Méditations sur la religion chrétienne

8.1 — Jésus-Christ et ses apôtres

Dès qu’il entre dans sa mission active, Jésus veut et prend des disciples, des apôtres. Il sait la puissance d’une association fondée sur la foi et l’amour. Il sait aussi que la foi et l’amour sont des vertus rares autant qu’efficaces. Il ne cherche point le nombre. Il s’entoure de quelques croyants choisis, et il vit, avec eux, dans une complète et constante intimité.

Dans cette intimité, Jésus-Christ déclare son autorité primitive et suprême : « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, dit-il à ses apôtres, mais c’est moi qui vous ai choisis et qui vous ai établis, afin que vous alliez et que vous portiez du fruit. » Mais à côté de l’autorité du maître se placent aussitôt sa tendresse confiante et le soin qu’il prend lui-même de la dignité de ses disciples : « Je ne vous appelle plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait ce que son maître fait ; mais je vous ai appelés mes amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j’ai entendu de mon Père (Jean 15.15-16). »

Jésus-Christ témoigne, en toute occasion, à ses apôtres la confiance qu’il leur porte et la situation supérieure dans laquelle il les a placés. Ils s’étonnent quelquefois de son langage, surtout des nombreuses paraboles dans lesquelles, en parlant à la multitude assemblée, il enferme ses préceptes : « Pourquoi leur parles-tu par des similitudes ? — Il répondit et leur dit : Parce qu’il vous est donné de connaître les mystères du royaume des cieux, mais cela ne leur est point donné… Pour ceux qui sont de dehors, tout se traite par des paraboles (Matthieu 13.10-11). » Mais la confiance de Jésus ne dégénère jamais en complaisance ; lorsque, dans un mouvement d’ambition vaniteuse, quelqu’un des apôtres lui demande une faveur exceptionnelle, Jésus le réprime sévèrement : « Jacques et Jean, fils de Zébédée, vinrent à lui et lui dirent : Maître, nous voudrions que tu fisses ce que nous te demanderons. Et il leur dit : Que voulez-vous que je vous fasse ? Ils lui dirent : Accorde-nous que nous soyons assis dans ta gloire, l’un à ta droite, l’autre à ta gauche. Et Jésus leur dit : Vous ne savez ce que vous demandez ; pouvez-vous boire la coupe que je dois boire et être baptisés du baptême ? Ils lui dirent : Nous le pouvons. Et Jésus leur dit : Il est vrai que vous boirez la coupe que je dois boire et que vous serez baptisés du baptême dont je dois être baptisé ; mais d’être assis à ma droite ou à ma gauche, ce n’est pas à moi de l’accorder ; cela ne sera donné qu’à ceux à qui mon Père l’a destiné… Vous savez que les princes des nations les dominent, et que les grands leur commandent avec autorité ; mais il n’en doit pas être ainsi parmi vous ; au contraire, quiconque voudra être le plus grand parmi vous, qu’il soit votre serviteur (Marc 10.35-40 ; Matthieu 20.20-26). »

Ses apôtres ainsi choisis et intimement unis à lui, Jésus les charge de porter au dehors sa loi : « N’allez point vers les Gentils, leur dit-il, et n’entrez dans aucune ville des Samaritains, mais allez plutôt aux brebis de la maison d’Israël qui sont perdues. Et quand vous serez partis, prêchez et dites que le royaume des cieux approche. Guérissez les malades, nettoyez les lépreux, ressuscitez les morts, chassez les démons ; vous l’avez reçu gratuitement, donnez-le gratuitement. Ne prenez ni or, ni argent, ni monnaie dans vos ceintures, ni sac pour le voyage, ni deux habits, ni souliers, ni bâton, car l’ouvrier est digne de sa nourriture… Voici, je vous envoie comme des brebis au milieu des loups ; soyez donc prudents comme des serpents et simples comme des colombes (Matthieu 10.5,10-16 ; Luc 10.1-12). »

C’est la prudence, en effet, qui se place, dans ces premières instructions de Jésus, à côté de la complète abnégation qu’il enjoint à ses disciples ; au début de leur mission, il en limite la portée ; il leur recommande surtout « les brebis perdues de la maison d’Israël ; » il veut qu’au lieu de s’obstiner sans mesure, « ils sortent, en secouant la poussière de leurs pieds, de la ville où l’on ne les recevra pas et où l’on n’écoutera pas leurs paroles. » Mais il ajoute aussitôt, comme pour donner à leur mission toute sa grandeur : « Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le dans la lumière, et ce que je vous dis à l’oreille, prêchez-le sur le haut des maisons. Et ne craignez point ceux qui ôtent la vie du corps et qui ne peuvent faire mourir l’âme ; mais craignez plutôt celui qui peut perdre et l’âme et le corps dans la géhenne (Matthieu 10.27-28). » Jésus sait que ses disciples auront besoin du plus ferme courage, et loin de leur promettre aucun des biens du monde, aucun succès temporel, il leur découvre sans réserve tous les périls qu’ils encourront, tous les maux qu’ils auront à souffrir : « Les hommes vous livreront aux tribunaux, et ils vous feront fouetter dans les synagogues ; et vous serez menés devant les gouverneurs et devant les rois à cause de moi, pour me rendre témoignage devant eux et devant les nations… Vous serez même livrés par vos pères et mères, par vos frères, par vos parents et par vos amis ; et ils en feront mourir d’entre vous ; et vous serez haïs de tout le monde, à cause de mon nom (Matthieu 10.17-22 ; Luc 21.12-17). »

Quel autre réformateur que Jésus-Christ a tenu à ses disciples un tel langage ? Et quel autre que Dieu a pu donner à un tel langage une telle efficacité que les disciples aient sacrifié, avec joie, tous les biens de la vie, et la vie même, pour lui obéir ?

L’un des apôtres pourtant, et le premier de tous, Pierre, manifeste quelque inquiétude, sinon sur le sort qui les attend dans la vie actuelle, du moins sur leur avenir dans le royaume des cieux : « Voici, dit-il à Jésus, nous avons tout quitté et nous t’avons suivi ; que nous en arrivera-t-il donc ? — Je vous dis en vérité, lui répond Jésus, à vous qui m’avez suivi, que lorsque le Fils de l’homme sera assis sur le trône de sa gloire, dans le renouvellement qui doit arriver, vous aussi serez assis sur douze trônes, jugeant les douze tribus d’Israël. Et quiconque aura quitté des maisons, ou des frères, ou des sœurs, ou son père, ou sa mère, ou ses enfants, ou des champs, à cause de mon nom, il en recevra cent fois autant, et héritera la vie éternelle. » Mais Jésus ne veut pas que la perspective de ce sublime héritage inspire à ses apôtres, pas plus à Pierre qu’à tout autre, une orgueilleuse confiance, et il ajoute aussitôt : « Mais plusieurs de ceux qui étaient les premiers seront les derniers, et ceux qui étaient les derniers seront les premiers (Matthieu 19.27-30). »

On peut lire et relire toutes les histoires ; on peut sonder les origines de toutes les révolutions religieuses ou politiques qui se sont accomplies dans le monde ; on ne trouvera nulle part, entre le chef et ses compagnons, entre le fondateur et ses ouvriers, ce divin caractère de parfaite et sévère sincérité qui règne dans les actions et dans le langage de Jésus-Christ envers ses apôtres. Il les a choisis, il les aime, il leur confie son œuvre ; mais il n’use avec eux d’aucun ménagement, d’aucune réticence, d’aucun encouragement flatteur, d’aucune exagération de promesse ou d’espérance ; il leur parle selon la vérité pure, et c’est au nom de la vérité pure qu’il leur donne ses commandements et leur transmet sa mission. « Jamais homme n’a parlé comme cet homme (Jean 7.4-6), » ni traité de la sorte avec les hommes.

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