Le comte de Zinzendorf

NOTE 2
Discours de Zinzendorf à Berlin.

Les discours prononcés à Berlin par Zinzendorf, ou plutôt, comme il le dit, les sommaires de ses sermons, d’après les notes de Langguth, ont été traduits en français peu après leur apparition. Cette traduction a été imprimée à Londres en 1744.

Ces sermons sont divisés en trois séries : la première contient douze discours sur l’Oraison dominicale ; la seconde, seize discours sur la seconde partie du Symbole (celle qui traite de Jésus-Christ) ; la troisième, vingt-six discours sur divers sujets.

Le livre est dédié à la reine de Prusse. L’auteur ne dément, dans cette dédicace, ni le respect, ni la franchise avec laquelle il savait parler aux souverains :

« Votre Majesté, dit-il, fait la gloire d’un grand monarque, d’un important administrateur dans le royaume de Dieu. Elle est au Prince royal et à toute la famille royale une précieuse mère. Elle est l’amour des peuples qui sont sous la domination du Roi. Voilà de grandes gloires réunies. »

J’ai aussi eu occasion de remarquer que Votre Majesté n’est pas éloignée de devenir une pauvre pécheresse. C’est là une grâce où il se trouve tant de vertus. Si Votre Majesté possède encore cette qualité, son bonheur est parfait, sa gloire est fondée…

Dans la préface, Zinzendorf expose les motifs qui l’ont engagé à revoir ces extraits de ses discours et à en autoriser la publication :

« J’ai vu quelques analyses de mes discours faites par de bonnes âmes, qui sans doute ont eu en cela de pieuses intentions. Mais c’étaient leurs paroles et leurs idées, et non les miennes. Et si je ne les ai pas avouées, ce n’est pas que je les aie regardées comme moindres que les miennes, mais parce que ce n’étaient ni mes paroles ni mes idées.

Il a même couru sous mon nom, à Berlin, des discours entiers et suivis, qui sont venus jusqu’à moi, et dont le texte, la matière et toutes les paroles étaient supposés. J’ai supporté cela tranquillement ; mais j’ai pourtant vu par là la nécessité d’exposer au public au moins les idées fondamentales de mes discours…

Je n’ai plus qu’un mot à ajouter. On me diffame étrangement dans le monde… J’en suis fâché pour le dommage qui en résulte, et non pas pour moi. Mais je souhaiterais que la réputation que j’ai n’empêchât pas le lecteur de laisser opérer dans son cœur ces vérités de la Croix. J’ai quelque droit à demander cela, puisque j’en use de même. Je lis les paroles de Balaam avec grande édification. Quand on propose quelque chose, je ne m’arrête jamais à la personne, mais j’examine ses raisons. »

On peut résumer la prédication de Zinzendorf dans la profession de foi suivante, par laquelle il commence le dernier discours de la 2e série :

« Je sais en Qui je crois et je suis assuré qu’Il est puissant pour garder mon dépôt jusqu’à ce jour-là (2 Timothée 1.12). Je crois que mon Sauveur, mon Roi, porte ces noms avec honneur. Je crois son éternelle divinité. Je crois sa réelle humanité. Je crois que je suis un de ses domestiquesc. Je crois que j’étais perdu. J’ai su ma sentence de mort. Mais je crois aussi avec certitude que je suis racheté et absous. Je crois que je suis le légitime salaire de tous ses travaux, de ses peines et de sa sueur. Je crois qu’Il m’a conquis et gagné par son épée et son arc (Genèse 48.22). Je crois que je ne suis plus réduit à la nécessité de pécher. Je crois que je ne mourrai pas. Je crois que je suis maître du diable. Je crois que ce n’est point par parole, ou par œuvre, ou par miracle, ou par un ordre absolu de Dieu, ou par une nouvelle création, ou par quelque autre moyen que ce soit, que je suis sauvé, mais que c’est par la peine de mort que le Fils de Dieu a endurée pour moi. Je crois que maintenant je n’appartiens à personne qu’à Lui, qui m’a mérité. Je crois qu’Il a le règne sur toutes choses. Je crois qu’où que je sois, je vis sous Lui, sous sa protection, sous sa paix, sous sa direction. Je suis assuré que j’ai le même droit immuable qu’ont tous mes concitoyens : d’être, comme eux, invariablement saint et, comme eux, éternellement heureux. Mais je crois aussi que je ne suis rien sans Lui, et que je ne vis que par cette seule cause : c’est que le Sauveur vit. Tant qu’il vit, je vis aussi. Et tout cela je le sais, aussi sûr que je sais que ma tête est sur mes épaules. »

cHausgenosse. Le mot domestique est employé ici dans le même sens que dans Éphés.2.19.

Nous transcrivons ici deux des sermons sur l’Oraison dominicale, l’un en entier, et l’autre en bonne partie. Nous les donnons d’après la traduction que nous avons mentionnée et qui, écrite dans un but d’édification, n’est rien moins que littéraire.

La lecture de ces discours, ou plutôt de ces squelettes de discours, rebutera les esprits impatients, mais ceux qui passeront par-dessus l’incorrection de la forme et l’apparente aridité, sentiront dans ces pages quelle est la puissance de persuasion d’une âme nourrie de la Parole de Dieu, instruite par l’obéissance et qui croit parce qu’elle aimed.

d – Expression de Zinzendorf en parlant de lui-même.

I.
ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel.

Mon Dieu ! je prends plaisir à faire ta volonté, et ta loi est au dedans de mes entrailles (Psaumes 40.9). Ce sont là des paroles que le Sauveur s’applique, quand Il dit : Ma nourriture est que je fasse la volonté de Celui qui m’a envoyé et que j’accomplisse son œuvre. (Jean 4.34)

Cela dit beaucoup, et nul homme ne peut parler ainsi, que celui dont le Seigneur est bien près et qui lui est uni de la manière la plus intime.

La volonté de l’amour éternel est notre unique bonheur, dans le temps et dans l’éternité, parce qu’elle procède d’une expérience que nous n’avons pas, et que Dieu sait d’avance ce qui nous est et nous sera, maintenant et à l’avenir jusqu’à l’éternité, nuisible ou salutaire. Il sait même tout ce qui pourrait être pour nous à l’avenir une occasion de profit ou de dommage.

C’est de ces vues profondes qu’émanent tous ses ordres, qui ne sont autre chose que de soigneuses prévoyances pour notre bien, pour notre salut, dans ce monde et dans l’autre.

Il se présente naturellement trois endroits où se fait la volonté de Dieu : dans le ciel, — sur la terre hors de nous, — et sur la terre en nous.

1° L’Écriture nous dit souvent (et Celui qui est venu du sein du Père, qui Lui-même a été dans le ciel, l’a expliqué clairement) qu’il y a dans le ciel une soumission universelle à la volonté de Dieu.

Toutes les créatures même sont prêtes à faire son commandement. Toutes choses le servent (Psaumes 119.91 ; il n’en est point qui ne fasse ce qu’elle doit. Feu, grêle, neige, vapeur, vent de tourbillon, tout exécute sa parole. (Psaumes 148.8) Tous les éléments, toute la création, tout ce qui s’y passe journellement est dirigé par la conduite de Dieu et conservé sous ses lois, dans une obéissance absolue et sans nulle opposition.

Un centenier vint au Sauveur et lui dit : Je suis un homme constitué sous la puissance d’autrui, et à mon tour j’ai des gens sous moi. Je dis à l’un : Va, et il va, et à l’autre : Viens, et il vient, et à mon serviteur : Fais cela, et il le fait (Matthieu 8.9). C’est là tout ce qu’il dit, et voici son argument : Il faut que maladie et mort se retirent, dès que le Seigneur de toutes choses, le Seigneur de la vie et de la mort dit : Retirez-vous.

Dans le ciel, il a encore une tout autre obéissance : ses armées, qui sont ses ministres, font sa volonté (Psaumes 103.21) ; ils le servent avec allégresse. C’est pour eux un service agréable, satisfaisant et tout aimable (Psaumes 100.2). Ils font la volonté de Dieu, de bon cœur et avec affection (Éphésiens 6.6-7).

C’est pour cela qu’il est dit de l’éternité bienheureuse : Ses serviteurs le serviront (Apocalypse 22.3) ; par où l’on fait de son service une félicité égale à la contemplation de sa gloire.

Ces messagers de Dieu possèdent parfaitement la disposition que demande la Sagesse éternelle, quand elle dit : Mon fils, donne-moi ton cœur, et que tes yeux prennent plaisir à mes voies (Proverbes 23.26).

Ils ont jeté un coup d’œil dans les voies de Dieu : ils savent quel glorieux succès ont tous ses ordres. Ils ont éprouvé longtemps et par bien des expériences que les choses les plus étranges qui leur ont été imposées ont eu une heureuse issue. Nul d’eux ne se souvient d’avoir jamais reçu un commandement qui n’ait été heureusement exécuté et accompli. Et cette harmonie de tous les ordres de Dieu avec le succès fait naître dans les anges et les messagers de Dieu un désir d’en recevoir toujours davantage. Dès que leur Roi veut les employer, ils sont tout prêts, mais avec un tranquille abandon.

Par ce qui vient d’être dit, nous pouvons nous représenter comment la volonté de Dieu est faite dans le ciel, et cela est aisé à comprendre.

Mais ce qui s’est passé dans un temps connu de l’Éternel, temps où fut manifestée la volonté du Père, de sauver le genre humain par le Fils, si le Fils le voulait, les principes de la vérité éternelle à l’égard du genre humain étant tels, que personne ne pouvait le délivrer, sinon le Fils unique, Celui qui n’a point d’égal, Celui que l’éternité ne peut contenir et dont la durée engloutit les temps, qui a été avant que les fondements du monde fussent jetés, qui a résidé dans le cœur du Père avant qu’il fût question de quoi que ce soit hors de Dieu, ce qui s’est passé dans cette époque de Dieu, où enfin il fut arrêté que le Fils voulait se livrer, se sacrifier dans la nature humaine, dans la forme de chair de péché ; qu’Il voulait être puni jusqu’au sang, jusqu’à la mort, pour des forfaits qu’Il n’avait pas commis, pour des hommes qui non seulement l’avaient offensé, mais qui, au milieu même des souffrances qu’Il subirait pour eux, le mépriseraient, et qui, après sa mort et sa victoire, le crucifieraient de nouveau, tant qu’il y aurait un temps ; pour des hommes dont les meilleurs, les enfants de Dieu, montrent dans son service, en le confessant, et dans leur reconnaissance envers son infinie miséricorde, tant de langueur et de pesanteur, que quand ils viennent à se considérer eux-mêmes, ils sont tout confus et de honte ne savent que dire ; ce qui, dis-je, s’est passé alors est l’étonnement de l’esprit humain et le rend interdit.

Le Fils savait tout cela ; Il en voyait d’avance le succès. Le Père savait qu’il n’y avait que le Fils qui pût exécuter cette délivrance. Ce fut alors que la volonté du Père se fit, et que le Fils se rendit obéissant de son propre gré.

C’est en cela que consistait la prééminence du Fils sur tous les esprits, sur tous les trônes et les dominations dans le ciel, en ce que sa volonté était son conseil de droit : qu’Il pouvait mourir, ou non, souffrir ou ne pas souffrir (Jean 10.17-18) ; que, par une parole de sa bouche, par un souffle de sa respiration, Il pouvait réduire en poudre les hommes et détruire tout l’univers, ou dire : Je vis, vous aussi vivrez ; mais auparavant je veux mourir, afin que vous puissiez vivre (Jean 14.19).

C’est ce qu’Il a fait, et c’est là le plus parfait accomplissement de la volonté de Dieu qui soit arrivé et qui puisse jamais arriver, dans la liberté, en toute éternité.

Telle est l’exécution de la volonté de Dieu dans le ciel. Comment se fait-elle sur la terre, hors de nous ?

2° Il est notoire que l’on contredit et que l’on résiste à la volonté de Dieu de tous côtés ; que les hommes, lorsque cela est en leur pouvoir, font profession de s’y opposer ; mais que, quand ils n’ont pas ce pouvoir et qu’ils sont même obligés malgré eux de s’y soumettre, ils murmurent au moins et regimbent contre elle a tant qu’ils peuvent, ou que ce qu’ils font, ils le font de manière que, quand même le monde ne le verrait pas, Dieu cependant voit qu’ils ne le font que malgré eux et à contre-cœur. Tel est l’état où se trouve le genre humain déjà depuis quelque mille ans ; l’état où il s’est trouvé du temps du Sauveur, et où se trouvent encore toutes les nations, toutes les religions, et les chrétiens plus que tous les autres ; eux parmi lesquels quiconque en use autrement est regardé comme une créature étrange, comme un prodige.

C’est pourquoi les désirs et les vœux des âmes qui aiment Jésus véritablement et qui connaissent le Père sont que sa volonté se fasse sur la terre ; qu’Il détruise tout mauvais conseil, toute mauvaise volonté, et qu’Il arrête tout ce qui voudrait nous détourner de sanctifier son Nom et s’opposer à la venue de son règne ; savoir : la volonté du diable, du monde et de notre chair. Tel est le grand objet de cette demande.

Les domestiques, les serviteurs de Dieu voient bien qu’ils n’y réussissent guère et qu’ils n’y avancent pas plus que leur Seigneur, qui supporte cela selon sa sagesse, et qui laisse les choses suivre leur cours jusqu’au jour de la vengeance qu’il s’est proposée.

Ainsi, leur demande se concentre et se réduit enfin à dire : Que nous au moins nous fassions bien ; que ce soit au moins notre nourriture de faire sa volonté.

3o Il faut considérer ici deux points : I. En général, ce que c’est que faire la volonté de Dieu. II. Quelle est cette volonté sur chaque âme en particulier.

I. En général, l’observation de la volonté de Dieu consiste en deux choses : à ne vouloir rien de ce qu’il ne veut pas ; à vouloir tout ce qu’Il veut.

Au premier égard, on peut dire à chacun avec assurance : Celui qui a et qui conserve encore une volonté pour des choses qu’il sait que Dieu ne veut point, n’est point un enfant de Dieu. Il faut dire un adieu éternel à tout ce que l’on sait n’être point la volonté de Dieu.

Après cela, on en vient, par sa grâce et sa sagesse, au point de ne plus penser même à vouloir, à choisir ou à faire quelque chose de son chef. On laisse le soin de sa vie et de toute sa conduite à Celui qui nous a formés. On pense à l’état où l’on était avant que de naître.

Il y a surtout quatre articles sur lesquels on peut examiner sa disposition. Une âme qui aime le Sauveur doit pouvoir dire avec vérité :

Et c’est ce que l’on peut reconnaître dans les occasions où l’on devrait être élevé, et où le Seigneur nous résiste ; — dans celles où l’on pourrait avoir quelque plaisir des sens, et où le Seigneur ne le permet pas ; — dans celles où l’on aurait quelque profit à faire, et où Dieu y met obstacle ; — dans celles où l’on pourrait se procurer des aises dans le monde, et où Dieu nous met au contraire dans toutes sortes de peines et de travaux. Alors, une âme qui ne veut rien de ce que Dieu ne veut pas se dit : Ce sont là des pensées de paix sur moi ; car toutes ces choses n’étaient que des aliments à mon aveugle propre volonté qui doit mourir.

Un homme qui a sa propre volonté veut l’une de ces choses, si même il ne les veut pas toutes. Il voudrait être quelque chose ou contenter ses sens, ou posséder quelque chose, ou vivre commodément. La seule mollesse est quelquefois si grande, que, par indolence, on néglige et honneurs, et richesses, et plaisirs, et cela donne même une apparence de vertu.

Un enfant de Dieu est bien autrement disposé : il chemine avec un cœur serein, joyeux et courageux, dégagé de crainte et de mélancolie, et qui a trouvé le secret d’être délivré de peine et de souci. C’est là l’heureux état où l’on n’a point d’autre volonté, et où l’on n’a pas besoin d’en avoir d’autre que celle de Dieu. Le second point est de vouloir tout ce que Dieu veut.

Ici encore il y a deux conjonctures principales où l’on peut s’examiner : quand il s’agit d’entrer dans la souffrance et la douleur ; quand on doit entreprendre et exécuter des choses où il se rencontre nombre de difficultés.

Nous trouvons là-dessus des exemples dans l’Histoire sainte : à l’égard des souffrances, en la personne de Job, et à l’égard du travail, en celle d’Abraham. L’un et l’autre de ces exemples montrent jusqu’où Dieu peut aller pour éprouver si les siens veulent tout ce qu’Il veut.

Quant à Job, Il le tient deux ans entiers dans des souffrances continuelles, et lorsqu’il fut question du coup décisif, ce serviteur de Dieu se montra tel, qu’il remporta ce témoignage d’avoir parlé droitement devant l’Éternel. (ch. 42)

Et quant à Abraham, Dieu exigea de lui les choses les plus étranges, et jamais il n’hésita un jour. Quand Dieu lui donnait quelque ordre, le soir, tard, il se levait de grand matin pour l’exécuter. (Gen. ch. 22)

Si l’on voulait soutenir absolument que celui qui ne recevrait pas avec joie toutes les souffrances et les amertumes qui peuvent lui arriver, celui qui n’exécuterait pas promptement et courageusement tout ce que le Seigneur exige et requiert de lui, n’est point un enfant de Dieu, cela serait outré.

Il y a des âmes qui ne se laisseraient point ôter, et cela avec raison, l’assurance où elles sont qu’elles aiment Jésus, quoique leur cœur les convainque que la félicité dont nous venons de parler leur manque. C’est pourquoi, je le répète, ce que l’on ne saurait passer à enfant de Dieu, c’est de ne pas vouloir faire la volonté de Dieu et de s’y opposer.

Il y a dans toutes les âmes qui appartiennent au Seigneur un secret dévouement à faire sa volonté ; mais de s’en faire une joie, une nourriture, un contentement (ce qu’il faut encore pour être un homme entier), c’est un point où l’on a à apprendre.

Puisque je parle de souffrances et de douleurs, je dois déclarer ici que je ne mets point au rang des souffrances l’opprobre et la persécution à laquelle nous sommes exposés de la part du monde, quand nous suivons le Sauveur ; car c’est là une récompense de ses soldats.

Être persécuté pour l’amour de Christ, perdre à son occasion tous ses biens, être comme errant sur la terre et haï de tout le monde à cause de Lui, c’est en soi-même un sujet de joie.

Le Sauveur a deux sortes de gens parmi les siens : les uns qu’Il veut beaucoup employer, et les autres à qui Il épargne le travail et qu’Il veut récompenser gratuitement, avant même qu’ils puissent beaucoup agir pour Lui. C’est pour cela qu’Il ne les appelle qu’à la dernière heure du jour.

Plusieurs milliers d’hommes, de païens qu’ils étaient, sont devenus chrétiens en une heure, et l’heure d’après ont été traînés en prison et à la mort. Ils n’ont point eu de temps pour agir dans le monde pour le Seigneur, et ils ont pourtant reçu la même récompense que les autres.

Ceux qui ont une course si légère et si courte, nous les appelons des martyrs. Ce sont ceux qui parviennent le plus aisément ; leur chemin est le plus abrégé. Celui qui y est destiné obtient la victoire avant que d’avoir combattu.

Mais ceux que le Sauveur appelle au travail, le monde se heurte contre eux mille fois et s’y rompt la tête. Ils sont comme une enclume sur laquelle les marteaux se brisent, tandis qu’elle reste toujours la mêmee. Ce sont ses domestiques, dont il se sert, et quand le monde entier s’y opposerait, avec conjuration de les exterminer, les voilà toujours : ils restent parce que le Seigneur le veut. (Jean 21.23)

e – Cette belle image est de Th. de Bèze : « Sire, » disait-il au roi Antoine de Navarre, c’est à la vérité à l’Église de Dieu d’endurer les coups, et non pas d’en donner. Mais aussi vous plaira-t-il vous souvenir que c’est une enclume qui a usé beaucoup de marteaux. »

Ils ont à essuyer ingratitudes, opprobres, persécutions, calomnies, exils et spoliations. Ils supportent avec joie la perte de leurs biens (Hébreux 10.34) Ce sont là seulement des flétrissures de l’Agneau et de sa gloire, à l’égard desquelles saint Pierre est en peine qu’elles ne mettent notre humilité en danger. Si quelqu’un souffre comme chrétien, qu’il donne en cela gloire à Dieu (1 Pierre 4.16) Il ne les précautionne pas contre le découragement, mais il les avertit de ne pas s’en faire accroire et de ne pas se complaire en eux-mêmes dans des souffrances si honorables.

Mais il y a aussi des souffrances qui méritent proprement ce nom ; il y a des incommodités qui, quand elles sont de durée, accablent cette tente terrestre. C’est une souffrance réelle, quand on voudrait s’employer à quelque chose de bon, de se voir arrêté ou de voir qu’en général l’œuvre du Seigneur est empêchée. Qu’un serviteur du Seigneur soit comblé de louanges, mais qu’en même temps l’œuvre de son Maître languisse ; que les choses ne parviennent pas à leur but ; qu’il voie même des âmes qui se retirent et qui retournent au monde ; alors un tel serviteur de Dieu est dans la souffrance ; il est dans de fortes épreuves. Mais ce sont aussi des épreuves auxquelles il faut se résoudre.

Il ne faut pas seulement souffrir la volonté de Dieu, il faut aussi la faire ; il faut exécuter soi-même ce que Dieu veut que nous exécutions. Voilà le difficile. Car il ne suffit pas de faire le bien, il faut le faire en son temps, en son lieu et de la manière la plus profitable.

C’est ce qui demande des sens exercés : qu’on ait souvent appris à ses dépens, qu’on ait appris à saisir exactement dans l’œuvre du Seigneur le grand but de tout ce qui peut se présenter, tantôt à l’égard des âmes à qui l’on a affaire, tantôt à l’égard de nous-mêmes.

C’est pourquoi souvent il faut être attentif pour bien saisir un coup d’œil, un signe du Sauveur, duquel on pourrait aisément se demander si on l’a bien compris. Si l’Esprit de Dieu n’avait dit cette grande parole : qu’il n’est pas requis autre chose d’un dispensateur, sinon qu’il soit trouvé fidèle (Luc 12.42 ; 1 Corinthiens 4.2), il y aurait bien de quoi perdre souvent courage. Mais comme le Sauveur se contente, lorsqu’on agit selon ce que l’on connaît et en sa présence, on peut passer sur les craintes et les difficultés et entrer courageusement dans tout ce où le Sauveur nous appelle.

II. Considérons maintenant quelle est la volonté de Dieu envers chaque âme en particulier ; car, à cet égard aussi, il faut que l’on puisse dire des serviteurs et des servantes du Seigneur qui entrent dans le repos, qu’ils ont servi à sa volonté. Il y a deux moyens de savoir quel est au juste le but pour lequel Dieu nous a mis au monde :

(A) Quand la Parole de Dieu est une lampe à nos pieds. Ce qu’une lanterne est pour la marche corporelle, la claire Parole de Dieu l’est pour la marche en esprit. C’est par là que l’on apprend à entrer dans les vues générales de la volonté de Dieu, et, si l’on est simple, on connaît en gros ce que Dieu exige de nous.

On connaît quelle est la pensée et l’intention de Christ dans toute la conduite des âmes, dans la religion où l’on se trouve, dans les constitutions civiles des pays où l’on vit, dans les maisons et les lieux où l’on habite. On peut s’instruire de tout cela dans les Saintes Écritures, en comparant les événements de l’Ancienne Alliance avec ceux de la Nouvelle et la conformité que les personnes dont il y est parlé ont avec nous. Pour cela, il ne faut point d’art ; on prend les choses selon qu’elles se présentent, selon le sens naturel des paroles et des événements en eux mêmes.

Ce qui s’offre à l’esprit le plus promptement et le plus naturellement, lorsque nous lisons simplement ou que nous entendons quelque chose, c’est ce qui nous convient le mieux ; et la preuve qu’il n’y a point en cela autant de difficultés qu’on s’imagine, c’est que tous les jours mille choses s’écrivent, se disent et se commandent dans une ville, lesquelles, si elles ne s’exécutaient pas, mettraient, ce jour-là même, tout en confusion. Chacun entend convenablement ce qui lui est dit et le fait, de sorte que tout s’exécute dans l’ordre. Si on ne le fait pas, on s’attire des reproches, et il est bien rare qu’après avoir été avertis, on nous passe cette excuse : Je ne l’avais pas compris.

Chacun comprend bientôt les affaires qui l’intéressent. D’où vient donc que l’on a besoin de cette infinité de gloses et de commentaires sur la Sainte Écriture, et que le chemin que tout enfant trouve, et où les imbéciles mêmes ne sauraient s’égarer, est si difficile à concevoir aux sages et aux entendus et environné pour eux de difficultés infinies ? (Ésaïe 35.8)

Cela vient proprement de ce que notre cœur est enclin à la désobéissance, et qu’il multiplie les difficultés, pour n’être pas obligé de faire ce que le Seigneur commande. C’est pour cela que dans toute la chrétienté l’on s’accorde sur ce point : qu’il est bien difficile d’entendre la Bible. Par là, on reproche témérairement au Sauveur de n’avoir pas proposé ses instructions de manière que chacun pût les comprendre.

Comment le Seigneur aurait-il proposé aux hommes des choses qu’ils ne pussent pas entendre, Lui qui a tant à cœur de leur faire connaître ce qui leur est salutaire ? Non ! la parole du Seigneur demeure vraie : Celui qui veut faire la volonté de Dieu connaîtra (Jean 7.17).

Mais les revêches et les indociles s’embarrassent et se séduisent eux-mêmes ; ils ne saisissent point en entier ce qui regarde leur salut, et n’ayant point de goût pour cela, le plan général leur manque. Celui qui saisit la vérité en son entier a la clef de tout, mais celui qui n’a pas le point capital en manquera aisément les conséquences.

Par exemple : nous lisons si souvent ce que c’est que suivre le Sauveur : Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à soi-même, et qu’il charge sur soi sa croix, et qu’il me suive. Quiconque veut sauver sa vie la perdra. Je vous envoie comme des brebis au milieu des loups (Matthieu 16.24 ; 10.39 ; Luc 10.3). Cela est si clair et si intelligible qu’il n’y a personne qui ne puisse l’entendre. Mais quiconque s’aime soi-même et ne connaît pas le Sauveur, c’est pour lui, sinon un coup de tonnerre, du moins une chose fâcheuse et amère, c’est pourquoi il est bien aise qu’on puisse expliquer cela en différentes manières, et qu’il ne soit pas obligé d’en rencontrer précisément le sens.

Mais, dès que nous sommes dégagés du péché et que nous y sommes morts ; dès que nous avons cherché et trouvé miséricorde et grâce dans le sang de Jésus, et que nous nous sommes donnés à Lui, tout nous devient clair et uni, et l’on est tout étonné d’avoir lu ces mêmes choses dix, vingt, trente ans, sans les avoir comprises.

Il y a dans l’Écriture des histoires, des choses profondes, des types obscurs, que l’on ne peut pas toujours expliquer : mais ce qui regarde la volonté de Dieu, ce qui nous concerne, les vérités qui doivent un jour nous juger, c’est là ce qui est clair pour nous.

(B) Il se présente aussi des cas et des circonstances qui ne sont pas marqués précisément dans la Bible. Si vous avez quelque chose à apprendre, laissez-le vous révéler par le Seigneur (Philippiens 8.20)

Mais comment ? Il n’est pas besoin d’apparitions et de révélations extraordinaires. Ce que Dieu nous révélera s’accordera avec la règle déjà établie : il faut le justifier sur la parole de Dieu. A la loi et au témoignage : que s’ils ne parlent ainsi, ils n’auront point la vraie lumière (Ésaïe 8.20)

Cela posé, que la Parole de Dieu doit être la base et le point où tout soit ramené, saint Jean nous dit jusqu’à deux fois comment nous pouvons connaître quelle est la volonté de Dieu envers nous, dans les choses qui ne sont pas écrites : Vous avez l’onction de par le Saint, et vous connaissez toutes choses. Et l’onction que vous avez reçue de Lui demeure en vous, et vous n’avez pas besoin que l’on vous enseigne, mais selon que l’onction vous enseigne, tout se trouve vrai. (1 Jean 2.20, 27)

C’est ainsi que nous apprenons à nous conduire en telle ou telle affaire, en telle ou telle rencontre : dans les maladies, dans les voyages, dans le commerce avec le prochain, et à agir en toutes choses selon l’Écriture, pour nous diriger dans les circonstances extérieures et intérieures qui n’y sont pas expressément énoncées.

Dès que nous sommes un avec la Parole de Dieu ; dès que nous nous proposons sincèrement en sa présence de ne rien vouloir et de ne rien faire que vivre à sa volonté, que notre intention s’accorde avec son cœur, et notre volonté, notre affection, notre inclination avec sa Parole, nous pouvons nous reposer avec assurance et compter que s’Il ne veut pas que nous fassions une chose, Il nous retiendra de la faire, et que ce qu’Il veut que nous fassions, Il nous y poussera.

Il ne s’agit que de savoir quelle est notre intention, si nous avons à cœur de faire sa volonté, si nous mettons à profit l’onction par laquelle Il nous fait connaître selon sa Parole, dans toutes les circonstances de la vie, ce qu’Il veut, et par laquelle Il nous instruit exactement de son intention.

Telle chose est-elle à propos ? est-elle utile ? tourne-t-elle à notre bien ou à notre condamnation ? C’est ce que sait toute âme qui est attentive et qui se consulte comme il faut, qui soumet véritablement sa volonté à la volonté du Sauveur, tellement qu’elle puisse dire : Ce que mon Sauveur ne veut pas, je ne le veux pas non plus.

Si tout ce qui lui arrive dans le monde, si tout ce que le Seigneur lui commande n’est pas encore pour elle un sujet de joie, Il usera envers elle de patience et de miséricorde, et lui fera premièrement connaître tout ce qu’Il ne veut pas, ensuite aussi, en son temps, ce qu’Il veut.

C’est ainsi que le fidèle Sauveur en usa envers ses disciples : J’ai à vous dire encore plusieurs choses ; mais vous ne pouvez pas les porter maintenant (Jean 16.12). Et à Pierre, Il lui dit : Quand tu étais plus jeune, tu te ceignais toi-même et allais où tu voulais ; mais quand tu seras vieux, un autre te ceindra et te mènera où tu ne voudrais pas (Jean 21.18).

Il est fidèle et juste. Mais on ne parvient pas au premier point, de prendre véritablement en aversion tout ce que nous savons qui déplaît au Sauveur, que l’on ne soit converti, que l’on n’ait reçu un esprit nouveau, que d’homme naturel on ne soit devenu un homme spirituel.

Il faut, avant toutes choses, que nous retrouvions la vie que nous avions reçue dans le baptême ; il faut que le sang de l’Alliance, qui, par notre mauvaise éducation et par ce que nous y avons ajouté nous-mêmes, était disparu, redevienne comme une nouvelle source et prenne un nouveau cours dans nos cœurs. Sans cela, les âmes s’éloignent toujours davantage : elles deviennent toujours pires, toujours plus étrangères au Sauveur, plus arides et plus légères. A peine frémissent-elles un moment de l’enfer ! (Job 21.13)

C’est pourquoi il est nécessaire que le Fils de Dieu fasse entendre sa voix, cette voix qui réveille tout ce qui est mort, et qu’Il appelle son Esprit vivifiant sur ces ossements desséchés, en disant : Esprit ! viens, souffle sur ces âmes, ranime ces morts, afin qu’ils revivent. (Ézéchiel 37.9)

C’est pour cela qu’on parle aux âmes, dans l’attente qu’il restera quelque chose dans leur esprit et dans leur souvenir, et qu’on pourra exciter en elles ce désir : Que je puisse entendre la voix du Fils de Dieu et vivre ! Qu’Il me délivre de cette mort ! Que je puisse être animée de cette vertu, de ce souffle qui vivifie toutes choses !

Il est bien vrai que nous-mêmes nous ne pouvons rien faire de bon ; mais il y a certains empêchements que nous pouvons ôter de notre chemin, car le Sauveur dit que le diable, les plaisirs du monde et les soucis de la vie enlèvent la Parole du cœur, l’empêchent et l’étouffent. Or, on peut s’apercevoir de la séduction des richesses, on peut fuir les plaisirs du monde et on peut veiller à ce que le diable n’enlève du cœur la Parole. Il n’y a qu’à se tenir coi, dès qu’on a entendu la Parole.

Le Sauveur peut lui-même développer toutes choses et nous rendre aussi petits que l’est une petite poussière devant le soleil. Alors l’homme porte partout avec soi une salutaire inquiétude ; il ne se donne point de relâche qu’il n’ait obtenu grâce, ni de repos que le Sauveur ne l’ait embrassé et béni.

Tel est le fruit qui naît de la génération d’En haut et du réveil à la vie. C’est ce que j’ai dû ajouter, parce que sans cela on ne saurait parvenir à faire la volonté de Dieu. Nous ne saurions rien exécuter que nous n’ayons des pieds et des mains, et nous ne saurions les avoir qu’avec le nouvel homme.

II.
ne nous induis point en tentation.

Nous voyons clairement par la liaison de cette sixième demande : Ne nous induis point en tentation, avec la septième : mais délivre-nous du malin, liaison qui n’a pas lieu dans les autres ; nous voyons, dis-je, que ces deux demandes ont un rapport entre elles et un rapport très particulier.

La tentation est proprement un acte de Satan, où il travaille sur la volonté de l’homme par l’entendement. Il renverse les idées de l’homme, afin de pouvoir faire naître en lui une volonté mauvaise. C’est là ce qui s’appelle tentation.

C’est ce que l’on peut éclaircir par ce que dit saint Paul : Je suis jaloux de vous, d’une jalousie de Dieu, parce que je vous ai appropriés à un seul mari, pour vous présenter à Christ comme une vierge chaste : mais je crains que, comme le serpent séduisit Ève par sa ruse, vos pensées de même ne soient corrompues et détournées de la simplicité qui est en Christ (2 Corinthiens 11.2-3). La tentation n’est donc autre chose qu’une corruption de pensées, qui se détournent de la simplicité en Christ.

Que l’on puisse en être préservé et que ce soit un des grands soins des serviteurs de Dieu d’en préserver en effet, c’est ce que l’on voit dans ces paroles de saint Paul aux Thessaloniciens : J’ai envoyé vers vous, de peur que le tentateur ne vous eût en quelque sorte tentés… (1 Thessaloniciens 3.5)

Nous pouvons voir dans la tentation du Sauveur quels sont généralement les objets des tentations : l’une tendait à la satisfaction des sens, l’autre à l’orgueil et la troisième à l’avarice, qui sont les trois grandes chaînes dont l’homme est lié.

De là vient qu’on dit dans le monde qu’on connaît le faible d’une personne, quand on a remarqué en elle quelqu’un de ses caractères, et par là on en devient en quelque sorte maître.

L’un aime à être quelque chose ; l’autre aime l’aise, le plaisir ; un troisième aime à posséder beaucoup. Ces trois sortes de penchants se mêlent souvent ensemble, et quand ils se réunissent tous, ils se tempèrent merveilleusement l’un l’autre.

C’est là ce qui fait les gens vertueux, comme on les appelle. Ils aiment bien être quelque chose, ils aiment aussi avoir quelque chose, ils aiment bien aussi se procurer quelques jours de plaisirs ; mais il n’y a pas de la véhémence dans leurs désirs ; l’un arrête l’autre.

Un homme, par exemple, qui voudrait bien paraître, mais qui sait qu’il n’est pas en état de pousser sa pointe, s’en désiste en quelque façon et fait sous main ce qu’il peut. Celui qui aime le plaisir et qui sert les convoitises, mais qui voit que l’on se fait mépriser quand on tombe dans des désordres qui éclatent, s’en passe ; mais il ne s’en passe que pour ne pas commettre sa réputation. Il y en a d’un troisième ordre, dont tout le plaisir est de posséder, et qui, à cause de cela, se privent de tout le reste. D’autres peuvent difficilement se résoudre à donner quelque chose ; mais enfin pourtant, pour se faire honneur et pour s’en donner aussi un jour à cœur joie, ils le font, et alors ils cherchent à en contenter d’autant mieux la passion qui a le dessus.

Ainsi, il serait aisé de montrer comment l’orgueil est obligé de restreindre l’avarice ; l’avarice, la volupté, et la volupté, l’orgueil, et c’est ce que l’homme fait assez volontiers. Et voilà ces gens raisonnables qui savent s’arrêter à propos et ne pas aller plus avant qu’ils ne veulent.

Mais quand quelqu’une de ces passions devient absolument dominante, tellement que l’homme est ou tout avare, ou tout orgueilleux, ou tout voluptueux, la raison cesse ; on est emporté, on n’est plus son maître ; et quelque inconvénient, quelque mépris, quelque préjudice qui en résulte, on ne peut plus s’arrêter.

Toutes ces choses grossières et subtiles auxquelles l’homme peut se livrer, soit à toutes, soit à quelques-unes, fournissent la matière aux tentations de Satan ; c’est le faible qu’il étudie en nous et par où il nous prend toujours avec avantage…

Les tentations regardent, sans doute, naturellement et proprement ceux qui ont le Sauveur. Les autres hommes n’ont que faire d’être tentés ; ils sont déjà assez dans le train du tentateur ; il les conduit et les gouverne. Il n’a pas besoin de les tenter ; il leur commande en maître. Il les mène au gré et selon le cours ordinaire de leurs passions, et il obscurcit de plus en plus leur entendement.

Mais ce sont les âmes qui sont fiancées à Jésus, et qui doivent lui être conservées comme des vierges chastes, que l’ennemi cherche volontiers à tenter. Ce sont elles qu’il voudrait séduire par ses artifices. C’est là son esprit, son intention.

De là vient cette expression au sujet de l’avarice : Ceux qui veulent devenir riches tombent dans la tentation et dans le piège, et dans plusieurs désirs fous et nuisibles (1 Timothée 6.9).

Qui est-ce dans le monde qui s’imagine que ce soit là une tentation ? La plupart des hommes regardent comme tentation quand on ne croit pas, quand on ne peut pas croire, ou quand on a des pensées blasphématoires qui désolent et désespèrent. C’est là ce que les hommes appellent tentation ; et cependant, pour l’ordinaire, c’est une bonne marque dans ces âmes-là.

Si seulement elles savaient ce que veut dire : Je crois, Seigneur, subviens à mon incrédulité. Seigneur, augmente, fortifie ma foi, — elles ne craindraient pas si fort, elles ne regarderaient pas comme une chose si terrible d’être une fois secouées jusqu’au fond. Mais ce qu’elles craindraient alors, c’est si, sous de spécieux prétextes, elles pouvaient jouir des aises et des plaisirs de la vie ou devenir riches. C’est ce qu’elles regarderaient comme des tentations et sur quoi elles feraient la prière de cette sixième demande. Quand il leur surviendrait une occasion de monter d’un degré plus haut qu’elles n’étaient auparavant, elles diraient aussitôt : Ah ! ne m’induis pas en tentation. Quand il leur surviendrait une occasion de se procurer des aises dans le monde, soit pour la nourriture, soit pour autre chose, au delà du nécessaire, ou d’avoir du superflu en quoi que ce fût qui regarde cette vie, c’est alors que les âmes s’écrieraient : Ne m’induis pas en tentation ! La même chose arriverait quand elles auraient occasion d’augmenter leurs revenus d’une manière honnête, légitime et chrétienne, ne pouvant pas se fier à ce que, dans la suite, elles en fissent un bon usage, ou que même elles ne commençassent pas alors à devenir avares.

Car c’est assurément une séduction des pensées, quand, sous prétexte de faire du bien, d’être plus utiles au Sauveur dans le monde, les âmes sont entraînées dans les choses où l’ennemi ne les engagerait jamais, s’il les tentait directement.

Quelqu’un, par exemple, est en bénédiction au milieu de l’opprobre : on commence à le louer. S’il est sage, s’il a une intelligence divine, il ne saurait s’empêcher de dire : Ce n’est pas moi. Il faut qu’il se bouche les oreilles à la voix de la louange, comme l’aspic qui se rend sourd à la voix de l’enchanteur (Psaumes 68.5-6)

Quand un homme qui a éprouvé un sort dur dans le monde, qui a été dans l’indigence, qui a passé sa vie dans la peine, qui a véritablement marché à la suite du Sauveur, en misères, en douleurs, en maladies et en toutes sortes de travaux, se trouve bien tout à coup, recouvre la santé, rajeunit comme l’aigle, n’a plus à se plaindre de rien, que rien ne lui fait plus mal ; ceux qui le voient disent : Cet homme est comme s’il venait de renaître.

Au lieu de s’en réjouir avec légèreté, au lieu de s’en applaudir, la première pensée d’un serviteur ou d’une servante de Jésus-Christ est : Ne m’induis point en tentation, de peur que je ne recommence à pécher. Je cessais de pécher, lorsque je souffrais en la chair. Que je ne m’y engage pas de nouveau !

Une âme qui a fait beaucoup de bien dans le monde, qui a fait beaucoup de charités et rendu à son prochain beaucoup de fidèles services, avec bien de la peine, tellement qu’elle se serait volontiers dépouillée pour lui, et que, ne sachant plus où prendre, elle aurait ruiné ses propres affaires par amour pour les autres, — une telle âme voit enfin le moyen de se mettre en état de faire encore du bien à des milliers de personnes, sans qu’elle ait besoin de s’inquiéter ou de se tourmenter pour cela le moins du monde. Cela est venu de soi-même ; elle reçoit des biens dans e ce monde sans les avoir ni désirés ni recherchés. Si c’est un enfant de Dieu intelligent, sa première pensée sera : Ah ! que ce ne e soit point une tentation !

Que ce soit une tentation, c’est ce que prouvent tant de milliers d’exemples de personnes qui sont déchues dès qu’elles sont devenues quelque chose, dès qu’elles ont été dans la prospérité, dès qu’elles ont été mises en possession de quelque chose, ou du moins peu après.

J’ai déjà dit que, quand ces choses arrivent aux enfants de Dieu, elles se présentent sous une belle apparence. Il leur en est toujours fait une peinture qui les porte à penser qu’ils pourront faire du bruit pour le Sauveur, ou bien ils sont devenus mous, ils sont un peu impatients ; ils se sont trouvés surchargés ; il leur en coûtait trop de peines ; la respiration leur manquait. Ils voudraient s’en tirer, ils croient voir jour à cela ; c’est ce qui les incite à s’engager dans ce pas et à donner ainsi dans ce piège de Satan.

Maintenant, sans nous arrêter davantage sur cette matière, puisque je pense que nous sommes suffisamment éclairés dans nos consciences sur ce que c’est que les tentations, nous allons parler des moyens de leur résister.

Si quelqu’un est surpris en quelque faute, vous qui êtes spirituels, redressez un tel homme avec un esprit de douceur ; et prends garde à toi-même que tu ne sois aussi tenté (Galates 6.1).

La bonne opinion qu’on a de soi-même quand on se dit : Je ne saurais tomber, je ne saurais être tenté ; il n’y a rien à craindre pour moi, — cette bonne opinion est une occasion prochaine à la tentation.

Mais quand on reste petit, qu’on ne présume point de soi-même, qu’on se regarde toujours comme le pécheur racheté du Sauveur, (comme sauvé par grâce, et comme étant par grâce ce qu’on est ; quand on se dit sans cesse dans son cœur : Hélas ! suis-je digne d’avoir été fait un vaisseau à honneur ? on est préservé de toute tentation d’orgueil et d’élévation.

Il en est de même quant à la tentation de la chair. Celui qui a toujours devant les yeux ce Jésus qui, au lieu de la joie qu’Il avait en main, souffrit la croix et méprisa la honte, ne se laissera guère engager par la chair.

Qu’est-ce, au prix du sien, que le travail duquel nous sommes chargés ? Il est vrai, pense en soi-même un disciple de Jésus-Christ, j’ai beaucoup d’occupation dans le monde ; j’essuie quelque peine ; je suis privé de bien des satisfactions qu’ont d’autres hommes ; car j’ai bien autre chose à faire. Mais qu’est-ce que tout cela ? Ce n’est pas encore un combat de Christ.

Qu’est-ce que la lutte que j’ai à soutenir contre les péchés, le train de péché qui m’environne dans le monde, contre le péché, qui, comme dit l’apôtre, pense m’envelopper, me barrer le chemin ? Il ne m’en a pas encore coûté la vie. (Hébreux 12.1,3)

Combien de martyrs qui ont laissé la leur ! Je n’en suis pas encore venu là. Je n’ai pas encore été réduit à éprouver la prison, la perte de tous mes biens. J’ai encore où reposer ma tête.

Comment nomme-t-on d’un seul mot cette heureuse manière d’envisager et de concevoir les choses ? — la simplicité.

Quiconque s’y tient attaché a peu à craindre que le tentateur gagne quelque chose sur lui, quant aux convoitises, à la cupidité, à la paresse, aux aises et aux commodités de la vie ou à l’honneur, etc. Si ton œil est simple, tout ton corps sera éclairé. (Matthieu 6.22) Il n’y a qu’à regarder à la Parole de Dieu, comme un simple enfant. Si l’on ne veut pas être dévoyé dans son entendement, si l’on ne veut pas être détourné, ou même éloigné de la vie de Dieu, que l’on regarde en simplicité au Sauveur. L’enfant se tient collé à sa mère, et par là il est débarrassé de toutes les difficultés qui font tant de peine à ceux qui sont sevrés et plus grands. Dès qu’il s’écarte d’un pas de sa mère, il peut lui arriver dans une heure tout ce dont sa mère l’a préservé avec beaucoup de soins pendant une année entière.

La même chose nous arrive. Si nous nous en tenons simplement à la Parole que le Seigneur nous a laissée par écrit, et où Il nous parle d’une manière si claire, si intelligible, si affectueuse, de toutes sortes de circonstances, de l’humilité, de l’acquiescement à la pauvreté, de la fuite des convoitises, de l’abstinence, le tentateur ne nous peut rien. Nous n’avons qu’à imprimer dans nos cœurs ce qu’il a dit. Nous pouvons même nous en tenir à quelques passages, qui renferment en quelque sorte toute la Bible.

Quand même nous ne saurions point tous les autres, que nous ne saurions que ceux qui regardent la matière qui nous intéresse, ceux dont l’usage revient dans le cours de la vie, qui concernent notre tempérament, nos inclinations, nos affections, nous pouvons compter que nous pourrons terrasser par là toute la légion de nos ennemis, tous les esprits infernaux ; car l’épée de l’Esprit, c’est la Parole de Dieu. (Éphésiens 6.17) Notre âme est délivrée, et si nous croyons que cela soit vrai, c’est là le casque du salut qui fait peur à Satan. On marche dans le monde, au milieu de tous les ennemis, avec un visage assuré et serein ; on n’a peur de rien, on ne s’effraye de rien, on ne s’inquiète de rien, on ne connaît point de danger.

D’où vient cela ? C’est que nous sommes délivrés par le Sauveur. Le salut nous est avenu. C’est ce qui s’appelle simplicité en Christ. Toutes les gloires, toutes les félicités, toutes les armes de Dieu, à droite et à gauche, consistent à nous tenir simplement au Sauveur, comme si nous le voyions, comme s’Il était présent, comme s’Il nous parlait, comme s’Il nous tenait par la main, comme s’Il nous portait entre ses bras.

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