Élisée fils de Saphat

11.
Le pèlerinage

Vous connaissez, mes frères, cette parole consolante (Luc 19.10) : Le fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. Le fils de l’homme ! Terme plein de douceur ! Sur les ailes de ce titre il s’abaisse vers nous du haut des cieux ! Il porte une branche de palmier et non un sceptre redoutable ; — il nous dit : Venez à moi ! et non pas comme autrefois : Déchausse les souliers de tes pieds !

Le Fils de l’homme est venu. Dieu soit béni ! S’il n’était pas venu, je maudirais le jour de ma naissance. Mais qu’on ne parle plus maintenant d’une vallée de larmes ! Cette bonne nouvelle fait plus que me consoler de la perte du paradis terrestre.

Mais pour qui est-il venu ? Quel aimant mystérieux a pu l’attirer vers cette terre ? Sans doute l’élite des saints et des justes ? — Ah ! si tu es juste en toi-même, je ne puis encore t’annoncer l’Evangile. Car il n’appelle point justes ceux qu’il est venu chercher, mais perdus. Certes, cette expression ne désigne rien de beau, rien d’aimable ; mais plutôt tout ce qu’il y a de plus mauvais, de plus désespéré.

Elle nous peint une brebis égarée dans un affreux désert, exposée, loin de tout refuge, à une mort sanglante ; un navire avarié, sans maître, prêt à couler au fond des abîmes ; un homme criblé de dettes, incapable de se soustraire à une complète ruine. Elle nous désigne une misère sans ressource. Examine donc si c’est là ton état. Tremble et gémis si tu te reconnais dans cette image. Mais bats des ailes plein d’espérance. Car le Fils de l’homme est venu pour ceux qui sont perdus.

Etre perdu, c’est la carte d’entrée de la nouvelle alliance. Eussé-je des qualités précieuses, je me garderais bien de m’en faire un titre. Car le Seigneur pourrait me repousser en disant : « Où ai-je dit que je sois venu pour des justes ? » — Mais il ne saurait me dire : « Où ai-je déclaré que je suis venu chercher ce qui était perdu ? » Que d’autres s’appuient devant Lui sur la sincérité de leur repentance, sur l’ardeur de leurs prières, sur la droiture de leur zèle ; pour moi, je ne sais que lui dire : « Seigneur, je suis perdu, viens donc à mon aide. » Et je sais qu’Il ne peut pas plus me fermer son cœur que se contredire Lui-même.

Il est venu chercher ce qui était perdu. Il n’attend donc pas que nous le cherchions les premiers. Qui viendrait à Jésus ? Pas une seule âme. Car nous ne sommes pas perdus comme un voyageur qui, à force de réflexions, finit par retrouver son chemin. Nous sommes perdus comme la drachme qui ne viendra point se replacer dans la bourse de son maître. Mais ce qu’il cherche à beau être perdu, nul ne peut l’empêcher de le retrouver. C’est ce que va nous montrer encore l’intéressante histoire du Syrien Naaman.

2 Rois 5.4-7

4 Quelqu’un donc vint et le rapporta à son seigneur, en disant : La fille qui est du pays d’Israël a dit telle et telle chose. 5 Et le roi de Syrie dit à Naaman : Va, vas-y et j’enverrai des lettres au roi d’Israël. Naaman donc s’en alla et prit avec soi dix talents d’argent, et six mille pièces d’or, et dix robes de rechange. 6 Et il apporta au roi d’Israël des lettres de telle teneur : Maintenant, dès que ces lettres te seront parvenues, sache que je t’ai envoyé Naaman, mon serviteur, afin que tu le délivres de sa lèpre. 7 Or, dès que le roi d’Israël eut lu les lettres, il déchira ses vêtements, et dit : Suis-je un Dieu pour faire mourir, et pour rendre la vie, que celui-ci envoie vers moi, pour délivrer un homme de sa lèpre ? C’est pourquoi sachez maintenant, et voyez qu’il cherche occasion contre moi.

Le nœud mystérieux de notre récit commence à se débrouiller. Le crépuscule fait place à l’aurore. On peut déjà pressentir un magnifique dénouement. Les préparatifs du voyage de Canaan ;le sauf-conduit  ; — l’arrivée de Naaman à Samarie ; tels seront aujourd’hui les trois objets de nos réflexions.

I

L’exclamation de la jeune Israélite a porté ses fruits. Ah ! l’on peut bien dire des enfants de Dieu qu’ils sont le sel de la terre. Leur passage est comme celui d’un nuage de bénédiction et leurs paroles mêmes ont une efficace durable. Qu’ils seront étonnés un jour, lorsque le Seigneur, ôtant le voile qui couvrait leur vie, leur montrera les riches moissons que sa grâce fit lever, à leur insu, de la semence si peu apparente de leur carrière. Ils verront alors que leur vie ne fut point inutile même pour leurs semblables. Leurs œuvres demeurent et elles les suivent. Le courant du temps ne peut les entraîner dans l’oubli.

Permettez que je vous raconte une histoire qui vous est peut-être connue, mais qui trouve ici parfaitement sa place. Dans les vallées du Caucase demeure une peuplade qui, dès les temps les plus anciens, possède la connaissance de l’Evangile. Trois siècles environ après la naissance de notre Sauveur, ces montagnards furent réunis aux paisibles troupeaux du bon Berger. Mais écoutez par quelles dispensations merveilleuses. Les Ibériens (c’était leur nom) étaient en guerre avec des tribus déjà éclairées de la lumière chrétienne. Après une victoire ils emmenèrent entre autres prisonniers une jeune fille qui devint l’esclave d’une riche famille. Mais ses maîtres soupçonnaient aussi peu que Naaman quel riche trésor ils avaient acquis. Cette jeune fille était une épouse de Christ, un vase de la divine miséricorde. Elle mena dès lors une vie délaissée au milieu de la horde païenne ; mais, quoiqu’elle répandit sans doute bien des larmes secrètes, elle ne perdit point courage. La présence de son Sauveur fut sa grande consolation dans sa détresse. Elle faisait avec empressement tout ce qui lui était commandé, et plus encore ; et cette humble fidélité, si nouvelle pour les Ibériens, lui acquit en peu de temps l’estime et l’affection.

Il arriva un jour que, selon la coutume du pays, on portait de maison en maison un enfant malade pour voir si personne ne saurait indiquer un remède efficace. Le mal avait fait tant de progrès que, bien loin d’avoir un avis à émettre, chacun s’étonnait qu’on pût encore conserver quelque espérance. Les parents abattus continuaient leur inutile tournée, lorsque vint, je ne sais d’où, le conseil de consulter aussi la jeune étrangère, qui saurait peut-être indiquer quelque remède de son pays. Combien n’accueille-t-on pas volontiers de telles propositions lorsqu’on en est réduit aux moyens extrêmes ! Sans retard on porte le petit lit vers la maison où sert Nunnia (c’était le nom de l’esclave). On l’appelle, on lui explique ce qu’on désire d’elle. Ah ! dit-elle, que pourrais-je vous conseiller, moi, pauvre servante. Mais, reprend-elle avec empressement, je puis vous indiquer Celui qui n’est pas seulement capable de guérir l’enfant, mais qui pourrait encore le rendre à la vie s’il était mort. Sur les instances de ces pauvres affligés, elle ajoute que c’est un grand et puissant seigneur dont le trône est aux cieux, et qui, néanmoins, condescend aux prières de tous d’eux qui l’invoquent, car il est l’amour et la miséricorde même. — Ah ! disent-ils, va donc sans tarder le prier de venir vers nous ! — La petite esclave va se jeter aux pieds de Jésus. « Seigneur, dit-elle, pour l’amour de ta gloire, manifeste-toi et exauce ! » Et lorsqu’elle revient, après cette prière, avec un amen joyeux dans son cœur, voici que l’enfant ouvre les yeux en souriant, — il est guéri. Les parents s’en retournent ivres de joie, et tous ceux qu’ils rencontrent apprennent de leur bouche la merveilleuse délivrance. Au reste, on n’attribua point le miracle à son auteur, mais à l’étrangère, qui apparut désormais à ces pauvres aveugles comme un être surhumain. Le bruit de cet événement se répandit avec rapidité. Il parvint aux oreilles de la reine, et celle-ci étant tombée malade bientôt après, sa première pensée fut pour l’esclave étrangère. Elle la fit appeler. Mais Nunnia ne put se résoudre à obéir. Elle souffrait trop de se voir attribuer une gloire qui n’appartenait qu’à son Seigneur. Mais la reine se fit porter près d’elle. Vivement émue, Nunnia prie, et voilà que la reine obtient aussi sa guérison. Lorsque Miraüs (c’était le nom du roi) voit revenir sa chère épouse bien portante, dans l’ivresse de sa joie, il veut envoyer à l’enfant extraordinaire les plus riches présents. Mais la princesse le supplie de n’en rien faire ; car, lui dit-elle, tu ne feras qu’affliger l’étrangère : cet être mystérieux méprise les biens terrestres et se croit suffisamment récompensée si l’on consent à fléchir avec elle le genou devant son Dieu. L’admiration du roi et son étonnement ne font que s’accroître. Toutefois il en reste, pour le moment, à cette impression ; et c’est à cela que se borne l’effet du double miracle dont la lumière venait de sillonner les ténèbres ibériennes. Mais qu’arrive-t-il plus tard ? Un jour le roi se perd à la chasse. Un épais brouillard le sépare de sa suite ; le voilà engagé dans les détours d’une profonde forêt. Tous ses efforts pour retrouver son chemin sont inutiles. La nuit approche. Sa perplexité est au comble. Il sonne du cor ; mais l’écho des ravins, qui seul lui répond, vient augmenter encore l’effroi de son isolement. Dans ce moment il se ressouvient de la jeune fille et de ce qu’elle disait de son Maître invisible. — S’il en est ainsi, pense Miraüs, si ce roi céleste est si puissant, si miséricordieux, qu’est-ce qui empêche qu’il ne vienne aussi à mon aide ? Sans plus attendre, il fléchit le genou dans la solitude, et le cœur frissonnant d’un saint respect, il s’écrie : « O toi que l’étrangère appelle son Dieu, Jésus, si tu es présent dans ce désert, daigne me secourir ! Si tu me délivres, que mon cœur, que ma vie, que tout ce qui est en moi t’appartienne ! » Telle est sa prière, et son âme est droite devant Dieu. A peine a-t-il refermé ses lèvres que le sombre brouillard se roule sur lui-même comme un vêtement, l’azur du ciel reparaît ; le prince étonné fait seulement quelques pas ; et déjà le voilà qui reconnaît sa route. Il retrouve heureusement les siens. Il s’empresse de raconter ces choses à son épouse. Désormais ils ne doutent plus que le Dieu de l’esclave ne soit le vrai Dieu. Ne l’ont-ils pas comme touché de leurs mains ? Ils se rendent auprès de Nunnia. « Oh ! s’écrient-ils, parle-nous encore de ton Jésus ! » Et dès cette heure on voit ce couple royal aux pieds de l’humble esclave, comme deux enfants dociles. Celle-ci leur raconte avec simplicité ce qu’elle sait de l’histoire du Sauveur. Ils dévorent ses paroles ; leur cœur se brise et se fond en les entendant. Bientôt commence un spectacle plus touchant encore. C’est un prédicateur couronné ; c’est une messagère de l’Evangile sous le bandeau royal. Ils comprirent, en effet, qu’ils ne pouvaient faire à leur peuple un plus grand bien que de lui annoncer la Parole du Dieu qui s’est fait homme. Voici le roi qui instruit les hommes et la reine qui instruit les femmes et les jeunes filles. Dieu se plut à bénir ces deux témoins. Le peuple reçut avec joie ce message. Jésus fit son entrée chez cette horde sauvage. On vit fleurir une création nouvelle dans ce désert moral. Aujourd’hui, mes frères, un nouveau souffle de vie se répand dans ces antiques églises. De courageux missionnaires y déploient de nouveau la bannière de la croix, et tout nous montre que l’Esprit de grâce n’a point oublié cette contrée où il opéra, il y a quinze siècles, une si grande merveille.

Que dites-vous de cette histoire ? N’est-elle pas aimable et encourageante, et ne forme-t-elle pas le pendant de l’histoire de notre texte ? Oui : Jésus-Christ est bien le même, hier, aujourd’hui et éternellement. Qu’il lui est facile de délivrer avec peu comme avec beaucoup de gens, et comme il sait bien trouver ses brebis ! Quand même le nombre des enfants serait comme le sable de la mer, il n’y en aurait qu’un petit reste de sauvé. — J’appellerai mon peuple celui qui n’est point mon peuple, et il arrivera qu’au lieu où on leur disait : vous n’êtes point mon peuple, là-même ils seront appelés les enfants du Dieu vivant.

Retournons à Damas. Naaman qui, depuis cette parole de son esclave se sent porté sur les ailes de l’espérance, Naaman a bientôt pris sa résolution. « A Samarie ! » tel est le cri de son cœur. Mais il s’empresse d’aller solliciter la permission de son souverain. C’était dans l’ordre, quoique dans les choses purement spirituelles il ne s’agisse point de consulter la chair ni le sang, et qu’il ne faille s’inquiéter de la permission ni de la défense de qui que ce soit. — Naaman expose la chose à son seigneur. C’est ainsi, dit-il, qu’a parlé la petite fille du pays d’Israël. Eh bien ! va, répond Ben-Hadad. S’il avait pu conserver quelque espérance que la guérison de son cher malade serait opérée par les médecins ou par les prêtres de Syrie, le monarque jaloux n’eût point concédé à ses ennemis l’honneur de sa délivrance. Mais il se fait violence ; il accorde le congé demandé, il offre même de donner au malade une lettre pour le roi d’Israël. Ce sauf-conduit royal est bientôt écrit et signé ; il porte pour adresse : à Joam roi d’Israël, et voici son contenu : Dès que ces lettres te seront parvenues, sache que je t’ai envoyé Naaman, mon serviteur, afin que tu le délivres de sa lèpre. Le billet, il faut en convenir, ressemble à son auteur et indique une cécité spirituelle complète. Il croyait, ce prince idolâtre, que s’il existait quelque puissance miraculeuse en Israël, elle devait nécessairement dépendre de la puissance terrestre, comme si Dieu, dans la distribution de sa grâce, regardait au rang et à l’apparence des personnes, comme s’il les conférait de telle manière, que ce qui en jouit puisse en disposer à son gré comme d’une propriété permanente. Oh ! que d’absurdités l’on voit se produire toutes les fois que l’homme charnel présume de juger des choses qui sont du domaine du Saint-Esprit ! Les plus sages montrent alors leur folie et les plus savants parlent comme des enfants sans connaissance.

Le malade, muni de cette recommandation royale, achève de se préparer au départ. Mais il veut voyager dans une pompe égale à son haut rang. Il commande qu’on tienne prêt son chariot le plus magnifique, ses plus beaux coursiers, et qu’une brillante suite l’accompagne. Il prend une somme d’argent considérable dont une grande partie doit servir à récompenser celui qui opèrera la cure si ardemment désirée. Tel est l’équipage princier dans lequel notre héros se met en marche vers la terre promise, vers le pays de son espérance.

Au reste, cette pompe nous montre bien que les idées de Naaman ne surpassaient guère en spiritualité celles de son royal maître. Lui aussi se représentait le prophète de Samarie, comme une sorte d’enchanteur et de sorcier semblable aux prêtres païens. Il paraît bien qu’il n’avait aucune idée d’un Dieu qui guérit et qui fait guérir gratuitement. Avouons-le d’ailleurs, mes chers frères, aujourd’hui encore, et même parmi nous, l’économie qui règle la cour de Jéhovah n’est comprise que bien difficilement. Qu’on y soit, par exemple, d’autant mieux reçu, qu’on s’en approche plus vide et plus pauvre, et qu’on songe moins à payer les bienfaits qu’on réclame, c’est ce que notre sens naturel ne peut saisir. Qu’il nous est difficile, à nous-mêmes qui avons obtenu grâce, d’immoler à cette vérité nos idées serviles d’œuvres et de mérites ! Ah ! que de fois ne va-t-on pas au Seigneur, comme Naaman, tout chargé de dons que l’on croit magnifiques, ou tout au moins de vœux et de promesses ! Loin de ne s’appuyer, comme Daniel dans sa prière, que sur les compassions de Dieu, on en parle, il est vrai, de ses lèvres, mais dans le fond du cœur et dans ses plus secrètes pensées, on s’appuie sur quelque justice propre, sur quelque sainteté, sur quelque spiritualité, à cause de laquelle on se persuade pouvoir s’appliquer les promesses. Mais qu’est-ce à dire ? Nous n’avons pas reçu seulement le privilège, mais l’ordre positif d’aller chercher sans argent et sans aucun prix du vin et du lait. (Ésaïe 55.1). Telles sont les règles de la cour de Jéhovah. Oh ! que ne pouvons-nous nous y soumettre !

II

Naaman se met en route. Le sauf-conduit de Ben-Hadad lui procure partout libre passage et accueil respectueux. — Nous aussi, mes frères, nous avons en notre possession un document semblable, mais d’une nature et d’une portée infiniment plus excellente. C’est un document tel que ces paroles de Jésus à la pauvre malade : Va-t-en en paix ; ou que cet ordre que Jésus donna à l’égard de ses disciples, en disant : Laissez aller ceux-ci. C’est le passeport des enfants de Dieu. — Leur passeport ? Oui, sans doute. Ignoriez-vous qu’ils en eussent besoin ou qu’ils en fussent pourvus ?

Nous aussi nous sommes en voyage, et notre voyage est rapide. Que nous le sachions ou non, que nous le voulions ou non, notre vol ne s’arrête point. Nous sommes en voyage dès le berceau jusqu’à la tombe ; non sur un vaisseau ni dans une voiture, mais sur l’aile du temps qui nous entraîne avec une bien plus grande célérité. Les sons de l’horloge de la tour nous indiquent d’heure en heure le chemin que nous avons parcouru. Hier c’était le printemps. Maintenant les roses sont flétries. Demain tombera la neige, puis les boutons fleuriront encore. Mais bientôt se flétrira notre propre feuillage. Car toute chair est comme l’herbe. Et quel est le terme du voyage ? L’éternité. C’est la mer où se versent les ruisseaux de la vie ; les uns plus tôt, les autres plus tard. Mais l’éternité a deux compartiments parallèles, deux domaines distincts séparés par un abîme : l’étang de feu et le paradis, le ciel et l’enfer. Tout ce qui vit aborde à l’un ou à l’autre rivage.

Le voyage lui-même est rempli de mille dangers. On n’y entend parler que d’arrestations et d’attaques formidables dont la pensée seule fait frissonner. Des milliers de malheureux y deviennent la proie du péché, serpent horrible qui les enlace toujours plus fortement de ses étreintes. Le diable en retient des milliers dans ses chaînes, dans les filets du mensonge, et les réserve pour les demeures des tourments. Songez à Achab, à Hérode et à la génération entière sur laquelle le Seigneur s’écria : Malheur, malheur ! Des milliers sont accusés par Moïse devant le Tribunal suprême ; l’accusation est validée et leur nom est écrit dans le registre de malédiction. Des milliers tombent dans le désespoir des réprouvés. Des milliers s’écrient, les yeux élevés vers les portes de la céleste Jérusalem : Seigneur Jésus, ouvre-nous ! et ne peuvent obtenir que cette réponse : Je ne sais d’où vous êtes ! Je ne vous ai jamais connus ! arrière de moi, ouvriers d’iniquité, allez au feu éternel !

Quel affreux désastre, mes frères, quel malheur effroyable ! Devant cette ruine, que sont les malheurs qu’on déplore sur la terre ? un rien. Qu’est-ce que la perte de notre fortune ? un rien. Qu’est-ce que la maladie ? un rien. Qu’est-ce que le déshonneur ? un rien. Toutes ces choses n’entrent plus en ligne de compte. Heureux Job, heureux Lazare, heureux Bartimée ! Mille fois plutôt votre misère que la pourpre de l’homme riche, que la dignité royale de Saül et d’Hérode ! Mais, demandons-nous avec inquiétude, ne peut-on échapper à ces affreux désastres ? Eh ! oui sans doute, mes frères, des milliers y ont échappé. — Par quel moyen ? — Ils ont eu un passeport. Qui voyage sans passeport sera pris tôt ou tard comme un vagabond. Un passeport rend de grands services. Mais il faut qu’il soit bon. S’il était mauvais, il n’entraînerait qu’un plus grand mal. Que de gens et même parmi nous qui voyagent avec un faux passeport ! Les uns se le fabriquent eux-mêmes. D’autres se le font écrire par le monde, comme s’il avait mission d’en délivrer. Ne nous appuyons pas même sur celui que pourraient nous donner les enfants de Dieu et les hommes les plus apostoliques. Non, c’est d’une autorité plus haute que nous devons tenir nos papiers ; c’est de celui qui dit aux bandes ennemies : Laissez aller ceux-ci ; et à la pauvre femme : va-t-en en paix. Tel est le passeport que reçoivent tous ceux qui appartiennent à Christ. Souffrez que je déploie devant vous cet acte précieux et que je vous rende attentifs à ses détails admirables.

Tout passeport porte en tête des armoiries. Le nôtre a les siennes et nous en connaissons la figure : C’est une croix. On y voit briller cette inscription : Celui qui n’avait point connu le péché, Dieu l’a fait péché pour nous afin que nous fussions justice de Dieu en lui. On aperçoit au pied des chaînes brisées, symboles de rédemption et de victoire. Tout autour s’entrelacent des palmes verdoyantes. D’un côté l’on voit un serpent dont la tête est écrasée, de l’autre, les débris de la couronne et du sceptre du roi des épouvantements. Au-dessus, paraît l’arc-en-ciel avec ses brillantes couleurs. Puis on voit au-dessus le ciel ouvert. De riantes figures d’anges s’y montrent dans une pure lumière, et l’un d’eux porte une bannière sur laquelle on peut lire ces mots : Paix sur la terre, bonne volonté envers les hommes. Telles sont les armoiries significatives de ce passeport mystérieux, plus belles vraiment et plus glorieuses que les doubles aigles les plus magnifiques, que les plus fières couronnes, que les sceptres les plus brillants des armoiries terrestres.

Où fut délivré le passeport dont nous parlons ? Il porte le sceau de l’empire de l’Univers. Où fut-il écrit ? Dans le cabinet suprême. Avec quelle encre ? L’écriture en est rouge : c’est le sang de l’Agneau. Quelle en est la matière ? Un parchemin indestructible. Par qui fut-il écrit ? Il est tout entier de la main du Dieu Tout-Puissant, du Seigneur des seigneurs. Il est vrai qu’il n’eût pu délivrer purement et simplement un pareil acte à de pauvres enfants d’Adam qui ne méritaient que d’être arrêtés et livrés aux bourreaux. Mais le Fils paya leur dette, prit sur Lui leur malédiction et accomplit pour eux la justice sans laquelle ils ne pouvaient espérer aucune garantie, aucune protection, aucune délivrance. C’est ainsi qu’il devint possible que la sainteté et la justice même apposassent leur ferme seing au passeport écrit par la grâce. Et certes jamais la grâce n’eût voulu se charger seule de le délivrer. Ainsi donc il procède du Dieu saint et juste et il repose sur la caution sanglante du grand Médiateur.

Poursuivons l’examen de cet acte magnifique et jetons les yeux sur le signalement ; les titres en sont les mêmes que dans les passeports de la terre, mais les désignations différentes et quelque peu mystérieuses. Le nom ? Jedidja, celui que Dieu aime. L’âge ? il ne se rapporte pas à la même date que dans les registres de naissance. L’origine ? Dieu est son père ; sa mère est la Jérusalem d’en haut. Son lieu de naissance ? Près du Sinaï, au pied de la croix. Son domicile ? Sion. Son rang ? Sacrificateur et roi. Sa profession ? Tantôt la guerre, tantôt le chant des cantiques. Sa compagnie ? Le Saint-Esprit. But du voyage ? L’entrée en jouissance de l’héritage éternel. La manière de voyager ? Sur des ailes d’aigle. Le vêtement ? Une robe sans couture. Le langage ? de Galilée. La figure ? belle devant Dieu. Les yeux ? éclairés. Les oreilles ? ouvertes pour la parole de Dieu. La bouche ? prête à confesser le nom de Jésus. Signes particuliers : trouve-t-on ici sanctification achevée, ou quelque chose de semblable ? non, mais voici qui ne manque jamais : aversion décidée pour le péché, et franche volonté pour servir Dieu en Jésus-Christ.

Et quelle est la destination indiquée ? Jérusalem ! Jérusalem la ville du grand roi ! O séjour désiré, notre espérance te salue ! Que de fois notre âme tressaille à l’ouïe de ton nom ! La sera le terme éternel de toute souffrance, de tout combat ; là il n’y aura plus d’obscurité, plus de crainte, plus d’angoisse, plus de séparation, mais une lumière éternelle, une intarissable plénitude ! O Jérusalem, si je t’oublie, que ma droite s’oublie elle-même ! Et qui écrivit ces mots : bon pour Jérusalem ? Le roi de gloire Lui-même. Quelle force ont donc ces paroles ! Ce n’est plus seulement une permission, c’est une promesse, c’est un décret. Lorsqu’un roi veut faire transporter promptement un corps militaire vers quelque endroit et qu’il écrit de sa main une instruction en ces termes : en droite ligne vers telle ou telle ville, avec sa signature et le sceau du royaume, cela ne veut point dire : ils peuvent y aller, mais il faut qu’ils y aillent, et comme aussitôt les autorités, sur toute la route, s’empressent de faciliter et de hâter le voyage ! Il en est de même pour la destination des enfants de Dieu. Que dis-je ? Un roi terrestre ne pourrait répondre de l’exécution de ses ordres. Il ne tient point en sa main les orages, les inondations, ni ce qui pourrait encore s’opposer à la marche de ses troupes. Mais celui qui écrivit le passeport d’Israël est le souverain suprême. Si donc il a dit : bon pour Jérusalem, c’est que nous y arriverons infailliblement. Et lors même qu’il faudrait traverser les plus hautes montagnes et l’océan le plus furieux, nous y arriverons. Nous ne pouvons manquer le but. Quels que soient les détours de notre navigation, nous jetterons l’ancre devant Salem !

Tout passeport contient une instruction ainsi conçue : Nous prions ou nous requérons les autorités civiles et militaires de donner aide et protection, etc. Ici de même, mais sous une triple forme. En tant qu’adressée aux anges, l’instruction de notre passeport s’énonce ainsi : portez-le dans vos mains, de peur que son pied ne heurte contre quelque pierre. En tant qu’adressée à toutes les puissances ennemies : ne lui faites aucun mal, ou si vous lui en faites, que ce soit pour son plus grand bien. En tant qu’adressée au porteur du passeport lui-même : Ne crains point, crois seulement, va-t’en en paix ! — Et les anges obéissent avec joie. Les puissances ennemies par nécessité. Et celui qui possède le passeport est insensé s’il ne laisse pas à d’autres la crainte et l’inquiétude.

Plusieurs, il faut le dire, possèdent un tel passeport presque sans s’en douter. Ils le portent cacheté et n’en connaissent pas tout le précieux contenu. Quoique sous couvert, ce document leur procure un sûr passage. Mais c’est une double grâce que de savoir clairement qu’on le possède et de pouvoir le lire. Qu’alors on ne manque point de le tenir toujours en main ! Si Moïse, ou le diable, ou ta propre conscience veulent t’accuser, ne dispute point avec eux. Sans perdre de temps à te justifier ou à t’excuser, montre-leur ton sauf-conduit et demande-leur hardiment leur visa. Qu’arrive-t-il ? qu’ils se retirent confus de leur méprise, et toi tu continues ta route tout joyeux.

III

Après un ou deux jours de marche, nos voyageurs aperçoivent dans le lointain les formes azurées des montagnes d’Israël. Oh ! comme Naaman les voit maintenant sous un autre aspect ! Ce n’est plus la contrée qu’il envahit, peut-être, plus d’une fois, à la tête de ses bataillons, ce ne sont plus les montagnes à l’approche desquelles il combinait d’avance les campements. Maintenant il les salue avec tendresse. C’est la baie paisible après laquelle il soupire. Toutes ses espérances fleurissent derrière ces collines. Il vient encore planter sa bannière sur le sol d’Israël, mais c’est une bannière qui porte pour devise : l’Eternel est mon aide.

La frontière est déjà dépassée. Nos pèlerins suivent jusqu’au lac de Génézareth une haute chaîne de montagnes, passent devant Capernaüm et Bethsaïda et descendent dans la plaine d’Israël. Bientôt apparaît au loin, sur une colline, la résidence du roi Joram. Il semble au pauvre malade que jamais il ne vit une ville plus belle. Je laisse à d’autres le soin de décrire ses émotions quand il en franchit les portes. A peine arrivé à Samarie, Naaman n’a rien de plus pressé que de se faire annoncer au château royal. Introduit, la tête voilée, devant le prince, après les cérémonies d’usage, il ne craint pas de lui présenter la lettre de son souverain. Joram déjà inquiet de cette mystérieuse visite, l’ouvre avec une appréhension mal dissimulée ; mais comment exprimer ce qu’il éprouve à la lecture de ces brèves paroles : Dès que cette lettre te sera parvenue, sache que je t’ai envoyé mon serviteur Naaman, afin que tu le délivres de sa lèpre ! Le visage tout décomposé, d’un geste qui exprime à la foi la colère et la crainte, le pauvre monarque déchire son habit royal et s’écrie avec une violence que les assistants peuvent à peine s’expliquer : Suis-je un Dieu pour faire mourir ou pour rendre la vie, que celui-ci envoie vers moi pour guérir un homme de sa lèpre ! C’est pourquoi sachez maintenant et voyez qu’il cherche une occasion contre moi !

Scène plaisante, en vérité ! Quel tourment sans motif, quelle colère inutile ; comme s’il fallait qu’il opérât lui-même le miracle ! Toutefois on ne saurait méconnaître dans ce mouvement étrange quelque chose de vrai et de bon. Que nous aimerions à vous entendre exprimer un sentiment pareil lorsqu’on vous présente une tâche au-dessus de vos forces ; que nous aimerions à vous voir épouvantés comme Joram lorsqu’on vous parle d’opérer vous-mêmes votre sanctification ou votre salut et vous écrier : Suis-je Dieu pour accomplir de telles choses ! Au reste, si dans la lettre de Ben-Hadad se montre tout l’aveuglement du paganisme, l’Israélite, bien déchu, il est vrai, se montre encore dans l’exclamation de Joram. Mais ce n’est, hélas ! qu’une lumière pâle et vacillante, reflet involontaire du soleil qui brille en Israël ; reflet qui n’empêche pas Joram de se montrer à nous comme un homme méprisable, sans connaissance de Dieu, sans foi, sans amour pour la vérité, sans reconnaissance. Que de preuves n’avait-il pas reçues lui-même de la puissante protection du gardien d’Israël ! Mais le voilà tout déconcerté devant Naaman, comme s’il n’y avait jamais eu dans toute l’histoire de son peuple aucune guérison miraculeuse, et il ne ne lui vient pas même à l’esprit qu’il y a, dans son royaume, un grand prophète, dont la puissante intercession l’a déjà tiré lui-même des plus imminents dangers. L’incrédule perplexité de Joram nous remplit d’indignation. Mais tournons, je vous prie, cette arme contre nous-mêmes. Combien souvent ne ravalons-nous pas aussi la gloire du Dieu Puissant auquel nous appartenons ! Qu’il nous arrive le moindre embarras, la moindre détresse… peut-être allons-nous nous conduire comme si toutes les promesses de notre Dieu n’étaient que tromperies ! Ce fut une belle et bonne réponse, que j’entendis faire dernièrement par un chrétien, à son frère qui se plaignait amèrement d’être délaissé par le Seigneur.

Ah ! lui dit-il, il ne faut point se hâter ainsi de faire au Seigneur une mauvaise réputation ! — Cet homme disait vrai. Nous devrions avoir plus de patriotisme et ne point nous hâter de prendre une mine et de tenir un langage qui décrient dans le monde notre Jérusalem. Au lieu de sonner la grosse cloche pour le moindre désagrément qui peut nous y arriver, nous devrions être jaloux d’énumérer plutôt, devant tous, les bénédictions que nous y recevons. Nous devrions trembler à la pensée de pousser qui que ce soit à mépriser Canaan, et préférer mille fois nous laisser insulter et mépriser nous-mêmes. N’est-il pas vrai d’ailleurs que le livre de nos expériences aurait à raconter plus de bienfaits, plus de grâces que de dispensations contraires et que nos plaintes tournent toujours finalement à notre confusion ? Car que sont les énigmes de nos épreuves, si ce n’est le prélude étrange d’une grandiose harmonie ? Quoi qu’il en soit, et malgré tous les mystères, le nom du Seigneur demeure à jamais admirable en Israël.

Mais que va devenir notre pauvre malade qui se voit tout d’un coup précipité du ciel de ses espérances. Ni le roi, ni les prêtres de Syrie n’ont pu le soulager. Et voilà que ce roi d’Israël, son dernier refuge, ne peut le délivrer lui-même ni lui procurer aucun secours. — Quel désappointement ! quel désespoir pour Naaman ! — Taisons-nous, mes amis, et sachons attendre. C’est précisément ce qui devait arriver, c’est ainsi que tout devait être préparé pour la glorification de la puissance du Seigneur. Il le fallait pour la conversion de Naaman lui-même. C’est maintenant qu’Élisée pourra paraître, pour démontrer avec éclat que l’Eternel est Dieu, et qu’il n’y en a point d’autre.

Oui, c’est lorsque le monde est à bout de ressources et de consolations qu’on apprend à apprécier la valeur de ces pauvres croyants si méprisés, c’est alors qu’on peut voir que ce petit troupeau n’est point aussi inutile sur la terre, qu’on le dit. Où se termine la sphère du pouvoir humain, là commence l’influence des vrais enfants de Dieu. Lorsque le soleil perd sa clarté, ils brillent comme des étoiles dans la nuit. Lorsque les grands de la terre sont tout éperdus, ils lèvent les mains vers le ciel et en font descendre une délivrance inespérée ; ils pansent et cicatrisent par le baume de la parole divine qui est dans leur cœur et dans leur bouche, les blessures pour lesquelles il n’y avait plus de remède. Leur force est invincible, car c’est celle du Seigneur. Ils sont les réservoirs et les canaux de la source intarissable des consolations.

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