Le comte de Zinzendorf

8.2 – Mort de la comtesse. Son portrait.

Quelques jours après l’ouverture de ce synode, Zinzendorf perdit la compagne fidèle qui, depuis trente-quatre ans et dès la fondation même de Herrnhout, l’avait assisté dans son œuvre. Depuis longtemps déjà, les occupations excessives, les voyages pénibles, en un mot, les travaux et les soucis d’une vie aussi remplie que l’était celle de la comtesse, avaient altéré sa santé. La mort de son fils René fut un coup dont elle ne se releva pas ; on vit sa vivacité disparaître et son activité se ralentir ; un des ressorts de cette âme était brisé. La faiblesse allait toujours croissant, mais sans qu’une maladie se déclarât ; enfin, le 19 juin 1756, elle s’éteignit sans souffrances, à l’âge de cinquante-trois ans. Sa mort était une perte immense et pour le comte et pour la communauté.

Nous avons donné plus haut un portrait de la comtesse ; en voici un autre plus précis et plus individualisé, mais qui ne fait que confirmer la fidélité du premier. Il est du baron de Schrautenbach, qui la connaissait de très près : il avait épousé une de ses nièces, appartenant aussi à la maison de Reuss-Ebersdorf.

« On peut se figurer quelle influence doit avoir exercée sur les affaires de l’église des Frères l’épouse de l’homme qui les dirigeait. Une personne qui n’aurait pas été entièrement d’accord avec lui, qui aurait eu un autre système, qui n’aurait pas saisi l’idée et le point de départ de son œuvre en un mot, une personne étrangère à la chose aurait été une entrave considérable. Mais la comtesse s’était chargée dès l’origine d’une partie importante de l’œuvre, les ressources extérieures. Elle avait sous sa direction tous ceux qui s’occupaient de ce département, car c’était sa fortune et celle de son mari qui formaient le fonds principal…

La comtesse était de taille moyenne ; elle n’était pas très bien faite, mais avait une physionomie intelligente et quelque chose de distingué qui allait bien à une femme de son rang. Elle était simple sans affectation. On ne l’a guère entendue dire un bon mot, mais on aimait à lui demander un conseil. Elle avait l’esprit éveillé et s’associait de bon cœur à la gaieté d’autrui. Elle parlait peu, mais n’en écoutait que davantage et ne cherchait jamais à faire parade de son jugement ou de ses connaissances. Elle était d’une humeur très égale ; jusque dans ses originalités, elle était toujours la même. Elle avait un jugement très sain et une grande énergie dont on ne s’apercevait que peu dans la vie journalière, mais dont fait foi l’ensemble de sa carrière.

Un trait remarquable de son caractère, c’est qu’elle ait su, dans une société où régnait tant d’égalité, s’attirer cette considération générale qui lui faisait donner le titre de maman. Lorsque le comte fut de retour de Pensylvanie et que ses enfants, devenus grands, commencèrent à compter pour quelque chose dans la communauté, on leur entendit souvent prononcer les noms de papa et de maman ; leurs amis prirent l’habitude de nommer de la même manière le comte et la comtesse, et ces noms devinrent d’un usage presque général. Il est certain qu’elle inspirait tout à fait les sentiments qu’inspire une mère. Ce qui la rendait digne de ce nom, ce n’était pas seulement le soin qu’elle prenait de tant de personnes, c’était aussi son grand sens, son cœur plein de sympathie, son oreille toujours ouverte aux peines des autres. C’était à elle que l’on s’adressait quand on avait perdu sa cause auprès du comte ou qu’on avait à lui présenter quelque affaire qui eût besoin d’être introduite. Même sans qu’on le lui demandât, elle était l’avocat de quiconque méritait qu’on intercédât pour lui, et elle ne prétendait à aucune reconnaissance.

Dans ses relations elle avait le cœur très large ; ses prédilections pour telle ou telle personne ne faisaient jamais de tort à d’autres. De cinq ou six heures du matin jusqu’à onze heures du soir, sa chambre était rarement vide, et quand elle était obligée de congédier, ne fût-ce que pour un moment, la société qui s’y trouvait, ce n’était jamais sans s’en excuser. En revanche, le petit coin qu’elle occupait, sa table, son canapé, étaient sa propriété si exclusive que personne n’aurait osé y toucher. Comme tous les ouvriers de l’église étaient en relations avec elle, comme tous les étrangers lui rendaient visite, comme sa famille était très nombreuse en enfants, neveux et nièces, et comme chacun d’eux à son tour avait ses amis, sa chambre était un rendez-vous général et a eu en son temps une influence très marquée sur l’esprit de la communauté. Il était d’autant plus commode de se rencontrer chez la comtesse qu’elle ne remarquait point si l’on venait chez elle pour elle-même ou pour d’autres. Elle aimait la société et mettait en train la conversation, quand l’occasion s’en présentait. — Elle racontait d’une manière fort intéressante. Elle avait beaucoup d’expérience, — principalement sans doute dans l’œuvre dont elle s’occupait et qui était si riche en événements et en transformations diverses, — mais aussi par ses relations de famille, par son séjour à Dresde, par les amis qu’elle avait en tout pays. Elle avait retiré de tout cela une grande connaissance du monde, et dans ses récits elle avait l’art de mettre en relief le fait principal et cela d’une manière très originale, en glissant sur les circonstances accessoires et en indiquant la parenthèse par un léger changement de ton et une pantomime presque imperceptible. Son langage était parfaitement naturel et simple, et sa conversation toujours instructive et intéressante. »

Un éloge plus court et plus éloquent de la comtesse de Zinzendorf se lit dans les belles paroles du fils de Sirach, que le comte donna lui-même pour texte au diacre de Hennersdorf chargé de célébrer un service funèbre en mémoire de la défunte : « Le Seigneur a fait de grandes choses par elle. Elle a donné de sages conseils et elle a prophétisé. Elle a gouverné avec prudence et avec intelligence de l’Écriture. Elle a composé des cantiques spirituels. Ses descendants sont demeurés dans l’alliance du Seigneur. Sa gloire ne périra point. On parlera de sa sagesse et l’assemblée annoncera sa louangeb. »

b – Ecclésiastique, 44.2-5, 11-15.

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