Le comte de Zinzendorf

Préface

Le nom du comte de Zinzendorf est inséparable de celui des Frères moraves. Au commencement du dix-huitième siècle, dans le temps où les protestants de France souffraient les cruelles persécutions dont la révocation de l’édit de Nantes avait donné le signal, d’autres témoins de l’Évangile enduraient à l’extrémité de l’Allemagne, en Bohême et en Moravie, des souffrances toutes pareilles. L’antique Unité des Frères, sœur aînée des églises de la Réforme, semblait au moment de périr. Dieu ne le permit pas. Fuyant leur patrie pour rester fidèles à leur conscience, les derniers débris de l’église morave trouvèrent dans le comte de Zinzendorf un protecteur, un chef, un organisateur.

A ce titre déjà, la vie de Zinzendorf offre un grand intérêt. Cependant, s’il n’eût été que le rénovateur de l’Unité des Frères, je ne sais si j’eusse entrepris d’écrire ce livre ; j’en aurais sans doute laissé le soin aux membres de cette église. A chaque famille d’ensevelir ses morts, à chaque peuple de construire les tombeaux de ses prophètes.

Mais, à côté de cet intérêt historique, il y a en Zinzendorf un autre intérêt à la fois plus individuel et plus général. Son caractère attache et gagne le cœur par sa droiture et son élévation ; son esprit captive par une originalité puissante ; sa foi simple, son zèle, son amour pour le Seigneur, la richesse de son expérience font de sa vie et de ses écrits une source abondante d’édification et d’instruction. Enfin, — et c’est ici surtout ce qui m’a encouragé à écrire cette biographie, — j’ai appris à aimer en lui un homme qui, plus que personne avant lui, a travaillé, non au point de vue d’une église particulière, mais pour l’Église universelle.

Aussi, loin de devoir s’effacer dans les horizons du passé, la physionomie de Zinzendorf est destinée, si je ne me trompe, à être toujours mieux comprise. Convaincu que c’est la vie qui est la lumière des hommes, il s’est efforcé de faire sortir la religion du domaine de l’abstraction. Il a entrepris d’établir entre tous les chrétiens une union spirituelle, non point en les engageant à des concessions et à des compromis, mais en réveillant en eux une foi plus vive et un amour plus ardent pour le Sauveur. Il a réclamé pour tous la pleine liberté de conscience. Il a montré que, sans exclure aucune institution ecclésiastique, la foi et l’amour fraternel ne sont liés à aucune et les dominent toutes : — largeur d’esprit d’autant plus remarquable chez un homme qui n’avait rien de sceptique et qui possédait à un haut degré le génie d’organisation, comme le prouve toute son œuvre au milieu des Frères. Il a montré, par son exemple comme par ses prédications, que la religion n’est pas tant une doctrine qu’une vie, et que le chrétien n’est pas un homme qui croit au christianisme, mais qui croit en Jésus-Christ.

Sans doute les réfugiés moraves ont été les auxiliaires préparés par la Providence pour le seconder dans son œuvre. Mais, si c’est à eux que la Nouvelle Unité des Frères doit sa première origine, sa constitution et même, si l’on veut, ses principales institutions, c’est à Zinzendorf qu’elle est redevable de cette universalité qui a fait sa gloire et l’a distinguée de toutes les autres communautés religieuses.

En effet, ce libéralisme chrétien, ce besoin de fraternité illimitée, qui caractérisent Zinzendorf, se retrouvent chez lui dès le commencement et bien avant la fondation de Herrnhout. Ils éclatent déjà dans ses relations avec les évêques de France et avec les sectaires de Dresde ; et, longtemps après, nous le voyons encore lutter contre une tendance à l’agrandissement extérieur qui prévalait alors chez les Frères, et s’opposer de toutes ses forces à ce que l’église morave s’accrût aux dépens des autres.

Notre époque est-elle encore assez libérale pour apprécier cette tendance ? Elle semble du moins être lasse de divisions religieuses et comprendre que, comme le dit l’Ecclésiaste, s’il y a un temps pour jeter des pierres, il y a un temps aussi pour les ramasser. Elle commence à sentir — et puisse-t-elle le sentir toujours davantage ! — qu’il ne faut pas plus longtemps demander à la Théologie une formule de concorde, quand Jésus-Christ lui-même nous en a donné une :

C’est à ceci que tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres.

Il y a déjà quelques années que j’ai commencé à m’occuper de cet ouvrage. Plusieurs personnes m’y avaient engagé, car il n’existe encore en français aucune vie de Zinzendorf. Je pensais d’abord me borner à un extrait de ses principaux biographes allemands ; mais, à mesure que j’ai étudié sa vie, elle m’a intéressé à un tel point que je n’ai pu me résoudre à une simple compilation. Je me suis rendu à Herrnhout, dans le désir d’y ressaisir la tradition de Zinzendorf et pour apprendre à connaître par moi-même ces institutions moraves qui portent si profondément l’empreinte de sa foi et de son génie. J’ai eu le bonheur d’y trouver encore un des hommes qui en connaissaient le mieux l’histoire. M. Louis de Schweinitz, archiviste de l’Unité, en était lui-même les archives vivantes. Il avait, pendant sa longue carrière, recueilli et étudié avec un soin extrême les monuments de l’église des Frères et avait connu dans sa jeunesse les derniers représentants de l’époque de Zinzendorf. Il est mort pendant mon séjour à Herrnhout.

Je dois aussi témoigner ma vive reconnaissance au vénérable évêque Breutel, qui m’a accueilli avec tant de bienveillance et d’affection, ainsi qu’à toutes les personnes qui, soit à Herrnhout, soit dans d’autres communautés des Frères, ont facilité mes recherches et m’ont aidé de leurs lumières.

Cette seconde édition a subi des corrections assez nombreuses. Une étude nouvelle de la vie de Zinzendorf m’a fait mieux comprendre, par exemple, l’histoire de son projet de mariage avec Théodora de Castell (1.8). Plus loin (2.6), j’ai corrigé une méprise grave dans laquelle j’étais tombé précédemment. J’ai raconté avec beaucoup plus de détail les relations des moraves et des méthodistes (5.3), et j’ai ajouté un chapitre relatif aux enfants du comte.

On avait regretté de ne pas trouver dans la première édition de cet ouvrage un exposé complet de la doctrine et de la constitution de l’église des Frères à l’époque de Zinzendorf. J’ai comblé cette lacune d’après une source authentique, en donnant dans l’Appendice des extraits assez étendus du mémoire qu’il adressa aux pasteurs de Genève en 1741. Ce mémoire, encore inédit, m’a servi, en outre, à rectifier et à compléter plusieurs passages de mon livre.

Quant à l’état actuel de l’église des Frères, j’ai continué à m’en tenir à quelques détails statistiques placés à la fin du livre. Tout jugement sur ce sujet aurait été un hors-d’œuvre autant qu’une témérité : c’est Zinzendorf seul que j’ai voulu peindre.

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