Élisée fils de Saphat

10.
La petite fille du pays d’Israël

Une des sentences les plus profondes du roi Salomon est celle-ci : C’est en vain qu’on étendrait le filet devant les yeux de tout ce qui a des ailes. (Proverbes 1.17) Cette parole est d’une application féconde dans les voies de la grâce. Le Seigneur sait bien qu’il serait inutile de jeter le filet devant les yeux des hommes.

Si tu avais su d’avance, mon frère, que telle prédication t’irait au cœur, que tes relations avec telle personne t’éveilleraient à repentance, que tel livre te rendrait amères les joies du monde, certes, dans ton aveuglement charnel, tu n’aurais rien eu de plus pressé que de fermer ce livre, que de rompre ces relations, que d’éviter l’église au jour fatal. Mais le filet fut caché à l’oiseau, et tu te trouvas pris lorsqu’il n’était plus temps de te débattre.

Le Seigneur suit jusqu’à la fin ce même principe. C’est par des filets et par des filets cachés qu’il achève de s’emparer de nos affections. Il nous voile ses desseins d’amour avec autant de soin que le chasseur cache à sa proie ses desseins de mort. Il se retire, il nous abandonne à notre faiblesse, puis il nous fait sentir sa colère pour nous détacher de nous-mêmes et pour nous faire mieux apprécier combien nous sommes heureux de posséder sa grâce. Mais il ne nous trahit point dès l’abord ses desseins, car alors nous les mépriserions.

Dieu se souvint aussi à l’égard de Naaman que c’est en vain qu’on étendrait le filet devant les yeux de tout ce qui a des ailes. Il cacha profondément le piège qui devait bientôt faire de cet homme puissant l’heureux captif de la grâce.

2 Rois 5.5

5 Et elle dit à sa maîtresse : Je souhaiterais que mon Seigneur se présentât devant le prophète qui est en Samarie ; il l’aurait aussitôt délivré de sa lèpre.

Nous nous retrouvons à Damas. La rencontre que nous y avons faite nous rend plus intéressante cette ville païenne. Ne sont-ce pas les gens plutôt que les murailles qui nous rendent un pays agréable ? Cette rencontre est celle de Naaman, le vaillant général des Syriens. Mais ce qui nous attire vers lui, ce n’est point l’éclat de sa gloire. Non, mais l’œil de la grâce repose sur lui. Voilà ce qui nous enchaîne à ses pas. Il est vrai que lors de notre première rencontre avec l’illustre guerrier, il ne paraissait guère qu’il fût un des élus de Jéhovah. C’était un païen éloigné de Dieu ; et son aspect horrible semblait plutôt indiquer une dispensation de la colère divine. Nous le trouvâmes couvert de lèpre, banni de la société des hommes, enfermé dans une chambre solitaire de son palais. Nous le quittâmes le cœur rempli de mélancoliques pensées sur l’instabilité du bonheur terrestre. Et cependant, dans le moment même où s’éclipsait sa gloire temporelle, commençaient à poindre les rayons d’une gloire infiniment plus grande et plus excellente. Le Tout-Puissant commençait l’œuvre de son éternel salut ! Mais quel étrange commencement pour cette œuvre d’amour ! Les troupes syriennes passent la frontière, fondent sur un village, emmènent captive une jeune Israélite, pour la vendre comme esclave en Syrie. Qui donc aurait pu voir dans cette scène déchirante un plan de grâce envers Naaman ? Il va commencer à se dérouler devant vous. Nous méditerons aujourd’hui sur : L’acquisition providentielle  ; — le développement de la fleur divine sur la terre païenne  ; — et le premier rayon d’espérance au sein de la détresse.

I

Arrêtons-nous d’abord sur la place du marché de Damas. D’émouvantes scènes s’offrent à nos regards. Confondus avec un vil bétail, nous voyons enchaînés par couples une foule d’infortunés arrachés à leurs familles et à leur patrie. Les acheteurs se pressent autour d’eux, les examinent, s’assurent de leur agilité et de leur force, puis font leurs offres, et débattent le prix comme s’il s’agissait d’une marchandise. L’affaire conclue, ils conduisent chez eux leur esclave qu’ils peuvent charger de tel joug qu’il leur plaît, sur lequel ils ont même droit de vie ou de mort. C’est avec une profonde sympathie que nous parcourons les rangs de ces infortunés. Ah ! voici la pauvre Israélite qui s’offre à nos regards. Tremblante comme un agneau qu’on mène à la boucherie, elle se tient debout, la tête inclinée sur son sein, les joues pâles, les yeux gonflés de larmes. Hélas ! quel sort amer pour être si jeune ! Son cœur paraît prêt à se briser, surtout lorsqu’elle pense à son père, à sa mère, à cette patrie qui lui est plus chère qu’on ne peut l’exprimer. Ah ! que n’y a-t-elle trouvé sa tombe ! Car elle eût préféré les angoisses de la mort aux angoisses de l’exil sur le sol étranger. O Jéhovah, Dieu sauveur de ses pères, où te caches-tu ? Un char s’arrête tout près de nous. Une femme descend, dont la mise simple et la profonde tristesse ne dissimulent point le rang élevé. Elle aussi veut acheter une esclave. La maladie de son époux est peut-être ce qui l’oblige à augmenter le nombre de ses domestiques. C’est la femme de Naaman. Elle s’approche et commence son inspection. Plusieurs jeunes filles sont amenées devant elle. Quelques-unes paraissent lui plaire et cependant, sans pouvoir s’en rendre compte, elle ne saurait s’arrêter à aucune d’elles. Tout à coup ses regards se portent sur la petite fille d’Israël. La voir et la choisir fut l’affaire du même instant. Si ce fut à cause de la tristesse empreinte sur ses traits, ou bien à cause de son air doux et modeste, ou parce qu’elle était Israélite (on préférait généralement les esclaves israélites à cause de leurs mœurs honnêtes et de leur fidélité), c’est ce que je ne saurais dire. N’importe ! Une voix lui dit en son cœur : que ce soit la fille d’Israël et non une autre ! Cette voix venait-elle d’elle-même ? Non, c’était la voix qui appela le monde à l’existence et qui ne dédaigne pourtant pas de se confondre avec le murmure imperceptible de nos cœurs. L’affaire est conclue. O marché bienheureux ! Soupçonnait-elle quel trésor elle venait d’acquérir ? Elle croyait tout simplement s’être procuré une esclave. Mais nous, nous savons qu’en penser. Non, jamais acquisition plus précieuse ne fut faite. En contemplant sa nouvelle esclave, l’épouse de Naaman ne contemple rien de moins que l’ange par le moyen duquel le séjour des larmes va fleurir de nouveau comme un Paradis. Elle vient d’acheter la messagère céleste qui la conduira elle et sa famille dans le palais du Dieu vivant. Elle emmène avec elle l’étoile conductrice destinée à briller devant elle et devant les siens jusqu’à ce qu’ils aient trouvé les demeures de l’éternel repos ; qui peut dire tout ce qu’elle possède encore dans cet humble bouton de fleur des collines de Canaan ? Il est vrai qu’elle n’en pressent rien encore. Mais toutes ces choses sont en évidence devant Celui qui les a préparées avec tant de précision. N’est-ce pas pour nous une nouvelle preuve qu’Il donne du repos à celui qu’il aime ? Laissons le monde dire que chacun est l’artisan de son propre bonheur. Nous comprenons mieux le secret de la vie. Une seule chose est nécessaire : c’est que l’Eternel nous soit gracieux et favorable, puis confions-nous en notre nacelle ; elle n’a pas besoin d’autre boussole. L’éternel amour la dirige et les ailes de la protection du Tout-Puissant sont étendues sur elle.

En considérant le singulier enchaînement des circonstances par lesquelles le Seigneur vint en aide à Naaman, nous nous demandons pourquoi Dieu n’agit pas d’une manière plus directe pour accomplir ses desseins. Un seul mot prononcé du haut des cieux eût suffi pour guérir la maladie de cet homme ! — Pourquoi donc toutes ces causes secondes et toute cette complication d’événements intermédiaires ? — La manière de procéder de l’Etre infini est toute différente de la nôtre. Nous n’avons pour l’ordinaire qu’un seul objet en vue, objet vers lequel tendent tous nos efforts, et sur lequel se concentre toute notre attention. Le Seigneur ne forme jamais un plan isolé. Du but principal qu’il paraît se proposer dépendent toujours mille autres buts plus ou moins secondaires, dont un même acte amènera l’accomplissement. De même que ses paroles, qui ne renferment pas, comme celles de l’homme, une seule pensée, mais plutôt des mondes de pensées, ses actes engendrent des résultats multiples, et créent des séries entières d’événements divers. Vous connaissez cette sorte de fusées qui, lorsqu’elles éclatent, ne donnent d’abord qu’un seul jet de lumière ; mais bientôt mille gerbes de feu s’en séparent et l’on ne peut plus compter les éclairs et les étoiles qui jaillissent de tous côtés avec magnificence. Telles sont aussi, si l’on peut comparer ce qu’il y a de plus sublime à un jeu frivole, telles sont les paroles de Jéhovah, tels sont ses actes. Quel était ici le principal but du Seigneur ? C’était la conversion de Naaman. Mais que d’autres desseins n’apercevons-nous pas tout autour comme un cercle de planètes autour du soleil ! Il avait un dessein particulier pour la femme de Naaman et pour toute sa maison ; — un dessein pour le royaume de Syrie ; — un dessein pour les deux rois Ben-Hadad et Joram ; — un dessein pour la petite fille d’Israël ; — un dessein pour le peuple d’Israël lui-même ; — un dessein pour nous qui sommes parvenus aux derniers temps ; et qui peut dire quels autres desseins encore et pour quelles personnes ? Un seul et même acte embrassait toutes ces intentions divines. Sachons comprendre et bien considérer ce caractère des dispensations de Dieu. Nous y trouverons la clef de bien des énigmes et cela nous expliquera surtout pourquoi le Tout-Puissant, au lieu de nous accorder purement et simplement ce que nous lui demandons, ne nous fait d’ordinaire parvenir à la délivrance qu’à travers les détours les plus étranges et les plus inattendus.

II

Quittons maintenant le marché de Damas et retournons au palais du triste guerrier. Naaman est toujours retiré dans sa chambre et plongé dans le même abattement. Dans une pièce voisine nous trouvons son épouse affligée, et près d’elle, occupée peut-être de quelque travail d’aiguille, la jeune Israélite. Déjà, par sa modestie, par sa douceur et par son humeur serviable, cette chère enfant a gagné la confiance et l’amitié de toutes les personnes de la-maison. Cependant, on ne soupçonne encore qu’une bien petite partie des qualités précieuses qu’elle possède. Nous aussi nous ne la connaissons qu’imparfaitement. Son intérieur nous est encore voilé. Mais le moment est venu où il va se découvrir. Sa maîtresse qui ne croit déjà plus s’abaisser en faisant d’elle sa compagne et la confidente de ses peines, vient encore d’épancher dans son cœur compatissant le chagrin qui la mine. Tout à coup la jeune fille laisse tomber son ouvrage de ses mains, on voit briller dans ses yeux des larmes telles que la tendresse ou la compassion savent seules en faire répandre, et elle s’écrie d’une voix émue : « Ah ! je voudrais que mon seigneur se présentât devant le prophète qui est en Samarie ! Il l’aurait aussitôt délivré de sa lèpre. »

Ce soupir nous fait connaître enfin notre étrangère. Il nous montre bien la véritable Israélite et non pas seulement l’Israélite selon la chair. Ce soupir est comme l’éclat particulier qui révèle au fondeur la présence de l’argent dans le creuset. C’est comme le chant que le rossignol fait entendre aux premiers jours du printemps. C’est comme le murmure indicateur d’une source profondément cachée sous la terre. Oui, ce soupir est le premier rayon qui éclaire à nos yeux la région intérieure de son âme. Une fleur divine s’y épanouit devant nous. C’est une rose du paradis au milieu du désert du monde païen. Dans son calice brille une goutte de la rosée de l’aube du jour et ses pétales semblent chercher en tressaillant la lumière des cieux. Car l’ardent désir de revoir le pays de ses pères, sa foi enfantine, sa confiance pour les interprètes de Jéhovah brillent dans ce douloureux soupir ; et que ne nous laisse-t-il pas pénétrer encore ? Non, nous ne devons plus hésiter à lui tendre une main fraternelle, comme à une fille d’Abraham selon l’Esprit. C’est notre sœur au Seigneur, c’est un enfant de Dieu, c’est notre co-héritière pour les biens éternels.

Ce soupir fut peut-être le premier signe distinct par lequel le mystère de sa foi se trahit sur la terre étrangère. Hélas ! on n’aurait pu la comprendre, et peut-être n’eût-elle pu supporter encore l’opprobre et le mépris. Renfermant le feu de sa foi dans sa poitrine oppressée, elle demeurait muette comme un triste oiseau dans sa cage solitaire ; elle était semblable à la fleur transplantée d’une riante prairie qui laisse tomber languissamment ses pétales fanés. L’univers entier ne lui aurait-il pas semblé une étroite cage, lorsqu’elle songeait à la terre sainte et chérie où se faisaient entendre les pas des prophètes ; à la hutte paisible où vivaient son père et sa mère, ses frères et ses sœurs bien-aimés ; aux entretiens intimes du soir, aux doux cantiques qu’elle avait coutume d’entonner avec eux et à tant d’autres souvenirs ineffaçables ? Que de fois ne dut-elle pas éprouver qu’il y avait place dans son jeune cœur pour un monde de douleurs ! Certes, il lui restait une puissante consolation : l’assurance que le bras de l’Eternel n’est point raccourci et que ses yeux parcourent incessamment les cieux et la terre. Et l’on ne peut douter qu’elle ne se cramponnât avec force à cet appui, et que, seule dans sa chambre, elle ne s’écriât souvent : Seigneur, suis-je rejetée de devant ta face ? Non, mon âme ! attends-toi à Dieu, car je le louerai encore. On ne peut douter que l’Eternel ne vînt souvent rafraîchir l’âme de la pauvre délaissée par le doux sentiment de sa présence. Mais, toutefois, c’est quelque chose pour un pauvre fils de la poudre que l’isolement complet, que de ne trouver nulle part parmi les hommes l’écho de ses plus saints désirs et de ses plus chères convictions. Quel bienfait inestimable que de pouvoir dire comme la Sunamite : J’habite au milieu de mon peuple ! Nous jouissons de cette grâce ; oh ! que ne savons-nous mieux l’apprécier ! Si notre cœur est triste ou qu’après le travail du jour nous soupirions après quelque rafraîchissement, quel que soit le quartier de la ville que nous habitions, nous avons à peine quelques pas à faire pour nous trouver dans quelque hutte d’Israël où des âmes sympathiques nous entourent, où nos plaintes sont ouïes, nos difficultés résolues, où nos pensées trouvent un vivant écho, où l’on comprend et où l’on partage nos joies et nos douleurs. Oh ! que ne sommes-nous pour un temps, comme notre Israélite, condamnés à vivre seuls avec notre foi dans la terre étrangère, au milieu d’un monde incrédule et ténébreux ; peut-être estimerions-nous a leur valeur les avantages pour lesquels l’habitude nous rend presque indifférents. Des milliers de frères nous portent envie. Il leur est facile, disent-ils, de prospérer dans leur âme au milieu des fleuves de la communion fraternelle qui les abreuvent sans cesse. Mais, hélas ! comment prospérons-nous ? Pourquoi troublons-nous si souvent nous-mêmes cette source pure où nous pourrions puiser tant de bonheur ! Ah ! si nous nous aimions davantage les uns les autres, si nous nous collions plus fortement les uns aux autres, s’il y avait dans notre communion fraternelle plus de confiance, plus d’abandon, plus de sincérité qu’il n’y en a le plus souvent, que de bénédictions, que de joies véritables n’y gagnerions-nous pas ? Ah ! m’écrié-je avec St.-Paul : S’il y a quelque consolation en Christ, s’il y a quelque soulagement dans la charité, s’il y a quelque communion d’esprit, s’il y a quelques cordiales affections et quelques compassions, rendez ma joie parfaite en étant d’un même sentiment, ayant un même amour, n’étant qu’une seule âme et consentant tous à une même chose. Et que par humilité de cœur chacun estime l’autre plus excellent que soi-même !

III

La jeune esclave avait réussi pour un temps à cacher sous le voile du silence le caractère essentiel de son être et ses rapports avec le Dieu vivant. Mais plus le feu de la foi et de la vie divine se trouve comprimé, plus sa force intérieure s’accroît. Celui dont le cœur est vraiment nourri de la manne céleste ne pourra longtemps renier devant les hommes sa propre nature. Tout à coup l’on verra cet aigle destiné à fendre les airs déployer ses ailes avec puissance. C’est ce que fit la petite fille d’Israël. — Elle se fit connaître à son insu, mais à l’heure, dans le lieu et de la manière la plus convenable. Ce fut le Seigneur qui le voulut ainsi. L’accomplissement des desseins divins exigeait qu’elle ne demeurât pas plus longtemps dans le silence, mais qu’elle ouvrît sa bouche et donnât à connaître de qui elle était fille, de quel esprit elle était animée.

Cette jeune fille connaissait-elle beaucoup la Bible ? C’est ce que je ne saurais dire. Mais je ne doute point qu’elle n’eût emporté dans la terre païenne assez de lumière scripturaire, non seulement pour ses propres besoins, mais encore pour allumer aux yeux de quelque âme désolée un fanal de consolation et d’espérance. Il eût même suffi, remarque un interprète, de ce magnifique passage de la prière que prononça Salomon lors de la consécration du temple : Et même lorsque l’étranger qui ne sera pas de ton peuple d’Israël, mais qui sera venu d’un pays éloigné pour l’amour de ton nom ; car on entendra parler de ton nom qui est grand et de ta main forte et de ton bras étendu ; lors donc qu’il sera venu et qu’il te priera dans cette maison : exauce-le toi des cieux, du domicile arrêté de ta demeure et fais tout ce pourquoi cet étranger aura crié vers toi, afin que tous les peuples de la terre connaissent ton nom pour te craindre. Qui sait si dans ce moment solennel ce passage ou tout autre semblable ne se présenta point à son souvenir ? Elle ne pouvait du moins ignorer que Dieu n’est pas seulement le Dieu des Juifs, mais qu’il est le Dieu de tous les peuples. — Mais que dit-elle à sa maîtresse ? Vous l’avez entendu : Je voudrais que mon Seigneur fut auprès du prophète qui est en Samarie ! Elle voulait parler d’Élisée. Cet homme de Dieu, disait-elle, l’aurait bientôt guéri de sa lèpre.

La jeune fille n’en dit pas davantage. Ce n’est même là qu’une simple exclamation de son cœur. Elle est loin de soupçonner elle-même l’immense importance des paroles qui viennent de lui échapper. Mais à peine ces mots, empreints d’une vérité divine, sont-ils sortis de ses lèvres, qu’ils produisent leurs merveilleux effets. Sa maîtresse la regarde d’un air expressif qui semble dire : « Enfant, qu’as-tu dit ? » Elle se lève précipitamment de son siège, court vers son triste époux, l’appelle joyeusement par son nom, et lui rapporte ces paroles d’une voix toute émue, en disant : Ainsi a dit la petite fille du pays d’Israël. A ces mots, le sombre visage du pauvre malade s’éclaire, pour la première fois depuis longtemps, d’un rayon d’espérance. Son âme, comme rappelée du sépulcre, croit renaître à la vie. Qu’elle est grande déjà la puissance d’un seul soupir d’une fille d’Abraham ! En un clin-d’œil elle a renversé des murailles dont la hauteur s’élevait jusqu’aux cieux, les murailles de la prison du désespoir. Elle leur a ouvert des perspectives dorées à travers les couches épaisses des nuages de leurs inquiétudes. Ces malheureux qui n’avaient plus que des pensées de mort et de séparation, voient apparaître tout à coup les contrées riantes et lumineuses d’un meilleur avenir. Ils se croyaient abandonnés sans ressource aux courants et à la tempête, mais ils s’écrient maintenant : terre, terre, et ne craignent point de remonter la banderole de l’espérance. Ils aperçoivent comme un nouveau monde encore plongé dans les vapeurs d’un horizon lointain, mais ces vapeurs sont colorées par l’aurore. C’est là que va se lever pour eux un nouvel astre de bonheur ; mille images lumineuses quoiqu’à demi-voilées s’y succèdent rapidement aux regards de leur âme étonnée.

Et nous aussi, frères en Christ, nous éprouvâmes un jour de pareilles émotions, lorsque, après avoir péniblement senti la misère du monde et notre éloignement de Dieu, nous vîmes briller dans nos ténèbres un premier rayon de la lumière évangélique. Il nous sembla qu’on venait briser pour nous les verrous séculaires, et soudain nous vîmes apparaître comme un nouveau monde dans un gracieux lointain. Comme le cœur nous battit et quelles images magnifiques passèrent devant notre âme saisies ailes du pressentiment ! Nous nous dîmes : C’est ici le monde que j’ai longtemps cherché. Là fleurit le bonheur après lequel je soupire ; cette vapeur lointaine indique la place de l’Eden de mon cœur. Comme les sons d’une cloche qui invite au sabbat éternel, nous entendîmes retentir ces paroles : Venez, vous qui êtes travaillés et chargés, je vous soulagerai. Je suis le chemin, la vérité et la vie. Nous vîmes paraître quelqu’un dans ce monde mystérieux, semblable à un fils d’homme. C’est toi, nous écriâmes-nous, c’est toi seul qui peux nous sauver ! Sur le brouillard lointain nous vîmes se détacher un signe brillant, céleste, une croix, et nous dîmes : C’est l’arbre de vie. Par ce signe je vaincrai, si je dois vaincre. Un sentiment inconnu de désir, d’espérance, de joie embrasa notre poitrine, touchée d’un aimant céleste. Je vous le demande, mes amis : en avançant dans ce monde nouveau, notre espérance a-t-elle été frustrée ? Nos pressentiments d’alors étaient-ils trompeurs ?

O bienheureux celui qui a trouvé place dans ce monde lumineux, dans ce monde invisible et pourtant si réel ; dans ce royaume d’amour où l’on entend les pas de Jésus, où l’on trouve secours et consolation pour tous les maux ; dans ce monde où l’on voit les anges de Dieu monter et descendre, où les pécheurs reposent dans les bras éternels ! De quelles couleurs faudrait-il se servir pour peindre la félicité de celui que la main de Dieu a transporté dans ce domaine de la paix ? Hâtez-vous d’y entrer, vous qui errez encore hors de ce paradis ! Si quelqu’un aime son âme, qu’il se joigne à nos rangs ! C’est ici la maison de Dieu, c’est ici la porte des cieux. Il est vrai que sur le haut de cette porte nous lisons une inscription sévère : Quiconque ne renonce pas à toutes choses ne peut être mon disciple. Mais sur le même portail nous lisons encore : Ici est le repos, ici est la demeure de la paix ; et sur des milliers de colonnes plus fermes que les montagnes : Je t’ai aimé d’un amour éternel, c’est pourquoi je l’ai attiré par ma miséricorde ! Amen.

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