseil de ces prétendus inspirés. Je passe sous silence les actions indignes et cruelles qui furent exercées par lavis du même esprit a Malataverne, proche Alais, en Cévenes.

Tous ces Camisards, après avoir régné quelque temps et s’être vus souvent dispercé, finalement Monsr le maréchal Duvillard, par une douceur digne de lui et par une prudence très-louable, appaisa ces factions et ces désordres. Mais, avant que de calmer cette furieuse tempête, il y eut quarante-deux paroisses brûlées du diocèse de Mande ou d’Usés et la plus grande partie du monde tués on dispercés. Dieu, qui dirige de tous les evenements, disposa ainsi des choses afin de punir et de chatier un peuple qui avoit profané son saint et grand nom, et foulé aux pieds les exortations et les remontrances de ses serviteurs. L’Église romaine a péché contre Dieu d’engager le Roy a persécuter et détruire des gens que, dans le fond de la doctrine et de la créance, ils ne reçoivent que ce que la parole divinement inspirée nous enseigne. Les protestants sont très criminels devant Dieu de ne profitter pas des chatiments de Dieu, et d’avoir plus de crainte des hommes qui ne peuvent tuer que le corps, que de Dieu qui a la puissance d’envoyer le corps et l’âme tout ensemble dans la gène du feu. Aincy Dieu a justement permis que les persécutés et les persécuteurs, tous ensemble, ayent senti la pesanteur de sa main.

Après tous ces fatals evenements, il se passa quelques années que les Réformés se trouverent sans pasteurs, sans livres, sans libertés, hormis un petit reste de Camisards, savoir les nommés Pierre Clary, Jaque Bonbounous, Mathieu Mazet, Laveille, Salomon Sabatier de la paroisse de Cros, Etienne Arneau et quelques autres dont la plupart iliterats. Et pourtant ils s’apliquerent a aprendre a lire ; quelqu’uns d’entreux apprit même quelques sermons par cœur faits par quelques habilles hommes et qu’ensuite ils anonçoient aux fidelles qui les venoient écouter, mais, comme les voisins savoient que c’étoit des novices a lire, ne faisoient pas beaucoup d’atention a leurs prédications.

Alors les recherches ètoient très exates, les sùplices étoient effroyables, on ne parloit que de rompre, que de bruler, c’est aincy qu’on traittoit le reste des Camisards. Alors reignoit Mr Debaville, intendant de la province du Languedoc, hommes cruel et impitoyable, s’il y en a jamais ût dans le monde. La haine et l’aversion que les jésuites lui inspiroient contre la religion reformée, la cruauté qui lui étoit naturellement en inclination, produisoit une grande joie dans son ame, lorsquil trouvoit occation de condamner quelque protestant a un affreux suplice. Laissons ce tiran au jugement de Dieu.

Environ ce temps la, Mr le marquis de l’Holande, qui étoit alors a Alais, en Cévenes, donna un passeport a Salomon Sabatier, de la paroisse de Cros, et a Etienne Arneau, de St Hipolite de la Planquette, pour s’en aller a Geneve.

Pour revenir a moy et au moyens que Dieu s’est servit pour m’apeller à sa eonnoissance, en l’an 1697, il me tomba entre les mains, le Bouclier de la Joy, le Combat chrétien, dix décades de sermons, excelents ouvrages de Monsr Pierre Dumoulin, Le Dialogue entre son père et son fils pour voir si l’on se peut sauver en allant a la Messe, pour eviter la persecution, ouvrage des plus convenables pour la situation d’une Église comme celle de France, et enfin un Catechisme de controverse par Dumoulin. Je lû tous ces livres avec une sérieuse attention ; Dieu me donna la lumière d’entendement pour pouvoir discerner la vraye religion d’avec la fauce. Ce fût alors que je conçu un souverain mépris pour les erreurs de l’Église romaine, ce fut alors que j’aima et que je m’attachà fortement à la vérité de la religion reformée. J’étois agé d’environ 16 a 17 ans. Environ deux ans après, 1699, Jean Fegeroles, d’Alicce de Rhunes, paroisse de Frésinet de Losére, diocèse de Mande, avoit fait convoquer une assemblée dans le lieu de ma naissance, qui est Nozaret, paroisse de Vialas, ancienne de Cartagnol, diocèse d’Usés, en Cevenes ; le dit Jean Felgerole n’étant pas venû a l’assemblée qui étoit convoquée en son nom, quelques personnes qui étoient à l’assemblée, avec lesquelles javois eu de fréquentes conversations, me prièrent de ne pas laisser partir l’assemblée sans leurs donner quelque consolation ; tout d’un coup je me trouva rempli de courage et de zèle, et je parla avec beaucoup de fermeté et d’ardeur de la parole de Dieu. Alors je fus ardemment requis par mes voisins, tous les dimanches, de leur donner quelque exhortation. Cela éclata dans toute la paroise qui est composée de 14 villages ; tout le monde me fit caresse et me donna connoitre qu’il avoit de l’estime pour moi et pour mes exhortations, ce qui ne contribua pas peu a l’augmentation de mon courage. Je continua ainsy a faire quelques exhortations jusqu’à lan 1702 que les Camisards commencèrent a faire leurs estratagêmes, et que tout le Languedoc et Vivarès formilloit de prétendus prophètes, disant dans leurs imaginaires révélations qu’il faloit tueries prêtres, bruler les autels. Par l’avis de quelques amis qui regardoient leurs rêveries comme un zèle précité, je voulus aller reprimer par quelques exhortations et bonnes remontrances leurs cruautés. Je pris donc la liberté de parler a ces Camisards et en particulier a Nicolas Jony, capitaine de la bande, qui battoit nos montagnes, leurs représentant que tuer les prêtres, bruler les églises, ce n’etoit ny de la doctrine de l’Évangile, ny de la pratique des premiers chrétiens, d’ailleur que cela ne fesoit qu’allumer la fureur des ennemis et ruiner entierement le païs. Mais helas ! mon conseil fut très mal reçut. Les prétenduts inspirés commencèrent a se détacher contre moy, me traitant d’incrédule et de murmurateur, me menaçant de me faire s. ubir le même sort des prêtres de l’Église romaine, etje n’ût pour ma deffence qu’un grand silence. Cependant je continua a exhorter mes frères de la paroisse de ma naissance jusqu’a l’an 1703.

Alors je ne put rester d’avantage a la maison de mon père, Monsr le coronel Du Vilard étant venut avec un ordre de la cour, et avec une puissante armée pour bruller notre paroisse, qui se trouvoit du nombre des 42 qui devoient être brûlées. Monsr de Juilhen, qui a voit reçut le même ordre que Monsr Duvilard, faisoit exattement son devoir dans le diocese de Mande avec une puissante armée pour brûler et tuer tous ceux qu’on trouverait a la campagne, et qui ne s’étoient pas retirés dans les lieux qui leurs avoient été marqués.

En l’an 1704, Monsr le marechal Duvilardc qui se tenoit tantôt à Nimes, tantôt a Montpelier, calma ce feu immodéré des Camisards, comme il a été dit, et donna des passeports dassurance pour aller à Genève, afin d’affaiblir la force desCamisards. Ainsi, après avoir reste un an voltigeant dans les déserts, hors de la maison de mon père, je profita enfin des passeports de Mr Duvilard pour aller a Genève.

c – Nous copions textuellement. Il y a, comme on le verra, plusieurs orthographes pour le même mot ou le même nom.

Je sortis donc de France en l’an 1704, dans le mois de novembre. Je me rendis a Lauzane, en Suisse, et je fis connaissance de Monsr Jean Pierre Secretan ministre et pasteur de l’église de Monts, qui me fit placé pour maitre d’école dans une de ces églises ou je resta environ 15 mois, aubout duquel temps Monsr Sobretan gentilhomme des Cévenes, refugié a Lauzane, ayant parlé avec quelques personnes, soient pasteurs, qui pouroit-on envoyer en France pour soutenir les Réformés dans la vraye foy, et ayant jetté les yeux sur moy, on m’en fit la proposition, et je l’accepta. Je m’en fus jusqu’à Geneve, mais les passages etoient si exattement blocqués, qu’il étoit non seulement difficile, mais impossible de passer jusqu’en Languedoc, sans être arrêté. Aincy mon voyage de France fut renvoyé jusqu’a lan 1709, que, me trouvant a Genève, les nommés Salomon Sabatier et Etienne Arneau, tous deux des Cevenes, ayant tous deux un ardant désir d’aller exhorter leurs freres, me communiquerent leur dessin et me montrèrent une route qu’on leurs avoit donné, qui me parût fort sure, mais aussi fort longue par le grand detour quelle faisoit. Je fis dabord communiquer cette pensée à Mr le marquis d’Argilliés, alors ambassadeur d’Angleterre à Geneve ; j’en donna aussi avis à Mr Sobretan ; les uns et les autres trouvèrent fort bon de faire ce voyage. Je me disposa a partir avec les susnommés.

Le jour de notre depart fut le 5 juin 1709. Etant heureusement arrivés en Cevenes, nous étions tous penetrés de joie ; mais notre joye fut bientot changée en tristesse. Je fus dabord voir mon père et ma mère, qui me reprochèrent mon retour comme la dernière de toutes les imprudences, m’exhortant de m’en retourner au plus vite, si je ne voulois être conduit a un cruel suplice.

Cette voix nous consterna d’abord tous trois ; mais un moment après, nous reprîmes courage, et après avoir embrassé mon père et ma mère, nous descendîmes a Enduze. Là, nous trouvâmes trois garçons qui savoient quelques sermons par mémoire qu’ils avoient heureusement apris, l’un desquels a été papiste. Maie hélas ! a peine trouvions nous quelque maisons de confiance ; nous mangions dans les deserts et nous couchions dans les montagnes, sous les arbres. Quelques semaines après notre arrivée, nous entendîmes dire la funeste nouvelle que les trois jeunes garçons, que nous avions vus a Enduse, étaient pris a Milhieau proche Nimes dans la maison de maitre Pagot. Tous trois furent pendus a Montpellierd.

d – Ils furent trahis par un nommé Janot de Caveirac. Celui qui avait été papiste fut celuy qui brava le plus la mort et souffrit courageusement le martyre.(Note de Corteiz).

Monsr Plantier de Nimes était alors prisonnier avec les trois garçons, savoir : Antoine Cordese de St Daunis, proche Nage, Jean Abric, — il etait du coté de Gange, — et le prosélite nommé Janot. Ce dernier, le matin, quand on fût leurs annoncer qu’ils seroient penduts, il temoigna une joie, qui ne pouvoit proceder que de l’esprit de Dieu, confirmant le courage de ses frères. Peu de temps après, on prit aussi Claris à Usés qui fut aussi pendu a Montpellier. A peine eu-je resté un an avec mes compagnons de voyage et d’oeuvre au Seigneur, que Salomon Sabatier fut arrêté a Sery au pont vieux d’Alais et conduit au fort de la dite ville, et de la a Montpelier ou il fut pendù. Je ne dois pas obmettre que la mort de ce dernier fut tres édifiante ; nos propres ennemis ne purent se retenir de dire que, si un verre de leurs sang le pouvoit garantir, ils le verseroient volontiers ; ils dirent cela après lavoir entendu prêcher dans une chambre du fort, que Monsr de Lolande lavoit fait montrer du cachot pour satisfaire la curiosité de quelques Messieurs et Dames. Ce fatal évenement ne fut pas plûtot passé, en voicy un autre. Un jeune garçon nommé Mathieu Mazel, de Sadorgues, ayant formé une assemblée la nuit dans une maisonnette que l’on se sert pour secher les chataignes, les ennemis les surprirent dans la nuit, ayant négligé de mettre les sentinelles nécessaires ; ils firent des prisonniers, ils tuèrent des hommes et des femmes, entre lesquels se trouva, le dit Mathieu Mazel. Le lieu ou ce catastrophe arriva, est le terroir de Milierrine, parroisse de St Martin, en Cevenes.

Toutes ces choses jettèrent si fortement la terreur dans l’àme d’Etienne Arneaux qu’il prit son chemin pour s’en retourner à Genève ; mais il fut arèté au pont de St Esprit. Et dabord il demanda un capitaine, dissimulant sa route de Genève et qu’il eut été Camisard et predicateur, mais toutes ces précautions furent inutiles, puis qu’environ sept ans après il fut appelé au martire, ayant déserté des troupes et ayant prêché quelque temps dans le désert : il fut pris a Alais et ensuite conduit a Montpelier, de là à Nimes ou le presidial le jugeat et le condamna a être pendù a Alais, — ce qui fut executé le 22 janvier 1718, — ville a laquelle il avoit été pris. La constance, la patience, et l’humilité de ce dernier martir, ne fut pas moins édifiante que celle des précedents, puisque ses juges le grand prevôt et son propre boureau, émùs par les propres mouvements de leurs consçience, ne purent s’empêcher de dire que si la religion protestante est une bonne religion, certainement Arneaux est un saint.

Me voila donc tout seul a precher dans toutes les Cévenes et bas Languedoc, me voila seul echapé de la gueule du lion. Il est vray que Jaques Bonbounous, et Jean Rouvière étoients avec moy ; mais ils ne faisoient point de fonctions de prédicateurs.

Environ ce temps la, je tomba malade. Ce genre de vie dura environ trois ans. Joint les affictions et les chagrains que je recevois tous les jours de voir mes chers frères enlevés de devant mes yeux, les mauvais allimens que je mangeois, l’umidité de la terre sur laquelle couchois, les serénités de la nuit que j’endurois, m’offencèrent le sang et gaterent l’estomac, de sorte que j’etois foible et languissant. Je crû que je devois aller prendre un peu de repos a Geneve pour recouvrer la santé ; je party donc le mois de may 1712, ou j’ariva heureusement à Geneve et en Suisse pour trouver quelque repos, ou je me maria, mais je n’y trouva pas tout le repos que je m’etois attendu. Dieu fit naître de nouvelles afflictions qu’au millieu de mon innocence j’avois des chagrains qui m’êtoient un espèce de martire. Je connus bien que la divine Providence disposoit toutes ces choses pour m’engager a retourner en France, ce que je fis heureusement.

A mon arrivée, je trouva mes deux confrères savoir Mrs Bonbounous et Rouvière ; ces deux m’aprirent comme Jean Vesson, de la paroisse de Cros, et Jean Huc, de la paroisse de Genolhac, faisoient des assemblées, mais qu’ils trouvoient beaucoup d’irrégularité dans leurs conduittes. Le dernier avoit déja prêché du temps des Camisards ; le premier se disoit prophète, le second s’etoit volontairement rendu entre les mains des ennemis à Montpelier, après son retour de Geneve : là, les ennemis lui fournissoit son viatique ; mais le dit Jean Huc, étant solicité par un bon israélite, qui fesoit tout a bonne intention, sortit de Montpelier et monta dans les Cévenes pour y former des assemblées. J’ai un peu existé sur ces deux personnages, parce que l’un et l’autre nous ont été de grands obstacles et des pierres d’achopement. Pour ramener ces deux hommes a leur devoir, je leurs donna un rendes-vous dans lequel ils se rendirent ; apres leurs avoir fait d’agréables accueils, et la lecture d’un chapitre, et dit la prière, je voulu leur parler en frere, mais, lorsque je voulus un tant soit peu toucher a leur vices, ils ne furent pas du goût de m’écouter ; cependant je les embrassa et les recommanda a Dieu et a la parole de sa grace.

Monsr Jean Rouvière, natif de Blaisaac, paroisse de Joug, en Vivares, ne me quitta point pendant l’espace de neuf ans ; nous dessendimes du coté de Nimes, ou je trouva un predicateur du Vivares. En parlant ensembles des affaires par rapport a l’etat present de la religion, ce dit predicateur, nommé Mr Pierre Brunel, me dit qu’il y avoit un jeune garçon à Marceille, natif de Villeneuve de Bert, nommé Mr Antoine Court, qui avoit des talans pour la predication. Je lui ecrivis dabord a l’adresse que le Sr Brunel m’avoit indiquée. A peine croyois-je que Mr Court eut reçut ma lettre, qu’il fut a Nimes pour me joindre, et nous fumes quelques jours ensembles. Je trouva en lui des dispositions propres pour la predication.

Comme j’avois ma femme a Geneve et que le Sr Brunel me faisoit bon de m’introduire en connoissance environ 30 lieues par une voye sure, je me determina a m’en aller avec luy ; mes confrères Bonbounous et Bouviere me voulurent accompagner pendant ces 30 lieues. Nous quittames Mr Court a Usés, entre bonnes mains.

Apres avoir resté quelque temps avec ma femme, je m’en retourna de nouveau avec mes freres. A mon retour, je passa en Dauphiné, ou je fis des assemblées presque partout ou il y a des Reformés ; j’en fis de même dans le Vivares, dans toutes les parroisses et communautés ou il y a des fidelles disposez a recevoir la Parole de Dieu. Ensuitte je dessandis en Languedoc ou je trouva que mes freres collegues avoient considerablement augmente leur connoissances. La persecution commença a se ralentir un peu ; les trouppes espagnoles, qu’on appeloit miquelets, se retirèrent ; le zèle du peuple augmenta tous les jours ; les Cevennes qui etoient presque toutes tombées dans l’indifference de religion commencèrent a se reveiller par le moyen de la predication de l’Evangille, à la reserve des paroisses de St Etienne, de St Germain, et de Ste Croix qui vivent encorre dans une extrême tiédeur, Dieu veuille reveiller leurs conscience endormies !

Avant que de passer plus avant, je crois qu’il ne sera pas inutile de dire que Messrs Bilard, Dupon, et Abram, — ces deux premiers étoient officiers dans le régiment de Mr Cavailler, et le dernier se disoit prophète, — le regiment du dit Mr Cavailler etant dissipé, et n’etant plus remis sur pied, voila Mess. Bilard et Dupon sans employ. Ils formerent le dessin de se procurer du travail par le moyen de leur prophète nommé Abram Mazel, natif de Faugière, parroisse de St Jean de Gardonnengue, qui leur promettoit des victoires infaillibles. Ils s’en vont donc en Vivares sous la conduitte de leur prophète, qui leur faisoit espérer par ses revelations des victoires certaines ; ils s’amasserent en peu de jours environ cent hommes de la jeunesse du Vivares, ils enlevèrent les armes d’un château, ils battirent quelquefois leurs ennemis, et en particulier un régiment suisse qui venoit les assaillir à l’aurore du jour. Le gouverneur de la province, ayant aperçu que ces nouveaux attroupés devenoient très dangereux, les alla visiter avec une forte armée ; ils ne manquèrent pas ces nouveaux Camisards, les battirent et les mirent en ruine, tuèrent leurs deux chefs, les uns sur le champ et les autres après les avoir dispersés. Le prétendu prophète fut blessé, cette innovation n’eut pas un grand succès, on vit d’abord le païs dans un état déplorable. Une partie de la jeunesse fut pendue ou rompue, le lieu de Vernoux etoit tout environné de cadavres de cette infortunée jeunesse, qu’on avoit pendus ou rompus. Il est digne de nôtre attention que les fidelles du Vivares jouissoient d’un grand calme, lorsque ces trois fauteurs y furent allumer par leur faction le feu du désordre, un fidelle proposant y faisoit des progrès admirables, lorsque ces fanatiques y arriverent, mais il se retira et s’en alla marier a Geneve, lorsqu’il apperçu la naissance du malheur. Le nom de ce proposant est Jean Kbruy, dit Jean Paul a present, regent d’école dans les terres de Geneve. Ces malheurs et désordres commencerent environ le mois davril 1709, et finirent dans le mois de septembre de la même année. Le Sr Abram Mazel, qui avoit été blessé a la bataille, linalement guerit etdessandit en Lenguedoc dans le dessin de se former une nouvelle armée plus nombreuse que la precédante, pour etablir, disoit il, la religion protestante. Ses revelations promettoient par tout un heureux succès. Il fut joindre Clary dont il a été déja parlé, ils se conseillèrent ensembles et formerent la resolution de lever de nouveau des Camisards, de s’etablir chefs d’une armée nombreuse et formidable ; et pour encourager le public a donner dans leur sentiments, ils leurs disoient que les Puissances étrangères, ayant guerre avec la France, leur donneroit le secours necessaire. Il est a notter qu’ils etoient tous fortement confirmés dans leurs résolutions par le moyen de leur pretendues revelations. Ils s’etoient dejà ramassés une quinzaine de jeunes gens qu’ils avoient fait entrer dans leurs idées. Après leur complot formé et arrêté, ils m’envoyerent chercher pour me communiquer tout ce qu’ils avoient déja determiné. Je fus consterné d’une telle entreprise et je sentis bien les maux qui s’en alloit resulter. Je les proposa a ces Messrs, mais ils ne voulurent point se désister de leurs résolutions, disant que l’esprit de Dieu n’étoit pas menteur, qu’il leur promettoit de très heureux succès. Alors voyant que je ne pouvois rien gagner de leur coté, je parla aux personnes qui ètoient capables de les détourner de ce pernicieux sentiment, et je leurs representât qu’on alloit faire revivre tous les malheurs précédents, qu’ils voyoient bien aquoy avoit abouty l’entreprise de Mess. La Porte, Cavailler, la Rose, et Jony ; et « vous voyés, dis-je encore, ce qu’on vien de faire en Vivarés ; nous avons un peu de calme, on ne nous constraint point d’aller a la messe, ne nous faisons pas massacrer et n’exposons jamais nos frères aveuglement et témérairement dans le danger. » Cette proposition trouva heureusement (lieu) dans leurs cœur, et furent favorablement tournés de mon coté. Alors ils me répondirent, et me dirent : « Tout ce que vous nous dittes est vray ; mais on ne saurait interrompre le dessin de ces Messsr, savoir Abram, et Clary. » Alors je leurs donna pour avis de gagner du temps, leurs faisant entendre qu’on ne peut rien entreprendre durant la rigueur de l’hiver, mais qu’il faut attendre l’arrivée du beau temps. Mon conseil fut reçu, et, pour tout dire en un mot, les Camisards qu’on avoit déja ramassés, mais qui n’etoient pas connus des ennemis, furent renvoyés chacun chés soy. Le printemps arrivé, Abram fut tué, au Mas de Couteau proche Usés, Clary fut pris et blessé au dit mas de Couteau et ensuitte justicifié à Montpelier. Voila le progrés rompu, et la fin de ces vaillans guerriers.

Poursuivons les evenements arrivés a la religion, en France.

Je fis un troisième voyage a Geneve, pour voir ma famille et pour parler aux personnes sencibles des maux de la chere Sion. Après avoir resté quelque tems a Geneve, je m’achemina pour aller en Languedoc ; mais, en passant en Dauphiné, je fus arrêté par nos frères, qui me prierent de leur donner quelques predications, Messrs Bonbounous et Rouviere, dont le premier m’avoit accompagné jusqu’à Geneve ; le second nous attendoit en Dauphiné. Nous fimes avantageusement rencontre de Monsr Roger qui etoit nouvellement de retour en Dauphiné. Nous lui proposames la nescésité d’un ordre dans nos Églises opprimées, nous lui montrames quelques articles des reglements que nous avions dejà dressés en Lenguedoc. Mr Jaques Roger approuva fort ce procédé et dit que, avant se séparer, il faloit ajouter quelques articles aux règlements de la discipline selon l’obcurence du temp aux règlements precédents, ce que nous fimes heureusement le 22e août de l’année 1716 ; articles que nous avons encore dans nos reglements. Mess" Rouvière, Bonbounous, et moy, après avoir embrassé M. Roger, nous nous rendimes en Lenguedoc et nous montrames a Messrs nos colégues et aux Anciens, dans un sinode qui se tint, ou les articles dressés en Dauphiné furent reçus. Comme le nombre des assemblées et predicateurs s’augmentoient tous les jours, on commença de former des églises. Monsr Rouvière, proposant, et moy, qui savions mieux le terain, nous fumes employés a faire cette œuvre, et voicy de la manière qu’on forma les Églises :

Toutes ces églises sont du resord du Sinode du pais bas ; nous avons ensuitte les églises des Cevennes. Toutes ces églises n’ont pas êtées établies a la fois, et il n’y a pas plus d’un an qu’on a reveillé les consciences de la ville Devalon et du vilage de Salavas ; on a etablit des Anciens a chaque endroit a proportion qu’on y a trouvé de personnes de piété pour s’y pouvoir confier ; les commencements, dit-on, sont très difficiles, mais surtout dans un ouvrage de cette nature.

Comme les fidelles savent que Dieu a joint les sacrements a la predication de l’Evangille, ils requièrent l’un et l’autre. Pour faire cette fonction fût élu Mr Court et moy, mais parce que plusieurs personnes etoient escandalisés de voir administrer les sacrements par des gens qui n’avoient pas reçu l’imposition des mains, a cause de quoy il fut deliberé dans le sinode, tenu le mois de mars en l’an 1718, qu’un predicateur d’entre les proposants s’en allât auprès des pasteurs qui exercent légitimement la charge du St ministère, pour être examiné dans la doctrine, laccompagnant de bonnes et valables atestations, pour leurs represanter la nécessité qui d’essigneroit sa vie et ses mœurs pour recevoir l’imposition des mains pour la consolation des personnes requérantes.

Alors l’assemblée sinodale jetta les yeux sur moy, et me prierent de faire ce voyage. Que je partis donc pour aller voir les pasteurs qui ont droit de conpherrer l’ordination, etant muni de bonnes attestations, pour leurs représanter la nescésité du saint ministere en France.

Mon premier abord fut a Genève, où j’eu diverses conferences avec feu Mr le professeur Leger qui, après avoir pris la peine d’examiner ma connoissance et ma créance, ils m’envoyerent à Messrs les pasteurs de la République de Zurich, — première de la bienheureuse Reformation, — et ce fut la que je reçus, le 15e aoust 1718, l’inposition des mains, a la grande joie et consolation des fidelles protestants de France, eschapés de la grande tribulation.

Ces bienfaits reçuts, je party environ le mois de septembre, pour aller voir mes frères. En descendant par le Dauphiné, je fus voir les fidelles de ma connoissance ; je forma quelques assemblées, après quoy, je passa le Rône et je fù donner quelques predications en Vivares. J’assembla même les predicateurs du dit Vivares, pour leurs representer la nescésité d’un ordre pour éviter les confusions et les désordres qui etoient arrivés diverses fois parmi eux, par faute d’un bon ordre ; et enfin je descendit sur la fin d’octobre en Lenguedoc. Y étant heureusement arrivé, j’y fus le très bien venù. Lorsque je fis la relation a mes colégues, aux Anciens, et fidelles, de toutes les choses qui setoient passées par rapport a la religion, ils furent pénétrés de joye et glorifièrent Dieu.

On fit dabord assembler un sinode, dans lequel se rendirent les predicateurs et les Anciens. Les eglises etoient alors encorre fort foibles et les Anciens en petit nombre ; la première proposition qui fût apportée dans ce sinode fut celle-cy : puisque la bonté de Dieu a fait parvenir le saint ministere parmi nous, il est expediant, pour la conservation du dit ministère au milieu de nous, de compherrer le dit ministere a un autre predicateur des plus dignes et des plus capables ; et, comme Mr Court avoit déjà ete elu pour l’administration des sacrements dans un autre sinode, comme il a été dit, il fût prié de se presanter pour être examiné en vie, mœurs et doctrine. Ayant répondu d’une manière fort satisfaisante, je lui donna dans une assemblée assés nombreuse la main dassociation, selon la manière de l’imposition des mains reçue dans les églises reformées. Voila deux ministres en Lenguedoc que Dieu a conservés jusqu’a aujourd’huy, a la grande joye et consolation des fidelles, voila la verité qui a commencé a triompher de l’erreur ; le zéle du peuple se ranime, la religion se reveille, la foy se fortifie, la discipline prend un peu de force, et toutes choses commencent de prendre un bon train. On vit en peu de temps augmenter le nombre des predicateurs et des Anciens, la persecution etant un peu relachée par une agréable tolérance de feu Monsr le duc d’Orleans, alors Regent de la couronne de France.

Ce fut l’an 1719, le 30e septembre, que Jean Huc dit Mazel, de la paroisse de Genolhaac, dioceze d’Usés, fût déposé, et demis de la charge de proposant, pour avoir trouvé en lui des erreurs capitales, savoir : 1° qu’il enseignoit qu’on pouvoit cacher la verité de la religion devant les juges, lorsqu’on ne pouvoit la confesser sans danger, que la dissimulation et l’hipocrysie n’est pas un grand mal ; 2° qu’on peut librement assister a une devotion idolatre, lorsqu’on n’y aporte point la foy ; 3° et enfin que c’est en vain que l’on attend la resurection de la chair : il avait encorre quelque autre erreurs que la pudeur et bien séance ne permettent pas de nommer. Il est a notter que, avant que d’en venir a cette extremité, on employa toute sorte de moyens pour guérir les erreurs detestables du dit Jean Huc. On lui procura des bons et excellents livres, les précis de Théologie de Monsr Sezard Pégouried, l’examen des Religions, par Monsr Pitect, des bons catéchismes ; mais tout ces remedes etoients inûtiles : sa maladie etoit incurable et ce pernicieu ignorant nous fut une pesante croix apres son interdition. Il se glissa dans les hautes Cevennes, et avec sa morale favorable a la chair et qui s’accomodait a la mode des tiedes, il fut favorablement reçut et enseignoit là ses pernicieuses erreurs ; il se detacha de notre corps et se moqua de notre discipline, jusqu’a ce qu’il fut abandonné peu a peu du peuple, et enfin pris par les ennemis et pendu a Montpelier, après avoir declaré qu’il mouroit bon papiste, ce qui obligea les eclesiastiques romain de l’enterrer dans l’eglise de saint Pierre, avec toute la ponpe ceremonielle pratiquée dans l’Église romaine. Si l’on me demande pourquoy fit-on mourir Jean Huc, puis qu’il obeïssoit a tout ce que l’Église romaine exige ? il faut savoir qu’il avait dejà trompé deux fois les puissances ; ainsy, on ne s’en tenoit pas a son dire ; pourquoy l’ensevelir avec pompe dans une église d’une si grande remarque que celle de St Pierre ? pour ébranler la foi des protestants et affermir les papistes, comme disant qu’un prédicateur même du Desert n’avoit pas crû se pouvoir sauver dans sa religion, puisque a ses dernières heures il avoit abandonné la Reformation et avoit embrassé l’église romaine. D’ailleur, la colectte que l’on fit pour tirrer son ame du purgatoire fut fort considerable.

La même année, Monsr Rouviere et moy nous fimes des progrés fort considerables, a Faugerre, a Redarrieux, a Larnac, a Abrusque, a Montagnac, a Villemanne, et a Cornouteral. Il est bien vray que j’y avois déja fait un voyage avec Monr Court, mais la dere visite fut beaucoup plus fructueuse que la premiere. Et surtout a l’égard de la jeunesse par l’introduction des catechismes.

Lan 1720, le 15 janvier, les prisonniers de l’assemblée de Nimes furent pris, les uns condamnés a la tour de Constance, les autres trainés de prison en prison, jusqu’a Londre en Angleterre, comme il est emplement dit dans la relation imprimée.

La même année, la peste parut a Marceille et parcourut quelques villes de la Provance, la peste parut aussi en Lenguedoc, comme a Alais et a Genolhaac. Elle parut aussi en Auvergne, comme a la ville de Mande. Le 13e de décembre de la ditte année, Monsr Jean Gaubert, natif Darphy, paroisse Daulas en Cevenes, fut reçu en plain sinode proposant ; après un sérieux examen, il fut admis pour precher l’Evangille comme les autres proposant, sans toucher aux sacrements. La même année, les églises de Lozère, du pont de Monvert, de Castagnol, de St Juilhan, de Florac firent de grands progrés et se releverent par une merveilleuse assistance de Dieu, etant favorisées par la contagion, qui avoit fait retirer toutes les trouppes de nos montagnes et des Cevenes. Lan 1721, la peste continua a faire beaucoup de mal dans la Provance et dans le Gevaudan, et en Languedoc ; la crainte de la mort, que la peste donnoit, servoit beaucoup a laugmentation du courage et du zelle de nos peuples.

Javois obmis de dire que, l’an 1720, Jean Vesson (qui) s’etoit ingeré dans la charge de proposant environ l’an 1713, fut interdit le 13 décembre 1720, pour se dire prophète, et avoir été convaincu de mensonge, pour mepriser l’ordre politique et ecclésiastique et avoir refusé de se rendre aux sinodes lorsqu’il en etoit prié, et pour s’être servi de mensonges pour s’en dispenser, pour avoir calomnié les Anciens et meprise les prédicateurs, et enfin pour avoir enseigné que Jesus Christ avoit menti, fondé sur un passage mal entendu de l’Évangile. Ce sont la ces griefs sur lesquels il persevera avec obstination. Ce mechant garnement nous causa divers troubles pendant quelques années, après quoy, il se retira a Montpelier, dans la maison de Madle Deverchant, avec quelques femmes qui se disoient prophetesses. Vesson de son coté se disoit prophète infaillible, et promettait de grands avantages a tous ceux qui le suivroit. Se voyant abandonné du peuple qui le reconnut pour un veritable fourbe, se laissa conduire par ces femmes. Ils faisoient jouer toutes sortes d’estratagemes pour agrandir leurs secte, mais enfin ils furent pris le 7e mars 1723, conduits a la citadelle et ensuitte pendus. Un femme subit le même sort. Le pauvre Bonnissel, du pont de Monvert, qu’on avoit fait étudier pour etre abé, mais qu’ensuitte prit le party de marchand, étant garçon de boûtique à Montpelier, se laissa aussi entrainer dans la secte de Vesson, fût aussi condamné a la corde, quelques uns des hommes en galeres, quelques femmes a la tour d’Aiguë Morte. Voila nos prophetes prétendus, mais tres dangereux, dissipés.

Sur le bord de Lereau, il y a une petite vilette nommée Gange, habitée depuis la reformation par des protestants, mais qui s’etoient si fort relachés dans ces dernieres années, qu’on n’avoit encorre pû reveiller leurs consciences. Mais par le secours celeste, l’année 1721, la predication y a produit un effet admirable, on y avù le zelle s’augmenter, le vice se ralentir, les cabarets ne furent plus tant visités, ni les livres de piété tant négligés. Cette église s’est maintenue jusqu’a aujourd’huy, a la grande gloire de Dieu et à l’honneur de la religion. Je ne dois pas oublier de dire dans cette année les plaintes de plusieurs prêtres dans les Cevenes contre les maîtres d’écoles, de ce qu’ils ne faisoient pas leurs devoirs, a leur gré, de mener les enfants a la messe. Les maîtres d’écoles repondirent aux prêtres que, depuis quelque temps, les enfants avoient conçu une si grande horreur pour le sacrifice de la messe, que lorsqu’ils entendoient le son de la cloche pour aller à la messe les enfants disparaissent de part et d’autre. On les a fouêtés diverses fois, mais pour cela en ne les sauroit y faire aller. Il est a notter que les catechismes de feu Monsr Drelincour ont produit un effet merveilleux pour donner a la jeunesse des idées claires et des vérités importantes de la religion.

Dans le mois de septembre de la ditte année 1721, on vit de nouveau accroître les eglises des Cevenes dans un sinode qui fût tenû. On fût obligé d’augmenter le nombre des Anciens des églises de Lassalle, de Saumanne, de Sadorgue, d’Alais, de Mouleron.

Il faut observer que les Anciens sont premièrement choisis, par la pluralité de voix de leurs voisins, secondement examinés en présence de tous les Anciens de l’Église assemblés (en) colloque, pour cette énomination, et ensuitte anoncés aux sinodes, afin que les autres Anciens des autres églises les regardent pour leurs collègues.

Dans ce dernier sinode, il se dressa trois articles, savoir : que puis que le nombre des fidelles, des eglises, des Anciens, s’augmentoit, il faloit aussi augmenter le nombre des sinodes pour la sureté et la facilité du public et écrire a Mr Court qui etoit a Geneve de venir. Il fut donc convenû et arrêté que jusqu’a nouvel ordre on tiendrait trois synodes l’année, le premier dans le bas Languedoc, le second a Losere, le troisième dans les basses Cevenes. Le second article qu’on dressa (fut) que désormais on donnera la route que doit tenir chaque prédicateur des églises qu’il doit servir, en les rechangeant tout les sinodes, afin que les églises soient mieux servies et qu’on ne voye point de confusion. Le 3e article est qu’a l’avenir on ne recevra aucun Ancien dans le sinode, s’il ne porte un billiet du colloque de sa deputation.

Le 21e septembre, Mr Roux, proposant, ayant convoqué une assemblée à St Hipolite de la Planquette, l’assemblée fut découverte par le moyen de Monsr Daudé, juge criminel du Vigan, que, en sen retournant d’Alais au Vigan, il trouva, a l’embouchure de la nuit, les fidelles qui alloient a l’assemblée dans un Desert. Monsr Daudé en informa Monsr de Rambion le gouverneur de St Hipolite. Messsr Daudé, et le gouverneur ne savoient pas ou l’assemblée êtoit formée. Ainsy pour les surprendre, ils s’aviserent d’investir le matin toutes les avenues afin de surprendre les fidelles le matin a leurs arrivée. Les sentinelles des fidelles, qui etoient a la ville, ne manquerent pas de donner avis a l’assemblée par les flambeaux qu’on devoit sortir a la fenêtre au cas de nescésité, mais quelques uns, malgré l’avertissement, se voulurent retirer le matin ; pour tout dire en un mot, onze furent pris, tant hommes que femmes, et après les avoir gardés quelque temps dans la citadelle de Montpelier, finalement, on les laissa aller, excepté deux qui furent envoyés a Alaix du temps de la peste pour ensevelir les corps morts.

Le 22e may 1721, le dit François Roux, natif de Cavaignac, en ’Vaunage, se presenta pour être examiné en vie, mœurs, et doctrine, afin d’être admis dans le corps des proposants. Le dit Roux avoit déjà proposé dans quelques endroits, sous les yeux des proposans, je dis des Anciens, lorsqu’il fut examiné, et reçut dans le dit corps.

La même année, un des predicateurs du Vivares, nommé Mr Pierre Durand, vint en Languedoc pour assister au Sinode, et voir le livre de nos règlements. Il en fut si édiffié qu’il se promit d’etablir même ordre, mêmes regles et mêmes maximes dans les eglises du Vivares ; ce qu’il auroit fait facillement, si les prétendus Inspirés ne si fussent opposés malicieusement. Ayant trouvé des obstacles du coté de ces prétendus prophètes, le dit Mr Durand auroit prié par une lettre le Sinode d’envoyer quelqu’un de notre corps en Vivarés, pour lui donner le secour nécessaire.

Le 22e may, fut tenu un sinode dans lequel il fût arreté que les pasteurs, proposans et Anciens servant les eglises, exhorteront le peuple d’être fidelle a la couronne, de ne rien faire qui ait le moindre soupçon de rebellion, de ne souffrir point des armes dans nos assemblées de pieté, de prier Dieu pour le Roi et pour tous les officiers de la couronne. Cet article fut confirmé dans le Sinode suivant, dans lequel on dressa les articles suivants : le 1er, que desormais tant ministres que proposans signeront la confession de foy, dressée d’un commun accord par les Églises protestantes du royaume de France, et nôtre dicipline, — le 2e, qu’on doit faire peu d’assemblées dans un même endroit, a cause de la triste circonstance du temps, comme aussy de pouvoir avec plus grande facilité visiter toutes les eglises, — le 3e, que ceux qui suivronts un predicateur après sa démission ne seront point admis à la Ste Cène, — le quatrième, que les Anciens s’appliqueronts davoir toujour quelque chose de prest dans leurs consistoires pour secourrir les familles désolées, ou qui le pourroient être, au sujet des assemblées, — le 5e, que Messrs Betrine et Pierrodon proposans ne quitteroient point la Vaunage de quelque temps, afin que l’heresie de Vesson ne passe plus avant, — le 6e, que les fidelles seraient priés de jeuner le premier de juin de la ditte année 1721, pour émouvoir les entrailles de la misericorde, afin qu’il abrège nos jour d’affliction, et qu’il nous preserve du fleau de la peste, et qu’il soulage ceux qui en sont attaqués, et qu’enfin il fléchisse le cœur de nos schimatiques et les ramener a leur juste devoir, leurs faisant connoitre le tord qu’ils causent a la religion, — le 7e, que les Anciens et tous les fidelles seront exhortés de ne laisser point communier ceux qui seront allés a la messe jusqu’a ce qu’ils auront donné des marques d’une serieuse repentance, — le 8e article, que ceux qui auront juré, blasphémé le nom de Dieu, seront condamnés a donner 5 sols pour les pauvres, ceux qui auront violé, prophané le jour du dimanche par jeux et débauches, payeront aussi 5 sols pour les pauvres, pour toutes les paroles sales et deshonnête six deniers, pour chaque faute, mensonge, médisance, mocqueries, et autres paroles condamnées dans l’Écriture Ste six deniers. On avoit déja parlé dans le Sinode précédente, mais la chose avoit demeuré sans décision. On êtoit fort exat a faire payer ces amandes, jusqu’a la personne d’un prêtre, savoir a la parroisse de Vialas, ancienne de Castagnols. Mr François Guin se trouvant en conversation avec Mr Bulin curé du dit Vialas, jurant et blasphémant, Monsr Guin lui dit : « Mr Bulin, nous protestant, avons arrêté que, pour interrompre le cours des paroles malhonnêtes, il faut se condamner soi même a donner quelque chose pour les pauvres, on ne sauroit moins donner d’une piastre, c’est a dire une pièce de six deniers. » Monsr Bulin, curé, répondit, et dit : « Cela est bon, voila la piastre. » C’est ainsy queMr le curé eut part a c’est article, et que ce remede fût très favorable contre les blasphémateurs et insolants, et contre les paroles sales et deshonnette qui n’avoient que trop de cours dans la bouche d’un peuple qui s’etoit nourri sans pasteur, sans correction et sans dicipline.

e – En marge on lit : le 7 de septembre 1720.

Venons a l’an 1722. Tout ce qui se passa de plus remarquable cette année là, est que les fidelles d’Alais, assiegés de la peste, s’assembloient pour prier et jeuner tous les dimanches et les jeudy, jusqu’a ce quon deffendit toutte communiquation d’une maison a l’autre, comme ils nous en informerent par une lettre qui me parvint le 5e janvier de l’an 1722. Aussi deffence fut faitte a l’ange destructeur de toucher aucune personne de la maison de nos Anciens.

Le mois de janvier, la communauté de Montaren, proche Usés, qui avoit vécu dans une extreme tiedeur, commença a prendre un peu de zéle : on y établit quelques Anciens qui ont bien fait honneur a la religion. Le mois de mars, les eglises de la montagne de Bouquest furent ornées des Anciens. Sur la fin d’avril, je fû attiré a Calvison pour la célébration de la Ste Cène a des personnes qui avoient faim et soif de justice, mais dont la conscience avoit été fort longtemps dormante, et pour l’établissement de quelques Anciens, qui furent joints aux precedents.

Monsr Puchagut se presenta pour etre reçu dans la charge de proposant, dans un Sinode qui se tint le 20e mars ; mais ayant vu de la manière qu’on y procedoit, les peines, les fatigues, voire même le martire qu’il falloit supporter, il se retira. Ceci soit dit pour aprendre le lecteur qu’on ne fait pas les choses en France avec autant de négligence qu’on pourroit se le persuader.

Dans ce dernier Sinode, il fut conclu qu’il faloit se separer entièrement de l’Église romaine et ceux qui ne se feroit pas devoir d’y renoncer, et qui se souïlleroient dans ces idolatries, ne seroients points admis a la Ste Céne ; on y reçut aussi un nombre considérable d’Anciens. Et parce que Monsr Court se trouvoit a Geneve du temps de la peste, et tous les passages bloqués a ne pouvoir entrer en Lenguedoc pour me soulager, me trouvant seul a faire les entieres fonctions du ministere, je pria l’assemblée sinodale de me donner Monsr Rouviere proposant pour m’assister, sans cependant qu’il touchat aux sacrements. Ce qui me fut gracieusement accordé.

Ainsy nous partîmes, le 16 avril, de Nimes pour aller administrer la Ste Cène a l’eglise de Canaulles. Quelques Messrs de Saumière blamoit les assemblées, mais ayant entendu la predication de l’Évangile, ils voulurent aussy participer a la Ste Cène, tant il est vray que, quand on ne voit que de loin ou par les yeux d’autruy, ou qu’on est aveugle par un sordide interest, on n’y sauroit voir clair ; mais lorsqu’on envisage les choses de prés, que Dieu ouvre les yeux de l’entendement, qu’on se laisse flechir a la verité, et qu’on n’y resiste pas : on juge et on parle plus sainement. — Le 23e, nous allames administrer la Ste Cène à l’Église de Manoblet. — Le 27e, nous allames rendre le même office à celle de Cros. — Le 5e may, nous donnames la même consolation a l’Église de Lassale. — Le 8e, nous fimes de même a l’Église de St. Jean de Gardonnengue.

Ce qui se passa de singulier dans cette assemblée, est que les Anciens qui se tiennent a la porte du parquet, qu’on fait avec des pièces de bois, dans lequel parquet ils se tiennent pendant la prédication, jusqu’a la celebration de la Ste Cène qu’ils se retirent pour laisser passer les communiants les uns après les autres ; mes ils se tiennent a la porte pour prendre garde que personne de ceux, qui ont fait quelque actions escandaleuse, ne s’aprochent, qu’il n’ayent fait premierement reparation, selon l’exigence du cas. Ceux qui se trouvent avoir fait quelque action digne de reconnoissance publique, les Anciens les font tous rester les derniers et venir ensembles devant la table du Seigneur ; la on leur dresse les exhortations et les remontrances, selon leurs faute. Quelquefois la faute requiert de se mettre a genoux devant la table sacrée pour demander pardon a Dieu et a l’assemblée qu’ils ont escandalisée. Dans le temps que je faisois la censure a ceux que les Anciens m’avoient amenés, un homme dont le peché étoit caché au monde, mais decouvert au grand Créateur des cœurs, sa conscience se reveilla tout d’un coup, qui poussa cet homme a se venir mettre a genoux devant la table du Seigneur pleurant et lamentant, confessant son peché de lacheté et d’idolatrie. Toute l’assemblée (qui etoit d’environ deux mille ames) pleura. On n’entendoit que sanglots de tous cotés. Messrs Betrine, Bonbounous, Rouvière, proposans qui etoient avec moy, étoient de leurs côtés extremement emus, et pleuroient ; j’ètois fort attendry, et certe il aurait fallu être bien incencible pour n’en être pas touche de voir la repentance de cet homme, qui de lui même vient se mettre a genoux devant la table sacrée tout couvert de larmes que ses sanglots étouffoient ses paroles, suppliant la venerable assemblée de prier Dieu en sa faveur, qu’il ètoit indigne d’être admis a la table du Seigneur et a la communion de l’Église.

En sortant de cette assemblée, on etablit quelque Anciens pour les Églises de Lassalle et de St Jean. — Le 10e, nous fimes l’assemblée en faveur des parroisses de Pairolles, de St Roman, de Sadorgues, de St Martin de Saumanne. Il ne se passa rien d’important dans cette vocation. — Le 17e, l’assemblée fut formée en faveur des parroisses de St André de Grabiac, de Mouleson, des Plantiers. Il ne si passa rien de particulier, si ce n’est que quelques familles divisées furent heureusement reconciliées. — Le 24e, l’assemblée fut convoquée en faveur de Cassagnac et des 4 parroisses voisines, savoir les Beaumes. St Germain, St Martin et partie de St Juilhan et de St Priva : l’assemblée etoit d’environ deux mille âmes, car bien que l’assemblée ne fusse convoquée qu’en faveur de 4 a 5 parroisse, il en vint de plus de 6. Plusieurs firent reparation devant la table du Seigneur, étant sur tout coupables du crime de lacheté d’avoir assisté au pretendu sacriffice de la messe ; beaucoup de personnes furent heureusement reconcilliées. — Le 27e, nous allâmes au bourg St Germain, nous ébranlames un peu les consciences de ces temporisateurs ; mais enfin n’ayant pas continué a les frequenters, ils sont restés dans leurs criminelle tiedeur. — Le 30e, nous nous rendimes au champ Domergues et l’assemblée fut faite, en faveur des parroisses de St Endiols, de St Fraisai, du Collet de Dese, de St Ilhaire, de St Priva, de St Michel.

Jean Huc dit Mazel, mechant schimatique, faisoit son séjour dans ces communautés, étant soutenu par quelques ignorants.

Le 13e juin, je fù benir un mariage, batiser six enfans dans un village qui m’attendoient depuis longtemps. Je fis encorre une assemblée proche le Collet de Dese. — Le 24e, nous formames une assemblée dans une grande forest, nommée le Faux des Armes., L’assemblée etoit très, nombreuse, la Céne du Seigneur y fut administrée, un mariage béni, un entant batizé, plusieurs personnes reconcilliées. Je ne dois pas obmettre que les Réformés de la ville de Vans m’ecrivirent qu’ils voulaient donner gloire a Dieu, et que je leurs prescrivis les régles qu’ils doivent etablir. Je leurs repondis qu’ils devoient s’etablir des Anciens qui fissent honneur a la religion par une sainte vie, et se former un consistoire, ce que ces Messrs firent sagement.

Ayant perdu les memoires du mois de juillet et d’aoust jusqu’au 26e que nous fimes convoquer une assemblée dans une grande forest proche Ladignant, dans laquelle je batisa une fille agée de dix huit ans qu’on avoit dérobée aux erreurs de l’Église romaine, le jour precedant, j’assistat a un coloque assemblé en faveur de l’eglise de Boucoiran, à loccation de quelques affaires qui étoient survenues.

Et ce fut la ou je parla premierement a Mr Court, a son retour de Geneve. Mais comme il etoit malade de la fievre, il ne me pouvoit donner grand secours.

Le 30e septembre, nous assemblames l’Église de Lascours. Le jour suivant, nous assemblame l’Église de St Hypolite de Catau. Il ne se passa rien de singulier, cy ce n’est que deux hommes furent heureusement reconciliés ; il est bon de dire que nous ne laissons communier personnes de ceux qu’on sait qui sont brouilliés avec quelqu’un, qu’ils ne soient premierement reconciliés, et nous leurs annonçons avec l’Apotre que, si leurs reconcilliation n’est pas sincère, ils communient a leurs condamnation : c’est par la que nous disposons ceux, qui ont quelque désirs de se sauver, a une heureuse reconciliation. — Le 4e novembre (1722) Mr Rouvière et moy, nous nous rendimes a la ville d’Usés ; le 8e du même mois, nous y assemblames les fidelles dans cette assemblée, on vit un nombre considerable de reconciliations et heureusement calmer les procès. — Le 11e, nous allames à St Laurens, proche St Quintin (fort renommée par la belle vaisselle qu’il sy fait). Cette Église ètoit tellement tombée dans les erreurs de l’Église romaine qu’on desesperoit de leurs retour ; cette Église renferme trois parroisse tres considerables, savoir :St Laurens, St Quintin, et Fontaneche. Il a fallu bien de peine pour les ramener des tenebres a la merveilleuse lumière. Monsr le baron de Fontaneche, bon protestant, nous a donné des secours très considerables pour y avoir entrée. Dieu nous a suscité ce moyen sans lequel a peine en serions nous venus a bout. Cependant par un merveilleux effet de la grace de Dieu, on vit en peu de jours la jeunesse instruite dans la vraye connoissance de Dieu par le moyen des catéchismes. — Le 14e, nous assemblames l’Église de Lussan ; la devotion finie, on augmenta considerablement le nombre des Anciens des parroisses dépendantes du ressort de cette Église. — Le 16e, on assembla tous les Anciens pour quelques affaires survenues, qui derangeoint cette Église, comme aussi a loccation des deniers des pauvres ; le même jour j’envoya une lettre a St Ambrois pour voir si l’on ne pourroit pas etablir des Anciens dans cette ville et y etablir un consistoire. Le Monsr a qui j’avois addressé cette lettre me repondit que le temps et les affaires ne le permettoient pas encorre ; cependant je dois dire a mon pieux lecteur que du depuis on y a formé un bon consistoire, qui subsiste jusqu’a ce jour, le maire du lieu ayant une femme protestante, quoy qu’il soit papiste de naissance et gouverneur du dit lieu : il n’est pas loin du royaume des cieux. — Le 22e, nous assemblames l’Église de Vendras, mais il ne sy passa rien de singulier. — Le 23e, quelques résidus de fidelle de la ville de Bagnols, proche Usés, ayant apris que les fidelles du Pin s’etoient assemblés pour donner gloire a Dieu, m’envoyerent un expres pour me dire que leur ville étoit autre fois une Église considerable, mais qu’a faute de la predication de l’Évangile, ces pierres mistiques s’etoient dejointes, et qu’elles servoient a former une Église idolatre. On ne voit, me dirent ils encorre, que mariages bigarés, que benitiers dans les maisons, qu’empressement a se rendre dans la devotion romaine. Quel remede a un si grand malheur ? Je leur repondit que je ne voyois point de remede plus efficace et plus souverain, que de leur porter le flambeau de l’Évangile, la lumière de la parole de Dieu ; mais, comme je n’eu ni le courage ni le loisir d’y aller, j’ay apris avec douleur qu’ils croupissent dans leurs erreurs. — Le 29e, lassemblée fut convoquée en faveur de l’Église de Foisaac, de nuit, dans une bergerie ; lassemblée est la ordinairement fort nombreuse. Plusieurs se mirent a genoux devant la table sacrée ; deux hommes qui plaidoient furent accommodés.

Comme j’ay perdu la plus grande partie des papiers qui me pouvoient servir de memoires, je ne saurois suivre, mois par mois, et décrire toutes les assemblées ; d’ailleurs quil ne me parroit pas fort nescesaire. Et je ne l’aurois pas fait, n’etoit que j’ay cru de faire quelque plaisir a ceux qui ont a cœur l’avantage de la religion, de voir la vaste etendue du pais ou il se convoque des assemblées.

Nous descendîmes a Nimes environ les fêtes de Noël. Nous administrames la Ste Céne dans une chambre secrette de la ville a environ quatre vingts personnes distinguées, et, comme toutes les ames afamées ne pouvoient se rendre dans un même endroit, a cause de l’ennemy, aincy les Anciens chercherent un lieu pour la consolation de ces fidelles : ils trouverent une cave fort propre dans laquelle les Anciens y firent prudemment assembler dans la nuit environ cent personnes de Messrs et des dames et des personnes incommodées, qui ne sauroient aller à la campagne sans de grandes difficultés. Les larmes que ces ames pieuses et devotes versèrent a l’ouïe de la predication, et auprès de la table sacrée, etoient capables de toucher les cœurs les plus endurcis.

Le 2e janvier, (1723) l’assemblée fut convoquée en faveur de l’Église de Vauver, et des lieux dependant du resort de cette Église ; l’assemblée etoit composée d’environ mille personnes.

Le 5e avril, les Anciens assemblerent, de nuit, dans une chambre particulière, les personnes distinguées de la ville d’Usés qui ne sauroient grimper, la nuit, dans les Desert, et, la, nous leurs administrames la Ste Céne, les Anciens faisant le guet a la porte des cazernes et du commendant, afin que, si les soldats fussent sortis, de nous pouvoir ôter de devant. — Le 15e, nous nous rendîmes a Bagard. — Le 16e, nous fimes une assemblée en faveur de trois Églises, savoir : d’Enduze, de St Sabatian, et d’Alàis. D’ordinaire les assemblées sont fort grandes dans cette place. Si c’est le dimanche, (en) plain jour, il y à 2,000 ames. — Le 5e may, nous allames a Brenous. Le 9e, nous fimes assembler les fidelles des communautés de cette Église, la nuit, dans un ruisseau. — Le 20e may, nous assemblames en Sinode les predicateurs et les Anciens dépendant des Sinodes de la montagne.

La question affligente qui entretint un fort longtemps l’assemblée sinodale, ce fut de ne point se marier dans l’Église de Rome. Le dessin est tres bon, mais lexecution difficille, lorsqu’on n’est pas soutenu par le magistra, ou plûtôt que le magistra fait la guerre et persecute la personne fidelle. La chose fut pourtant decidée de ne point se marier dans l’Église romaine, et principalement a cause des abjurations horibles exigées par icelle. Il faut donc se deliberer de faire la volonté de Dieu de sortir de la Babilonne, et les predicateurs de se faire devoir d’y exhorter le peuple, montrant a la jeunesse la nécessité de garder la pureté de la foy et l’innocence, sortir du royaume, ou bien ; si l’on veut rester, se marier par ceux qu’on reconnoit pour ses legitimes pasteurs, sans avoir égard ni a la confiscation des biens, ni aux misères de la vie, ni aux emprisonnements, ni en un mot a toutes les peines que l’Église romaine infligent a ceux qui ne veulent pas ansencer a la bete.

Le 24e may, nous assemblames les fidelles a la haute montagne du Bougés. Lassemblée fut fort nombreuse, deux familles y furent reconcilliées. Après qu’elle fut congediée, Monsr Court, qui se rencontra dans cette assemblée, en consultant ensembles, nous jugeames que, pour eveiller les consciences endormies de Lausère, il nous falloit prendre, l’un la routte du pont de Montvert, de Racoullés, de Fraissinet, de Labrousse, et l’autre du coté de Cassagnias, de St Privat, de St Fraisai et de Gastagnol, Monsr Court prit avec luy Mr Rouvière ayant la connoissance du terrein, et moy je pris Monsr Bonbounous ; le rendes vous fut donné, en nous quittant, de nous trouver tous dans une assemblée que je me chargeat de convoquer au Feau des Armes, qui est une forest impenetrable, le dimanche prochain. Chacun devoit faire deux assemblées dans la semaine etant assisté par le secour céleste. Ce que nous fimes grace a Dieu. Le dimanche 31e, nous fumes tous au rehdés-vous ; l’assemblée fut formée, elle etoit d’environ 2 000 ames, quatre mariages furent benis, un garçon batisé ; après que l’exercice de piété fut achevé et le peuple congedié, Monsr Rouvière et moy nous embrassames les frères Mr Court et Bonbonnoux, qui partirent pour le Lenguedoc, et Monsr Rouviere et moy, nous allames batizer quelques enfans qui m’attendoient, et benir quelques mariages dans les Cevenes du coté de Genolhac. — C’est ainsy que nos Églises se fortifioient dans nos montagnes, et que les prêtres perdoient toutes esperances de voir jamais la religion protestante rangée dans l’Église romaine, comme ils se l’etoient promis en l’an 1685.

Dans le mois de septembre, M. Rouviere et moy nous allames en Vivarés, nous y assemblames les predicateurs, avec un nombre considerable de personnes distinguées qui ont du zelle et de la pieté ; après avoir imploré le secours de Dieu, et representé la nécessité d’un ordre dans l’Église et que ces Messrs en tirent convenus, nous rengeames les parroises en Église, comme en Languedoc, savoir : la paroisse d’Agoû, la paroisse du Gag, et sa voisine, font une Église, ainsi des autres. La memoire ne me fournit pas combien il y a d’Églises dans le Vivarés ; toutefois il me semble qu’il y en a 24. Après les Églises formées, Messrs les predicateurs du Vivarés prierent M Rouviere et moy de faire une assemblée dans toutes leurs Églises pour établir des Anciens dans tous les vilages et paroisses qui formoient leurs Églises, ce que nous fimes heureusement. C’est ainsy que Dieu forma les Églises du Vivares qui se fortifient tous les jours. Nous avons dit qu’on a pratiqué les mêmes maximes à l’établissement des Églises du Languedoc, je ne suis pas bien informé comment M. Roger a reglé celles du Dauphiné, et s’il aura suivi le modelle que nous avons posé en Vivarés et en Cevenes.

On ne trouvera pas mauvais que je marque icy que, le 12e mars 1724, quelques fidelles de la parroisse de Vals (ou les sources d’eaux minerales sont si renommées) etant informés par leurs parents qu’on faisoit des assemblées dans les Boutières, ils s’y rendirent un samedy au soir (et c’est endroit est trois grandes lieues du dit Vals). Ces pauvres fidelles se trouverent dans lassemblée que nous avions convoquée, et à la fin de la dévotion, ils me tirerent à part et me dirent en pleurant : « Nous sommes de trois lieues d’icy, de la parroisse de Vals, paroisse où autrefois il y avoit un temple et environ trois milles communiants, mais étant depuis si longtemps sans pasteur et sans sacrements et tout environnés de papistes, tout le monde tombe dans l’idolatrie et dans le dérèglement ; si vous vouliés, cher pasteur, nous faire la grace de passer chés nous, vous ne pouriés jamais faire une plus grande charité. » Ce résonnement me toucha, je me rendit le lundy, et le mardy je les pria de former une assemblée. A peine purent ils trouver 40 personnes de confiance. Lacte de dévotion fini, on me pria de leurs donner une seconde predication, que le nombre s’augmenteroit ; mais je me douta que l’ennemi s’en aperçu et qu’on ne fit des prisonniers, ainsy je me contenta d’écrire aux prédicateurs du Vivarés d’y faire quelques visites, comme plus proche que ceux du Lenguedoc. Du depuis, j’ay appris avec joye que cette communauté commence a se reveiller et de donner lieu aux prédicateurs d’y faire quelques visites.

Pour abréger, le mois de may je fus à Montpelier, pour combattre la tiédeur, mais comme il n’y a ny ministres, ny proposants, ny assemblées, ny sacrements, ny discipline, la corruption y est grande, les préjugés funestes, autant de personnes a qui je parfois, autant de religion je trouvois ; il y a une crasse ignorance, quelques uns sont de la religion parce seulement que leur père et mère en étoient ; dailleur, la jeunesse elevée dans l’Église romaine n’ont pas de grandes lumières pour dicerner le vray d’avec le feaux, les prejugés de l’enfance sont ordinairement très dangereux, et fort succeptibles en fait de religion ; aincy l’interet, l’amour, l’ambition sont des motifs assés capables de les faire tomber dans l’erreur ; mais grace à Dieu, il n’en est pas de même dans les lieux ou les assemblées sont fréquentes, et les catéchismes en usage, et la discipline établie : la connoissance est beaucoup plus considérable, et les mœurs infiniment plus sages et mieux reglés, et la religion établie.

A mon retour de Montpellier, Monsr Maroger, natif de Nimes, me vint trouver pour me déclarer son sentiment sur le dessin qu’il avoit de se consacrer pour le service des Églises. Je l’exhorta d’augmenter ses lumières et ses connoissances pour être capable de pouvoir soutenir lexamen en presence des Anciens, et des predicateurs ; je lui representai les peines, les duretés, les contradictions, et le martire, auquels on sexposoit en embrassant ce party : rien m’intimida Monsr Maroger, ce qui me donna lieu de croire qu’il étoit apellé de Dieu. Il resta quelques jours avec moy, dont l’humilité et la pieté m’étoit fort agreable. Il est agé d’environ 24 ans, et il fut reçu dans la charge de proposant environ un an après, à la grande joye et consolation des fidelles.

Je n’ay point de mémoires qui fassent mention des choses remarquables de cette année 1725, et de la suivante, si ce n’est que, le 28e juillet, ayant convoqué une assemblée dans le bois de Sourlieres, montagne de Legoual, le matin à l’aurore du jour, un détachement de soldats de la garnison de St André y parut au Colsaly des environ, un quart de lieuë de l’assemblée ; mais une montagne et un bois nous mettoient à couvert. Notre assemblée, sachant l’ennemi si près, commencent de s’allarmer. Les anciens, qui faisoient guet, observoient toutes les demarches des soldats, nous envoyerent de nous rassurer, qu’ils voyoient bien que les soldats étoient incertains d’une assemblée, que cela parroissoit par la démarche qu’ils tenoient ; et en effet, un moment après, on nous raporta que les soldats s’étoient retirés. Ainsi nôtre dévotion se lit avec des ardantes actions de gràce ; cecy soit dit pour nous rappeler un vif souvenir, combien on est heureux de trouver dans un lieu ou lont peut servir Dieu sans crainte de l’ennemi.

Le 13e septembre, le Sinode des Cevenes se tint. Monsr Rouviere que nous avions député dans le Dauphiné et dans le Vivarés, pour assister au Sinode de ce païs la, il fut de retour avec les députés de ce Sinode, qui devoient se rendre au nôtre des Cevennes, savoir : Monsr Roger ministre, deputé du Sinode de Dauphiné, et Mr Durand, alors proposant, député du Vivarais. Ce fut dans ce Sinode qu’on traita Une étroitte alliance ; et qu’on dressa des reglements pour serrer d’avantage cette etroitte union. Voicy quelques uns des reglements qui furent unanimement dressés. En premier lieu, que le Languedoc ne recevroit point de proposants dans le plain ministere ; sans le consentement des ministres du Dauphiné et du Vivares, ët, quoy reciproquement le Dauphinés et Vivarés ne recevront point de ministres sans laprobâtion du Lenguedoc. Ce qui à donné la naissance a cet article, cest qu’on a douté que la nescésité et la complaisance ne mit le sâcré ministère entre les mains de personnes indignes de la manier. Secondement, que nous serions tous attachés aux 40 articles de la confession de foy, en un mot, que nous aurions même doctrine a l’egard des dogmes, même discipline, et que nous nous donnerions mutuellement le secours nescesaire dans tous les cas de nescésité, saris qu’il y ait jamais rien qui put ayoir le moindre air de rébellion contre le Roy.

Voicy un evenement singulier qui arriva le 5e mars 1725, J’àvois fait convoquer une assemblée, proche de Coulougnac, dans la nuit. Nous fumes decouverts par un soldat qui deroboit des choux dans un jardin, lequel connut par la demarche du peuple, qu’on faisoit une assemblée. Ce soldat crut que cette dernière proye seroit plus considerable que la premiere ; il se rendit avec avidité chés son officier pour lui reveller ce mistere. L’officier, ravit d’aprendre un tel gibier, fit promptement armer tous les chasseurs pour courrir dilligement a la suitte. Notre sentinelle qui les guettoit ne manqua pas de nous en prevenir, et nous fimes dilligence pour nous ôter de devant, ce qui nous servit d’un fidelle garant. Cet evenement marque bien quelle est la faveur d’un peuple qui peut aler en triomphe a la maison de Dieu et les divers moyens dont Dieu se sert pour conserver ceux qui sont sous la croix.

On ne trouvera pas étrange que je rapporte icy que je fùs appelé par les Anciens de l’Église de St-Hipolite de là Planquette pour y administrer la Ste Céne a 40 Messrs et Dames ; mais les Anciens furent fort trompés, puisqu’au lieu de 40, nous fumes passé six vingts personnes, ce qui nous apprend que ceux qui convoquent des assemblées, ne sont pas toujours les maitres, et qu’il n’est pas fort facille de conduire un peuple composé de bons et de mauvais. Lyvroye fait toujour beaucoup de mal au bon grain, comme cela parroit par un évenement arrivé le 22e avril 1727. Monsr Roussel proposant, me pria de me rendre dans un colloque tenu le même mois, pour calmer quelques divisions, survenues a loccation de quelques pretendus Inspirés. Je m’y rendis et j’empoya tous mes soins ; le bon Dieu me fit réussir et bénit mon charitable travail. Mais je puis protester qu’on ne sauroit trouver des personnes plus inraisonnables que ces prétendus Inspirés ; ils se servent des Écritures, mais ils les expliquent et appliquent si mal, que cela fait pitié de voir comme ils ont l’audace de profaner les misteres sacrés.

Voicv une autre chose admirable arrivée au Faux des Armes, montagne de Lozère, dans une assemblée convoquée pour la célebration de la Ste Céne. Une Demlle marchande se présenta a la table sacrée. Un Ancien lui dit qu’elle avoit assisté, il n’y avoit pas beaucoup de temps, au pretendu sacriffice de la messe ; alors je lui demanda si elle y vouloit renoncer pour jamais, a quoy elle me repondit quelques paroles basses, ce qui me rendit comme Elie extrêmement jaloux pour la gloire de l’Éternel. Et je parla à ladite demoiselle d’une manière forte, en sorte qu’elle fut fort consternée, et demeura la comme immobile. Quelques Anciens me dirent de la consoler, quelle etoit deja fort humiliée, et de la recevoir à la Ste Cène. Je répondis qu’il s’agissoit de la gloire de Dieu, et qu’on ne pouvoit point lacher ses interest, et que cy la dite Demlle ne renonçoit a la Babilonne mistique, l’entichretienne, elle ne pouvoit pas être reçue à la Ste table du Seigneur. La Demoiselle saprochant de la table sacrée, dit qu’elle n’y retourneroit jamais, et de prier Dieu en sa faveur qu’il ne l’exposa point aux tentations. Ainsy elle fut reçue à la Ste Céne, en faisant entendre a toute lassemblée qu’on ne peut joindre Christ avec Belïat, et le temple de Dieu avec le temple des idoles.

Dans une autre assemblée, se présenta aussi une Demoiselle inconnue aux Anciens de l’Église qui president a l’assemblée, et l’arretèrent, parcequ’il y a un article dans nôtre dicipline que chacun doit communier dans son Église ou porter un billiet du consistoire de son Église. Les Anciens arrêterent donc auprès de la Ste table cette Demlle, lui demandant de quelle Église elle étoit. La Demlle toute tremblante repondit quelle étoit native de St Juilhan, en Cevene, et mariée au Port St Marie, environ 60 lieues du dit St Juilhan, avec un papiste, mais qu’elle avoit toujours conservé dans son cœur la pureté de la religion reformée, qu’il y avoit fort longtemps qu’elle n’avoit point souillé son ame dans l’idolatrie, qu’elle avoit des excellens livres de nos docteurs, anciens et modernes, et, qu’ayant apris qu’on faisoit des assemblées en Cévenes, elle y étoit venue pour communier. Comme elle finissoit ces parolles, voila l’Ancien de l’Église de St Juilhan, a qui étoit recommandée, qui s’aprocha et qui confirma ce qu’elle avoit dit ; ainsi elle fut reçue a la Cêne du Seigneur, après avoir promis qu’elle n’iroit jamais plus à la messe, car nul serviteur ne peut servir deux maitres. On peut aisément conclure de ces deux dernieres aventures de quelle maniere se conduisent les Églises qui sont sous la croix, et comme Dieu conserve quelquefois la foy de ses élus au millieu des infidelles, comme est arrivé a cette dernière Demlle nommée Gabrielle Castaide.

Une assemblée étant convoquée proche Gange, en Cevene, la nuit, dans un ruisseau, les nües se brouillerent, de sorte que la pluye, les eclairs et les tonnerres, étaient si forts qu’il sembloit que le ciel se fendoit. Pareil cas nous arriva le premier juin 1727 a la montagne de Losere : il est vray que la seconde fois c’étoit de jour ; cinq dimanches de suite nous fumes exposés a souffrir la pluie, mais le dernier dimanche il pleuvoit si fort, pendant le temps de la dévotion, et n’ayant autre couvert que le ciel, jugés, lecteur, de quelle façon nous fumes mouillés. Au moins je puis dire que je sentais couller l’eau, le long de lépine du dos et de ma chemise. Qui ne voit la peine qu’il faut souffrir pour trouver la parole de Dieu, et heureux encorre si l’on etait dans un Desert en sureté ! Cependant, je n’aperçois jamais la dévotion plus vive et plus ardente, que quand on se trouve dans ces extrémités.

Voicy la découverte de quelque lieux qui nous étaient inconnus. Le 29e de juin de lan 1727, en sortant d’une assemblée que j’avois fait convoquer a la haute montagne de la Lusette, d’environ 2,000 personnes, dans laquelle Monsr Court, Monsr Bonbounoux et Mr Roussel proposants de ces Églises se trouverent, — je fus a Cornus, à St Jean de Bruel, et St Felix, jusqu’a St Afrique. A ce dernier lieu, je n’étais pas inconù, puisque j’y avois été autrefois. Je serois passé volontiers jusqu’au pont de Camarès si l’on ne m’eut pas dit que les fidelles du pont du dit Camarès m’attendoient avec impatience. Je me doutta d’abord qu’un zéle inconsidéré pourrait jetter ces fidelles dans un danger inévitable, que les ennemis s’en apercevraient, et qu’ils feroient beaucoup de prisonniers ; ainsi je m’en retourna sur mes pas. Il est bien vray que Mr Maroger y êtoit passé quelques mois devant moy, et que même y avoit établit des Anciens, mais ce ne fût qu’après avoir souffert beaucoup de peines et beaucoup de duretés et de refus. Ce qui se passa de remarquable dans cette nouvelle découverte, se fut de voir des gens qui avoient refusé méchamment toute voye de reconciliation, tant la haine et l’animosité étoient implacable, qu’ils vinrent eux mêmes s’humilier devant la table sacrée et se reconcilier heureusement. Voilà l’excellent fruit de la predication de l’Evangille, comme dit l’Apotre ; le bon plaisir de Dieu est de sauver les ames pour la predication de l’Évangile.

Les Sinodes des Cévenes de cette année la se tint le 12e septembre 1727. Les députés de la Guienne et du Rouergue s’y rendirent avec une lettre de remerciements, de ce que nôtre corps leurs avoit envoyé un proposant ; secondement, ils presenterent une requête a l’assemblée sinodale, pour la prier de vouloir bien leur donner un pasteur et un proposant pour le service de leurs Églises ; ce que nôtre assemblée leurs auroit volontiers accordé, si les Églises du Lenguedoc ne se trouvoient dans une si grande necessité ; mais n’ayant pour le present que deux pasteurs, elles ne sauroient s’en passer, sans grande perte. Ainsi fût deliberé, a la requête de Mess, de Rouergue et de la Guiene, de leurs envoyer nôtre tres cher frère Monsr Maroger proposant, et que les pasteur leurs rendroient quelques visites. Il fut lû une lettre de Monsr. Rogert, ministre en Dauphiné, de leurs envoyé un député de notre Sinode, selon nos règlements, pour se rendre a leurs Sinode. Comme le nombre des pasteurs est a presant fort petit, l’assemblée sinodale jugeat bon d’en dispencer les pasteurs par des grandes raisons, mais d’y envoyer un proposant avec un Ancien. — Voila tout ce que la mémoire me fournit de la tenue de ce dernier Sinode.

Le 22e octobre de la même année 1727, j’assista à un coloque que M. Combe, natif de St-Germain de Galberte, proposant dans nos Églises, avoit convoqué, et qui m’avoit ecrit de m’y rendre. Tous les Anciens de l’Église de Losère s’y transporterent. Après la lecture de l’Écriture sainte et la prière, j’interrogeat les Anciens, ce qu’ils avoient a dire touchant leurs villages, soit a l’égard de l’Église en géneral ; cela fait, on vint a parler des galeriens et prisonniers et fût deliberé d’envoyer a nos pauvres freres de Marceille 12 l(ivres) et a nos sœurs de la tour de Constance a Aiguës Morte 4 l(ivres). On connoit aiséement par cette petite somme, quelles sont les forces et les moyens de nos pauvres Églises, leurs forces ne s’étendent pas bien loin et leurs moyens sont fort bornés, il y a bien plus de volonté a secourir les freres que de moyens a le pouvoir faire.

Voicy une avanture de remarque et qui nous aprend de quoy est capable la peur et surtout lorsqu’elle est emparée de nos cœurs. Le 15e novembre 1727, l’assemblée fut formée la nuit dans une maisonnette de laquelle on se sert pour secher les chatagnes, dans un bois proche de nos formidables ennemis. L’Assemblée étoit formée en faveur des paroisses de St-Martin, et de la Mialouze, du Castagnet, de Déze. Comme la maison étoit petite on pria les Anciens de ne mener que des communiants ; mais bien qu’on eut enjoint à ceux qui faisoient la fonction des cloches de ne mener qu’un petit nombre, il en vint beaucoup plus que la maison ne pouvoit contenir. Mais la peur y pourvù. C’est que les deux sentinelles virent 4 hommes, avec, chacun, un flambeau a la main pour s’éclairer : à la verite c’était des ennemis, mais qui ne pensoient point à nous. Nos sentinelles se donnèrent peur ; ils leurs parût que ces flambeaux venoient à nous ; bien qu’il ne fut pas vray, ils vinrent donner l’alarme a l’assemblée ; je sortis promptement pour voir de quoy il s’agissoit, j’aperçu ces quatre flambeaux, et je dis aux Anciens : ces flambeaux suivent le ruisseau, et ne croyés pas que l’ennemi vint avec de la lumière pour nous surprendre, calmés vous et ne faittes pas du bruit. Si cependant une partie de l’assemblée s’enfuit, et la maison qui étoit trop petite fut assés grande : ainsi les restans nous achevames heureusement nôtre dévotion ; le lendemain les fuyards se reprochoient leur lacheté.

Le 30e du dit mois de novembre, nous célébrames le jeune dans une assemblée d’environ trois mille ames. Ce qui donna lieu a rendre cette assemblée si nombreuse, fut trois choses : la première que Monsr Boyer proposant fit venir les fidelles d’environ deux lieues ; la seconde que la place, ou l’assemblée étoit convoquée, favorise divers endroits et des bourgs considérables, comme Enduze, la Salle, St-Jean ; la 3e c’étoit un dimanche, et jour de jeune, par aincy une dévotion extraordinaire.

Pour faire mieux sentir la misere des Églises persecutées dans les lieux ou regne le fils de perdiction, il faut raporter icy ce qu’arriva le 14e mars de l’année 1728. Je fis convoquer une assemblée a la haute montagne de la Lusette, lieu qui favorise divers fidelles, ou il se fait des assemblées de deux mille ames. Le samedy au soir, la veille de l’assemblée, il se leva un vent, si fort et si froid que l’eau glaçoit sous les pieds, ce qui fit que dans cette haute montagne, ou il se fait des assemblées si considerables, il ne se rendit qu’environ mille ames qui forcêrent contre le vent impetueux. Je leurs exposa la prédication que j’avois meditée, mes hélas ! a tous moments le vent me fermoit la bouche, et me coupoit la parole. Ah ! qu’on est malheureux de se trouver dans un lieu ou l’on ne peut prier Dieu, qu’au risques des galeres et de la mort même, — ce qui jette les réformés des Églises qui sont sous la croix dans la terreur et dans la crainte, comme cela paroit par un évenement que je va rapporter. Le 21e mars de la même année 1728, après avoir fait une assemblée pour la communauté de la ville et paroisse de Mairaix dans un Desert, je fus attiré par les Anciens dans la ville, pour la reconcilliation de quelques familles distinguées qui étoient fort divisées. Estimant que mes paroles feroient plus d’impression dans l’esprit de ces personnes, le 24µ du dit mois les Anciens requirent que j’administrat la Ste Céne aux Mess::rs et Dames de cette ville qui le demandoient ardemment et que c’était le grand moyen pour les reconcillier, ce que nous fimes la nuit dans une chambre de leur ville ; les personnes divisées se reconcilièrent heureusement, a la grande consolation des Anciens, et a la salutaire édification de l’Église. Voila nos Messrs et nos Dames penetrés d’une grande joye, mais cette joye fut deux jours après interrompue par une terreur panique, en ce que le 26e mars du susdit mois, le fils de Monsr De Jean, commandant d’une petite garnison de St André, fut a Mairaix étant venu accompagner le curé de la ditte ville. Ces Messrs, Dames et Demoiselles se mirent dans l’esprit que mon De jean étoit la pour faire des perquisitions de l’assemblée qu’on venoit de faire, ils m’envoyèrent trois exprés consecutifs pour m’engager a fuir pour aincy dire tout le païs. J’aurois en effet pris la fuite, n’étoit que, deux jours mediatement apres, je devois me trouver a la grande forest de la haute montagne de Lagoual, dans une assemblée qu’un proposant et les Anciens de trois ou quatre parroisse nous avoient donné rendés-vous de faire pour la célebration de la Paque chretienne. Ors la communauté de Mairaix sont terres touchantes avec celles de la Valeraugue, de St André, du Bassorez ; en un mot la grande forest de Lagoual depend de plusieurs paroisses, et de plusieurs directes. Lalarme de Messrs de Mairaix ne se donna point dans mes cartiers et n’entra point dans mon cœur ; ainsi je ne quitta point leurs terres, mais je me retira dans un desert ou je me sentois bien que j’étoit, avec le secours de Dieu, en toute sureté : quelques jours après, les Messrs et Dames de Mairaix avoient douleur dàvoir manqué de venir a l’assemblée du dimanche et honte de s’etres épouvantés sans sujet.

Apres cette assemblée de l’Egoual, je m’achemina pour me rendre du coté de Nimes parce que le temps du Sinode alloit tomber, que nous avoins arreté Mr Court et moy de le tenir Ie 6 avril 1728. Mais quand je fus proche Enduze, en dessendant, je trouva un fidelle qui me dit : « Ne passés pas dans la ville, car on a fait la nuit passée une exatte recherche a deux maisons, croyant de trouver quelqu’un de nos chers frères, nos ennemis marchoient avec un air furieux et un aparel cruel, la bayonnette au but du fuzil. » Ce qui me donna lieu de passer hors la ville. Monsr Combe proposant qui se trouva dans la ville, mais non pas a la maison qu’on cherchoit, ne fit pas le paresseux à sortir de la ville. Le Sinode se tint donc le 6 avril 1728. Il ne s’y passa rien qui merite d’être inserré dans cette briève relation, si ce n’est que Monsr Betrine avoit demandé congé pour six mois et puis il en prit dix-huit pour aller etudier à Genève, au bout d’un an on le pria de venir, mais il crut que ses études le dispençoit d’un si prompt retour, cependant Mr Betrine fut rendu le 6e avril, il se presenta au Sinode et reçut les sençures que lassemblée sinodale crut être en devoir de lui faire : ainsi il continua dans sa charge de proposant. Par ce dernier évenement on conçoit aisément qu’il y a une discipline qu’on exerce contre les deliquants et les rebelles. Ainsi je finis mon histoire, en laissant diverses choses arrivées dans les assemblées, dans les coloques, dans les Sinodes, dans lesquelles on pourroit aiséement voir la sagesse de Dieu dans la conduitte de son Église, et en tirer des conséquences admirables ; mais cela auroit rendu l’histoire extremement longue, ce qui auroit été contraire à mon dessin qui est de faire un petit abrégé dec choses passées en Lenguedoc, ne parlant que très peu du Dauphiné et de la Guienne.

Si quelqu’un souhaite une relation moins circonstanciée, je le prie de me le faire savoir, on pouroit les satisfaire tant de la Guienne, du Dauphiné, que du Lenguedoc, et surtout me trouvant porté sur le lieu. Le Seigneur veuille avoir pitié de son Église affligée et mettre fin a nos tribulations, et nous donner la précieuse liberté de le servir, sans crainte de nos ennemis, tous les jours de notre vie. Amen.

Le 14e juin 1729.

appendice

Si quelqu’un souhaitte de savoir le nombre des parroisses qui forment les Églises des Cevennes de la montagne de Losere, les voicy : 1 Gange, 2 Sumaine, 3 la Rivière de Vis, etc., etc. Ces douzes dernieres Églises forment le Sinode de Losére, savoir : les Anciens de chaques Églises étant asemblées en colloque y font deux deputtés pour se rendre au Sinode, pour y rapporter les choses et y être décidées.

Voicy une aventure railleuse.

Environ lan 1726, le prêtre de Cardet chantant dans une maison, un soldat de la garnison de Ladignant, layant entendu, il crut que c’étoit une assemblée, il s’encourut promptement a son capitaine qui ne manqua pas d’y aller incessamment avec un fort détachement. Y trouvant le prêtre, le prennent et le conduisent en prison a Ladignant, se forgeant dans la tête que c’était un ministre déguisé en prêtre, le pauvre prêtre bien affligé de se voir lié et attaché, et surtout de le prendre pour un calviniste, lofficier qui ne se vouloit pas detromper. Comment faire ? il falut avoir recours au témoignage des consuls et habitants de Cardet, qui sont tous des reformés, pour desabuser l’officier, et lassurer que le prêtre est bon serviteur du pape.

On n’a pas rapporté ici la reception des proposants dans la liberté de prêcher sans toucher aux sacrements, dont l’examen est fort edifiant, de même que l’exhortation qu’on leurs dresse, qui est en particulier de ne point embrasser ce party, s’ils ne sont disposés a souffrir toutes les duretés, toutes les peines, voire la mort même, non seulement avec patience, mais aussi avec joye.

Je n’ai rien dit de la réception au St ministère de Mr Durand, du Vivares, environ l’entrée du mois de may 1726. Pour faire cette reception, après un examen de deux jours en presence des proposants et d’un nombre d’Anciens des plus experimantés, on avoit donné a Monsr Durand deux textes, un de théologie et l’autre de morale. Le premier jour, il exposa un sermon qu’il avoit fait sur un de ces textes et fit la lecture de l’autre qu’il avoit aussi fait sur le texte qu’on lui avoit donné, le reste de ce jour avec le second fut employé à l’examen de la doctrine, a lui faire des questions sur la créance et sur les dogmes de la religion. Ayant répondût d’une maniere satisfaisante, il fut reçu, le soir, dans une assemblée fort nombreuse.

Je n’ay pas non plus parlé comme dans le Lenguedoc, il y a des écoles pour la science de la musique. L’hyver dernier 1727, il y avoit une école a Losere, une a la parroisse de Vialas, ancienne de Cartagnol, une a Sadorgues, une a Pairoles proche St. Jean, une a Anduze, Monsr Fauché a present refugié a Zurich a fait aussi quelque temps cette pieuse fonction, avec beaucoup dedification, a la ville de Nimes, et a rendu de charitables visites aux malades, lors qu’il y a été employé, le tout a labsence et a linçu des catholiques romains.

Je crois de pouvoir dire icy que le chantre et les ecolliers de la parroisse de Pairolles, en sortant de dire leur leçons, se rendirent dans une chambre, dans laquelle Monsr le prieur de la dite parroisse êtoit dans un lit pour se reposer, mais inconito. Les musiciens parloient de leurs musique, de leurs psaumes, de leurs predicateurs, de leurs assemblées, enfin la matiere de leurs entretient rouloit sur ce sujet, n’apercevant pas Monsr le prieur, caché dans les rideaux du lit. Comme cette jeunesse étoit sur le point de partir, voila Monsr le prieur qui sortit du lit et leur dit : « Hé bien ! Messrs, vous aprenés la musique des psaumes. » Cette pauvre jeunesse fut bien consternée. Monsr le prieur prit encore la parole et leur dit : « Et même parce que j’en ai entendu, vous ne la savés pas a fond la musique, » Et se mit a chanter avec eux queques versets, disant que c’est ainsi qu’il faut chanter. Alors la jeunesse lui dit : « Monsr le prieur, vous nous feriés bien plaisir de nous l’aprendre, a quoy il répondit : « Je m’en garderai bien, vous vous vanteriés que vous l’avés aprise de moy. »

Je ne crois pas faire un mal de raporter un aventure arrivée environ le mois de septembre 1726, entre Briou et Moulhiere. Monsr Maroger et moy nous avions convoqué une assemblée d’environ 2 000 ames : la place de l’assemblée favorise 4 a 5 villettes, savoir Homessas, Moulhière, Briou, Aulas, le Viguan. Les fidelles de cette dernière ville, en venant a lassemblée, trouverent en leurs chemin, a l’entrée de la nuit, trois de nos ennemis qui connurent bien qu’on alloit a lassemblée ; un de ces trois étoit le frère de Mr Daudé, juge criminel du Vigan, qui ne manqua pas de l’aller dire a son frère. Mons le juge dit cela a son frère, parce que les Camisards ont tué leur père, qui étoit cruel et mechant contre les protestants. Mais cette exhortation ne fit aucune impression dans l’esprit de M. Daudé qui avoit trouvé les reformés allant a l’assemblée, de sorte qu’il s’en fût parler au capitaine des dragons ; le capitaine prit un détachement de dragons et mit Monsr Daudé a la tête ; ils marcherent ainsi jusqu’au pont d’Andou, ou le capitaine dit a Monsr Daudé : « Hé bien ! ou faut il passer pour aller voir et prendre ces assemblées ? » A quoy il répondit : « Je ne sai pas positivement ou ils sont. » Alors le capitaine s’emporta et injuria Mr Daudé de l’avoir fait sortir avec ses soldats, sans savoir ou aller ; ainsi le détachement s’en retourna au Viguan. Nos sentinelles ne manquèrent pas de nous informer du départ des soldats du Viguan, ce qui nous donna lieu de renvoyer l’assemblée par un chemin couvert de nos ennemis. Je ne dois pas obmettre que le dit Monsr Daudé qui avoit conduit le détachement au pont d’Andou, fut attaqué le jour suivant par une Demoiselle avec qui Mr Daudé avoit beaucoup de confiance, qui lui dit en ces termes : « Monsieur, vous avez découvert une assemblée, vous avés été a la tête d’un détachement ; je ne donnerois pas six deniers de vôtre vie. Vous savez ce qui a attiré la mort de Monsieur votre père ; vous vivés au milieu du même peuple ; il faut certe que vous soyés bien las de vôtre vie ; et quel avantage vous revient-il de détruire des gens qui ne vous font point de mal ? » Alors Monsr Daudé fut fort épouvanté et tout tremblant ; il dit : « Mademoiselle, je m’en repent, et je ne l’ai fait que par le conseil de Monsr Finiel, prieur d’Aulas, mais jamais on n’entendra plus rien dire de semblable de moy, je vous prie Mlle d’en assurer les réformés. » C’est ainsi que ce formidable ennemi fut humilié.

Voicy les noms des proposants du Languedoc : Messrs Jean Betrine, Jean Combe, Jean Rouvière, Jacqué Bonbounoux, Jean Gaubert, Jean Couest, François Roux, Jacques Boyer, Clary, et Maroger, et Roussel. Il ne faut pas oublier M. Rivière, qui, quoy qu’il ne soit pas encorre reçu dans le corps des proposants, il s’est déja consacré pour cet usage. Le nom des ministres est P. Corteiz et Antoine Court.

Voicy les noms de ceux qui servent les Églises du Vivarés : Messieurs Pierre Durand, celui-cy est ministre, Lasagne, Clergué, Brunel, Bernat, Guïllot.

Le nombre est fort petit dans la province du Dauphiné savoir : Monsr Rogert ministre, Monsr Villevaire proposant, et deux autres dont le nom m’est inconnu.

(N° 17, vol. H.)

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