Méditations sur la religion chrétienne

8
jésus-christ selon l’évangile

Ai-je besoin de dire que par ces mots, selon l’Évangile, j’entends les quatre Évangiles, les Actes des Apôtres, les Épîtres, tous les livres qui composent le canon du Nouveau Testament admis par tous les chrétiens ?

On a en général étudié ces livres tantôt pour contester, tantôt pour expliquer Jésus-Christ, dans un but de polémique ou de commentaire. Je ne me propose ni l’un ni l’autre dessein. Je voudrais étudier Jésus-Christ dans les Évangiles uniquement pour le bien connaître et le faire bien connaître, pour le reproduire et le peindre fidèlement d’après les documents de son histoire. J’examinerai plus tard, dans la seconde série de ces Méditations, l’authenticité de ces documents et le degré de confiance qui leur est dû. Aujourd’hui je prends leur témoignage pour bon et valable. A coup sûr, ils ont droit à ce procédé respectueux, à ces premiers égards. La puissance de ces livres et de leurs récits, tels que nous les possédons, a été éprouvée et prouvée. Ils ont vaincu le paganisme. Ils ont conquis la Grèce, Rome, l’Europe barbare. Ils sont en train de conquérir le monde. Et la sincérité des auteurs n’est pas moins certaine que la puissance des livres ; on peut contester les lumières, la sagacité critique des premiers historiens de Jésus-Christ ; on ne saurait contester leur bonne foi ; elle éclate dans leurs paroles ; ils ont cru ce qu’ils ont dit ; ils ont scellé de leur sang leurs assertions : « Je ne crois que les histoires dont les témoins se font égorger, » dit Pascal. Ce n’est pas toujours là une raison suffisante pour croire au récit ; mais c’est une raison décisive pour croire à la sincérité du témoin.

Je viens de rappeler quelques-uns des textes bibliques qui promettaient à Israël le Messie. La promesse avait évidemment excité parmi les Juifs une vive attente ; la satisfaction causée par son accomplissement éclata à la naissance de Jésus-Christ : « Seigneur, s’écria le vieillard Siméon, homme juste et craignant Dieu, qui attendait la consolation d’Israël, tu laisses maintenant aller ton serviteur en paix, selon ta parole, car mes yeux ont vu ton salut que tu as préparé pour être présenté à tous les peuples, pour être la lumière qui doit éclairer les nations et la gloire de ton peuple d’Israël. » Auprès de Siméon, une pieuse femme, « âgée d’environ quatre-vingt-quatre ans, et qui ne sortait point du Temple, célébrait Dieu nuit et jour en jeûnes et en prières ; Anne louait le Seigneur, et elle parlait de Jésus à tous ceux de Jérusalem qui attendaient la délivrance d’Israël (Luc 2.25.32 ; 36-38). » Il y avait bien plus que Siméon et Anne et que ces élans de joie des fidèles de Jehovah : « En ce temps-là Jean-Baptiste vint, prêchant dans le désert de Judée. Il avait un habit de poils de chameau et une ceinture de cuir autour de ses reins, et sa nourriture était des sauterelles et du miel sauvage. Et il disait : — Amendez-vous, car le royaume des cieux est proche ; car c’est celui dont Esaïe le prophète a parlé en disant : La voix de celui qui crie dans le désert dit : Préparez le chemin du Seigneur ; dressez ses sentiers… Pour moi, je vous baptise d’eau pour vous porter à la repentance, mais il y a un homme au milieu de vous que vous ne connaissez point. C’est celui qui vient après moi, qui m’est préféré, et je ne suis pas digne de délier la courroie de ses souliers… Et pour moi, je ne le connaissais pas ; mais je suis verni baptiser d’eau afin qu’il soit manifesté à Israël… et je l’ai vu, et j’ai rendu témoignage que c’est lui qui est le fils de Dieu (Matthieu 3.1-5 ; Marc 1.1-11 ; Luc 3.1-18 ; Jean 1.26-33). »

On a quelquefois, bien que timidement, tenté de représenter Jésus-Christ comme le plus éminent entre plusieurs réformateurs qui, vers la même époque, aspirèrent au titre et au rôle du Messie prédit par les prophètes et attendu par Israël. On a spécialement indiqué, comme l’un de ses prédécesseurs, Juda le Gaulonite qui, peu d’années après la naissance de Jésus et à l’occasion d’un recensement ordonné par le légat impérial Quirinius, entreprit de soulever la Judée contre cette mesure, contre l’impôt qu’elle établissait et contre l’empereur lui-même, proclamant qu’à Dieu seul appartenait le nom de maître et que la liberté valait mieux que la vieb. Ces comparaisons, je ne veux pas dire ces assimilations, sont dénuées de tout fondement ; les prétendus devanciers de Jésus-Christ étaient uniquement des adversaires de la domination romaine, soulevés, comme avant eux les Macchabées, au nom de l’indépendance nationale et dans un esprit de réaction vers le régime mosaïque. Jésus-Christ n’eut point de devancier ; son œuvre n’eut aucun rapport avec aucune des tentatives antérieures, et son seul précurseur fut Jean-Baptiste, étranger, comme lui, à toute entreprise, à toute vue politique, et aussi humble devant lui, devant le vrai et unique Messie, que Juda le Gaulonite et ses adhérents étaient hardis contre l’empereur.

b – Josèphe, Antiq. Jud., liv. XVII, chap. vi ; liv. XVIII, chap. i. — Actes des Apôtres, chap. v, vers. 34-39.

[La question de l’époque de la naissance de Jésus-Christ, ainsi que du commencement et de la durée de son activité publique, est bien résumée dans la Synopsis Evangelica de M. Constantin Tischendorf (p. 16-19, Leipsig, 1864). Le résultat le plus vraisemblable de ses recherches, c’est que Jésus-Christ est né au commencement de l’an de Rome 750, qu’il a commencé sa mission divine vers la fin de l’an de Rome 780, et que sa mort doit être placée dans le quatrième mois de l’an de Rome 783.]

Trente ans s’écoulent depuis la naissance de Jésus-Christ et le jour où il entre activement dans sa mission divine. Pourtant ces trente années ne sont pas vides et sans témoignages de lui et de son avenir : « Joseph et sa mère étaient dans l’admiration des choses qu’on disait de lui… L’enfant croissait et se fortifiait en esprit, étant rempli de sagesse, et la grâce de Dieu était sur lui. Or, son père et sa mère allaient tous les ans à Jérusalem, à la fête de Pâque. Et quand il eut atteint l’âge de douze ans, ils montèrent à Jérusalem, selon la coutume de la fête. Lorsque les jours de la fête furent achevés, comme ils s’en retournaient, l’enfant Jésus demeura dans Jérusalem, et Joseph et sa mère ne s’en aperçurent point. Mais pensant qu’il était en la compagnie de ceux qui faisaient le voyage avec eux, ils marchèrent une journée, et ils le cherchèrent parmi leurs parents et ceux de leur connaissance ; et ne le trouvant point, ils retournèrent à Jérusalem pour l’y chercher. Et au bout de trois jours, ils le trouvèrent dans le temple, assis au milieu des docteurs, les écoutant et leur faisant des questions. Et tous ceux qui l’entendaient étaient ravis de sa sagesse et de ses réponses. Quand Joseph et Marie le virent, ils furent étonnés, et sa mère lui dit : Mon enfant, pourquoi as-tu ainsi agi avec nous ? Voilà ton père et moi qui te cherchions, étant fort en peine. Et il leur dit : Pourquoi me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas qu’il me faut être occupé aux affaires de mon Père ? Mais ils ne comprirent point ce qu’il leur disait. Il s’en alla ensuite avec eux et vint à Nazareth, et il leur était soumis. Et sa mère conservait toutes ces choses dans son cœur. Et Jésus croissait en sagesse, en stature et en grâce, devant Dieu et devant les hommes (Luc 2.33, 40-52). »

Ainsi commence à se manifester, dans la personne de Jésus-Christ enfant, ce mélange d’humanité et de divinité, de vie naturelle et de vie miraculeuse, qui est son propre et sublime caractère. Pour quiconque repousse, en principe, le surnaturel, ce mélange, et par conséquent Jésus-Christ lui-même, est incompréhensible et inadmissible. Et comment s’étonner qu’il rencontre aujourd’hui de tels adversaires ? Ils les a rencontrés de son vivant, parmi ses contemporains, dans sa famille. A ses premiers jours, Marie, sa mère, le voyait et ne le comprenait point. Et pourtant Marie « conservait toutes ces choses dans son cœur. » Profonde et touchante parole, où se révèle la mystérieuse complication de la nature humaine ! L’homme ne se résigne pas à se renfermer dans les limites et les lois actuelles du monde fini ; il aspire ailleurs ; et pourtant, quand il est appelé à s’élever au-dessus de l’ordre présent et calculable de la nature, il s’étonne, il hésite, il ne sait s’il doit croire à ce surnaturel qu’il invoquait naguère et qu’il ne cessera pas d’invoquer, car, ainsi que Marie, il en conserve l’instinct dans son cœur.

Aujourd’hui, comme il y a dix-neuf siècles, c’est avec ces dispositions contradictoires de l’homme que Jésus-Christ est appelé à traiter ; il est en présence de cette soif, de cette espérance du surnaturel dont l’âme humaine est possédée, et aussi en présence de toutes les objections, de tous les doutes que le surnaturel soulève dans l’esprit humain. Il faut qu’il satisfasse à l’espérance et qu’il surmonte le doute. L’Évangile ouvre l’histoire de cette lutte solennelle qui a fait et qui agite encore le monde chrétien.

chapitre précédent retour à la page d'index chapitre suivant