Méditations sur la religion chrétienne

2.5 — La Rédemption

J’entre dans le sanctuaire de la foi chrétienne.

Dieu a fait plus que se manifester dans Jésus-Christ. Il a fait plus que placer, sur la terre et devant les hommes, sa propre image vivante, le type de la sainteté et le modèle de la vie. Le Créateur a accompli, par Jésus-Christ, envers l’homme sa créature, un acte de sa bonté en même temps que de sa puissance souveraine. Jésus-Christ est encore autre chose que Dieu fait homme pour répandre sur les hommes la lumière divine ; il est Dieu fait homme pour vaincre et effacer dans l’homme le mal moral, fruit du péché de l’homme. Il apporte aux hommes, non seulement la lumière et la loi, mais le pardon et le salut. Et c’est au prix de sa propre souffrance, de son propre sacrifice qu’il les leur apporte. Il est le type du dévouement en même temps que de la sainteté. Il s’est fait victime pour être sauveur. L’Incarnation aboutit à la croix et la croix à la Rédemption.

C’est ici le dogme et le mystère suprêmes. Ici se révèlent pleinement le sens et la portée du fait chrétien. Par quelles voies Jésus-Christ, pour accomplir ce grand fait, a-t-il pénétré dans l’âme humaine ? Comment l’a-t-il conquise à la foi chrétienne pour l’arracher au mal et la sauver ?

Quand l’homme manque au devoir dont il reconnaît la loi, quand il commet le mal qu’il est tenu de fuir, quand, à la suite du péché, s’éveille en lui le repentir, un autre sentiment, la nécessité de l’expiation, se joint à celui du repentir. C’est l’instinct moral de l’homme que le repentir ne suffit pas à effacer la faute, et qu’elle doit être expiée. Pour réparer, il faut souffrir.

Et quand le sentiment religieux se joint au sentiment moral, quand l’homme croit en Dieu et voit en lui l’auteur et le dispensateur de la loi morale, il se regarde comme coupable d’offense envers le Dieu auquel il a désobéi, et il éprouve le besoin d’être pardonné, de rentrer en grâce auprès du souverain Maître qu’il a offensé.

Chez toutes les nations, dans toutes les religions, sous toutes les formes sociales, ces deux instincts, la nécessité de l’expiation après la faute et la nécessité du pardon après l’offense, se manifestent comme naturels et inhérents à l’âme humaine. Ils ont été, de tout temps et en tout lieu, la source d’une multitude de croyances et de pratiques, les unes pures et touchantes, les autres insensées et odieuses, qui se résument sous le nom de sacrifices. Barbares ou civilisées, anciennes ou modernes, toutes les histoires abondent en sacrifices de toute sorte, grossiers ou mystiques, doux ou sanglants, inventés et consommés, tantôt pour expier les péchés de l’homme, tantôt pour apaiser la colère de Dieu et retrouver sa faveur.

Un autre fait moral, non moins réel quoique plus étrange aux yeux d’une raison superficielle, s’ajoute à celui-là. Les hommes ont cru que la faute pouvait être expiée par d’autres que par son auteur, et que des victimes innocentes pouvaient être offertes pour fléchir Dieu et sauver le coupable. De là sont venus des sacrifices aussi absurdes qu’atroces, et la prétendue expiation a souvent été un crime de plus. Mais de là sont venus aussi des actes héroïques, des dévouements sublimes. L’histoire domestique des familles et l’histoire publique des peuples ont d’admirables exemples de l’innocence s’offrant et se livrant en sacrifice, acceptant la pénitence, la souffrance, la mort pour expier le péché d’autrui, et pour obtenir, de la justice divine satisfaite, la grâce du pécheur.

N’y a-t-il là qu’une pieuse et généreuse illusion, un dévouement aussi vain que beau ? Oui, il n’y a rien de plus pour ceux qui ne croient ni à la Providence, ni à la prière, ni à aucun rapport efficace entre les actions de l’homme et les volontés de Dieu, ni à la solidarité des hommes entre eux, ni à aucun lien entre le sacrifice de celui qui se dévoue et la destinée de celui pour qui le dévouement est offert. Mais ceux qui ont foi dans le Dieu vivant, dans sa présence continue et sa providence active, ceux qui croient que rien n’est vain de la part de l’homme, pas plus le bien que le mal, et que tout acte moral porte son fruit, visible ou caché, prochain ou lointain, ceux-là ne peuvent pas ne pas pressentir, dans le sacrifice volontaire de l’innocent pour le salut du coupable, une efficacité mystérieuse, dont il ne leur est pas donné de pénétrer le secret, mais qui suscite dans leur âme l’espoir que ce dévouement sublime ne manquera pas son but.

De ces sentiments et de ces actes humains, dont personne ne peut contester la réalité, je passe au dogme chrétien : en regard des dévouements et des sacrifices de la créature humaine innocente qui veut expier le péché de la créature humaine coupable, je place le dévouement et le sacrifice de Jésus-Christ Dieu-homme pour racheter du péché le genre humain et lui ouvrir les voies du salut : qui ne serait frappé d’une sublime analogie ? Quel lien, quelle harmonie entre les plus purs, les plus généreux instincts de l’âme humaine et le dogme de la rédemption divine ! Je ne touche à aucune des questions, je n’entre dans aucune des controverses qui ont été élevées à l’occasion de ce dogme ; je ne pèse point comparativement la foi et les œuvres ; je n’essaye point de faire les parts entre la grâce divine et la vertu humaine ; je ne définis point, je ne compte point les élus ; je m’arrête dans le fait même de la rédemption par Jésus-Christ, fait sur lequel le dogme se fonde. Ce que les héros et les saints les plus glorieux de l’humanité ont tenté quelquefois, pour expier les péchés de telle ou telle créature, de tel ou tel peuple, Jésus-Christ, l’élu de Dieu, le Fils de Dieu, le Dieu-homme, est venu l’accomplir pour tous les hommes, au prix de tristesses, d’humiliations et de souffrances incomparables. Et, comme l’ont dit saint Paul au ier siècle et Bossuet au xviie, ce sont les souffrances, les humiliations, le martyre de Jésus-Christ qui, en rapport et en contraste avec sa divinité, ont fait sa victoire et son empire. Quel autre spectacle que celui de Dieu fait homme pour être victime, et victime pour être sauveur, eût pu susciter dans les âmes ces transports soutenus d’admiration, de respect et d’amour, cette foi ardente, invincible et contagieuse dont les apôtres et les premiers chrétiens nous ont laissé les monuments et les exemples ? La victime et le sacrifice devaient être égaux à l’œuvre. L’œuvre a été la religion chrétienne, cet incomparable système de faits, de dogmes, de préceptes et de promesses qui, à travers tous les doutes et toutes les controverses de l’esprit humain, répond, depuis dix-neuf siècles, aux instincts religieux naturels et aux problèmes religieux naturels du genre humain.

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